Une frappe aérienne ordonnée par l’armée allemande la semaine
dernière a causé l’un des pires massacres des huit ans de
l’histoire de la guerre de l’OTAN en Afghanistan.
Il est maintenant évident qu’au moins 125 personnes ont été tuées
lors de l’attaque survenue dans la nuit de jeudi, qui avait été ordonnée
par le commandant militaire de l’équipe de reconstruction provinciale à
Kunduz, le colonel Georg Klein. En plus des combattants armés, l’attaque
a tué de nombreux habitants de villages voisins. Cet incident fut l’une
des frappes aériennes les plus sanglantes depuis l’invasion du pays par
les forces américaines à l’automne 2001.
Un tel massacre n’est pas le résultat de « mauvaises
décisions », d’une supposée « indifférence aux règles de
l’OTAN » ou d’une « situation incertaine ».
C’est plutôt la conséquence inévitable de la logique objective de
l’intervention militaire menée par les Etats-Unis en Afghanistan.
Le prétexte employé par les Etats-Unis et leurs alliés pour occuper
l’Afghanistan huit ans plus tôt fut les attaques terroristes du 11
septembre 2001. L’objectif avoué de l’invasion était
d’éradiquer les repaires du terrorisme international et de renverser le
régime taliban, qui abritait Oussama ben Laden et al-Qaïda. En fait, les plans
pour l’occupation militaire du pays avaient été établis bien avant le 11-Septembre.
L’Afghanistan, qui est situé au beau milieu des plus riches
gisements en matières premières du monde, est d’une importance
stratégique cruciale pour les Etats-Unis et les puissances européennes.
C’est pourquoi, dans les années 1980, ces puissances ont financé la
résistance contre le régime à Kaboul, allié de l’Union soviétique, dans
une guerre qui a ravagé tout le pays. A cette époque, al-Qaïda était l’alliée
des Etats-Unis, à côté duquel on trouvait de nombreux barons de la drogue et seigneurs
de guerre, qui possèdent aujourd’hui un pouvoir et une influence
considérables.
Le conflit en Afghanistan adopte aujourd’hui tous les traits
caractéristiques propres aux guerres coloniales menées en Algérie, au Viêt-Nam
et dans de nombreux autres pays. Le développement de la résistance à
l’invasion du pays dirigée par les Etats-Unis en est une indication.
Pendant que les médias occidentaux décrivent invariablement la résistance comme
des « talibans », il est clair que l’opposition est de plus en
plus formée des diverses sections de la population locale.
Il n’est pas difficile de comprendre les raisons d’un tel
développement. D’une part, la population afghane doit faire face à la
brutalité des troupes d’occupation, dont les bombardements ont à maintes
reprises tué nombre de civils; de plus, elle est sous le joug des nouveaux
pouvoirs dirigeants du pays, les barons de la drogue et les seigneurs de
guerre, promus par les Etats-Unis et l’OTAN. Le président Hamid Karzaï,
acclamé par le passé comme le phare du progrès et de la raison dans la région,
est maintenant tellement associé à la corruption extrême et au népotisme que
certains gouvernements occidentaux se sentent contraints de se distancer de son
gouvernement — surtout parce qu’il est incapable de livrer la
marchandise.
Les prétextes avancés par le Parti social-démocrate allemand et les
Verts pour justifier au départ l’intervention de l’armée allemande
dans la guerre, (que ce qui était en jeu concernait la reconstruction du pays,
l’établissement de la démocratie et l’émancipation des femmes), ont
depuis longtemps été démasqués en tant que mythes. Les soldats allemands se
retrouvent de plus en plus impliqués dans des confrontations armées avec les
insurgés et ont recours à de l’armement lourd et des tanks. Ce
n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne soient
impliqués dans une attaque aussi violente que celle menée dans la nuit de
jeudi.
Avec l’élection fédérale dans trois semaines, le massacre à Kunduz
arrive à un bien mauvais moment pour le gouvernement allemand. Ce dernier est
responsable de l’implication croissante de l’armée allemande dans
une violente guerre coloniale, sans qu’il n’y ait eu aucune
discussion publique. Selon les sondages, 71 pour cent de l’électorat
allemand s’oppose à l’occupation de l’Afghanistan. Le
gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait afin de maintenir la question
de la guerre en dehors de la campagne électorale. En effet, le secrétaire à la
Défense Franz Josef Jung refuse toujours de qualifier l’intervention
allemande en Afghanistan de « déploiement de guerre ».
Lors de la publication des premiers articles décrivant le massacre de
Kunduz, Jung et la chancelière allemande Angela Merkel ont défendu les actions
de l’Allemagne. Même dimanche, soit deux jours après l’attaque, ils
soutenaient encore que seuls des « talibans armés » avaient été tués
dans la frappe aérienne et qu’aucun civil n’avait été blessé. Ils
ont justifié le massacre en déclarant que la frappe avait empêché que les deux
camions-citernes volés ne soient utilisés pour attaquer un camp allemand.
Ils s’embrouillèrent cependant de plus en plus dans leurs
contradictions. Une foule de faits nouveaux vint contrecarrer leur tentative de
justifier le bombardement. Le gouverneur de la province, Abdoul Wahid Omarkhel,
affirma à l’agence de presse allemande qu’il avait donné au
président Hamid Karzaï une liste des victimes contenant de nombreux noms
d’enfants âgés de 10 à 16 ans. Des photos d’enfants sévèrement
brûlés firent le tour du monde.
Le jour même, le quotidien américain Washington
Post a publié un reportage détaillé. Ayant obtenu la permission spéciale du
commandant en chef des Etats-Unis en Afghanistan, le général Stanley
McChrystal, un journaliste du Post a
procédé à une enquête sur les lieux mêmes de l’incident, a interviewé des
villageois, a visité des victimes à l’hôpital et a aussi assisté à des
réunions entre les commandants allemands et américains.
Selon ce reportage, le colonel Klein aurait demandé jeudi soir un appui
aérien des bombardiers américains pour attaquer deux camions-citernes
transportant de l’essence qui avaient été saisis par des combattants de
la résistance. Un membre de l’équipage du bombardier B1 détecta ensuite
les deux camions qui s’étaient enlisés dans le fond sablonneux
d’une rivière. Bien que les camions-citernes aient été immobilisés dans
le sable, le colonel Klein a fait appel à un appui aérien supplémentaire.
Les chasseurs américains F-15 qui étaient arrivés sur les lieux ont envoyé
des vidéos en direct de la scène aux quartiers généraux allemands. Les vidéos
montraient clairement la présence de dizaines de personnes autour des deux
camions. Le colonel Klein aurait supposément appris d’un informateur que
toutes les personnes filmées sur la vidéo étaient des « combattants
talibans armés ». Que cette discussion ait vraiment pris place ou non, à
environ 2h30, le colonel Klein a ordonné aux chasseurs de bombarder la zone,
qui a été transformée en quelques secondes en un violent brasier d’où
personne n’aurait pu sortir vivant.
Washington
Post et de nombreux témoins, les villageois des environs, y compris
plusieurs enfants, s’étaient rués sur les lieux au milieu de la nuit pour
obtenir leur part de l’essence des camions-citernes. Cette essence, qui
était destinée originalement aux troupes d’occupation allemandes, est un
luxe pour la vaste majorité des Afghans.
Selon les
informations qui ont été publiées, le massacre de Kundux est un crime de
guerre. Deux camions-citernes pris dans le sable de la rive ne peuvent être
considérés comme une menace directe aux soldats allemands. Même si ceux qui ont
ordonné l’attaque croyaient véritablement qu’aucun civil n’était
menacé, cela ne justifie aucunement l’élimination de douzaines de
combattants contre l’occupation dans un enfer brûlant. La brutalité avec
laquelle de nombreuses personnes sont éliminées rappelle invariablement les
attaques punitives des troupes allemandes contre les partisans des zones
occupées en Europe du Sud, en Europe de l’Est et en Russie durant la
Deuxième Guerre mondiale.
La responsabilité
pour ce crime retombe sur tous les partis présents au sein du parlement
allemand qui ont donné le feu vert au déploiement de l’armée allemande en
Afghanistan. Tous, de façon unanime, ont réitéré leur soutien à la guerre à l’occasion
de ce massacre.Au plus, ils étaient prêts
à critiquer les politiques d’informations déficientes du ministère de la
Défense, à la lumière du flot de mensonges émanant tant du ministère que de l’état-major
de l’armée allemande.
Tant la
chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU) et le ministre de
la Défense Jung (CDU) ont expressément défendu les actes de l’armée
allemande et assuré que les soldats en Afghanistan bénéficiaient de leur « soutien
politique ». Quant au ministre allemand des Affaires étrangères,
Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate, SPD), il était convaincu que
les troupes allemandes en Afghanistan continueraient à avoir une « très
bonne réputation » en dépit du massacre.
Les Verts,
qui, avec les sociaux-démocrates, sont ceux qui ont déployé l’armée
allemande en Afghanistan en 2001, craignent pour l’avenir de la mission
allemande en Afghanistan. La présidente des Verts, Claudia Roth, a expliqué :
« Il ne devrait pas y avoir de guerre en Afghanistan contre la population
civile, car cela mine la confiance que l’on peut avoir envers les soldats
internationaux et que cela nuit dans les faits au déploiement en Afghanistan. »
Le parti La
Gauche a pris sur lui de neutraliser la vaste opposition à la guerre en Afghanistan.
C’est le seul parti ayant des représentants au Bundestag allemand qui s’oppose
à l’intervention allemande. La caractéristique la plus remarquable de
cette opposition, toutefois, est le refus de ce parti de reconnaître le
caractère colonial de la guerre. La Gauche considère que l’invasion de l’Afghanistan
par l’OTAN fait partie de la soi-disant guerre contre le terrorisme, qui
de l’avis de ce parti, doit être menée d’une autre façon et qui, de
plus, a été complètement légitimisé au Bundestag par ses votes et ses discours.
La critique
de La Gauche visait aussi la subordination des intérêts allemands à ceux des Etats-Unis.
A la lumière des tensions croissantes entre les deux partenaires de l’OTAN,
c’est une position qui pourrait rapidement être adoptée par les autres
partis politiques au Bundestag.
Le fait que
le crime de guerre à Kunduz a été connu aussi rapidement, et ce malgré les
tentatives de l’armée et du gouvernement allemands d’étouffer l’affaire,
est dû à l’augmentation des tensions entre l’Allemagne et les Etats-Unis.
La couverture que le Washington Post a
donné à ces événements, avec le soutien des commandants américains, et les
visites hypocrites des victimes du bombardement par le général américain McChrystal,
visaient à en jeter le blâme sur les « alliés » des Etats-Unis et à
augmenterla pression sur l’Allemagne
pour qu’elle ajuste son intervention militaire aux besoins des Etats-Unis.
C’est
aussi ainsi que le comprend le haut commandement allemand. Selon Spiegel-Online, les officiers de l’armée
allemande ont décrit le comportement américain comme une « insolence
abominable » et comme la politique d’« œil pour œil,
dent pour dent ».
Il n’y
a qu’une question sur laquelle les partenaires de l’OTAN sont unis,
c’est qu’ils sont contre le peuple afghan qu’il cherche à
dominer. En fait, les conflits entre les « alliés » sur le butin et
les régions d’influences en Afghanistan et toute la région deviennent
toujours plus aigus. Le ton tranchant des échanges entre les commandements
allemand et américain est un avertissement que ces conflits pourraient
rapidement se développer en un enfer mondial.
Le Parti de
l’égalité sociale en Allemagne appelle pour le retrait immédiat de toutes
les troupes hors de l’Afghanistan. Nous demandons que l’armée
allemande soit dissoute et que les milliards de dollars dépensés en armes et
pour la guerre soient consacrés à la satisfaction des besoins sociaux urgents.
Non seulement les dirigeants militaires responsables, mais aussi les
initiateurs du déploiement de l’armée allemande, Merkel et Jung (tous les
deux du CDU), Steinmeier et Peter Struck (du SPD) doivent être accusés de
crimes de guerre.
Cela ne
pourra se réaliser que lorsque les travailleurs entreront dans l’arène
politique comme une force indépendante des partis établis sur la base d’un
programme internationaliste et socialiste. Le PES présente des candidats à
Berlin et dans Rhin Nord-WestPhalie dans les élections fédérales pour lutter
pour ce programme.
(Article
original allemand paru le 8 septembre 2009)