Le 26 juin, l'Izquierda
Unida espagnole
(IU, Gauche unie) - une coalition de partis de la classe moyenne
comprenant des groupes régionalistes et écologiques et dominée
par le Partido
Comunista de España
stalinien (PCE) - a tenu son congrès de refondation à Madrid.
L'IU avait axé son congrès sur un document, « Appel à la
Gauche » et sur les interventions de personnalités influentes
du parti, dont le coordinateur général de l'IU Cayo Lara.
La chose a été une énorme duperie
politique. L'IU ne « refondait » pas sa politique mais
réaffirmait son soutien de longue date au Partido
Socialista Obrero Español
(PSOE) actuellement au pouvoir - et ce, en dépit de la politique
d'austérité et de guerre du premier ministre PSOE José Luis
Rodríguez Zapatero. La conséquence en est toutefois un virage
brutal vers la droite l'IU s'apprêtant à défendre les
attaques massives à l'encontre de la classe ouvrière projetées
par les classes dirigeantes espagnole et européenne.
La principale question à résoudre au congrès était
de savoir comment l'IU chercherait à désarmer politiquement la
classe ouvrière et utiliserait les positions qu'elle occupe au
sein de la bureaucratie syndicale pour empêcher que les grèves ne
se développent en lutte politique contre Zapatero.
L'IU avait invité comme hôtes
d'honneur à son meeting de pré-congrès une multitude de partis
staliniens issus de toute l'Europe. Le premier à venir a été
Rifondazione
Comunista d'Italie qui
contribua à dévier la vaste opposition au gouvernement Berlusconi
en 2006 pour l'aligner derrière la candidature bourgeoise de
« centre-gauche » de Romano Prodi. Avec le soutien de
Rifondazione,
notamment lors d'un vote de confiance en 2007 pour le soutien de
son gouvernement, Prodi réduisit les retraites des travailleurs et
poursuivit la participation de l'Italie à l'occupation de
l'Afghanistan, à laquelle participe également l'Espagne.
D'autres appuis de l'establishment
politique européen, dont le Parti communiste français et le parti
allemand La Gauche (Die Linke), étaient également présents au
congrès.
Par ses mots d'introduction, Lara présenta son
organisation comme l'alliée du PSOE. Il a dit : « Ce
qui est nécessaire c'est un changement de politique pour trouver
une solution sociale à la crise et le gouvernement PSOE doit le
chercher dans la gauche qui existe au parlement pour qu'elle le
soutienne. » Lara a clairement indiqué que ceci avait été
une politique de longue date de l'IU, remarquant que l'ancien
dirigeant de l'IU, Gaspar Llamazares avait « déjà à
plusieurs reprises fait cette proposition au PSOE. »
Lara a loué les syndicats - qui ont joué un rôle
clé dans les négociations et la concertation des coupes sociales
avec Zapatero - en les qualifiant de « plus forts bastions
de la résistance en dépit de l'agressivité du capital et de la
politique gouvernementale. »
En dépit de ses louanges pour
l'establishment de
« gauche » de l'Espagne, Lara était parfaitement
conscient du mécontentement grandissant au sein de la classe
ouvrière. Se disant lui-même « conscient de la faiblesse
politique de cette gauche », il précisa « qu'il était
temps pour une transfusion de la base sociale désenchantée avec la
politique du PSOE dans cette force politique de la gauche. »
Cette perspective est foncièrement déshonnête. Après
avoir reconnu que la politique de Zapatero représentait une
« agression » contre la classe ouvrière, Lara propose
d'enfermer les électeurs hostiles à cette politique dans l'IU
- une organisation qui cherche à aider et à conseiller
Zapatero ! Une telle malhonnêteté en soi a cependant une
signification objective : elle correspond aux besoins de la
bourgeoisie d'instaurer une barrière pour empêcher que la classe
ouvrière ne rompe avec la social-démocratie et n'adopte une
politique socialiste révolutionnaire.
Après le discours de Lara, on donna
la parole aux mêmes bureaucrates syndicaux qui sont en train de
négocier la baisse des retraites avec Zapatero et d'édulcorer la
législation du travail: Ramon Gorriz de la Confédération
syndicale des Commissions ouvrières (Comisiones Obreras, CCOO)
alignées sur le PCE et Toni Ferrer du syndicat majoritaire (Unión
General del Trabajo, UGT)
lié au PSOE.
L'assertion implicite de Lara -
que les syndicats et l'IU pourraient persuader le PSOE d'appliquer
une politique ne nuisant pas à la classe ouvrière - est fausse.
La politique de l'ensemble de l'establishment
politique est élaborée dans l'intérêt des principales banques
et institutions financières mondiales qui exigent une destruction
de l'Etat social dans l'ensemble du monde développé. C'est là
la signification de la décision du sommet économique du G20 en
juin de réclamer des réductions budgétaires draconiennes après
que les gouvernements aient accepté en mai un plan de secours de
750 milliards.
Cette politique a particulièrement durement touché
l'Espagne au moment où elle doit faire face à l'éclatement
d'une bulle immobilière massive. Le pays est déjà confronté à
un taux de chômage de plus de 20 pour cent, le deuxième en Europe.
Le niveau de chômage le plus élevé d'Europe, évalué à 23
pour cent, se trouve en Lettonie ; celui-ci a triplé depuis la
réalisation ces deux dernières années d'un programme de coupes
budgétaires imposé par le Fonds monétaire international.
De larges masses de travailleurs considèrent à
présent le PSOE comme un instrument évident de l'aristocratie
financière. Tout comme ses homologues sociaux-démocrates en Grèce
et au Portugal, le PSOE a imposé des coupes massives : une
réduction de 5 pour cent des salaires des travailleurs de la
fonction publique, un allongement de deux ans de l'âge de départ
à la retraite et une détérioration de la sécurité de l'emploi
revenant aux travailleurs en vertu du code du travail. De telles
mesures avaient permis au PSOE de procéder en juin à des coupes
totalisant 15 milliards d'euros. Toutefois, afin d'atteindre les
objectifs de réduction budgétaire fixés par l'Union européenne,
l'Espagne devra réduire ses dépenses de quelque 80 milliards
d'euros.
La défense de la politique du PSOE par l'IU est un
signal évident qu'au milieu du réalignement général de la
politique européenne et mondiale ayant lieu en ce moment, l'IU
défendra fermement les intérêts de l'Etat. C'est là tout
particulièrement le signal envoyé par le document du congrès de
l'IU, l'« Appel à la Gauche. »
Ce document met en garde contre le
mécontentement grandissant à l'égard de l'ensemble de
l'establishment
politique : « C'est l'une des pires conséquences de
l'assujettissement intolérable de la social-démocratie aux
dictats des marchés : le désillusionnement de la population à
l'égard du rôle de la politique et la perte de légitimité de
cette démocratie. »
L'IU propose d'en appeler à la bureaucratie de
l'Union européenne, précisément l'une des principales forces
à imposer les réductions à l'encontre de la classe ouvrière.
L'IU écrit, « Si l'Union européenne ne fait rien pour
enrayer la spéculation, qui le fera ? » En avertissant
que la « perte de confiance dans une solution politique
européenne de la crise est un défi majeur pour la Gauche
européenne, » elle conclut : « Nous avons besoin
d'une Union européenne sociale, sans quoi le fonctionnement de
l'économie, la stabilité politique et les perspectives d'avenir
finiront par être un jeu que tout le monde perdra. »
En remarquant qu'il y a « une crise éthique,
politique et démocratique en Espagne, » l'IU écrit :
« Démocratie ou plutocratie - l'alternative se pose en
ces termes. » La distinction faite ici par l'IU est tout à
fait fausse. Le soi-disant régime « démocratique » de
Zapatero s'est révélé être lui-même un laquais de la
plutocratie en adoptant servilement les coupes massives exigées par
les banques.
Ce que cette formule exclut, c'est la seule voie
viable : la lutte indépendante de la classe ouvrière pour le
socialisme et le renversement du capitalisme. Cet oubli n'est
évidemment pas un hasard, il vient de l'hostilité historique du
PCE au socialisme.
Il y a une signification profonde de la défense par
l'IU de la démocratie bourgeoise espagnole : c'est un
régime dans la construction duquel le PCE et l'IU avaient été
profondément impliqués. La crise de légitimité du gouvernement
Zapatero est une condamnation politique directe de la politique du
PCE même.
Lorsque le général Francisco Franco, le dictateur
fasciste, est mort en 1975 en pleine vague de grèves et de
protestations, le PCE avait réprimé des revendications en faveur
d'un règlement de compte avec les fascistes et d'une exposition
de l'OTAN pour ses alliances avec Franco après la Deuxième
guerre mondiale. Au lieu de cela, il participa aux pourparlers
secrets avec le PSOE et la Phalange fasciste pour aboutir au Pacte
de la Moncloa et à la « transition » à la démocratie
bourgeoise. Un pacte du silence sur les crimes du franquisme fut
conclu: pas un seul fasciste n'a jamais été poursuivi en
justice.
Lorsque la classe ouvrière réagissait à la politique
de libre marché du premier ministre PSOE Felipe González - élu
en 1982 - par une grève générale en 1988, l'IU avait détourné
le mouvement pour l'empêcher de devenir une lutte contre le
gouvernement. Le PCE avait créé l'IU en 1986 en plein milieu
d'une campagne contre la présence de l'OTAN en Espagne dans
l'intention d'empêcher les travailleurs d'exiger un règlement
de comptes avec les crimes politiques et historiques du fascisme et
en les engageant dans la voie du pacifisme bourgeois.
Depuis lors, l'IU a agi comme un
comparse du PSOE et comme une partie intégrante de l'establishment
politique. Son soutien étroit du PSOE a fait que son groupe
parlementaire a rétréci de 21 sièges en 1996 à seulement deux
aujourd'hui. Maintenant que le PSOE s'apprête à appliquer les
dictats des banques, l'IU se prépare à le suivre - comme le
suggère la conclusion de son document de congrès.
En appelant à la formation d'une « formation
politique d'un type nouveau », l'IU écrit : « Cette
refondation n'a pas pour objectif la simple survie d'un espace
politique donné. Bien au contraire. L'objectif central de la
refondation de l'IU est de la transformer en une organisation
faisant des propositions utiles et viables pour une transformation
sociale. »
Ceci ne fait que soulever la question : quelle
transformation sociale « viable » peut-il bien exister
sur la base d'une subordination politique à la social-démocratie
et à l'Union européenne ? Aucune. Les économies énormes faites
au moyen de coupes sociales feront des ravages dans la classe
ouvrière.
L'IU ajoute que ce virage est
« déjà irréversible. Au sein de l'Izquierda
Unida
nous sommes totalement engagés à le mener à bien. » L'IU
explique que le but est de « construire une organisation dans
laquelle nous devons coexister et travailler ensemble avec les
divers secteurs de la gauche anticapitaliste : les écologistes,
les communistes, les socialistes, les républicains et les
nationalistes de gauche. »
Le fait que l'IU se sente obligée d'abandonner
tout vestige d'une loyauté purement verbale qu'elle pouvait
encore avoir envers le socialisme au moment où elle s'oriente sans
retenue vers le PSOE et la bureaucratie de l'Union européenne est
un indice du virage à droite massif qu'elle est sur le point de
réaliser. Bien qu'elle cherche à embrouiller la population avec
une étiquette politiquement androgyne d'« anticapitaliste »,
elle se révélera être totalement hostile à la classe ouvrière.