Les Pays-Bas sont, après la Hongrie et le Royaume-Uni et au milieu de la
crise économique la plus sévère depuis les années 1930, le troisième pays
d’importance à voir des partis de droite remporter une élection dans
l’Union Européenne.
Il y a bien sûr des différences entre le parti hongrois Fidesz, les
conservateurs britanniques et les libéraux droitiers du WD (Parti populaire
pour la liberté et la démocratie) hollandais. Mais ils ont tous en commun le
fait qu’ils allient de strictes mesures d’austérité dans
l’intérêt du capital financier à la xénophobie ou à l’islamophobie
et à une opposition de droite, nationaliste à l’Union Européenne.
En Hongrie et aux Pays-Bas ce sont en outre des groupements aux tendances
ouvertement fascistes – Jobbik en Hongrie, et le parti de la liberté
(PVV) du populiste de droite Geert Wilders aux Pays-Bas – qui sont
arrivés en troisième position. Ces partis allient une hostilité violente
dirigée contre les Roms et d’autres minorités (Jobbik) et contre les Musulmans
(PVV) à la démagogie sociale et aux attaques verbales à l’égard du capital
financier. Tous deux sont le produit de scissions d’avec les partis vainqueurs
respectifs, Fidesz et WD et en sont proches politiquement.
Il faut expliquer ce tournant à droite. Il est le résultat de puissantes
fluctuations au sein des classes moyennes. L’impact de la crise
économique se fait sentir non seulement dans la classe ouvrière, ce qui
s’exprime actuellement dans le fait que de nombreux travailleurs
s’abstiennent dans les élections, mais aussi dans les classes moyennes
devenues instables et se sentant de plus en plus menacées.
Ces couches sociales ne cherchent plus leur salut dans la social-démocratie.
Les sociaux-démocrates en tant que partis majoritaires (Hongrie et
Grande-Bretagne) ou en tant que partenaires mineurs dans un gouvernement
conservateur (Pays-Bas) ont réduit les dépenses publique, augmenté les impôts
et les taxes pour la classe moyenne, obtempéré à toutes les demandes du capital
financier et imposé les diktats de la bureaucratie de l’Union Européenne.
Pour ces raisons, des parties de la classe moyenne se tournent vers des
figures qui se présentent comme des hommes forts et résolus. Viktor Orban
(Fidesz), David Cameron (Parti conservateur) et Mark Rutte (WD) se ressemblent
non seulement sur le plan politique, mais aussi dans la façon dont ils se présentent.
Tous trois sont des carriéristes raffinés qui prêchent l’égoïsme social,
un Etat social faible et des pouvoirs de police accrus pour l’Etat.
Mark Rutte est caractéristique de ce point de vue. Cet homme de 43 ans a
commencé sa carrière en tant que directeur du personnel dans le groupe
Unilever, a rejoint le gouvernement Balkenende en tant que secrétaire d’Etat
en 2001 et a poussé le WD dans une direction strictement néo libérale. Le
manifeste du parti, qu’il a écrit, propage l’idée d’un
« Etat petit et compact » qui réduit au minimum les dépenses
sociales.
Pendant la campagne électorale, Rutte a fait campagne pour des coupes dans
les dépenses sociales, des droits d’inscriptions plus élevés dans les
universités, une hausse de l’âge de la retraite à 67 ans, un politique
d’immigration restrictive, plus de police, pour la construction de
centrales nucléaires supplémentaires, une réduction de la contribution de la
Hollande à l’Union européenne et une opposition de l’adhésion de la
Turquie à l’Union européenne.
Rutte en appelle ainsi à l’égoïsme des plus munis, tandis que
l’islamophobie hystérique de son ancien collègue de parti, Wilders, vise
les peurs dans la classe moyenne inférieure. Wilders fait porter la
responsabilité des maux sociaux – chômage, dette d’Etat,
criminalité – aux immigrés musulmans et par là il cherche à détourner la
colère sociale à l’encontre de ceux qui sont responsables de la crise au
sommet de la société vers les plus couches les plus pauvres et les plus opprimées.
Comme le montre des études sociologiques, il obtint surtout les voix des
classes moyennes qui se sentent menacées par la mondialisation, qui craignent
pour leur statut social et souhaitent un homme fort.
Le fait que la démagogie de Wilders ait du succès est dû en premier lieu au
rôle joué par le Parti socialiste (SP) qui, comme le Parti de la Gauche en
Allemagne et le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) en France s’est
présenté pendant longtemps comme une alternative aux sociaux-démocrates
discrédités.
Le Parti socialiste est issu en 1972 d’une organisation maoïste
insignifiante et a, à partir de la moitié des années 1990, attiré des électeurs
désaffectés de la classe moyenne qui s’étaient détournés des sociaux- démocrates.
Il est devenu un point de ralliement pour fonctionnaires syndicaux, féministes,
membres d’Attac, ex-radicaux et réformistes religieux. Il a eu son point
culminant en 2006, où il a presque triplé le nombre de ses électeurs et obtenu
25 sur 150 sièges au parlement hollandais.
Mais le Parti socialiste n’a pas de perspective indépendante. Il a agi
principalement en tant que feuille de vigne pour les syndicats, qui à leur tour
coopéraient étroitement avec le gouvernement. Tandis que ses électeurs se
radicalisaient, le Parti socialiste se rapprochait du Parti du travail social-démocrate
(PvdA) qui, au printemps de 2007, est entré dans un gouvernement de coalition
avec le parti conservateur CDA (Appel démocrate-chrétien). Au sein du Parti
socialiste il y eut une discussion ouverte sur une participation à une
coalition avec le PvdA ou même avec le CDA.
Le Parti socialiste a même rejoint la campagne contre l’Islam. Après
les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et l’assassinat du
populiste de droite Pim Fortuyn en mai 2002, le SP proposa au parlement une loi
qui rendrait obligatoire au clergé musulman de suivre un cours
d’intégration à la culture hollandaise.
Durant la dernière élection, le Parti socialiste a subi les résultats de sa
politique de droite. Il a perdu 10 de ses 25 sièges de députés. Beaucoup de ses
électeurs sont passés directement au parti droitier de Wilders, le PVV, qui a
gagné 15 sièges et est à présent avec 24 députés le troisième parti en Hollande,
derrière les libéraux droitiers (31 sièges) et le PvdA social-démocrate (30).
La réussite électorale de la droite aux Pays-Bas, tout comme en Hongrie, et
en Grande-Bretagne n’est pas l’expression d’une évolution droitière
de la société en général. L’état d’esprit de larges parties de la
classe ouvrière et des couches inférieures de la classe moyenne est de
s’opposer aux attaques. Mais cet état d’esprit ne trouve aucune
expression politique parce que les organisations sociales-démocrates, ex-communistes
et de l’ex- gauche petite-bourgeoise se font concurrence pour être aux
ordres du capital.
C’est là la source de la croissance des tendances droitières dans la
classe moyenne. Mais une telle évolution n’est en rien inévitable, comme
Léon Trotsky l’expliqua dans son analyse du fascisme allemand.
Dans un article intitulé La seule voie (1932) Trotsky écrivait « La
petite bourgeoisie est tout à fait susceptible de lier son sort à celui du
prolétariat. Pour cela, une seule chose est nécessaire : il faut que la
petite bourgeoisie soit persuadée de la capacité du prolétariat à engager la
société sur une voie nouvelle. »
Mais si elle n’acquiert pas cette foi parce que la classe ouvrière est
paralysée ou irrésolue, il y a le danger, écrivait-il, que des partis qui ont
pour objectif de mettre la petite bourgeoisie en ébullition et de diriger sa
haine et son désespoir contre le prolétariat, gagnent de
l’influence.
L’élection hollandaise est un avertissement. La société capitaliste a
atteint un tel degré de décomposition que des forces d’extrême droite
peuvent gagner à nouveau de l’influence si la classe ouvrière ne passe
pas à l’offensive et ne se débarrasse pas des menottes de
l’appareil social-démocrate et syndical et de ses appendices petits
bourgeois. Cela requiert un programme socialiste international et la construction
de nouveaux partis en tant que sections du Comité international de la Quatrième
internationale.