Le 3 mars dernier, la Fédération des Syndicats tchèques a une nouvelle
fois annulé une grève des employés des transports qui aurait dû démarrer le
lendemain. Par cette décision les syndicats apportaient un soutien flagrant
à la politique du soi-disant « gouvernement d’experts » tchèque dirigé
conjointement par le technocrate politique indépendant, Jan Fischer et le
président droitier Václav Klaus.
La grève, qui avait été décidée il y a plusieurs semaines, avait déjà été
annulée une fois. Les syndicats avaient alors prétendu qu’ils voulaient
laisser au gouvernement du temps pour de nouvelles consultations. En
réalité, les syndicats réagissaient à la montée des grèves et des
manifestations dans toute l’Europe où les travailleurs étaient descendus
dans la rue pour protester contre les mesures d’austérité imposées par
plusieurs gouvernements européens.
La dernière décision d’annuler une grève des travailleurs des transports
en République tchèque intervient au moment où se déroule une grève générale
en Grèce et où ont lieu des manifestations et des grèves dans nombre
d’autres villes d’Europe.
En République tchèque, les grèves des employés des transports ont
toujours connu un large soutien. Leurs protestations visent des mesures
introduites au début de cette année et qui ont engendré une baisse drastique
des salaires et des primes aux salariés. Ces allocations sont de première
nécessité pour les salariés. Le salaire moyen en République tchèque équivaut
à 625 euros tandis que le coût de la vie est équivalent à celui d’autres
pays d’Europe occidentale.
Ces baisses s’inscrivent dans le cadre des mesures économiques
entreprises par le chef du gouvernement Fischer et son prédécesseur, Mirek
Topolánek du parti conservateur ODS (Parti démocrate civique).
Au cours de ces dernières années, ces attaques contre les acquis sociaux
et les conditions de vie ont provoqué une montée des tensions sociales et
politiques. En 2008, les fonctionnaires, les retraités et les infirmières
ont protesté par dizaines de milliers contre les coupes sociales
considérables ou les soit-disant « réformes » imposées par la coalition
gouvernementale au pouvoir à Prague.
Maintenant, dans le but de justifier la dernière annulation de la grève
des employés des transports, le gouvernement, les partis d’opposition et les
syndicats ont monté une grotesque mise en scène.
A la Chambre basse du parlement, les sociaux-démocrates du ČSSD et le
Parti communiste (KSCM) ont fait voter une nouvelle loi qui annulerait les
restrictions. En même temps, ils sont tout à fait conscients que cette loi
peut être abrogée et que les restrictions peuvent être rétablies. Le
président Klaus a dores et déjà fait savoir qu’il utiliserait sont droit de
veto contre cette loi si elle était votée au Sénat. Dans ce cas de figure,
la loi serait renvoyée devant la Chambre basse et toute la procédure
repartirait à zéro.
Les dirigeants syndicaux se sont bien volontiers raccrochés à cette
possibilité et ont déclaré ne pas vouloir se mettre en grève au moment où la
loi était examinée au Sénat et à la Chambre basse. A peine quelques heures
avant le début prévu de la grève, le dirigeant du syndicat des cheminots,
Jaroslav Pejša, a annoncé : « Au vu de ce processus législatif jusqu’alors
positif, la coalition des fédérations de syndicats a décidé d’annuler
l’appel à la grève du 4 mars 2010. »
Les forces conservatrices au parlement tchèque ont répondu aux
bureaucrates syndicaux par des louanges enthousiastes. Le jour même de
l’annulation de la grève, la vice-présidente du Parti chrétien démocrate,
Michaela Šojdrová, a déclaré : « Il importe plus pour les syndicats de
respecter la loi plutôt que d’appeler sans cesse à la grève. Je pense que
les syndicats doivent également protéger leur image publique. »
La capitulation des syndicats ne fera qu’encourager l’ODS au pouvoir et
le TOP9 droitier à maintenir leur programme de restrictions. Le président de
l’ODS, Mirek Topolánek, a qualifié de façon ostentatoire la grève prévue
comme étant une « extorsion » tout en déclarant que sa position ne
changerait pas. La vérité est néanmoins qu’il craint que les grèves et les
protestations ne s’amplifient. « Nous avons peur que ceci ne constitue un
précédent pour de nouvelles grèves, » a déclaré Topolánek. « Le gouvernement
n’entend pas subir une telle pression. »
De son côté, le président Klaus a refusé catégoriquement de revenir sur
la moindre restriction, de peur que ceci n’augmente le déficit budgétaire de
l’Etat. Des représentants des milieux d’affaires, des politiciens et des
journalistes ont déjà laissé entendre que l’actuel train d’austérité ne
ferait que s’intensifier après les élections législatives de mai prochain.
Le fait que la nouvelle loi imposant l’annulation des restrictions ait
été votée à la Chambre basse n’est dû qu’à la proximité des élections dans
deux mois. Après tout, c’est le ČSSD qui a appliqué les restrictions les
plus sévères des 20 dernières années, dans tous les cas avec le soutien
étroit des syndicats.
L’Association des Syndicats indépendants (ASO) qui est responsable des
employés des transports et des cheminots est une fédération de droite de
syndicats qui, depuis sa formation, a collaboré étroitement avec plusieurs
gouvernements. L’ASO a été formée en 1995 de l’union des syndicats de
l’agriculture et du secteur alimentaire, de la fédération des employés des
entreprises du secteur privé et du syndicat tchèque des travailleurs de
l’énergie en Bohême du Nord-Ouest.
A la suite de l’annexion d’un certain nombre d’autres syndicats, l’ASO
est devenu la deuxième fédération de syndicats, dépassée seulement par le
CMKOS. L’ASO a été délibérément créé comme une alternative au CMKOS,
considéré comme beaucoup trop à gauche par de nombreux responsables
syndicaux et de nombreux politiciens. Avec le CMKOS, l’ASO a pris part
depuis 2000 à des négociations sociales au sein du conseil pour le dialogue
social tripartite. Ce conseil est l’organisme où le gouvernement, les
représentants du patronat et les syndicats élaborent leurs projets et
décident de la meilleure façon de mettre ceux-ci en œuvre contre la
population.
Les étroites relations entre la bureaucratie syndicale, le patronat et
les milieux politiques sont profondément ancrées. A la suite de la chute de
la bureaucratie stalinienne, le CMKOS a préconisé de rapides réformes de
libre marché, en sachant parfaitement que celles-ci coûteraient les emplois
de dizaines de milliers de travailleurs. Le syndicat a également soutenu
toutes les mesures exigées comme pré-condition à l’entrée dans l’Union
européenne – diminution des salaires et des aides sociales et privatisation
à grande échelle.
A la suite d’une chute importante du nombre de leurs adhérents et du
soutien que rencontraient les syndicats, l’ASO a été créée dans le but
d’accueillir les membres des syndicats qui avaient été déçus. En même temps,
l’ASO est un défenseur beaucoup plus ardent de l’économie de marché et est
beaucoup plus anti-communiste que ne l’est le CMKOS, qui s’est surtout
développé au cours des années qui ont suivi la restauration du capitalisme à
l’ombre du soi-disant Mouvement pour la Démocratie.
Actuellement, au moment où frappe la crise économique, le gouvernement et
les syndicats se rapprochent de plus en plus dans le but de rejeter le poids
de la crise sur la population active. Tout ceci se passe sur un fond de
montée accrue du chômage. En janvier 2009, le taux de chômage officiel en
République tchèque tournait autour de 6,9 pour cent. Un an plus tard, ce
taux atteint 9,8 pour cent.