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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le New York Times jette Roman Polanski en pâture

Par David Walsh et David North
8 octobre 2009

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Roman Polanski

L'arrestation du réalisateur Roman Polanski en Suisse et la menace d'extradition aux Etats-Unis dont il fait l'objet agitent la meute aux abois que sont les défenseurs du « tout sécuritaire. » Ces forces réagissent de façon agressive, voire même préventive, dans une telle affaire, de peur que des considérations humanitaires ou même l'esprit de pardon ne viennent à influencer la conscience populaire. Sans porter le moindre intérêt aux circonstances plus larges de cette affaire, d'innombrables voix réactionnaires se sont élevées, exigeant avec sévérité que Polanski soit emprisonné dans l'intérêt de la société.

A ces voix, on peut maintenant ajouter celle du comité de rédaction du New York Times, le journal sérieux du libéralisme politique. Dans un article politiquement significatif, les rédacteurs se sont alignés, avec rancune et méchanceté, du côté des autorités policières de Los Angeles.

Dans « L'affaire Polanski » (Septembre 2009), le Times commence par railler l'idée que l'on puisse s'opposer à son emprisonnement: « A entendre les protestations des Français, Polonais et autres Européens, on aurait pu croire que le cinéaste avait été arrêté par un quelconque régime autoritaire pour avoir dit la vérité au pouvoir.

Par conséquent, selon eux, la possibilité que les droits de l'Homme puissent être bafoués ne se produirait donc que dans des « régimes totalitaires »et non dans des « démocraties » capitalistes? Amnesty International a, à diverses occasions cette année, dit que « au nom de la lutte contre le terrorisme, les USA ont violé les droits des individus en Irak, Afghanistan, Guantanamo et ailleurs. Les violations des droits de l'Homme commises au nom des USA depuis le 11 septembre 2001 sont nombreuses et variées, » et qu' « il y a des rapports fréquents [en 2009] de brutalités policières et de mauvais traitements dans les prisons [américaines], les centres de détention et de rétention des immigrés. Des dizaines de personnes sont décédées après que la police a utilisé des tasers (arme provoquant des chocs électriques) contre eux. »

Pourquoi devrait-on prendre pour argent comptant l'opinion des autorités suisses dont l'histoire politique est plutôt sans principe et mercenaire? Après tout, le gouvernement suisse a accordé l'asile à l'escroc financier de renom, Marc Rich, lorsque celui-ci avait fui le système judiciaire américain.

Bien sûr, cette affaire avait trouvé « une issue heureuse. » Rich avait bénéficié du pardon présidentiel qui lui avait été accordé par Bill Clinton au cours des dernières heures de sa présidence. Clinton avait suivi les recommandations qui lui avaient été faites par le Procureur général de l'époque, Eric Holder. Ce dernier occupe à présent le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement d'Obama. Bien sûr, Rich n'était pas Polanski. Le financier avait eu le bon sens de laver ses fautes à grand renfort de dons en monnaie sonnante et trébuchante à Clinton et au Parti démocrate.

Après avoir résumé rapidement les faits du délit commis par Polanski et les négociations entre le procureur et l'avocat de la défense, le Times fait remarquer au passage, « Il y a quelque chose d'étrange au fait que les Suisses aient décidé d'arrêter le réalisateur maintenant, après l'avoir laissé entrer et sortir du pays librement pendant trois décennies. Et un documentaire daté de 2008 de Marina Zenovich, Roman Polanski, Wanted and Desired (Recherché et Désiré), a soulevé des questions troublantes sur la manière bizarre dont un juge de Californie en mal de célébrité, Laurence Rittenband, avait mené l'affaire. »

La décision soudaine d'emprisonner Polanski en Suisse, il est propriétaire d'une résidence dans ce pays et y a apparemment passé une bonne partie de l'été, est plus qu'« étrange », comme le savent pertinemment les rédacteurs du Times. Sous la pression d'un risque de scandale dû à une affaire de fraude fiscale impliquant le géant bancaire suisse UBS, les autorités suisses, qui ne prennent jamais de décision de politique étrangère sans au préalable calculer, jusqu'au dernier centime, l'effet que cela aura sur les profits de la banque, ont fait une faveur aux Etats-Unis en arrêtant le cinéaste dans une tentative cynique visant à protéger leurs institutions financières de la plus grande importance.

Il est étonnant que le Times balaie d'un revers de main et sans plus de commentaire les « questions troublantes » concernant la manière dont un « juge en mal de célébrité » avait mené l'affaire à son début. Un juge de la Cour supérieure de Los Angeles a reconnu dans le courant de cette année qu'il y avait eu « mauvaise gestion substantielle » au cours de l'audience de la fin des années 1970. Est-ce que ceci n'aurait pas un rapport légal et moral sur la question de savoir si Polanski devrait ou non être poursuivi 30 ans plus tard? L'éditorial, par ailleurs consacré aux finesses de la loi, ne s'intéresse aucunement à cette possibilité.

Avec un cynisme consommé, le Times poursuit, « Pourtant où est l'injustice consistant à faire comparaître devant la justice quelqu'un, aussi talentueux soit-il, qui plaide coupable pour détournement de mineure de moins de 15 ans et puis part en cavale? »

« Los Angeles » et « justice » sont des termes incompatibles dans une même phrase. Polanski a fui les Etats-Unis par peur légitime des autorités vindicatives de Los Angeles, réputés pour leur corruption et leur approbation de la violence policière systématique, du racisme et des coups montés. On peut difficilement dire que le cinéaste se cachait; il a depuis sa fuite tourné dix longs métrages dont le film primé Le Pianiste.

Rassemblant toute sa suffisance béotienne, la voix du libéralisme politique américain conclut: « Nous sommes en désaccord profond [avec ceux qui défendent Polanski] et nous étions bien contents de voir d'autres Européens en vue faire remarquer que cette affaire n'a rien à voir avec le travail ni l'âge de M. Polanski. Il s'agit d'un adulte qui a détourné une enfant. M. Polanski a plaidé coupable pour ce crime et doit rendre des comptes. »

Quel effort écoeurant! Le fait que le Times veuille à tout prix commenter de cette façon un tel épisode a une signification politique. C'est une concession calculée envers l'extrême droite, envers les bailleurs de « valeurs familiales » et autres éléments peu recommandables de la société. Tout à fait justement, le commentateur d'extrême-droite Noël Sheppard a exprimé sa grande satisfaction pour la position adoptée par le journal (« Je vais dire quelque chose que l'on a pas l'habitude d'entendre de la part d'un analyste conservateur des médias: Bravo, NYT, bravo. »)

De plus, les rédacteurs du Times savent que leur position a du poids. L'éditorial va contribuer à empoisonner l'atmosphère contre Polanski et miner sa capacité à se défendre face aux autorités. Le Times est plus que décidé à jeter Polanski en pâture si cela permet, même pour un jour, d'apaiser les réactionnaires qui le critiquent.

Le libéralisme politique américain est à présent entièrement dénué de principe ou de scrupules. Ce déclin regrettable de principes, pour ne pas parler d'humanité, n'est nullement un phénomène exclusivement américain. En Europe, il se déroule une campagne concertée pour détourner l'opinion publique, initialement compatissante à l'égard de Polanski, contre le réalisateur. Et là-bas aussi, ceux qui mènent la danse sont les représentants de la « gauche » officielle.

Daniel Cohn-Bendit, représentant politique en vue des Verts européens, fait cause commune avec le fasciste Le Pen pour critiquer vertement les ministres français qui expriment leur indignation devant l'arrestation de Polanski. En 1968, Cohn-Bendit était le renommé « Danny le Rouge. » Il a passé le plus clair des 40 dernières années à expier ses excès de jeunesse et à prouver la vérité persistante de ce vieil adage, « Révolutionnaire avant 30 ans, salaud après. »

Il faut que justice soit faite entonnent le Times et le reste des médias dominants. Leur hypocrisie est sans limite. L'establishment américain tout entier s'accorde à penser que « le pays doit aller de l'avant » et que la CIA et les criminels de l'armée qui ont géré, et continuent encore de gérer, Guantànamo, Abu Ghraib, Bagram et le réseau mondial de « sites noirs » où les personnes emprisonnées illégalement ont subi des sévices sexuels, été torturés et dans certains cas assassinés, doivent rester impunis pour leurs actes abominables.

George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld et les autres qui ont lancé une guerre d'agression sans avoir été provoqués et qui a coûté, selon les estimations les plus conservatrices, des centaines de milliers de vie irakiennes depuis 2003, restent libres et continuent de récolter des sommes d'argent pour des discours qu'ils font au nom de diverses causes politiquement criminelles. Ce sont des individus dont les mains suintent le sang. Et pas une fois le Times n'a demandé qu'ils soient arrêtés et poursuivis.

Cherchant à discréditer et à rendre illégitime toute expression de compassion à l'égard de Polanski, le Times et la populace de droite laissent entendre que s'opposer à son arrestation et son incarcération soudaines signifie être indifférent au fait qu'il s'est attaqué à une jeune fille de 13 ans en 1977. L'incident qui s'est déroulé en 1977 était un délit. Mais nous ne pensons pas que la personnalité et la vie toute entière de Polanski puissent être jugées sur la base de cet unique incident tragique. Et nous ne défendons pas cette position uniquement parce que Polanski est à n'en pas douter un artiste de poids (nous n'hésitons cependant pas à déclarer que ce fait n'est pas aussi trivial que ses persécuteurs réactionnaires cherchent maintenant à nous faire croire.) Parmi les deux millions d'êtres humains qui croupissent dans les prisons américaines, combien y en a -t-il qui y sont pour des raisons qui ont bien plus à voir avec les circonstances sociales ou l'environnement que la dépravation « innée »?

Bien sûr, Roman Polanski est un homme très riche. Mais il est absurde de soutenir, comme le fait l'actuel tas de moralisateurs, que son acte n'a « rien à voir » avec le reste de sa vie traumatisante.

Les reportages existant sur sa jeunesse varient légèrement quant aux détails, mais tous en expriment clairement le caractère tragique. Né à Paris en 1933 d'un père juif et d'une mère catholique, Polanski est parti vivre avec sa famille à Cracovie en Pologne lorsqu'il avait trois ans. Selon un reportage du Guardian datant de 2005, « Quand les Allemands envahirent la Pologne, les Polanski furent emprisonnés dans le ghetto, et en 1943 les nazis donnèrent l'ordre aux civils de partir. Son père réussit à faire une brèche dans le grillage et dit à Roman terrifié de s'enfuir dans la maison d'une famille qu'il avait payée pour s'occuper de lui. 'File!' souffla-t-il à son fils qui sanglotait tandis que les SS donnaient l'ordre aux hommes juifs de s'aligner. Roman se mit à courir sans jamais se retourner.

« Plus tard, il devait apprendre que sa mère avait été tuée dans les chambres à gaz [à Auschwitz] mais que son père, bien que soumis aux travaux forcés dans une carrière, avait survécu. Le garçon erra dans la campagne, vivant au jour le jour, recueilli ici et là par des amis ou des étrangers. »

Adolescent, écrit l'Independent en 2005 aussi, « Polanski obtint une place dans la prestigieuse école de cinéma Lodz où ses courts métrages le distinguèrent immédiatement comme un futur talent. Entre temps il échappa de peu à la mort aux mains d'un homme qui avait déjà assassiné trois personnes. Il est clair que Polanski, quels que soient les coups que la vie devait lui asséner, était génétiquement programmé pour survivre.

« On ne peut en dire autant de ceux qu'il a aimés. En 1969, sa seconde épouse Sharon Tate fut assassinée, ainsi que quatre amis, par Charles Manson et ses partisans. L'horreur était encore aggravée par le fait que Tate était enceinte de huit mois de leur premier enfant... Lorsque son décorateur pour le film MacBeth lui reprocha d'utiliser trop de sang sur scène, Polansky répliqua: « Je sais ce que c'est que la violence. Tu aurais dû voir ma maison l'été dernier. »

Comment de telles expériences atroces, qui se reflètent dans l'ensemble de son oeuvre cinématographique, seraient-elles sans lien avec le délit dont Polanski est accusé et pour lequel il a plaidé coupable? A quoi pourrait bien servir de le mettre en prison aujourd'hui? Quel danger représente-t-il pour la société?

Le Los Angeles Times, autre pilier ostensible du libéralisme politique, a publié un article fielleux le 30 septembre par un certain Steve Lopez (« Les défenseurs de Polanski perdent de vue la vraie victime ») qui contient les détails les plus scabreux du premier témoignage de la victime au grand jury. Cela apporte un peu plus d'eau salace au moulin de la droite, et toujours dans le but élevé que justice soit rendue. Lopez n'est qu'une crapule de plus des médias américains, qui fait feu de toute opportunité d'en appeler aux instincts les plus bas du public.

La victime du délit de Polanski, Samantha Geimer, aujourd'hui âgée de 44 ans, a critiqué les médias sur précisément cette attitude. Elle s'est montrée bien plus humaine que les opposants de Polanski, écrivant dans un article en 2003, « Et s'il revenait aux Etats-Unis? J' imagine qu'il préfèrerait ne pas être un fugitif et pouvoir voyager librement. Il aurait dû recevoir une peine de prison il y a 25 ans, comme nous nous étions mis d'accord. A cette époque mon avocat Lawrence Silver avait écrit au juge que l'accord conclu devrait être accepté et que le fait qu'il plaide coupable suffirait à nous satisfaire. Je n'ai pas changé d'opinion. »

Le Times ne se soucie pas que l'extradition vers les Etats-Unis d'un homme de 76 ans, d'un artiste extraordinaire, et l'inévitable cirque médiatique que cela entraînera, risquent d'avoir les conséquences les plus sinistres. Si le pire venait à se produire, les rédacteurs porteront leur part de responsabilité.

 


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