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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Manifestations de masse lors de la visite de Sarkozy en Haïti

Par Alex Lantier
27 février 2010

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Le président français, Nicolas Sarkozy, a effectué le 17 février une visite d’une journée en Haïti en pleine opposition populaire montante contre le gouvernement Préval qui est soutenu par l’occident et au milieu de tensions internationales sur la question de la reconstruction du pays. L’armée américaine a occupé Haïti après le séisme dévastateur du 17 janvier qui a tué plus de 200.000 personnes, blessé plus de 250.000 et détruit une grande partie de l’infrastructure du pays.

Sarkozy, le premier chef d’Etat français à s’être jamais rendu en Haïti, a été accueilli par des manifestations de rue de plusieurs milliers d’Haïtiens réclamant le retour du président élu, Jean-Bertrand Aristide. Evincé par un coup d’Etat soutenu par la France et les Etats-Unis en 2004, Aristide fut obligé de s’envoler vers la République de Centre-Afrique, une ancienne colonie française. Aristide vit à présent en exil en Afrique du Sud. Le président René Préval, ancien premier ministre sous la présidence d’Aristide dans les années 1990, vint au pouvoir après les élections de 2006 qui avaient été supervisées par le gouvernement de transition de Boniface Alexandre qui avait été instauré par un coup d’Etat.

Préval a tenté de s’adresser à la foule devant le palais présidentiel. Toutefois, la foule l’a hué et Préval est reparti dans sa jeep de luxe entouré de gardes du corps.

Les manifestants brandissaient des pancartes à l’effigie d’Aristide en exigeant que Sarkozy restitue les 21 milliards de dollars payés à la France par Haïti, ancienne colonie à esclaves française. En 1825, suite à une ordonnance établie par le roi de France Charles X, – et qui fut rapidement anéantie par la révolution de 1830 -- des navires de guerre contraignirent Haïti à verser la somme de 90 millions de francs or en échange de sa liberté. En 1794, le gouvernement révolutionnaire de la France avait reconnu l’abolition de l’esclavage en Haïti par l’armée d’esclaves sous le commandement de Toussaint L’Ouverture. Les anciens esclaves armés avaient repoussé l’expédition militaire de Napoléon en 1803 qui devait rétablir l’esclavage et avaient déclaré ensuite l’indépendance d’Haïti en 1804.

La rançon versée à Charles X, soit l’équivalent de 21,7 milliards de dollars de nos jours, dévasta l’économie d’Haïti qui mit 122 ans à la rembourser. En comparaison, l’on estime que la reconstruction après le tremblement de terre coûtera 14 milliards de dollars – ce qui est également moins que le montant du bouclier fiscal accordé par Sarkozy à la tranche la plus riche de la population à son arrivée au pouvoir en 2007.

La visite de Sarkozy est survenue au milieu de démarches entreprises pour transformer Haïti en une dictature militaire gérée conjointement par des forces d’occupation et des agences d’aide étrangères. Les élections législatives en Haïti, initialement prévues pour le 28 février-3 mars, ont été reportées indéfiniment.

Les Etats-Unis en particulier se préparent à prendre la relève du gouvernement haïtien. Le 11 février, le Miami Herald a rapporté que le Département d’Etat américain avait présenté début février à de hauts responsables haïtiens des projets pour une commission intérimaire de reconstruction d’Haïti. Le Herald qui a vu des copies du projet, a remarqué que la « priorité absolue » de la commission est de « créer une Autorité de développement haïtienne pour planifier et coordonner les milliards d’aide étrangère sur une période d’au moins 10 ans. »

Le Herald a écrit que la commission serait présidée par le premier ministre haïtien et « une personnalité internationale illustre de haut rang engagée dans les efforts de reconstruction. » Le Herald a suggéré que cette personnalité pourrait vraisemblablement être l’ancien président Bill Clinton, nommé récemment envoyé spécial américain pour Haïti et qui est le mari de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.

Robert Maguire, professeur à l’université Trinity de Washington, qui a évoqué le projet en termes favorables, a dit au Herald que cela paraissait « être identique à une idée qu’Hillary Clinton avait eue bien avant le tremblement de terre. »

Le projet américain a suscité une opposition de la part des puissances capitalistes qui sont contre un rôle aussi évident des Etats-Unis dans les projets de reconstruction. Le gouvernement canadien envisage un projet canalisant l’aide vers un fonds fiduciaire qui serait supervisé par la Banque mondiale.

L’économiste américain Jeffrey Sachs qui a élaboré un projet identique impliquant la Banque interaméricaine de développement, BID (Inter-American Development Bank) a critiqué le projet du Département d’Etat américain : « Nous ne devrions pas considérer ceci comme un effort politique américain mais comme un effort multilatéral. » Argumentant que la responsabilité des projets de reconstruction devrait tomber au seul gouvernement haïtien, Sachs a dit qu’une agence de reconstruction « ne devrait pas être composée de membres mixtes d’un président [haïtien] et de personnalités internationales. »

Des détails de ce que de tels projets de « reconstruction » comportaient étaient apparus après la conférence qui s’était tenue à Montréal le 25 janvier. Ils prévoient le recours à un salaire inférieur au salaire minimum adopté par Préval pour l’industrie de la confection (2,98 dollars par jour) pour faire d’Haïti une zone franche d’exportation ultra exploitée. Dans un rapport de l’ONU, Paul Collier de l’université d’Oxford de Grande-Bretagne, a écrit : « En raison de la pauvreté et de son marché du travail relativement non réglementé, Haïti dispose de coûts de main-d’œuvre qui sont tout à fait compétitifs face à ceux de la Chine et qui est l’atelier du monde. »

Sarkozy est arrivé en Haïti au milieu de spéculations selon lesquelles sa visite reflétait des divisions grandissantes entre Paris et Washington quant à la manière de procéder. Sarkozy est arrivé à l’aéroport de Port-au-Prince, il a rapidement survolé en hélicoptère les zones les plus sinistrées de la ville et a donné une conférence de presse en compagnie de Préval.

La prestation de Sarkozy a été un mélange de cynisme et d’arrogance impérialiste. S’adressant au gouvernement fantoche d’un pays occupé par les Etats-Unis, il a dit : « Le peuple d’Haïti est debout. Vous devez, Monsieur le président, Monsieur le premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres, définir les conditions d’un consensus national pour poser les bases d’un projet national qui vous appartient. Haïti, c’est pour les Haïtiens. »

Il a annoncé un plan d’aide de 326 millions d’euros (447 millions de dollars), dont 56 millions d’euros pour le remboursement de la dette d’Haïti à la France. Bien que cette somme soit hors de toute proportion par rapport aux énormes coûts de la reconstruction d’Haïti, Sarkozy a sermonné son auditoire : « Tout juste m’est-il permis, Monsieur le président, de dire : ‘Ne reconstruisez pas comme avant’. »

Après avoir mis en garde le régime Préval que « Les richesses doivent profiter à tout le monde, » Sarkozy a reconnu de manière étonnante : « Dans mon pays comme dans le vôtre. La question de l’extrême concentration des richesses sur un petit nombre est un problème. »

Au moment où il fait campagne pour une nouvelle tournée de réduction des retraites en France et maintient les suppressions d’impôts pour les riches, il s'agit là d'un problème que sa propre politique contribue à exacerber.

Sarkozy a également implicitement critiqué les projets du Département d’Etat américain en disant : « La France ne veut pas d’une tutelle internationale sur Haïti. Voilà que vous êtes un des pays les plus pauvres au monde et que vous venez de subir l’une des catastrophes les plus violentes au monde. »

A la question concernant les rivalités entre les pays occupés à la reconstruction d’Haïti, Sarkozy a répondu en signalant les craintes d’une opposition politique croissante en Haïti : « Déjà, qu’il n’y ait pas de rivalité en Haïti. » Il a dit, « Je n’ignore pas quelle est votre réalité politique. Une trentaine de constitutions et un grand nombre de chefs d’Etat assassinés… une dictature parmi les plus abominables qu’on ait connue. »

Sarkozy n’a pas mentionné qu’après son éviction en 1986, le dictateur Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier s’était enfui en France où il a mené une vie de grand luxe en dépit du fait qu’il n’ait jamais obtenu formellement l’asile politique. En 1998, le gouvernement français avait refusé d’intenter une action en justice pour que la France expulse Duvalier comme immigrant illégal.

Sarkozy a poursuivi en disant, « S’agissant d’une rivalité entre les pays amis d’Haïti… il n’y en aura pas. Et si vous voulez mon jugement plus précis, je trouve que les Américains font un très bon travail. Ils ont un million d’Haïtiens [d’immigrants], ils sont à 900 kilomètres d’ici. Je ne reprocherai pas à des pays amis d’aider davantage. Dans l’urgence on peut réussir plus ou moins bien les choses et provoquer des petites tensions. Ce n’est pas grave par rapport à l’essentiel, qui est qu’Américains, Anglais, Canadiens, Brésiliens et tous les autres, on soit main dans la main pour vous aider. »

Cette déclaration réfute les critiques largement répandues et formulées par les responsables humanitaires au sujet de l’indifférence insensible de l’occupation militaire américaine vis-à-vis des vies haïtiennes. L’armée américaine s’est saisie de l’aéroport Port-au-Prince et a bloqué l’atterrissage des avions d’aide humanitaire, ce qui a coûté la vie à de milliers d’Haïtiens qui meurent de blessures infectées et de manque d’antibiotique et autres fournitures de base. L’armée a aussi refusé d’admettre des Haïtiens blessés dans la vaste infirmerie de l’USS Carl Vinson, un porte avion américain en route vers Haïti et elle a temporairement bloqué les vols sanitaires vers la Floride.

Sarkozy a carrément refusé de considérer la restitution des 21 milliards de dollars extorqués par la France à Haïti en 1825, en rétorquant : « J’ai décidé d’annuler la dette d’Haïti à l’endroit de la France… J’imagine que cela crée les conditions d’une plus grande coopération entre nous. »

A la question de savoir si la France pourrait accorder davantage d’aide au vu des 14 milliards de dollars pour la reconstruction d’Haïti, Sarkozy a dit : « Il ne faut pas condamner Haïti à l’assistanat et tuer toute émergence du secteur privé. »

Après que Sarkozy a parlé, Préval a répondu à des questions sur la tenue des prochaines élections. Il a dit que le gouvernement était confronté à des difficultés en « purgeant » les listes électorales afin « d’éviter toute fraude en raison du décès d’électeurs ». De façon macabre, il a expliqué que le tremblement de terre avait littéralement rendu cela impossible : « Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de morts, beaucoup plus de déplacés, il y a un certain nombre d’électeurs potentiels qui ont perdu leurs cartes électorales. »

Préval a aussi sous-entendu qu’il ne voulait pas tenir des élections, compte tenu de l’opinion publique : « Et puis, il y a la disposition de la population. Dans cette situation difficile, on ne peut pas lui demander d’aller voter. »

A la question de savoir si les élections présidentielles prévues en décembre auraient lieu à temps, Préval a impliqué qu’elles avaient été reportées indéfiniment, dans l’attente de discussions avec les puissances occupantes : « Il faut trouver un mécanisme adéquat, exceptionnel pour que les élections aient lieu. »

Il a poursuivi en disant : « Par consensus avec la classe politique, avec la société civile et avec la communauté internationale qui finance en grande partie ces élections, on devra trouver une formule pour qu’il y ait des élections parlementaires, locales et présidentielles. C’est tout ce que je peux dire. »

(Article original paru le 19 février 2010)

 

 


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