La conférence ci-dessous a été donnée par Peter Schwarz, secrétaire du
Comité International de la Quatrième Internationale, lors d’une réunion du
Parti de l’Egalité sociale d’Allemagne qui s’est tenue à Leipzig le 29
novembre 2009.
La réunion d’aujourd’hui se déroule dans un lieu historique. C’est
exactement devant cette fenêtre qu’eut lieu le 4 septembre 1989 la première
« manifestation du lundi ». Après la célébration d’une messe à l’église
Nikolai, quelque 1.200 personnes sont descendues dans la rue et ont déroulé
des bannières disant « Pour un pays ouvert avec des gens libres, » « liberté
de réunion et d’association, » « liberté de voyager et non pas exode de
masse. »
Les bannières furent confisquées par les membres de la Stasi stalinienne
(la sûreté d’Etat) et la marche des manifestants fut interrompue par la
police.
Dans les semaines qui suivirent les manifestations s’amplifièrent pour
d’abord atteindre quelques milliers. Puis, à partir de mi octobre, elles
atteignirent des centaines de milliers et s’étendirent à Dresde et à
d’autres villes. Le 4 novembre, un million de personnes s’étaient
rassemblées sur l’Alexanderplatz de Berlin pour former la plus grande
manifestation de l’histoire de la République démocratique allemande (RDA,
Allemagne de l’Est). Le Mur de Berlin tombait cinq jours plus tard. Onze
mois plus, la RDA n’existait plus.
Depuis, ce mouvement fut qualifié de « révolution pacifique. » Mais, les
événements de l’automne 1989 méritent-ils vraiment le nom de révolution ?
Bien que les manifestations du lundi aient contribué à l’écroulement
rapide du régime de la RDA, elles ne furent qu’un élément parmi d’autres et
pas même le plus important. Lorsque les manifestations du lundi débutèrent,
le régime du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) en Allemagne de l’Est
avait déjà décidé de jeter l’éponge.
La RDA se dirigeait tout droit vers la faillite. L’endettement du pays
envers l’occident était passé de 2 milliards de marks en 1970 à 49 milliards
de marks. Sans le soutien du gouvernement de l’Allemagne de l’Ouest, le
régime de la RDA n’aurait pas pu survivre bien plus longtemps.
Dans une analyse de la situation économique de la RDA présentée en
octobre 1989 par Gerhard Schürer, le président de la Commission étatique du
Plan, il était dit que la dette était « passée à un niveau mettant en cause
la solvabilité de la RDA. » Schürer en avait conclu, « rien que l’arrêt de
l’endettement nécessiterait pour l’année 1990 une réduction du niveau de vie
de 25 à 30 pour cent et rendrait la RDA ingouvernable. »
Il est clair ce que cela aurait signifié, des manifestations, des grèves
et des émeutes incontrôlables et qui auraient rencontré un vaste écho parmi
les travailleurs en Allemagne de l’Ouest et dans le reste du monde. Il ne
faudrait pas oublier qu’à cette époque les signes d’une profonde crise
s’étaient multipliés en Allemagne de l’Ouest et dans d’autres pays
capitalistes.
En Europe de l’Ouest, officiellement 20 millions de personnes étaient au
chômage ; en réalité ils étaient plus de 30 millions. Les réformes sociales
pour lesquelles la classe ouvrière avait lutté après la Deuxième guerre
mondiale étaient soumises à des attaques permanentes. Les signes d’une
instabilité financière croissaient. En octobre 1987, un krach boursier
international rappelant le krach de 1929 s’était produit. L’indice Dow Jones
des valeurs industrielles avait chuté en une seule journée de plus de 20
pour cent et il aura fallu 15 mois pour qu’il atteigne à nouveau son ancien
niveau.
Dans ces conditions, le SED avait décidé de se réfugier dans les bras du
gouvernement ouest-allemand. Comme l’a dit plus tard le dernier premier
ministre de la RDA, Hans Modrow, « A mon avis, la voie de l’unité était
absolument incontournable et devait être suivie avec détermination. »
Contrairement au mythe populaire, le SED ne perdit jamais le contrôle des
événements comme cela aurait été le cas lors d’une véritable révolution.
Le gouvernement Modrow organisa l’unification de l’Allemagne et veilla à
ce que, une fois de plus aux dires de Modrow, « le pays reste gouvernable et
que le chaos soit évité. » Le SED de ce fait devança non seulement un
véritable soulèvement révolutionnaire en Allemagne de l’Est mais sauva
également le gouvernement ouest-allemand de Helmut Kohl dont à l’époque
personne n’accordait la moindre chance de succès aux élections législatives
de 1991 pour un nouveau mandat. Kohl resta au pouvoir jusqu’en 1998 ,
c’est-à-dire 16 ans, soit plus longtemps que n’importe quel autre chancelier
allemand.
Les décisions clé qui menèrent aux événements en Allemagne durant
l’automne de 1989 avaient déjà été prises quatre ans auparavant à Moscou.
Avec la nomination de Mikhaïl Gorbatchev au poste de secrétaire général, le
Parti communiste soviétique avait mis le cap sur la restauration
capitaliste. Il faut comprendre le rôle et le caractère de la bureaucratie
stalinienne qui avait évincé les marxistes du pouvoir dans les années 1920
et les avait liquidés physiquement dans les années 1930, pour pouvoir
vraiment comprendre la fin de la RDA et de l’Union soviétique. Le camarade
Wolfgang Weber consacrera une contribution spéciale à cette question. Pour
ma part, je tiens à limiter mes remarques aux événements survenus en RDA.
Comment le SED a encouragé l’unification allemande
Dans son discours inaugural qu’il fit six semaines après la chute du Mur
de Berlin, le nouveau premier ministre de la RDA, Hans Modrow, proposa la
création d’une « communauté contractuelle » entre les deux Allemagnes. La
chute du mur avait pris le gouvernement ouest-allemand à l’improviste. Ce
n’est que maintenant qu’il réalisait que la réunification allemande qu’il
préconisait depuis des décennies en la jugeant impossible à réaliser était
passé dans le domaine du possible.
Kohl répondit onze jours plus tard, le 28 novembre, par un programme en
dix points qui envisageait l’unification dans un délai de cinq à dix ans.
Toutefois, pour le SED qui s’était rebaptisé SED-PDS (le Parti du socialisme
démocratique), cela n’allait pas assez vite. Le 19 décembre, Modrow et Kohl
se rencontraient à Dresde pour accorder leurs projets et les pousser en
avant en dépit d’une opposition internationale massive.
Les gouvernements britannique et français étaient avant tout contre
l’unification parce qu’ils craignaient l’émergence d’une Grande Allemagne
puissante. D’autre part, le président américain George H. W. Bush (le père
de George W. Bush) approuvait le projet de Kohl.
Modrow se chargea d’éliminer les obstacles éventuels du côté soviétique.
A la fin de janvier, il se rendit à Moscou pour obtenir l’approbation de
Gorbatchev à l’unité allemande. Dans ses mémoires, Modrow souligne que
c’était lui et non Kohl qui avait persuadé Gorbatchev de ne pas mettre
d’obstacles en travers de l’unification allemande.
Il écrit : « La décision fondamentale pour l’unité fut prise le 30
janvier entre Gorbatchev et moi-même après d’amples discussions. Ce dont le
chancelier [Kohl] avait discuté et accepté en février était basé sur les
résultats obtenus le 30 janvier. »
Après son retour de l’Union soviétique, Modrow publia le 1er
février une déclaration intitulée « L’Allemagne, patrie unie, » en se
positionnant ainsi à la tête d’une vague nationaliste qui déferla sur tout
le pays en ayant pour conséquence en mars la victoire de l’Union chrétienne
démocrate (CDU) aux élections à la Volkskammer (Chambre du peuple
est-allemande). Le gouvernement Modrow négocia également l’union monétaire
avec le gouvernement Kohl qui rendit l’unification irrévocable en créant les
conditions pour un effondrement total de l’industrie de la RDA.
L’introduction du Deutschmark qui permit à la population est-allemande
d’accéder à des denrées ouest-allemandes très convoitées était un cadeau
empoisonné. Les produits industriels est-allemands dont les prix étaient à
présent affichés en Deutschmark n’étaient plus abordables en Europe de l’Est
et en Union soviétique avec lesquels la RDA était étroitement liée
économiquement tandis que la faible productivité de la RDA rendait ses
marchandises peu compétitives sur les marchés occidentaux. L’effondrement de
l’économie de la RDA était prévisible et le gouvernement Modrow fit le
nécessaire. Il créa la Treuhandanstalt (organisme en charge des
privatisations) qui liquida en l’espace de trois ans l’industrie de la RDA.
Les conséquences sociales de ce déclin industriel furent dévastatrices.
La Treuhand qui était dirigée par des responsables officiels de l’économie
ouest-allemande, brada ou liquida au total 14.000 entreprises d’Etat (Volkseigene
Betriebe). Quelque 95 pour cent des entreprises privatisées passèrent aux
mains de propriétaires résidant hors de la RDA.
En l’espace de trois ans, 71 pour cent de tous les employés avaient
changé de travail ou perdu leur emploi. D’ici 1991, 1,3 millions d’emplois
avaient été détruits et un autre million avaient disparu au cours des années
qui suivirent. Dans le secteur manufacturier, le nombre des salariés est
aujourd’hui le quart de celui de 1989. De vastes sections de la population
est-allemande perdirent rapidement confiance dans l’avenir. La baisse du
taux de natalité en est un signe évident, le nombre de naissances tombant de
199.000 en 1989 à 79.000 en 1994.
Les conséquences industrielles et sociales n’ont pas été surmontées à ce
jour. Aujourd’hui, le chiffre de la population de l’ancienne Allemagne de
l’Est est, avec 13 millions d’habitants, bien inférieur aux 14,5 millions
d’habitants du temps de la chute du Mur de Berlin. Vingt ans plus tard, 140
Allemands quittent tous les jours l’Est pour aller vivre en Allemagne de
l’Ouest.
Des années durant, le taux de chômage dépassa les 20 pour cent. Ce n’est
qu’au cours de ces cinq dernières années qu’il est tombé aux 12 pour cent
actuels. Cette baisse n’est pas due à la création d’emplois réguliers mais à
une extension du travail à bas salaire et intérimaire. En Allemagne de
l’Est, un travailleur sur deux est payé en dessous du seuil des bas salaires
qui est de 9,20 euros de l’heure. Le salaire brut moyen arrive avec 13,50
euros loin derrière le niveau à l’Ouest qui est de 17,20 euros.
Comment la restauration capitaliste a-t-elle pu avoir
lieu ?
Dans le texte vous invitant à cette réunion nous avons écrit : « La chute
du Mur de Berlin fut été un signe annonciateur de la fin d’une dictature.
Mais, à sa place ne vint pas la démocratie mais une nouvelle dictature, la
dictature du capital. »
Comment cela a-t-il pu se produire? Pourquoi ceux qui étaient descendus
dans la rue en 1989 en faisant souvent preuve d’un courage considérable
n’avaient-ils pas été en mesure d’empêcher ces développements terribles en
faisant respecter plus énergiquement leurs propres intérêts ? Pourquoi la
classe ouvrière en RDA, qui avait constitué la majorité de la population,
n’a-t-elle pas joué un rôle politique indépendant ?
Pour répondre à ces questions, on doit examiner deux thèmes : la
destruction systématique des traditions socialistes du mouvement ouvrier par
le stalinisme et la politique des groupes politiques qui se sont trouvés à
la tête du mouvement en 1989.
Commençons par le premier. En dépit de ses affirmations, le SED n’était
pas un parti socialiste, mais un parti stalinien. Le stalinisme est, en
termes de ses conceptions théoriques et de sa base sociale, l’opposé du
marxisme. Tout comme les sociaux-démocrates de droite, il prône une
conception nationale du socialisme ou comme Staline lui-même le disait, la
conception de la « construction du socialisme dans un seul pays. » Les
marxistes, par contre insistent pour dire que le socialisme ne peut être
réalisé qu’à l’échelle internationale.
Socialement, le stalinisme représente les intérêts d’une bureaucratie qui
s’est formée dans les années 1920 en raison de l’arriération économique et
de l’isolement de l’Union soviétique. Cette bureaucratie devint une caste
privilégiée. Elle trouva un soutien dans certaines sections du Parti
bolchevique. Elle trouva son dirigeant en Staline, en usurpant finalement le
pouvoir dans une lutte féroce contre l’Opposition de Gauche, dirigée par
Léon Trotsky, et en éliminant et liquidant physiquement l’opposition.
Le plus grand crime du stalinisme fut son extermination systématique des
traditions socialistes de la classe ouvrière. Alors que Staline formait des
alliances avec les dirigeants impérialistes tels Roosevelt, Churchill et, à
un moment, même Hitler, il ne ménagea pas les révolutionnaires. Sa terreur
qui prit des formes colossales, visa en premier lieu la classe ouvrière et
ses dirigeants marxistes.
La « Grande Terreur » de 1937-38 coûta la vie à littéralement tous les
membres dirigeants du Parti bolchevique qui, aux côtés de Lénine et de
Trotsky, avaient mené à la victoire la Révolution d’Octobre de 1917. De
plus, des centaines de milliers de jeunes marxistes, des ouvriers d’usine,
des ingénieurs, des universitaires, des artistes et des officiers de l’Armée
Rouge qui étaient dévoués au socialisme furent assassinés. Ce fut un
génocide politique sans égal dans l’histoire.
La bureaucratie stalinienne avait basé son régime sur les relations de
propriété qui avaient été créées en 1917 par la Révolution d’Octobre russe.
Elle le fit toutefois en tant que parasite qui suce le sang de son hôte pour
finalement le détruire.
En réprimant toute forme de démocratie ouvrière, elle étouffa le
potentiel créatif de la propriété socialisée. La même chose valait pour sa
politique internationale. Les partis communistes qui en étaient tributaires
étouffaient tout mouvement révolutionnaire.
Après la Deuxième guerre mondiale, ils devinrent les principaux piliers
du statu quo qui a garanti la stabilisation du capitalisme à l’échelle
mondiale. En accord avec les alliés occidentaux, la bureaucratie stalinienne
étendit son règne en Europe de l’Est où elle réprima chaque mouvement
indépendant de la classe ouvrière, y compris l’écrasement du soulèvement
ouvrier du 17 juin 1953 en Allemagne de l’Est.
La « Grande Terreur » des années 1930 ne coûta pas seulement la vie aux
dirigeants de la Révolution d’Octobre, mais aussi à la plupart des
communistes allemands qui s’étaient réfugiés en Union soviétique pour
échapper aux nazis. Seuls les délateurs survécurent, ceux qui avaient
dénoncé leurs propres camarades aux bourreaux staliniens, des gens tels
Walter Ulbricht et Erich Mielke, et qui étaient à présent à la tête du SED.
Herbert Wehner, qui après la guerre fit carrière dans le Parti
social-démocrate (SPD), était également l’un d’entre eux.
Le SED poursuivit la croisade de Staline contre le marxisme en RDA. Oskar
Hippe un dirigeant trotskyste qui avait été emprisonné pendant deux ans sous
les nazis et qui avait survécu au régime de Hitler, fut arrêté en 1948 en
RDA, brutalisé et emprisonné pendant huit ans. Alors que les politiciens et
les médias ouest-allemands avaient accès à la RDA, il était interdit aux
trotskystes, qui passaient pour des ennemis publics numéro 1, d’y travailler
ouvertement jusqu’à la chute du mur. L’œuvre de Trotsky restait un sujet
tabou.
En conséquence, les travailleurs qui participèrent aux manifestations de
l’automne 1989 étaient entièrement coupés de la tradition marxiste dont ils
n’avaient connaissance que sous la forme pervertie du stalinisme et qu'ils
haïssaient. Ils ne disposaient d’aucune perspective indépendante pour
défendre leurs acquis sociaux qui étaient indissociablement liés aux formes
de la propriété socialisée.
Les dirigeants du mouvement de droits civiques devinrent les porte-parole
des manifestations. Ce mouvement s’était développé dans l’ombre de l’église
et avait été toléré par le SED. Un certain nombre de ses membres, comme le
premier président du SPD en RAD, Ibrahim Böhme, et le président du Neue
Aufbruch, Wolfgang Schnur, se révélèrent par la suite avoir été des
collaborateurs de la Stasi, la police secrète de la RDA. Les dirigeants
étaient des curés, des avocats et des artistes dont la perspective n’allait
pas au-delà d’un appel en faveur de réformes du régime en vigueur et au
dialogue avec celui-ci.
C’est ainsi que le manifeste fondateur du Neues Forum (Nouveau Forum)
débutait par ces mots : « Dans notre pays, la communication entre l’Etat et
la société a manifestement été détruite. » Demokratie Jetzt (Démocratie
maintenant) avait introduit sa « thèse pour la transformation démocratique
de la RDA » avec la phrase : « L’objectif de nos propositions est d’arriver
à la paix intérieure pour notre pays afin de servir également la paix
extérieure. »
Ces appels n’étaient pas révolutionnaires mais conservateurs au sens
littéral du terme, et visaient à maintenir l’ordre existant. L’appel à des
réformes n’émanait pas d’aspirations révolutionnaires mais de la crainte
d’une révolution.
A peine le régime avait-il fait ses premières concessions en remplaçant
Erich Honecker par Egon Krenz et Hans Modrow, que le mouvement de droits
civiques, en participant tout d’abord à la Table Ronde, puis au sein du
gouvernement même, commença à collaborer étroitement avec le SED dans le but
de contrôler le mouvement de protestation et d’en remettre l’initiative au
gouvernement de Helmut Kohl.
« Les démocrates de l’automne 1989, » écrivions-nous en commentant leurs
actions dans la préface du livre La fin de la RDA, se sont « révélés
être à tous égards des successeurs dignes des démocrates de 1848, les
députés de la Paulskirche, au sujet desquels Engels avait autrefois écrit si
justement : ‘Cette assemblée de vieilles femmes avait, à compter du premier
jour de son existence, plus peur du moindre mouvement populaire que de
l’ensemble des complots réactionnaires de tous les gouvernements allemands
réuni.' Le même jugement qu’Engels avait eu pour leurs prédécesseurs
historiques s’appliquait aux nouveaux démocrates : Ils pouvaient à juste
titre servir de critère de ce dont la petite bourgeoisie allemande était
capable, c'est à dire de rien d’autre que d’anéantir tout mouvement qui se
confiait à elle. »
Une mise en garde contre la restauration capitaliste
Ce développement n’était pas inévitable. Le Bund Sozialistischer Arbeiter
(BSA, Ligue des travailleurs socialistes), tout comme son successeur, le
Parti de l’Egalité sociale, avait à l’époque prédit avec une justesse
remarquable les conséquences de la restauration du capitalisme et avait mis
en garde contre celle-ci. Les déclarations et les articles publiés à
l’époque de la chute du Mur de Berlin dans l’hebdomadaire Neue
Arbeiterpresse sont réunis dans le livre La fin de la RDA dont
sont issues les citations que je viens de faire.
Le 4 novembre 1989, le BSA avait fait entrer en douce des milliers de
dépliants en RDA qui furent diffusés lors des manifestations de masse sur l’Alexanderplatz
de Berlin. Le BSA avait soutenu les manifestations contre le régime du SED
mais avait mis en garde contre les pièges de la démocratie bourgeoise.
Dans ce dépliant, le BSA avait présenté dans les termes suivant
l’alternative à laquelle les travailleurs de la RDA étaient confrontés :
« La réforme, la démocratie ou plutôt la dictature du capital d’une part ou
bien la révolution, la démocratie ouvrière et le socialisme, d’autre part,
le caractère social du régime de la RDA implique obligatoirement qu’il n’y a
pas d’autre voie ouverte à la classe ouvrière en Allemagne de l’Est, tout
comme en Allemagne de l’Ouest, en dehors de cette alternative. »
La déclaration du BSA mettait expressément en garde contre les dangers de
la restauration capitaliste. Il y était dit, qu’après le remplacement
d’Erich Honecker, la nouvelle direction « tentera de supprimer même les
réformes limitées et les concessions économiques faites à la classe ouvrière
et qui étaient liées aux relations de propriété nationalisées et à
l’économie planifiée, de rétablir le capitalisme en transformant par là la
bureaucratie en une nouvelle classe de capitalistes. »
Dans une déclaration du 5 janvier 1990, le BSA écrivait au sujet de la
communauté contractuelle convenue entre l’Allemagne de l’Ouest et la RDA:
« Ne laissez pas le régime du SED, sous la nouvelle direction de Gregor Gysi
et de Hans Modrow et avec Kohl et les capitalistes, récolter les fruits de
la victoire remportée sur Honecker ! La communauté contractuelle entre les
deux gouvernements visant à parachever la restauration du capitalisme en RDA
est dirigée contre les travailleurs des deux côtés de l’Allemagne : les
travailleurs de la RDA deviendront des esclaves à bas salaire pour les
entreprises occidentales et les joint venture et, à l’Ouest, cette division
de la classe ouvrière servira à imposer des baisses de salaires et des
licenciements. »
De nombreux articles parus dans le Neue Arbeiterpresse mettaient
en garde contre la politique pratiquée par la Table Ronde, le Neues Forum et
la Vereinigte Linke (la Gauche Unie) au sein de laquelle les partisans
d’Ernest Mandel étaient actifs en participant au gouvernement Modrow.
Bien qu’il n'ait pu travailler ouvertement en Allemagne de l’Est que
depuis quelques semaines, le BSA recruta suffisamment de partisans pour
pouvoir présenter ses propres candidats aux dernières élections pour la
Volkskammer du 19 mars. J’aimerais lire quelques passages de notre manifeste
électoral de l’époque parce qu’ils montrent à quel point nous avions prédit
les développements à venir.
Il y est dit : « La classe ouvrière doit rejeter avec mépris toutes les
tendances politiques qui veulent remplacer la dictature stalinienne par la
dictature de la Deutsche Bank, autrement dit, par la dictature de
l’impérialisme. La petite bourgeoisie de la Table Ronde devenue folle
furieuse s’extasie devant les bénéfices du capitalisme au moment où les
conditions de vie de la classe ouvrière dans les pays capitalistes se sont
dramatiquement détériorées au cours de ces dix dernières années ; où un
jeune sur quatre en Europe, et un sur deux en Europe méridionale, est sans
emploi ou sans apprentissage ; où l’espérance de vie dans les bidonvilles de
New York est inférieure qu’au Bangladesh ; où, dans les pays les plus
pauvres du monde, des centaines de milliers meurent de faim chaque jour en
raison du pillage impérialiste…
« La classe ouvrière doit y mettre fin… Le BSA, la section allemande de
la Quatrième Internationale, est le seul parti à s’adresser directement à la
classe ouvrière et à appeler à la défense inconditionnelle de ses conquêtes.
Les installations de production qui ont été développées par la classe
ouvrière au prix de grands sacrifices ne doivent pas être bradées par les
capitalistes. La propriété socialisée doit être débarrassée des parasites
staliniens et placée entre les mains de la classe ouvrière. Il faut empêcher
l’emprise des entreprises et des banques capitalistes ! La classe ouvrière
ne porte aucune responsabilité de la mauvaise gestion stalinienne. Il faut
stopper la hausse des prix, des loyers et les réductions de salaire que le
régime Modrow est en train d’appliquer au nom de la ‘suppression des
subventions’ ! »
Pourquoi le BSA fut-il en mesure de prévoir les conséquences de
l’instauration du capitalisme ?
Nous avions basé notre évaluation sur une analyse marxiste de l’histoire
et de la crise capitaliste. Nous savions que le stalinisme était
contre-révolutionnaire à tous les égards et nous avions défendu cette
analyse durant des décennies contre les tendances opportunistes qui avaient
émergé dans les rangs de la Quatrième Internationale.
Et nous avions compris que la crise des régimes staliniens n’était qu’un
signe avant-coureur de la faillite de toutes les organisations se fondant
sur un programme national. Le caractère mondial de la production moderne a
non seulement sapé les régimes staliniens mais aussi la société capitaliste.
Les contradictions entre l’économie mondiale et l’Etat-nation, lesquelles
avaient provoqué la guerre et la dépression entre 1914 et 1945, entraînent
inévitablement des crises économiques, des tensions internationales et des
soulèvements sociaux. L’effondrement du stalinisme fut le début d’une
nouvelle ère de guerres et de révolutions.
Cette évaluation a été confirmée dans les vingt ans qui ont suivi la
chute du Mur de Berlin. La crise financière de l’automne 2008 a montré à
quel point les fondements du capitalisme étaient pourris. Cette crise n’a
pas été résolue.
Dans sa dernière édition, l’hebdomadaire Der Spiegel a brossé un
tableau dévastateur de l’état actuel de la société capitaliste. « En plein
milieu d’une économie mondiale encore frappée par la crise, l’élite
financière est à nouveau en train d’engranger des milliards, » écrit le
magazine. « La vieille cupidité est de retour ainsi que le vieil orgueil
démesuré. » Jamais auparavant dans l’histoire économique moderne,
« l’industrie financière n’avait eu droit à un accès aussi libre aux
finances de l’Etat. »
Le magazine est d’avis qu’un nouveau krach financier est inévitable. La
question n’est pas de savoir si l’actuelle bulle boursière va éclater, mais
plutôt quand cela va se produire. Le magazine met expressément en garde
contre le « risque d’hyper-inflation, une dévaluation à progression rapide,
comme celle vécue en Allemagne au début des années 1920. »
Dans le même temps, les tensions internationales s'accroissent et la
guerre en Afghanistan s’intensifie. Le gouvernement allemand se sert du
massacre de Kunduz, le plus grand massacre perpétré par des soldats
allemands depuis la Deuxième guerre mondiale, pour donner à l’armée un blanc
seing pour tuer.
Le capitalisme ne connaît qu’une réponse à cette crise, des attaques
encore plus brutales contre la classe ouvrière. Ceci rend inévitable des
conflits sociaux dont l’ampleur dépassera de loin celui de l’automne 1989.
La leçon la plus importante à tirer de ces événements est que les luttes
doivent être préparées politiquement et théoriquement en faisant de la
construction du Parti de l’Egalité sociale et du développement du World
Socialist Web Site la tâche la plus urgente.