Au cours du mois dernier, le gouvernement Obama a repris et accentué sa
position de confrontation envers la Chine. Après un brève interruption en
mai et juin, durant laquelle Washington cherchait à s'assurer le soutien de
Beijing pour une nouvelle série de sanctions onusiennes contre l'Iran, les
Etats-Unis ont délibérément attisé les tensions avec la Chine dans une série
de mesures agressives en Asie de l'est et du sud est.
Prenant la parole lors d'un forum sur la sécurité de l'Association des
nations d'Asie du sud est (ASEAN) le 23 juillet, la secrétaire d'Etat
américaine Hillary Clinton s'est rangée de façon provocatrice avec le
Vietnam et d'autres pays d'ASEAN dans leurs conflits territoriaux avec la
Chine au sujet de la Mer de Chine méridionale. Beijing avait dit à deux
hauts représentants américains en mars dernier qu'il considérait la mer de
Chine méridionale comme un de « ses intérêts majeurs. » Néanmoins Clinton a
ignoré le message et a appelé à « un accès ouvert » aux eaux auxquelles
prétend la Chine, une démarche qualifiée par le ministre des Affaires
étrangères chinois Yang Jichi de « quasi attaque contre la Chine. »
Plusieurs jours plus tard, Les Etats-Unis ont commencé un exercice naval
majeur conjoint avec la Corée du sud en mer du Japon malgré les objections
de la Chine. Ces manoeuvres qui étaient présentées comme une riposte à
l'allégation du naufrage par la Corée du nord d'un vaisseau sud coréen en
mars impliquaient 20 navires de guerre sud coréens et américains dont un
énorme porte-avions, l'USS George Washington. Le Pentagone annonce à présent
qu'un autre exercice naval aura lieu avec la Corée du sud dans le courant de
cette année dans la Mer Jaune, plus près encore de la Chine.
La semaine dernière, le gouvernement Obama a divulgué les détails d'un
pacte nucléaire en cours de négociation avec le Vietnam et qui ouvrirait la
voie à la vente de la technologie américaine de réacteur nucléaire à Hanoï.
Après avoir déjà soutenu le régime vietnamien concernant la Mer de Chine
méridionale, ce marché nucléaire représente un signe de plus d'un alignement
stratégique plus étroit entre les deux pays et dirigé contre la Chine. Comme
prévu, cette action a provoqué la colère de Beijing qui a accusé Washington
d'avoir « deux poids, deux mesures » ce qui « remet en cause l'ordre
international actuel. »
Derrière ces tensions, il y a des changements profonds dans l'équilibre
mondial des forces. La croissance économique rapide de la Chine ces deux
dernières décennies qui a fait d'elle cette année la deuxième plus
importante économie mondiale derrière les Etats-Unis et devant le Japon,
perturbe les relations au sein de l'Asie et dans le monde entier. Les
Etats-Unis ont réagi à leur propre déclin économique historique par le
recours à la puissance militaire pour essayer de s'assurer la domination des
régions riches en énergie d'Asie centrale et du Moyen-Orient, et de contrer
la Chine par des alliances et des partenariats allant du Japon et de la
Corée du sud en passant par l'Asie du sud est vers l'Inde, le Pakistan et
l'Afghanistan.
La crise économique mondiale de 2007-2008 a fortement exacerbé les
rivalités entre ces deux puissances. Initialement, confronté au danger d'une
crise financière, le gouvernement Obama avait cherché l'aide de Beijing.
Etant le plus grand débiteur au monde, les Etats-Unis dépendent fortement
des rentrées d'argent en provenance de la Chine. Mais avec l'accalmie
temporaire de la tourmente financière, Washington a commencé à faire
pression sur Beijing sur une série de questions, dont celle de la
réévaluation de la monnaie chinoise, et d'initiatives concernant le commerce
et le changement climatique. Dans le même temps, Washington a commencé à
intervenir activement dans la région Asie-Pacifique.
En juillet dernier, la secrétaire d'Etat américaine Clinton a dit en
toute franchise à un sommet d'ASEAN en Thaïlande que les Etats-Unis étaient
« de retour en Asie », une référence aux critiques à l'égard du précédent
gouvernement Bush concernant sa négligence de l'Asie. Clinton a indiqué une
nouvelle offensive diplomatique lorsqu'elle a dit aux reporters: « Je sais
qu'un grand nombre de voisins de la Chine ont exprimé des inquiétudes [quant
à l'accroissement de son influence], donc nous voulons renforcer nos
relations avec de nombreux pays de l'Asie de l'est et du sud est. »
Les implications dangereuses de l'accroissement de frictions entre les
Etats-Unis et la Chine ont été présentées lors d'une conférence à Sydney le
4 août par John Mearsheimer, professeur de science politique à l'université
de Chicago, conférence intitulée « Le défi de la Chine face à la puissance
de l'Amérique en Asie. » Invité en Australie par le Centre for International
Security Studies de l'université de Sydney, Mearsheimer, analyste perspicace
et fin de la politique étrangère, a dressé un portrait sombre des
perspectives pour la paix en Asie et par extension dans le monde. Il a dit à
un auditoire très nombreux d'étudiants, de responsables de la politique
étrangère et de diplomates que du fait de son expansion économique
extraordinaire, la Chine chercherait à devenir une puissance régionale et à
exclure d'Asie ses rivaux potentiels, utilisant les mêmes méthodes
impitoyables auxquelles les Etats-Unis avaient eu recours pour garantir leur
prédominance dans l'hémisphère occidental, c'est-à-dire l'Amérique du nord,
centrale et du sud.
« Les Australiens devraient s'inquiéter de l'émergence de la Chine, » a
déclaré Mearsheimer, « car il est probable que cela conduira à une
compétition intense pour la sécurité avec la Chine et les Etats-Unis, et
comporte un potentiel considérable de guerre. De plus, la plupart des
voisins de la Chine, dont l'Inde, le Japon, Singapour, la Corée du sud, la
Russie, le Vietnam et aussi bien sûr l'Australie, se joindront aux
Etats-Unis pour contenir la puissance de la Chine. Pour dire les choses
crûment: la Chine ne peut pas accroître son influence de manière
pacifique. »
Mearsheimer a exclu que toutes intentions pacifiques et expressions de
bonne volonté pourraient éviter le conflit. Inévitablement, ce qu'un pays
considère être une escalade militaire défensive est perçu par ses rivaux
comme une dangereuse possibilité d'agression. Du point de vue des dirigeants
chinois, a-t-il expliqué, il est tout à fait rationnel d'accroître les
forces militaires d'un pays pour défendre ses intérêts dans le monde. En se
fondant sur l'expérience récente, a déclaré Mearsheimer, les dirigeants
chinois « vont presque certainement conclure que les Etats-Unis sont le pays
belliciste et dangereux. Après tout, les Etats-Unis ont été en guerre durant
14 années sur 21 depuis la fin de la Guerre froide. Ce qui veut dire les
deux tiers du temps. Et il ne faut pas oublier que le gouvernement Obama
semble envisager une nouvelle guerre contre l'Iran. »
L'expansion économique de la Chine en tant que plus grande plateforme
mondiale de travail à bon marché a nécessité une vaste expansion de ses
importations de matières premières de tous les coins du globe. Plus de la
moitié de son pétrole et de son gaz qui lui sont essentiels est importé,
principalement du Moyen-Orient et d'Afrique. Pour cela la Chine est
déterminée à s'assurer ses routes maritimes à travers l'Océan Indien en
passant par la Mer de Chine méridionale en construisant une force maritime
capable de sillonner les océans [blue water navy.] Les Etats-Unis sont tout
aussi déterminés à ne pas la laisser faire et à maintenir leur propre
prédominance navale.
Mearsheimer a expliqué que l'Australie, qui a jusqu'ici essayé de garder
un équilibre entre ses intérêts économiques en tant qu'exportateur majeur de
minerais à la Chine et son alliance de longue date avec les Etats-Unis,
serait inévitablement attirée dans le conflit entre les Etats-Unis et la
Chine. Pour passer de l'océan indien à la mer de Chine méridionale, a-t-il
dit, le trafic maritime chinois n'a que trois options: Le détroit de
Malacca, contrôlé dans les faits par Singapour, un allié étroit des
Etats-Unis, ou le détroit de Lombok et Sunda traversant l'archipel
indonésien, dont tous deux sont situés tout juste au nord de l'Australie.
« Les mesures que la Chine prend pour neutraliser la menace que représente
l'Australie pour ses voies maritimes … poussera certainement Canberra à
travailler étroitement avec Washington pour contenir la Chine. »
Mearsheimer a reconnu avec une certaine candeur qu'il trouvait ses
propres conclusions « franchement déprimantes. »De plus, bien qu'il fût en
train d'envisager l'impact de l'expansion de la Chine pour les deux
décennies à venir, il existe des conséquences immédiates. Les Etats-Unis ont
déjà démontré durant les vingt dernières années leur volonté de lancer des
actions militaires agressives, notamment en Irak et Afghanistan, pour
poursuivre leurs intérêts contre leurs rivaux. L'ensemble de la vision
stratégique du Pentagone consiste à empêcher l'émergence d'une puissance,
amie ou ennemie, capable de défier la suprématie militaire américaine. Les
dernières mesures du gouvernement Obama en Asie font partie d'une stratégie
visant précisément à préempter l'expansion de la Chine en contrant son
influence régionale et en créant des obstacles majeurs à son expansion
militaire.
Le conflit Etats-Unis-Chine a des parallèles historiques significatifs.
Au début du vingtième siècle, l'émergence de l'Allemagne comme puissance
capitaliste dynamique avait attisé une compétition et une rivalité profondes
avec l'empire britannique et d'autres puissances majeures, ce qui avait
provoqué deux guerres mondiales dévastatrices. Dans les années 1930 et 1940,
la montée du Japon et son besoin de marchés et de matières premières l'avait
mis en rivalité avec les Etats-Unis et les intérêts grandissants de
l'impérialisme américain en Asie. Il est significatif que l'extension de la
Seconde guerre mondiale au Pacifique en 1941 a été déclenchée lorsque les
Etats-Unis ont imposé un blocus sur le pétrole qui a menacé de paralyser le
Japon. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et comme Beijing en est
tout à fait conscient, l'armée américaine cherche à maintenir sa capacité à
bloquer l'approvisionnement à ses rivaux actuels et potentiels.
Au moment où le capitalisme sombre dans sa pire crise économique depuis
les années 1930, le danger se profile à l'horizon de rivalités entre grandes
puissances sur les questions de marchés, de matières premières et de
position stratégique, ce qui menace une fois de plus de se transformer en
conflagration mondiale catastrophique, impliquant cette fois des pays en
possession de l'arme nucléaire. L'unique force sociale capable d'empêcher
une telle guerre est la classe ouvrière internationale, se mobilisant de
façon unifiée à l'échelle mondiale pour abolir le système capitaliste et sa
division dépassée du monde en Etats nations rivaux et en la remplaçant par
une économie mondiale démocratiquement organisée et rationnellement
planifiée. Telle est la perspective socialiste internationaliste avancée par
le Comité international de la Quatrième Internationale et ses sections de
par le monde.