Un article publié dans le New York Times de dimanche dernier
décrit comment les banques d’investissement préparent des moyens leur
permettant de spéculer sur la vie et la mort de personnes ayant souscrit une
assurance-vie.
« Les banquiers projettent d’acheter des polices ‘life settlement’, des
polices d’assurance-vie que des personnes malades et âgées vendent pour
obtenir de l’argent comptant – 400.000 dollars pour une police d’un million,
selon l’espérance de vie de la personne assurée », écrit la correspondante
du Times, Jenny Anderson. « Puis elles projettent, pour parler dans
le jargon de Wall Street, de ‘sécuriser’ ces polices, en les réunissant par
centaines ou par milliers dans des obligations » qu’on vend ensuite aux
investisseurs.
Les investisseurs continueront de payer les primes des assurances en
question et toucheront la somme versée quand la personne meurt. « Plus le
possesseur de la police meurt tôt, plus le bénéfice sera élevé». Dans
l’exemple donné par l’article, si l’assurance-vie est à hauteur de un
million de dollars, est vendue 400.000 dollars et si l’investisseur paye
100.000 dollars en primes avant que l’individu ne meure, le profit obtenu se
montera à un demi-million de dollars.
Bien sûr, une forte hausse de l’espérance de vie pour une partie de la
population serait un gros risque pour l’investisseur. « Une obligation faite
d’assurances-vie comporterait de façon idéale les polices de gens qui ont
toute une suite de maladies – leucémie, cancer du poumon, maladie du cœur,
cancer du sein, diabète, maladie d’Alzheimer » pour se prémunir contre le
danger d’une cure pour l’une de ces maladies, remarque le Times.
L’achat et la vente de l’assurance-vie d’une autre personne existe déjà
(en 2007 le magazine Business Week avait publié un article sous le
titre « Obligations de la mort ») mais la « sécurisation » de ces polices
dans le but de rendre l’investissement aisé en est encore à ses débuts.
Cependant, écrit le Times, cette possibilité a éveillé un vif
intérêt. « Nos téléphones ont sonné sans arrêt » dit un agent de notation
cité dans l’article. « Nous espérons qu’il y aura une ruée après les
premières offres », dit le représentant d’une banque d’investissement.
Crédit Suisse et Goldman Sachs sont parmi les banques qui s’intéressent à la
nouvelle opération financière.
Le Times note aussi que le marché pourrait atteindre les 500
milliards de dollars, « ce qui aiderait Wall Street à compenser la perte de
revenu issu de l’effondrement du marché des hypothèques immobilières privées
aux Etats-Unis ….»
Il y a plusieurs raisons de croire qu’un nouveau marché de la
sécurisation des assurances-vie – un esprit sarcastique taxa les sécurités
qui en sortiraient d’« obligations de la mort collatéralisées » -- pourrait
être très rentable.
Tout d’abord, des millions de gens étant dans une situation financière
désespérée, il y aura inévitablement un large pool de travailleurs pauvres
ou âgés qui seront incapables de payer les primes de leur assurance. Ils
peuvent aussi avoir besoin d’argent liquide pour financer les paiements de
leurs hypothèques, des frais médicaux ou autres nécessités pour eux ou leur
famille. La crise allant s’aggravant, les gens seront de plus en plus
disposés à se séparer à bas prix de leurs polices d’assurance.
Ensuite, les investisseurs feront pour l’essentiel le pari que les gens
mourront plus rapidement que les compagnies d’assurance qui ont fait les
polices ne l’ont escompté à l’origine – c'est-à-dire qu’ils parieront sur le
fait que la courbe de l’espérance de vie de la population pointera vers le
bas.
L’espérance de vie aux Etats-Unis a déjà commencé à stagner ces dernières
années, en particulier dans les zones rurales. Alors que l’espérance de vie
a légèrement augmenté en 2007, la dernière année pour laquelle on dispose de
statistiques, cela se passait avant l’arrivée de la crise économique.
L’impact le plus important de la crise économique sera une très forte
baisse du niveau de vie de la population américaine. Salaires et allocations
sont baissées en permanence. La capacité qu’avait une partie de la classe
ouvrière de maintenir un niveau de vie plus élevé en faisant des dettes,
accompagné de prix immobiliers élevés s’est évanouie; d’autres formes de
crédit disparaissent également. Tout cela conduit inexorablement à ce que
les travailleurs mourront en moyenne plus vite.
Finalement, les investisseurs s’attendent à des coupes importantes dans
les dépenses de santé qui seront le résultat des initiatives de « réformes »
d’Obama. Après avoir distribué des milliers de milliards de dollars aux
banques, la classe dirigeante américaine envisage de couper les dépenses
sociales, en particulier celles de Medicare et Medicaid [programmes
gouvernementaux d’assurance-santé n.d.t].
Comme l’a déclaré Obama au mois de juin: « Le coût de notre système de
santé est une menace pour notre économie. C’est une charge qui va
s’accroissant et qui pèse sur nos familles et nos entreprises. C’est une
bombe à retardement pour le budget fédéral. Et il ne peut être soutenu par
les Etats-Unis. » Derrière toutes les phrases à propos de « système de santé
efficace » et d’« examens médicaux inutiles », les investisseurs savent bien
que le principal moyen de couper les dépenses est de faire des coupes dans
les services sociaux. Les diverses propositions faites au Congrès se sont
concentrées en particulier sur une limitation de l’accroissement des
dépenses médicales. Les programmes de santé gouvernementaux, dont Medicare,
ont été une des principales causes de l’accroissement de l’espérance de vie
au cours du vingtième siècle.
L’intérêt pour les « obligations de la mort » mis à part leur aspect
incomparablement morbide est qu’il est symptomatique d’un phénomène plus
général : le parasitisme de la classe dirigeante. On a du mal à imaginer un
exemple plus parlante de la description faite par Marx du caractère social
d’une classe dirigeante qui s’enrichit « non par la production, mais en
accaparant la richesse déjà existante d’autrui ».
L’actuelle crise économique mondiale est étroitement liée à l’accession
au pouvoir d’une aristocratie financière qui a accumulé son immense fortune
dans des opérations de plus en plus séparées de la production de valeur
réelle. La croissance de la bulle spéculative des sécurités s’appuyant sur
les subprimes immobilières était elle-même fondée sur une tentative de
pomper de la richesse chez ceux qui pouvaient le moins se le permettre.
La course au développement de sécurités basées sur les assurances vie
n’est que le dernier en date mais certainement pas le dernier racket de ce
genre.
La politique gouvernementale de cette dernière année – tant sous Bush que
sous Obama – n’a pas seulement échoué à limiter la domination de
l’aristocratie financière, elle l’a en fait renforcée. Les plus grandes
banques ont accru leur position de monopole dans la finance américaine et
les principaux directeurs et opérateurs boursiers escomptent des primes
records cette année.
Le fait que le secteur financier soit revenu à la vie alors même que les
conditions de vie de la classe ouvrière se détériorent et alors même que des
millions de personnes sont expulsés de leur logement et de leur travail, que
les écoles sont fermées et que les services sociaux sont démantelés, n’est
pas un accident ; il y a un rapport direct entre ces deux processus.
Il n’est que naturel qu’ils aient créé une sécurité pour donner forme à
cette relation parasitique.