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EuropeJulian Assange et la défense des droits
démocratiques
Par Joseph Kishore
28 décembre 2010
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Au cours de ces derniers mois, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange,
a été la cible d’une campagne orchestrée par l’Etat et fondée sur des
allégations fictives d’abus sexuels. Il a fait l’objet d’un mandat d’arrêt
international, a été détenu dans une prison de Londres, il a vu sa mise en
liberté sous caution initialement refusée et été détenu en cellule
d’isolement pendant neuf jours. Les avocats d’Assange luttent contre son
extradition vers la Suède tandis qu’il reste pratiquement assigné à
résidence.
L’extradition d’Assange vers la Suède pourrait être suivie par son
extradition vers les Etats-Unis. Il existe des compte rendu sur des
discussions ayant lieu entre les gouvernements américain et suédois et un
grand jury aurait été formé en Virginie pour inculper Assange d’avoir violé
la loi américaine contre l’espionnage. Les responsables du gouvernement et
les politiciens ont qualifié Assange de « terroriste. » Certains ont réclamé
son assassinat.
La vendetta menée contre Assange est une provocation politique qui revêt
toutes les caractéristiques d’un sale coup monté.
Le recours aux accusations d’abus sexuels et de faute personnelle grave
comme couverture à une attaque politique est un mode opératoire (modus
operandi) bien connu. Ceux qui seraient assez crédules pour prendre les
accusations en Suède pour argent comptant devraient se remettre en mémoire
des affaires précédentes : l’installation par le FBI de micros clandestins
dans les chambres à coucher et chambres d’hôtel utilisés par Martin Luther
King, Jr pour avoir des preuves de relations extra-conjugales ; le
cambriolage par Nixon du bureau du psychanalyste de Daniel Ellsberg dans le
but de trouver des informations personnelles permettant de discréditer le
révélateur des papiers du Pentagone ; et plus récemment, le recours par le
Parti Républicain et ses partisans dans les médias au scandale de Monica
Lewinsky pour monter un complot droitier visant à évincer le président Bill
Clinton.
La libération sous caution d’Assange a été suivie par une intensification
de la campagne menée contre lui. Durant le week-end, le Guardian a publié un
long article sur les allégations faites contre lui et le parsemant de
détails sulfureux en s’appuyant sur des documents révélés par la police
suédoise. Parallèlement à ceci paraissait un éditorial malhonnête cherchant
à justifier la publication des informations et à légitimer les actions
intentées contre Assange.
Les articles du Guardian ont apparemment surpris Assange et ses avocats
parce que le journal est l’un des rares qui continuent de publier
régulièrement des articles publiés par WikiLeaks et basés sur les messages
secrets du Département d’Etat américain. Tout prête à croire que les
articles font partie d’une tentative cynique et dénuée de tout principe pour
montrer la distanciation du journal par rapport à Assange.
« C'est une erreur de penser qu'il ne serait pas nécessaire de vérifier
ces allégations qu'on dit être simplement un complot ou une diffamation, » a
écrit le journal. « Il est inhabituel pour un cas de délit sexuel d’être
présenté de telle manière en dehors du procès pénal [comme l’a fait le
Guardian], mais par contre il est inouï pour un accusé, ses avocats et ses
partisans d’attaquer si violemment et publiquement des femmes se trouvant au
cœur d’une affaire de viol. »
Si le Guardian place la tentative d’Assange de se défendre – dans des
conditions où sa vie est en jeu – sur un pied d’égalité avec la campagne de
diffamation soutenue par les médias, alors c’est tout à fait malhonnête. Si
Assange restait muet, ceci serait probablement présenté comme une admission
de culpabilité.
Le langage utilisé par les journaux est délibérément provocateur. Assange
et ses partisans n’ont pas « attaqué » les jeunes femmes. Ils ont cherché à
le défendre face aux accusations qui visaient à le réduire au silence et à
saper WikiLeaks.
De plus, l’affaire ne concerne pas un « viol », du moins pas selon une
définition correcte du mot. Alors que le Guardian avait sans aucun doute
l’intention de scandaliser ses lecteurs en publiant les détails des rapports
de police, ce qui ressort de l’article, même en admettant que tout soit
vrai, est une histoire de relations consensuelles et non violentes avec des
femmes qui avaient recherché des relations avec Assange.
Pour une raison encore inexpliquée, un caractère criminel a été attribué
à ces relations – plusieurs jours après l’événement. Comme le journaliste
John Pilger, un défenseur d’Assange, l’a remarqué dans un récent article,
« Après le ‘crime’, l’une des femmes avait écrit un message sur Twitter
disant qu’elle était en compagnie ‘de gens les plus sympathiques et
intelligents du monde.’ Et à la question de savoir si Assange devait quitter
son appartement, elle a dit « Non, ce n’est pas un problème. Il peut
parfaitement rester ici.‘ En se référant à la nuit passée ensemble, elle a
dit qu’elle s’était ‘sentie abandonnée’ quand il avait quitté le lit pour
aller travailler sur son ordinateur. »
Et pourtant, suite à une campagne médiatique implacable, environ 50 pour
cent des références au mot « viol » sur Internet contiennent maintenant
aussi une référence à Assange.
Des informations apparues entre-temps appuient fortement des soupçons
qu’Assange est victime soit d’une provocation soigneusement orchestrée ou
sinon d’agissements d’individus dépourvus de tout principe. L’une des
accusatrices est liée à un groupe droitier anticastriste et a publié un
document détaillant les manières de se venger d’un ancien amant.
L’attaque contre Assange est une attaque contre les droits démocratiques
fondamentaux. Les derniers messages de WikiLeaks contribuent à révéler les
intrigues quotidiennes de l’impérialisme américain et de ses alliés. Parmi
la longue liste des révélations, les documents ont dévoilé au grand jour la
collaboration américaine avec les gouvernements allemand et espagnol pour
étouffer les enquêtes sur la torture ; le mépris du Département d’Etat
américain pour la loi internationale et les droits humains ; et des
discussions secrètes sur la possibilité de guerre avec la Chine et la
Russie.
La lecture des documents est un enseignement quant au caractère agressif,
militariste et criminel de l’impérialisme américain. Si, comme l’affirme le
gouvernement américain, leur diffusion devait saper la diplomatie américaine
à l’étranger, alors rien que pour cette raison Assange et WikiLeaks méritent
la reconnaissance de la population mondiale.
Le gouvernement américain est déterminé à poursuivre la campagne. Bien
qu'il ait mobilisé des entreprises sises aux Etats-Unis – dont Amazon,
PayMal, MasterCard, Visa et, plus récemment, Bank of America – le
gouvernement Obama n’a pas été en mesure d’empêcher la divulgation continue
des messages. L’un des objectifs des inculpations sexuelles est de détourner
l’attention des révélations contenues dans les documents de WikiLeaks tout
en impliquant Assange même dans une bataille juridique extrêmement onéreuse
et épuisante.
Dimanche, le vice-président américain, Joseph Biden, a, dans une démarche
bien réfléchie, qualifié Assange de « terroriste de haute technologie. »
Dans le contexte des structures juridiques d’Etat policier adoptées par les
Etats-Unis depuis les attentats du 11 septembre, cette accusation
scandaleuse – qui n’a absolument aucun rapport avec une définition objective
du mot « terroriste » – confèrent au gouvernement le pouvoir d’arrêter sans
chef d’accusation les individus nommés et de les détenir dans une prison
militaire ou de les assassiner.
La réaction contre cette attaque de la part de nombreuses personnes se
réclamant de gauche a été molle et dépourvue de principe. Un exemple typique
en est Tariq Ali, un ancien « combattant de rue » radical de gauche devenu
journaliste bourgeois.
Dans un chef-d’oeuvre d’escroquerie à la sauce britannique, Ali, tout en
proclamant son soutien à Assange et à WikiLeaks, a déclaré dans une récente
interview que « toute organisation est plus vaste qu’une personne isolée en
son sein et WikiLeaks survivra quoiqu’il advienne. »
C’est faux. Une condamnation d’Assange ne détruirait pas seulement
WikiLeaks, elle représenterait aussi un énorme coup porté par l’Etat contre
la liberté d’expression, la liberté sur Internet et les droits démocratiques
en général. Dans des conditions où une section de WikiLeaks a déjà fait
scission pour former une nouvelle organisation – plus accommodante à l’égard
des intérêts de l’impérialisme américain – les commentaires d’Ali ne peuvent
être compris que comme la volonté de jeter Assange aux du loup.
Julian Assange doit être défendu avec la plus grande détermination. Le
World Socialist Web Site appelle tous les travailleurs – et tous ceux qui
cherchent à s’opposer à l’impérialisme et aux assauts contre les droits
démocratiques – à mobiliser leur force collective pour exiger l’arrêt
immédiat des poursuites contre Assange et WikiLeaks.
(Article original paru le 21 décembre 2010)