Le président français, Nicolas Sarkozy, a effectué le 17 février une
visite d’une journée en Haïti en pleine opposition populaire montante contre
le gouvernement Préval qui est soutenu par l’occident et au milieu de
tensions internationales sur la question de la reconstruction du pays.
L’armée américaine a occupé Haïti après le séisme dévastateur du 17 janvier
qui a tué plus de 200.000 personnes, blessé plus de 250.000 et détruit une
grande partie de l’infrastructure du pays.
Sarkozy, le premier chef d’Etat français à s’être jamais rendu en Haïti,
a été accueilli par des manifestations de rue de plusieurs milliers
d’Haïtiens réclamant le retour du président élu, Jean-Bertrand Aristide.
Evincé par un coup d’Etat soutenu par la France et les Etats-Unis en 2004,
Aristide fut obligé de s’envoler vers la République de Centre-Afrique, une
ancienne colonie française. Aristide vit à présent en exil en Afrique du
Sud. Le président René Préval, ancien premier ministre sous la présidence
d’Aristide dans les années 1990, vint au pouvoir après les élections de 2006
qui avaient été supervisées par le gouvernement de transition de Boniface
Alexandre qui avait été instauré par un coup d’Etat.
Préval a tenté de s’adresser à la foule devant le palais présidentiel.
Toutefois, la foule l’a hué et Préval est reparti dans sa jeep de luxe
entouré de gardes du corps.
Les manifestants brandissaient des pancartes à l’effigie d’Aristide en
exigeant que Sarkozy restitue les 21 milliards de dollars payés à la France
par Haïti, ancienne colonie à esclaves française. En 1825, suite à une
ordonnance établie par le roi de France Charles X, – et qui fut rapidement
anéantie par la révolution de 1830 -- des navires de guerre contraignirent
Haïti à verser la somme de 90 millions de francs or en échange de sa
liberté. En 1794, le gouvernement révolutionnaire de la France avait reconnu
l’abolition de l’esclavage en Haïti par l’armée d’esclaves sous le
commandement de Toussaint L’Ouverture. Les anciens esclaves armés avaient
repoussé l’expédition militaire de Napoléon en 1803 qui devait rétablir
l’esclavage et avaient déclaré ensuite l’indépendance d’Haïti en 1804.
La rançon versée à Charles X, soit l’équivalent de 21,7 milliards de
dollars de nos jours, dévasta l’économie d’Haïti qui mit 122 ans à la
rembourser. En comparaison, l’on estime que la reconstruction après le
tremblement de terre coûtera 14 milliards de dollars – ce qui est également
moins que le montant du bouclier fiscal accordé par Sarkozy à la tranche la
plus riche de la population à son arrivée au pouvoir en 2007.
La visite de Sarkozy est survenue au milieu de démarches entreprises pour
transformer Haïti en une dictature militaire gérée conjointement par des
forces d’occupation et des agences d’aide étrangères. Les élections
législatives en Haïti, initialement prévues pour le 28 février-3 mars, ont
été reportées indéfiniment.
Les Etats-Unis en particulier se préparent à prendre la relève du
gouvernement haïtien. Le 11 février, le Miami Herald a rapporté que
le Département d’Etat américain avait présenté début février à de hauts
responsables haïtiens des projets pour une commission intérimaire de
reconstruction d’Haïti. Le Herald qui a vu des copies du projet, a
remarqué que la « priorité absolue » de la commission est de « créer une
Autorité de développement haïtienne pour planifier et coordonner les
milliards d’aide étrangère sur une période d’au moins 10 ans. »
Le Herald a écrit que la commission serait présidée par le premier
ministre haïtien et « une personnalité internationale illustre de haut rang
engagée dans les efforts de reconstruction. » Le Herald a suggéré que
cette personnalité pourrait vraisemblablement être l’ancien président Bill
Clinton, nommé récemment envoyé spécial américain pour Haïti et qui est le
mari de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
Robert Maguire, professeur à l’université Trinity de Washington, qui a
évoqué le projet en termes favorables, a dit au Herald que cela
paraissait « être identique à une idée qu’Hillary Clinton avait eue bien
avant le tremblement de terre. »
Le projet américain a suscité une opposition de la part des puissances
capitalistes qui sont contre un rôle aussi évident des Etats-Unis dans les
projets de reconstruction. Le gouvernement canadien envisage un projet
canalisant l’aide vers un fonds fiduciaire qui serait supervisé par la
Banque mondiale.
L’économiste américain Jeffrey Sachs qui a élaboré un projet identique
impliquant la Banque interaméricaine de développement, BID (Inter-American
Development Bank) a critiqué le projet du Département d’Etat américain :
« Nous ne devrions pas considérer ceci comme un effort politique américain
mais comme un effort multilatéral. » Argumentant que la responsabilité des
projets de reconstruction devrait tomber au seul gouvernement haïtien, Sachs
a dit qu’une agence de reconstruction « ne devrait pas être composée de
membres mixtes d’un président [haïtien] et de personnalités
internationales. »
Des détails de ce que de tels projets de « reconstruction » comportaient
étaient apparus après la conférence qui s’était tenue à Montréal le 25
janvier. Ils prévoient le recours à un salaire inférieur au salaire minimum
adopté par Préval pour l’industrie de la confection (2,98 dollars par jour)
pour faire d’Haïti une zone franche d’exportation ultra exploitée. Dans un
rapport de l’ONU, Paul Collier de l’université d’Oxford de Grande-Bretagne,
a écrit : « En raison de la pauvreté et de son marché du travail
relativement non réglementé, Haïti dispose de coûts de main-d’œuvre qui sont
tout à fait compétitifs face à ceux de la Chine et qui est l’atelier du
monde. »
Sarkozy est arrivé en Haïti au milieu de spéculations selon lesquelles sa
visite reflétait des divisions grandissantes entre Paris et Washington quant
à la manière de procéder. Sarkozy est arrivé à l’aéroport de Port-au-Prince,
il a rapidement survolé en hélicoptère les zones les plus sinistrées de la
ville et a donné une conférence de presse en compagnie de Préval.
La prestation de Sarkozy a été un mélange de cynisme et d’arrogance
impérialiste. S’adressant au gouvernement fantoche d’un pays occupé par les
Etats-Unis, il a dit : « Le peuple d’Haïti est debout. Vous devez, Monsieur
le président, Monsieur le premier ministre, Mesdames et Messieurs les
ministres, définir les conditions d’un consensus national pour poser les
bases d’un projet national qui vous appartient. Haïti, c’est pour les
Haïtiens. »
Il a annoncé un plan d’aide de 326 millions d’euros (447 millions de
dollars), dont 56 millions d’euros pour le remboursement de la dette d’Haïti
à la France. Bien que cette somme soit hors de toute proportion par rapport
aux énormes coûts de la reconstruction d’Haïti, Sarkozy a sermonné son
auditoire : « Tout juste m’est-il permis, Monsieur le président, de dire :
‘Ne reconstruisez pas comme avant’. »
Après avoir mis en garde le régime Préval que « Les richesses doivent
profiter à tout le monde, » Sarkozy a reconnu de manière étonnante : « Dans
mon pays comme dans le vôtre. La question de l’extrême concentration des
richesses sur un petit nombre est un problème. »
Au moment où il fait campagne pourune nouvelle tournée de
réduction des retraites en France et maintient les suppressions d’impôts
pour les riches, il s'agit là d'un problème que sa propre politique
contribue à exacerber.
Sarkozy a également implicitement critiqué les projets du Département
d’Etat américain en disant : « La France ne veut pas d’une tutelle
internationale sur Haïti. Voilà que vous êtes un des pays les plus pauvres
au monde et que vous venez de subir l’une des catastrophes les plus
violentes au monde. »
A la question concernant les rivalités entre les pays occupés à la
reconstruction d’Haïti, Sarkozy a répondu en signalant les craintes d’une
opposition politique croissante en Haïti : « Déjà, qu’il n’y ait pas de
rivalité en Haïti. » Il a dit, « Je n’ignore pas quelle est votre réalité
politique. Une trentaine de constitutions et un grand nombre de chefs d’Etat
assassinés… une dictature parmi les plus abominables qu’on ait connue. »
Sarkozy n’a pas mentionné qu’après son éviction en 1986, le dictateur
Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier s’était enfui en France où il a mené une
vie de grand luxe en dépit du fait qu’il n’ait jamais obtenu formellement
l’asile politique. En 1998, le gouvernement français avait refusé d’intenter
une action en justice pour que la France expulse Duvalier comme immigrant
illégal.
Sarkozy a poursuivi en disant, « S’agissant d’une rivalité entre les pays
amis d’Haïti… il n’y en aura pas. Et si vous voulez mon jugement plus
précis, je trouve que les Américains font un très bon travail. Ils ont un
million d’Haïtiens [d’immigrants], ils sont à 900 kilomètres d’ici. Je ne
reprocherai pas à des pays amis d’aider davantage. Dans l’urgence on peut
réussir plus ou moins bien les choses et provoquer des petites tensions. Ce
n’est pas grave par rapport à l’essentiel, qui est qu’Américains, Anglais,
Canadiens, Brésiliens et tous les autres, on soit main dans la main pour
vous aider. »
Cette déclaration réfute les critiques largement répandues et formulées
par les responsables humanitaires au sujet de l’indifférence insensible de
l’occupation militaire américaine vis-à-vis des vies haïtiennes. L’armée
américaine s’est saisie de l’aéroport Port-au-Prince et a bloqué
l’atterrissage des avions d’aide humanitaire, ce qui a coûté la vie à de
milliers d’Haïtiens qui meurent de blessures infectées et de manque
d’antibiotique et autres fournitures de base. L’armée a aussi refusé
d’admettre des Haïtiens blessés dans la vaste infirmerie de l’USS Carl
Vinson, un porte avion américain en route vers Haïti et elle a
temporairement bloqué les vols sanitaires vers la Floride.
Sarkozy a carrément refusé de considérer la restitution des 21 milliards
de dollars extorqués par la France à Haïti en 1825, en rétorquant : « J’ai
décidé d’annuler la dette d’Haïti à l’endroit de la France… J’imagine que
cela crée les conditions d’une plus grande coopération entre nous. »
A la question de savoir si la France pourrait accorder davantage d’aide
au vu des 14 milliards de dollars pour la reconstruction d’Haïti, Sarkozy a
dit : « Il ne faut pas condamner Haïti à l’assistanat et tuer toute
émergence du secteur privé. »
Après que Sarkozy a parlé, Préval a répondu à des questions sur la tenue
des prochaines élections. Il a dit que le gouvernement était confronté à des
difficultés en « purgeant » les listes électorales afin « d’éviter toute
fraude en raison du décès d’électeurs ». De façon macabre, il a expliqué que
le tremblement de terre avait littéralement rendu cela impossible :
« Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de morts, beaucoup plus de déplacés, il
y a un certain nombre d’électeurs potentiels qui ont perdu leurs cartes
électorales. »
Préval a aussi sous-entendu qu’il ne voulait pas tenir des élections,
compte tenu de l’opinion publique : « Et puis, il y a la disposition de la
population. Dans cette situation difficile, on ne peut pas lui demander
d’aller voter. »
A la question de savoir si les élections présidentielles prévues en
décembre auraient lieu à temps, Préval a impliqué qu’elles avaient été
reportées indéfiniment, dans l’attente de discussions avec les puissances
occupantes : « Il faut trouver un mécanisme adéquat, exceptionnel pour que
les élections aient lieu. »
Il a poursuivi en disant : « Par consensus avec la classe politique, avec
la société civile et avec la communauté internationale qui finance en grande
partie ces élections, on devra trouver une formule pour qu’il y ait des
élections parlementaires, locales et présidentielles. C’est tout ce que je
peux dire. »