La réponse de l’USP qui est une défense ouverte de leur « Platform of
Freedom » (Plateforme de la Liberté) commune avec l’UNP soulève des
questions importantes pour la classe ouvrière. L’USP affirme, en se vantant
même, que c’est par son attitude « héroïque » à mettre sur pied ce « front
uni » qu’il a défendu les droits démocratiques. Le SEP insiste pour dire que
l’alliance de collaboration de classe de l’USP n’a non seulement présenté à
tort les dirigeants de l’UNP comme des « démocrates » mais qu’il a, dans la
mesure où les travailleurs ont été dupés par cette ruse, miné leur capacité
à défendre leurs droits par leur propre action indépendante. Après
l’élection présidentielle au Sri Lanka, et au moment où le président Mahinda
Rajapakse intensifie son assaut contre les droits démocratiques, il est
essentiel que la population laborieuse en tire l’enseignement politique
indispensable.
Avant de passer aux questions plus fondamentales, il est impératif de
parler des déformations sur lesquelles repose la réponse de l’USP. L’auteur
dénonce l’article du SEP comme étant « obscène » car « accusant de manière
diffamatoire l’USP et son candidat présidentiel, Siritunga Jayasuriya, de
faire campagne pour Sarath Fonseka, » le candidat présidentiel de l’UNP.
Aucune citation n’est présentée et n’aurait pu l’être d’ailleurs. L’article
du SEP a expliqué tout à fait clairement le processus : l’USP n’a pas
directement soutenu Fonseka mais, en participant à la « Plateforme de paix »
en janvier 2009, a contribué à fournir à ce parti bourgeois discrédité des
références démocratiques de crédibilité. A son tour, celles-ci furent d’une
grande utilité à l’UNP quand le parti soutint le général Fonseka en le
présentant comme son candidat présidentiel lors de l’élection du mois
dernier.
L’auteur de l’article de l’USP élude la question en déclarant qu’au
moment où la « Plateforme de la Liberté » fut formée, « le facteur Fonseka
n’existait pas encore. » Il est sûrement vrai qu’en janvier 2009, Fonseka
n’était pas encore candidat mais le plus important général du pays partage
en tant que tel la responsabilité avec Rajapakse pour les crimes de guerre
et les violations des droits démocratiques commis par l’armée. En fait,
l’assassinat brutal de Lasantha Wickrematunge, le rédacteur en chef du
journal Sunday Leader, et qui avait diligenté la formation de la
Plateforme avait très certainement été l’œuvre des escadrons de la mort
pro-gouvernementaux et ce en collaboration avec l’armée.
Un an plus tard, toutefois, Fonseka s’étant brouillé avec Rajapakse,
démissionnait de son poste de chef des armées pour devenir le « candidat
commun » de l’UNP et du parti extrémiste cinghalais Janatha Vimukthi
Peramuna (JVP). En dépit du rapprochement de l’UNP avec le général,
Jayasuriya de l’USP n’eut pas de scrupules à rejoindre le dirigeant de l’UNP,
Ranil Wickremesinghe, pour célébrer avec lui le premier anniversaire de la
création de la Plateforme. Jayasuriya n’a pas saisi l’occasion pour dénoncer
le soutien que l’UNP prodiguait à Fonseka mais en a profité pour se donner
mutuellement des tapes dans le dos en se félicitant du « succès » de la
Plateforme et en promettant de la poursuivre indépendamment de qui
remportera les élections présidentielles.
Une grande partie de la réponse de l’USP est consacrée à énumérer les
accomplissements « héroïques » du parti et de son dirigeant. L’héroïsme,
toutefois, n’est pas un critère politique. Les fascistes, par exemple, sont
capables de faire preuve d’un grand courage physique en luttant pour leurs
objectifs réactionnaires. De manière générale, les travailleurs devraient se
méfier des politiciens petits bourgeois qui se gonflent d’orgueil en se
vantant de leur courage et qui en général ne sert qu’à obscurcir leur
politique. Ce qui s’applique dans ce cas.
Le Front Uni
En plus de la liste de ses prouesses, l’USP affirme que sa « plateforme
de la Liberté n’est pas une alliance politique mais plutôt une plateforme
pour rassembler des voix contre l’énorme répression… Les membres de l’USP
ont refusé de rester silencieux et sont prêts à participer non pas à un bloc
politique mais à une campagne pratique et concrète pour la défense des
droits démocratiques. Il avait été correct de n’en exclure aucunes des
forces pas même celles qui refusent de quitter le cadre du capitalisme. »
On est en droit de se demander : quelle est la campagne pratique qui a
été menée par la Plateforme, mis à part une quantité de promesses en l’air
au sujet de la « démocratie » faites collectivement par Jayasuriya et ses
alliés droitiers? Aucune partie de la classe ouvrière ne fut mobilisée pour
s’opposer aux opérations des escadrons de la mort pro-gouvernementaux et
pour défendre les travailleurs et leurs organisations et aucune grève
politique ne fut menée contre le gouvernement. Chose qui n’aurait d’ailleurs
pas pu se produire. L’UNP étant un parti ouvertement bourgeois est
organiquement hostile à toute action de la classe ouvrière qui menacerait le
pouvoir capitaliste.
En dépit de ses dénégations, la « charte de la Plateforme de la Liberté »
montre clairement que l’USP avait formé un bloc politique avec l’UNP en
n’engageant aucun des participants à quelque action politique que ce soit.
Ce bref document parle dans les termes les plus vagues de la défense « du
droit à la vie » et « de la liberté d’expression » aux « quatre coins et
dans les neuf provinces de ce pays, parmi les populations de toutes races et
de toutes croyances. » Pas un mot ne fut dit sur des mesures pratiques.
Dans sa réponse, l’USP invoque les noms de Lénine et de Trotsky en tant
que défenseurs de cette ignominie politique. D’un ton sarcastique, l’auteur
déclare même qu’il est capable de mettre les citations nécessaires à la
disposition « des professeurs experts du WSWS ». Ce n’est pas la peine. Le
SEP connaît parfaitement les différences qui existent entre la tactique du
Front Uni, qui a une longue histoire dans le mouvement marxiste, et le genre
d’alliance opportuniste avec laquelle l’USP a été associé tout au long de
son existence politique et qui s’est toujours révélée être désastreuse pour
la classe ouvrière.
L’essence du Front Uni est l’unification et la mobilisation de la classe
ouvrière afin de défendre ses droits face à l’ennemi de classe en recourant
aux méthodes de la lutte de classes. Ce faisant, les marxistes saisissent
chaque opportunité pour exposer les vacillations et le double discours tenu
par les dirigeants opportunistes de la classe ouvrière. La condition
indispensable à la formation d’un Front Uni est l’indépendance politique du
parti révolutionnaire, pas de programme commun, pas de slogans communs et
pas de mélange de bannières.
Léon Trotsky l’avait parfaitement bien expliqué dans les années 1930 lors
de sa campagne en faveur d’un Front Uni entre le Parti communiste allemand
et les sociaux-démocrates contre les nazis: « Aucune plateforme commune avec
la social-démocratie ou les dirigeants des syndicats allemands, aucune
publication, aucun drapeau, aucune affiche commune ! Marcher séparément,
frapper ensemble ! Se mettre d’accord uniquement sur la manière de frapper,
sur qui et quand frapper ! On peut se mettre d’accord sur ce point avec le
diable, sa grand-mère et même Noske et Grzensinki. A la seule condition de
ne pas se lier les mains. »
C’était exactement pour cela que la Revolutionary Communist League (RCL),
le prédécesseur du SEP, avait lutté à la fin des années 1980 au moment où l’UNP
était au gouvernement. L’UNP, qui avait déclenché la guerre contre les
Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (LTTE) en 1983, avait signé l’accord
indo-sri-lankais pour permettre aux soi-disant forces de paix indiennes de
pénétrer dans le Nord et donner ainsi aux forces de sécurité la liberté
d’écraser l’agitation croissante dans le Sud. Il instaura la loi martiale au
motif d’assujettir le JVP qui était opposé à l’accord du point de vue
réactionnaire du chauvinisme cinghalais. Des centaines de travailleurs, des
syndicaliste et des activistes politiques furent assassinés tant par les
forces de sécurité que par les bandes du JVP fasciste.
La RCL avait en son temps écrit au Lanka Sama Samaja Party (LSSP), au
Parti communiste de Sri Lanka et au Nava Sama Samaja Party (NSSP), duquel
Jayasuriya était déjà le dirigeant, pour proposer un Front Uni et prendre
des mesures pratiques, former des unités de défense des travailleurs, des
piquets de grève communs, des manifestations et organiser une grève commune
contre le gouvernement UNP.
Le NSSP avait catégoriquement rejeté la proposition en accusant la RCL de
« sectarisme » pour avoir exclu le Sri Lanka Mahajana Party (SLMP) qu’il
avait qualifié de « nouvelle tendance de masse réformiste prolétarienne ».
Le SLMP, comme l’avait expliqué la RCL à l’époque, était un parti bourgeois
et qui voulait fusionner avec le Sri Lanka Freedom Party (SLFP). Sa
dirigeante, Chandrika Kumaratunga, devint la présidente du pays. L’actuel
dirigeant du SLFP n’est personne d’autre que l’actuel président Rajapakse
dont les méthodes antidémocratiques sont notoires.
Les différences sont on ne peut plus claires. A l’encontre de l’appel de
la RCL pour un Front Uni, le NSSP avait farouchement défendu le type de bloc
politique que Lénine et Trotsky avaient toujours qualifié de façon non
équivoque d’inadmissible pour un parti marxiste révolutionnaire. Comme
l’avait noté la RCL, le NSSP avait formé un bloc électoral avec le SLMP
bourgeois sur la base d’un programme gouvernemental commun intitulé
« Perspectives et comment aller de l’avant. » Ce type d’alliance de Front
populaire, promu par les staliniens, avait conduit dans les années 1930 la
classe ouvrière en France et en Espagne dans des catastrophes politiques. Le
résultat fut le même au Sri Lanka dans les années 1980 en paralysant la
classe ouvrière précisément au moment où sa mobilisation politique
indépendante était plus qu’indispensable.
Après avoir caressé l’idée de faire entrer le JVP au gouvernement, le
président de l’UNP, Ranasinghe Premadasa, lança en 1989 les forces de
sécurité contre le JVP et la jeunesse rurale cinghalaise dans le Sud de
l’île. Approximativement 60.000 jeunes furent massacrés par l’armée, par ses
escadrons de la mort et par son réseau de chambres de torture secrètes et de
prisons. Il est à remarquer que l’actuel dirigeant de l’UNP, Ranil
Wickremesinghe, avec lequel Jayasuriya partage les plateformes et qu’il
présente comme un défenseur de la démocratie, avait été ministre dans ce
gouvernement UNP et porte la responsabilité politique directe pour ses
crimes.
De l’histoire
L’USP est toutefois indifférent à toutes les questions historiques. Il
déclare : « Dans presque tous leurs articles sur le Sri Lanka, le WSWS se
réfère à certains événements historiques en imputant tout le mal à la
trahison du Lanka Sama Samaja Party (LSSP) et en disant peu de choses sur sa
tradition healyiste dont il n’a vraiment pas de raison d’être fier. Même des
événements récents sont présentés comme étant des séquelles de la trahison
du LSSP. L’histoire est bien plus complexe que cela. En tant que marxistes
il est important de comprendre les défaillances historiques mais il est
aussi important de prendre en considération l’époque dans laquelle nous nous
trouvons en appliquant les méthodes marxistes pour comprendre cette époque
plutôt que de rejeter toute la faute sur un seul événement de l’histoire. »
Quiconque souhaite en apprendre plus est laissé en plan. Rien n’est
expliqué. Cette attitude désinvolte à l’égard des questions historiques est
une marque de fabrique des organisations petites bourgeoises. Jayasuriya
préférerait ne pas tenir compte du tout de l’histoire, notamment de celle de
sa propre organisation dont le bilan est une longue litanie de manigances
opportunistes et de naufrages politiques qui ont coûté très cher à la classe
ouvrière. La classe ouvrière toutefois ne peut aller de l’avant que dans la
mesure où elle tire les leçons essentielles de ses propres expériences
stratégiques au Sri Lanka et internationalement. Cette histoire montre
clairement que l’USP n’a rien à voir avec le marxisme ou une politique
révolutionnaire fondée sur des principes.
La trahison du LSSP, qui avait rejoint le gouvernement bourgeois de
Madame Sirama Bandarainaike en 1964 en plein milieu de vastes luttes
sociales de la classe ouvrière, avait eu un impact considérable sur la
classe ouvrière au Sri Lanka et internationalement. C’était la première fois
qu’un parti en apparence trotskyste avait ouvertement abandonné ses
principes de l’internationalisme socialiste. En conséquence, en l’absence
d’une lutte pour l’unification de la classe ouvrière, la politique
communautariste, y compris la guerre de guérilla petite bourgeoise du JVP et
du LTTE, prospéra. Même si la trahison du LSSP n’a pas déterminé toute
l’histoire ultérieure, il est impossible de comprendre les développements
ultérieurs, y compris l’éclatement de la guerre civile, sans en assimiler
les conséquences.
En 1964, Gerry Healy, le dirigeant de la Socialist Labour League (SLL),
la section britannique du Comité International de la Quatrième
Internationale (CIQI), s’était rendu à Colombo pour mener une campagne à
l’occasion du congrès du LSSP et rejeter la décision de celui-ci d’entrer
dans le gouvernement Bandaranaike. Healy avait reconnu que la trahison avait
ses racines dans la tendance opportuniste qui avait émergé au sein de la
Quatrième Internationale au début des années 1950 sous la direction de
Michel Pablo et d’Ernest Mandel. Les pablistes s’étaient adaptés à la
stabilisation d’après-guerre du capitalisme et à la prédominance des
directions staliniennes, social démocrates et nationalistes bourgeoises.
Le CIQI, dont le SEP est la section sri lankaise, fut fondé en 1953 pour
combattre l’opportunisme pabliste et défendre les principes du trotskysme.
Le Comité pour une Internationale ouvrière, l’« Internationale »
opportuniste avec laquelle l’USP forme actuellement une alliance, remonte à
feu Ted Grant qui avait partagé des vues identiques à celles de Pablo et de
Mandel et qui pendant un temps fut le représentant de la section britannique
au sein de l’Internationale pabliste.
Dans sa brochure Ceylon: The great betrayal (Ceylan: la grande
trahison), Healy avait expliqué : « La dégénérescence [du LSSP] est
étroitement liée à la lutte au sein du mouvement trotskyste international.
Elle constitue l’exemple le plus complet de la trahison de Pablo et de ses
alliés européens, Germain [Mandel] et Pierre Frank. » Il souligna : « La
réponse se trouve non pas à Ceylan mais dans une analyse internationale de
la lutte contre le révisionnisme pabliste. Les véritables architectes de la
coalition se trouvent à Paris. » Les pablistes qui avaient approuvé et
excusé des années de politique opportuniste du LSSP, avaient préparé la voie
à la coalition gouvernementale à Colombo.
La RCL, qui fut créée en 1968, avait été fondée sur ces enseignements et
avait défendu fièrement cet héritage de Healy. Ce n’est que sur cette base
que la RCL, aux côtés du CIQI, fut en mesure de mener une lutte politique
contre la dégénérescence politique ultérieure de Healy et qui conduisit en
1985-86 à la scission avec le Workers Revolutionary Party britannique (WRP),
le successeur de la SLL. Bien que le CIQI ait examiné en détail et tiré les
leçons nécessaires des trahisons du WRP, il a néanmoins reconnu l’énorme
rôle politique joué par Healy, notamment dans les années 1960 en défendant
les principes du troskysme.
Il n’est pas étonnant que l’USP préférât que la trahison du LSSP soit
oubliée. Jayasuriya, tout comme le dirigeant du NSSP, Wickremabahu
Karunaratna, passèrent encore plus de dix ans au sein du LSSP. Le
gouvernement Bandaranaike s’était effondré en 1965 mais une deuxième
coalition gouvernementale était venue au pouvoir en 1970 et dans laquelle le
LSSP occupa des postes ministériels clés. Jayasuriya et Karunaratna étaient
restés au sein du LSSP pendant que la coalition gouvernementale réprimait en
1971 le soulèvement organisé par le JVP et qui coûta la vie à quelque 15.000
jeunes, imposait une constitution communautariste érigeant le bouddhisme en
religion d’Etat, imposait à l’encontre des Tamouls des mesures
discriminatoire dans le système éducatif en accélérant le rapatriement forcé
vers l’Inde des travailleurs tamouls des plantations.
En tant qu’opportunistes authentiques, ils ne quittèrent le parti
qu’après que le LSSP ait été discrédité parmi les travailleurs au point
qu’il fut annihilé lors des élections législatives de 1977.
Jayasuriya et Karunaratna formèrent en 1978 le NSSP et se séparèrent plus
tard pour diriger chacun leur propre organisation mais sans jamais rompre
avec la politique de coalition, à savoir de collaboration de classes.
En effet, il ne serait pas possible de prévoir, à partir d’un « seul
événement de l’histoire », en l’occurrence la trahison du LSSP en 1964,
toutes les pirouettes politiques à l’envers et à l’endroit exécutées par le
NSSP ainsi que l’USP né d’une scission. Mais, le caractère de classe de
toutes ces manigances est en conformité avec l’attitude qu’ils avaient
adoptée en 1964, de subordonner la classe ouvrière à l’une ou à l’autre
section de la bourgeoisie et d’empêcher sa mobilisation politique
indépendante. Ces partis sont de plus en plus intégrés à l’establishment
politique même de Colombo.
Il est temps que les travailleurs et les jeunes fassent le bilan de ces
expériences avec la politique opportuniste. Depuis l’élection présidentielle
du 26 janvier, les événements ont clairement montré que le régime Rajapakse
intensifie ses attaques contre les droits démocratiques tout en préparant un
assaut de grande envergure contre les conditions de vie de la classe
ouvrière. Alors que le rival de Rajapakse, le général Sarath Fonseka, est en
premier lieu apparemment la cible, les méthodes de plus en plus
autocratiques du gouvernement sont en fait dirigées contre la classe
ouvrière. C’est une nouvelle période de luttes révolutionnaires qui s’ouvre
à nous et dans laquelle la subordination de la classe ouvrière à la
bourgeoisie se révèlera mortelle. Les travailleurs et les jeunes doivent
emprunter une voie nouvelle: étudier sérieusement les leçons de
l’histoire du Sri Lanka et internationalement, se former aux principes de la
politique marxiste et rejoindre le SEP, la section sri lankaise du CIQI, et
lutter pour le socialisme en Asie du Sud et internationalement.