Le 8
mars, la journée internationale de la femme, le Frankfurter
Rundschau publiait un appel enragé d'Alice Schwarzer, la
représentante la mieux connue du féminisme bourgeois allemand,
pour l'abolition de cette journée commémorative. Schwarzer est
l'éditrice du magazine Emma, qui s'autoproclame « le
magazine politique de la femme ».
Sur presque une demi-page,
Schwarzer rage contre la journée qui a marqué pendant des années
le fait que l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas
devenue pas une réalité sociale.
En
Allemagne, selon le Bureau fédéral des statistiques, le revenu des
femmes demeure encore inférieur d'un quart à celui des hommes,
un fossé salarial qui s'est agrandi ces dernières années. Les
garderies d'États sont difficilement abordables pour plusieurs
femmes en Allemagne ; les femmes monoparentales sont souvent
exposées à un harcèlement insupportable aux centres d'emploi.
À
première vue, l'appel de Schwarzer semble surprenant, puisque
pour la génération un peu plus âgée, elle est la
personnification de la lutte pour la défense des droits de la
femme. Elle est plutôt une représentante du féminisme. Que la
lutte pour les droits de la femme et le féminisme soit deux choses
très différentes est quelque chose que Schwarzer en est venue à
reconnaître elle-même de façon très explicite.
Qu'est-ce
qui dérange Alice Schwarzer à propos de la Journée internationale
de la femme ? Dans son article, elle le dit assez franchement :
C'était « une invention socialiste, qui remonte à une
grève menée par de braves femmes ouvrières du textile et qui a
été décidée en bonne et due forme en 1910 à la seconde
Conférence des femmes socialistes de Copenhague. "Camarades !
Travailleuses, femmes et filles !", écrivait Clara Zetkin
en 1911 dans Gleicheit, "le 19 mars [qui deviendra plus
tard le 8 mars] est votre jour. C'est votre droit !" »
Schwarzer aurait pu
ajouter que le changement de date se produisit en 1921, lorsque le
parti communiste voulut honorer le rôle des femmes, qui jouèrent
un rôle crucial ce jour en 1917 lors de la révolution russe de
février qui renversa le régime tsariste.
Comme
tous les anti-communistes, Schwarzer trace un lien direct entre
Clara Zetkin et le stalinisme. Sa principale critique du régime
stalinien, en dehors de son mépris pour la « fête des mères
"socialiste" », n'est pas la répression étatique
de la classe ouvrière (tant masculine que féminine), ni même le
culte stalinien de la famille et le chauvinisme. Non, sa critique
repose sur le fait qu'« il est bien connu qu'il n'y a
pas de femmes dans les couches supérieures ». Contrairement,
par exemple à la Grande-Bretagne, ce paradis des femmes où
Margaret Thatcher a été capable de se hisser pour devenir premier
ministre et attaquer l'emploi, les salaires et les droits sociaux,
en employant, lorsque nécessaire, la force policière.
Schwarzer
nous raconte que « le mouvement des femmes » a « comme
il est généralement connu, émergé dans l'Ouest au début des
années 1970, en bonne mesure en protestation contre la gauche. »
Avant cela, il n'y avait pas selon elle de mouvement de femmes. Ce
n'est pas clair ici si cette bigoterie féministe est une
indication de l'ignorance de Schwarzer ou une tentative de
falsifier délibérément l'histoire. Clara Zetkin montre bien que
le mouvement des femmes a existé avant Schwarzer et consorts et que
ce mouvement considérait comme faisant partie de la gauche, du
mouvement ouvrier socialiste.
C'est
le Parti social démocrate (PSD), qui, à
la fin du 19e siècle, alors qu'il se prétendait toujours
marxiste, vota au Reichstag (le parlement allemand) contre
l'adoption du Code civil (BGB), principalement en raison du fait
qu'il se basait encore sur la tradition chrétienne occidentale,
dans laquelle se trouvait ancré la subordination légale de la
femme à l'homme. Le mouvement socialiste a été le premier
mouvement de masse à défendre l'égalité complète tant dans la
sphère privée qu'au niveau constitutionnel. Le livre Les
femmes et le socialisme d'Auguste
Bebel, président du SPD jusqu'en 1913, dans lequel il explique de
manière détaillée les motifs de ces demandes, est devenu un best
seller parmi les travailleurs.
Le
droit de vote pour les femmes a été établi en Allemagne non par
des féministes, mais par les travailleurs des deux sexes lors de la
révolution de novembre 1918. Tout comme pour les lois sociales du
19e siècle adoptées sous Bismarck, le droit de vote des femmes est
une autre preuve de la justesse du témoignage de Rosa Luxembourg, à
l'effet que les réformes démocratiques et sociales sont les
sous-produits des mouvements révolutionnaires ou de la peur de
ceux-ci.
La
plus grande avancée dans l'émancipation de la femme dans
l'histoire de l'humanité est sans aucun doute survenue en Russie
après la
Révolution d'octobre. Alors qu'avant, le « droit de
punition » du mari était reconnu par l'État, l'égalité des
droits dans la vie privée, l'emploi, la vie politique et le libre
choix à l'avortement et au divorce étaient maintenant reconnus.
Les
dirigeants ouvriers tels que Zetkin, Kollontai et Luxembourg étaient
hostiles à l'étroitesse d'esprit nationale de gens comme Alice
Schwarzer, qui écrit avec mépris sur une gauche qui « voulait
libérer le dernier des paysans boliviens, alors que leurs propres
femmes et conjointes continuent de faire le café, dactylographier
les tracts et à s'occuper des enfants ». Que valent la
pauvreté et l'oppression dictatoriale imposée aux ouvriers
boliviens du café devant
la question de savoir qui fait le café en Allemagne de l'Ouest !
L'Église,
qui avait pendant des siècles a défendu la subordination de la
femme à l'homme, du pauvre au riche, du sujet à l'État, a perdu
tout privilège dans la Russie révolutionnaire et était
strictement séparé de l'État et de l'éducation. La
réhabilitation du culte de la famille, de l'État et de la nation
par le stalinisme n'était pas une expression du socialisme, mais au
contraire allait main dans la main avec l'oppression, la persécution
et le meurtre de centaines de milliers de socialistes.
C'est
le mouvement ouvrier qui est derrière tous
les progrès en matière d'égalité des droits en Allemagne de
l'Ouest après la Deuxième Guerre mondiale. Cela a commencé avec
la première phrase contestée de la constitution « Les hommes
et les femmes sont égaux devant la loi. » Cela s'est
poursuivi dans
la lutte contre le « mariage traditionnel »
(Hausfrauenehe) défendu par les Églises chrétiennes jusqu'à la
libéralisation du Code
pénal concernant les relations sexuelles. Jusqu'en 1950, le mari
était autorisé à mettre fin à l'emploi de son épouse et avait
tous les droits
sur toutes les questions ayant trait au mariage et à l'éducation
des enfants. La décriminalisation de l'homosexualité et de
l'adultère fut mise
à l'agenda pour la première fois en 1968, et ensuite adoptée en
1973. Depuis ce temps, le viol et les crimes similaires énumérés
dans le Code criminel ne sont plus considérés
comme des « crimes contre la moralité », mais comme des
crimes contre l'autodétermination sexuelle.
Les sentences réduites pour les « crimes d'honneurs »
commis contre une épouse « infidèle » ont également
pris fin à ce moment. Ce réveil social était caractérisé par
un mouvement de masse global de la classe ouvrière,
particulièrement par la grève générale en France et la lutte du
peuple vietnamien contre l'envahisseur américain.
En
Europe de l'Est et en Union Soviétique, malgré la domination de la
bureaucratie soviétique, l'expropriation du capital et la
planification étatique amenèrent beaucoup de progrès pour des
millions de travailleuses. Malgré toutes les structures
autoritaires et antidémocratiques, l'inclusion de la femme dans le
travail leur permit
d'acquérir une certaine confiance; les garderies les libérèrent
d'une partie de la lourde tâche des soins à l'enfant. Schwarzer
quant à elle n'y voit que le triple fardeau de « l'usine,
des files d'attente,
et des enfants ». Cette féministe anticommuniste voit
probablement la dévastation sociale qui suivit
la réintégration du capitalisme en Europe de l'Est -
qui pour beaucoup de femmes signifia le chômage, la pauvreté, et
parfois la violence conjugale et la prostitution - comme une
libération.
Alice
Schwarzer a clairement démontré que le féminisme et la lutte pour
l'égalité sont deux choses différentes. Ceux qui supportent le
premier devrait lire son magazine Emma,
ceux qui sont pour le second, devraient lire Gleicheit (Égalité),
le magazine du parti allemand de l'égalité socialiste, et aussi le
nom de la publication que produisait Clara Zetkin.