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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : Débat à l'Assemblée nationale sur l'interdiction de la burqa

Par Antoine Lerougetel
13 juillet 2010

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Le débat sur le projet de loi interdisant le port du voile intégral, burqa ou niqab, a commencé à l'Assemblée nationale le 6 juillet, en préparation du vote qui se tiendra le 13 juillet. Les enjeux politiques de ce débat pour la classe dirigeante française sont soulignés par la présence importante des députés, des médias et des forces de sécurité.

Le projet de loi proposé par le parti au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement populaire) imposerait une interdiction totale du port du voile intégral en public, soumise à une amende de 150 euros et / ou à l'obligation d'assister à « un stage de citoyenneté » pour inculquer « les valeurs républicaines. »Les femmes qui refuseraient d'ôter leur voile en public pourront être arrêtées et mise en garde à vue pendant quatre heures, sous prétexte qu'il est nécessaire de vérifier leur identité.

En outre, un nouveau délit de « dissimulation forcée du visage », faisant encourir une année d'emprisonnement et une amende de 30 000 ? vise les maris, compagnons et famille de ces femmes. Le caractère répressif de ce projet de loi avait été renforcé par des amendements soumis par le parti de l'opposition, le Parti socialiste (PS.) Ce dernier a insisté pour que l'amende originelle de 15 000 ? proposée par l'UMP soit doublée et que ces peines soient doublées dans le cas où une femme serait mineure.

La loi prendrait effet au printemps 2011 après six mois de « pédagogie », c'est à dire après une campagne politique et médiatique de plus de dénonciations islamophobes sur la burqa et le niqab.

Dans sa présentation du projet de loi, la Garde des sceaux Michèle Alliot-Marie a insisté sur le caractère profondément républicain de la loi. Elle a déclaré que ce n'était affaire « ni de sécurité ou de religion» mais plutôt «d'ordre public » avec une triple visée de «dignité», «d'égalité» (des sexes) et de «transparence». Elle a ajouté pompeusement, «La République se vit à visage découvert.»

Alliot-Marie fait preuve ici d'hypocrisie grossière. L'un des arguments principaux motivant cette interdiction est celui de la sécurité qui se nourrit du préjugé que tout musulman est un terroriste potentiel et que l'Etat a besoin de vérifier son identité à tout moment.

Les principaux arguments utilisés par André Gerin, député du Parti communiste français (PCF) qui présidait la mission parlementaire qui a préparé l'interdiction de la burqa se fondent sur la religion. Le Nouvel Observateur écrit que Gerin « a défendu avec passion le principe d'une interdiction générale. 'Il faut dire stop à la dérive de l'intégrisme islamique,' a-t-il dit, 'stop d'une seule voix républicaine ...Nous sommes en phase avec les voix qui s'élèvent aujourd'hui contre l'intégrisme islamique dans le monde arabe et musulman.' »

La proposition d'interdiction de la burqa est une attaque flagrante et inconstitutionnelle contre les droits démocratiques fondamentaux, faisant appel aux sentiments antimusulmans pour désorienter et court-circuiter l'opposition publique. Il est cependant bien connu qu'un tel projet de loi violerait les dispositions fondamentales du droit existant. Ainsi l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme stipule: «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »

Ce principe est repris par la Convention européenne des droits de l'Homme, dans l'article 9 intitulé « Liberté de pensée, de conscience et de religion. » Il déclare, « Toute personne a droit à la liberté

de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »

Cette interdiction foule aussi aux pieds le principe juridique de laïcité en requérant que l'Etat punisse de façon sélective les adeptes de l'Islam tel qu'il est pratiqué dans de larges sections d'Arabie saoudite et d'Afghanistan. Le fait que le port de la burqa ait été propagé dans de larges sections d'Afghanistan par les Talibans dans les années 1990, alors qu'ils étaient soutenus par les Etats-Unis et autres alliés français, ne fait que souligner l'hypocrisie de l'interdiction.

La décision du gouvernement d'aller de l'avant avec cette interdiction est le signe clair qu'il se dirige vers un régime autoritaire et en dehors de la légalité. Il agit en dépit d'un jugement consultatif du Conseil d'Etat disant qu'une interdiction de la burqa était exposée à de « fortes incertitudes » à la fois «constitutionnelles et conventionnelles. »

En avril dernier, le premier ministre François Fillon avait affirmé que le gouvernement entamerait une procédure d'urgence pour faire passer cette législation anti-burqa, même si une telle loi pouvait s'avérer inconstitutionnelle et contrevenir à la Convention européenne des droits de l'Homme. «On est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons que l'enjeu en vaut la chandelle, » avait-il dit.

Il avait laissé entendre, de façon sinistre, que les droits démocratiques garantis par la Convention étaient dépassés: « On ne peut pas s'embarrasser de prudence par rapport à une législation qui n'est pas adaptée à la société d'aujourd'hui... S'il faut faire évoluer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celle de la Cour européenne des droits de l'homme, nous, nous pensons que c'est notre responsabilité politique de le faire.  »

L'élite politique française joue la carte du racisme, comme le font bien d'autres pays européens, afin d'attiser une atmosphère droitière, de diviser les travailleurs et de dissimuler les implications de l'effondrement économique en Europe et le virage parmi les classes dirigeantes vers le nationalisme. Cela sera perçu comme une provocation dans le monde musulman et la communauté musulmane française qui compte 5 millions de personnes, et qui vont conclure à juste titre que l'Etat français les cible illégalement pour les opprimer.

Le gouvernement a été en mesure d'agir du fait, avant tout, de l'absence de toute opposition de la « gauche » bourgeoise. Le fait que ces partis soutiennent cette législation démontre qu'il n'existe aucune section au sein de la politique officielle qui soutienne les droits démocratiques.

La mission sur la burqa dirigée par le député du PCF André Gerin avait été mise en place avec le soutien de tous les partis parlementaires, dont le PS, le PCF, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et les Verts. Quant aux soi-disant partis d'« extrême-gauche » tels le Nouveau parti anticapitaliste d'Olivier Besancenot, aucun d'entre eux n'a fait campagne pour s'opposer à l'interdiction qui remporte un soutien substantiel parmi leurs membres.

L'atmosphère antimusulmane promue par cette campagne politique contre la burqa a déjà provoqué des altercations et des attaques, même armées, contre des mosquées et des épiceries halal.

L'affaire Hebbadj est étroitement liée à cette question, étant utilisée par le gouvernement pour préparer une loi autorisant l'Etat à démettre de sa nationalité française une personne naturalisée, dans le cas où cette personne entrerait en conflit avec les autorités et les soi-disant « valeurs républicaines. (voir France: Le gouvernement s'acharne sur le compagnon d'une femme portant le niqab)

Dans une autre manoeuvre malhonnête, le groupe parlementaire PS a décidé de ne pas prendre, cette fois, part au vote du projet de loi, reconnaissant implicitement l'impopularité fondamentale et le caractère droitier de la loi.

Jean Galvany, représentant le PS dans le débat, a expliqué la difficulté de soutenir le gouvernement quand on se présente comme le défenseur antiraciste des droits démocratiques: «Beaucoup d'entre nous ne peuvent pas voter contre ce texte, car nous sommes aussi contre le port du voile intégral, Mais nous ne pouvons pas non plus voter pour, car le débat sur la burqa relève de manoeuvres gouvernementales liées au débat sur l'identité nationale. Quant à l'abstention, elle est difficile à expliquer à l'opinion publique. »

Mais ceci est tout simplement une tentative de dissimuler au public l'accord du PS avec cette politique raciste, dans une situation où la campagne sur « l'identité nationale » était très largement impopulaire. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée, a assuré le gouvernement le 1er juillet que le PS « ne fera pas obstacle au vote de la loi. »

Déjà, le 11 mai le PS avait voté «sans hésitation » avec l'UMP sur une résolution appelant à l'interdiction totale du voile intégral, au nom des « valeurs républicaines. »

Le projet de loi sur la burqa sera mise au vote mardi 13 juillet et tout porte à croire qu'elle passera. Seuls trois députés Verts, alliés au PS, ont annoncé leur intention de voter contre, et ce sur une position droitière. Ils affirment que des lois adéquates existent déjà concernant « la nécessaire identification des personnes par les agent-es de la force publique » et «  pour interdire le port d'un vêtement dissimulant le visage dans les cas où l'ordre public serait menacé. »

Le PS sera rejoint par les députés du PCF dans leur décision de ne pas prendre part au vote, bien qu'André Gerin vote aux côtés du gouvernement, tout comme trois députés PS, Emmanuel Valls, Jean-Michel Boucheron et Aurélie Filipetti ainsi que quasiment tous les 10 députés du PRG (Parti républicain de gauche) alliés au PS.

(article original paru le 12 juillet)

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