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Les Etats-Unis et l’UE préparent une action militaire contre la Côte
d’Ivoire
Par Ann Talbot
31 décembre 2010
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La situation dans ce pays d’Afrique occidentale continue à se détériorer
après les élections présidentielles contestées de novembre où le président
sortant Laurent Gbagbo et son rival, Alassane Ouattara, ont tous deux
revendiqué la victoire.
Le ministère américain des Affaires étrangères a imposé une interdiction
de voyage à Gbagbo. Le sous-secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires
africaines, William Fitzgerald, a dit que les Etats-Unis imposeraient une
interdiction de ce type à Gbagbo, à tous les membres de sa famille et à son
entourage, tout en envisageant également l’imposition de sanctions
financières.
« Il est tout à fait possible qu’il essaie de nous ignorer en espérant
que nous oublierons l’affaire et que nous disparaîtrons ou que nous nous
concentrerons sur une autre question », a dit Fitzgerald. « Je ne peux que
lui rappeler qu’il s’agit ici d’une communauté internationale unanime. Nous
ne disparaîtrons pas et nous n’oublierons pas. »
Une déclaration identique est venue de l’Union européenne (UE). Elle a
gelé les avoirs de Gbagbo et lui a imposé une interdiction de visa ainsi
qu’à ses partisans.
Entre-temps, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé de six
mois le déploiement de ses soldats en Côte d’Ivoire. Cette décision a été
prise en réponse à Gbagbo qui réclamait le départ immédiat des troupes
onusiennes.
L’ambassadrice américaine, Susan Rice, qui préside actuellement le
Conseil de sécurité et qui est l’ancienne assistante du secrétaire d’Etat
américain aux Affaires africaines, a émis une menace à peine voilée à
l’adresse de Gbagbo et de ses partisans.
« Les membres du Conseil de Sécurité préviennent toutes les parties
prenantes qu’elles seront tenues responsables des attaques contre les civils
et les forces de maintien de la paix et qu’elles seront poursuivies en
justice en vertu de la loi internationale et du droit international
humanitaire. »
Le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth a
conseillé aux ressortissants britanniques de quitter la Côte d’Ivoire.
L’ambassade américaine à Abidjan a fait évacuer l’ensemble du personnel non
essentiel et leurs familles.
Newcrest Mining a cessé ses opérations minières dans la mine d’or de
Bonkro. Newcrest est la première entreprise aurifère d’Australie. Ses
installations à Bonikro produisent 120.000 onces d’or par an. L’entreprise a
évacué son personnel au Ghana en ne laissant que le personnel de sécurité
dans la mine. Elle s’attend de toute évidence à une intensification des
opérations militaires en Côte d’Ivoire.
Les Etats-Unis, l’UE et les Nations unies ont reconnu Alassane Dramane
Ouattara, le rival de Gbagbo, comme le vainqueur des élections
présidentielles du mois dernier. Ouattara s’est installé dans l’Hôtel du
Golf sous la protection des troupes de l’ONU et Gbagbo demeure dans le
palais présidentiel. Les annonces coordonnées des Etats-Unis, de l’UE et de
l’ONU visent clairement à faire passer le message qu’ils sont déterminés à
établir un contrôle ferme sur cet important Etat d’Afrique occidentale.
L’évacuation des civils donne à penser que les Etats-Unis et leurs alliés
vont rapidement procéder à une nouvelle intervention militaire.
Entre 2002 et 2004, la Côte d’Ivoire avait été en proie à une guerre
civile. En novembre 2004, la France avait détruit l’armée de l’air
ivoirienne en saisissant le contrôle de la capitale Abidjan. Près d’un
millier de soldats et de gendarmes français y sont encore stationnés, pour
la plupart à l’aéroport. De plus, il y a plus de 9.000 personnels de l’ONU,
dont des troupes, des observateurs militaires, des policiers et des
responsables civils.
Les puissances régionales se sont alignées sur l’Occident. La Banque
centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest a coupé les fonds à Gbagbo. La
Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui a reconnu
Ouattara comme président, soutient cette action et a suspendu l’adhésion de
la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est diplomatiquement isolée et Gbagbo
pourrait ne pas être en mesure de payer ses troupes au-delà du mois.
Les tensions se sont intensifiées ces jours derniers. Les forces loyales
à Gbagbo ont attaqué les troupes de l’ONU à l’Hôtel du Golf. Un soldat
ivoirien a été tué lors de l’affrontement. Les forces de l’ONU ont depuis
renforcé leur position par deux chars. Gbagbo a empêché que des livraisons
n’arrivent à l’hôtel. Un porte-parole d’Ouattara a appelé à l’aide la
communauté internationale. « Nous vivons des réserves de l’hôtel, » a-t-il
dit, « D’ici mardi, ce sera fini. Il ne restera plus rien. »
A l’intérieur du pays, il y a eu des heurts entre les Forces Nouvelles
loyales à Ouattara et les forces gouvernementales restant loyales à Gbagbo,
en dépit des efforts entrepris par les Occidentaux pour provoquer une
division au sein du commandement militaire. Ceci a introduit la possibilité
d’une reprise de la guerre civile.
Selon l’ONU, quelque 200 personnes ont été blessées et 50 tuées durant la
semaine. Un communiqué de l’ONU prétend que des gens sont enlevés de leurs
domiciles par des hommes armés non identifiés fidèles à Gbagbo.
La commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, a parlé de
massives violations des droits de l’homme commises en Côte d’Ivoire.
« Des personnes enlevées seraient emmenées de force dans des endroits de
détention illégaux où elles sont gardées au secret sans instruction.
Certaines ont été trouvées mortes dans des circonstances discutables. »
L’on rapporte que les milices loyales à Gbagbo font des rafles dans les
maisons et arrêtent les gens à Abidjan. L’ONU affirme qu’un immense charnier
a été découvert dans la ville.
Alors que la situation se détériore, les civils se préparent eux-mêmes à
la guerre. Quelque 4.000 personnes ont franchi la frontière vers le Libéria
voisin en quête de refuge.
Il est vraisemblable qu’il y aura une sorte d’intervention militaire
bientôt. On est en train de préparer un dossier judicaire pour justifier une
telle action en termes de défense des droits de l’homme. Il n’est pas encore
clair quelle forme cette intervention prendra. Ce qui est clair, c’est que
ni les Etats-Unis ni la France ne peuvent prétendre être les défenseurs du
peuple ivoirien.
Les Etats-Unis et leurs alliés peuvent peut-être se montrer très
critiques à l’égard de Gbagbo maintenant, mais ils ont collaboré avec lui
pendant des décennies. Il est président depuis 2000 et a soutenu les
programmes d’ajustement structurel économique et de privatisation du Fonds
monétaire international et de la Banque mondiale.
Tout au long de cette période, il était loin d’être un défenseur des
droits de l’homme. Il s’est avéré utile quand il avait fallu défier
l’emprise de la vieille élite politique entourant Félix Houphouët-Boigny, le
président de la Côte d’Ivoire depuis son indépendance en 1960. Il semble que
Gbagbo a perdu son utilité et a refusé l’offre d’une retraite confortable au
Nigeria ou en Afrique du Sud.
Ce qui se cache derrière le changement d’attitude à l’égard de Gbagbo
c’est la possibilité que des réserves non négligeables de pétrole existent
dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire. Gbagbo a noué des liens
étroits avec l’Angola et la compagnie pétrolière russe Lukoil. Il croit
pouvoir utiliser les recettes du pétrole pour rester au pouvoir malgré la
désapprobation internationale.
De la même manière, la perspective que la Côte d’Ivoire a des réserves
pétrolières viables la rend plus importante stratégiquement pour l’Occident.
La France et les Etats-Unis veulent une figure politique loyale pour
contrôler ce pays qui possède de longue date une importance régionale ; il
est le premier producteur de cacao du monde, dispose de nombreuses et
précieuses ressources naturelles et dispose maintenant peut-être de
l’importance supplémentaire due au pétrole.
Le Financial Times a mis en garde contre une intervention menée par la
France comme étant « imprudente ». Mais il a réclamé une intervention
africaine. Ceci signifierait que des troupes de la Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou d’autres troupes africaines
seraient envoyées en Côte d’Ivoire avec le soutien de la France et des
Etats-Unis. Ceci ne représenterait en aucune manière une « solution
africaine pour un problème africain » selon la formule consacrée. Il ne
s’agirait que d’une invasion impérialiste déguisée qui aurait au bout du
compte comme récompense les ressources naturelles de la Côte d’Ivoire.
(Article original paru le 23 décembre 2010)