Les autorités québécoises — le gouvernement du
Québec, la Ville de Montréal, la police de Montréal et la Fraternité des
policiers de Montréal (association policière) — mènent une campagne de
dénigrement vicieuse contre Dany Villanueva et les autres jeunes qui étaient
avec lui lors de l’intervention policière du 9 août 2008 à Montréal.
Au cours de cette intervention, Fredy Villanueva,
18 ans, le frère de Dany Villanueva, a été abattu à bout portant par un
policier du Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Alors qu’il
jouait aux dés dans un parc avec quelques amis, deux policiers du SPVM sont
intervenus pour arrêter le groupe de jeunes pour « jeu de hasard dans un
lieu public ». Une altercation a suivi et le policier Jean-Loup Lapointe a
tiré quatre coups de feu en direction des jeunes, tuant Fredy et blessant
deux autres personnes.
Dans les heures qui ont suivi, Montréal-Nord,
quartier pauvre comptant une grande proportion d’immigrants, explosait dans
une émeute. Cette réaction presque instantanée
montre que les résidents de Montréal-Nord ont considéré cette action comme
le dernier chapitre d’une longue histoire d’harcèlement et de provocation
policière.
Depuis la mort de Fredy Villanueva, il y a eu un
effort soutenu des médias, des différents corps de police et de tout
l’establishment politique québécois pour blanchir les policiers responsables
de la mort du jeune homme et éviter de parler des lamentables conditions
sociales qui sont à la base des tensions sociales qui ont mené à la mort de
celui-ci.
Plus il est devenu clair que la cause immédiate de
la mort de Fredy Villanueva était l’agressivité et la brutalité du policier
Lapointe — et non la prétendue violence des jeunes — et plus les médias et
les avocats de la ville de Montréal et des policiers ont cherché à défendre
les actions de la police en faisant ressortir le passé criminel de certains
des jeunes présents lors de l’évènement, particulièrement celui de Dany
Villanueva.
A
u début mars, l’avocat de
la ville de Montréal, Pierre-Yves Boisvert, a déclaré, lors des audiences de
l’enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva : « La ville
va argumenter que Fredy Villanueva a été victime de son propre comportement,
de celui de son frère et de ceux de ses collègues. Tout le monde sait que
Fredy est mort en raison des balles qui l’ont atteint. Mais, quelle était la
cause ? »
Maître Boisvert a fait cette intervention durant
l’interrogatoire de l’agent Lapointe, répondant pour son client. L’avocat
d’un des jeunes présents lors de l’évènement venait de demander à Lapointe
s’il était « d’accord pour dire que Fredy Villanueva est une victime ? »
En cherchant à rejeter ainsi le blâme sur
Villanueva, Boisvert a résumé en termes clairs la ligne défendue par les
autorités : les jeunes qui avaient été interpellés par les policiers
Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte pour avoir joué aux dés sur la place
publique sont des jeunes violents, ont agi de façon violente et, donc, les
deux policiers étaient en position de légitime défense.
Le contre-interrogatoire de Dany Villanueva par
les avocats des corps policiers et de la Ville de Montréal a eu lieu vers la
fin de mars passé. Pendant six journées d’audiences, l’avocat de la ville,
maître Boisvert, n’a pas demandé une seule question à Dany Villanueva sur
les événements fatals du 9 août 2009. Plutôt, il a insisté pendant ces six
jours sur son passé criminel, allant jusqu’à déposer en preuve ses
antécédents judiciaires. Le coroner André Perreault a toléré ce
questionnement, alors qu’il avait antérieurement bloqué toute question sur
le profilage racial pratiqué par la police sous le prétexte que cela
dépassait les « causes et les circonstances » de la tragédie.
Selon ce que les médias appellent la « théorie »
de Maître Boisvert, le passé criminel de Dany Villanueva et le comportement
de celui-ci le 9 août 2008 lors de l’intervention policière serait la cause
de la mort de son propre frère.
Un article du journal Le Devoir, du 31
mars, écrivait : « Selon Me Boisvert, Dany Villanueva a cherché à s'éloigner
du policier Lapointe et il a résisté à son arrestation, ce jour-là, parce
qu'il se savait en violation d'une ordonnance de probation et parce qu'il
appréhendait le résultat d'une enquête de l'Agence des services frontaliers
à son sujet. »
La « théorie » de Maître Boisvert vole en morceaux
dès qu’on y regarde d’un peu plus près. Premièrement, Dany Villanueva n’a
pas « résisté à son arrestation ». L
es nombreux
témoignages lors de l’enquête publique du coroner montrent plutôt que c’est
le policier Lapointe qui a agi de manière agressive et brutale. Celui-ci,
ayant vu les jeunes qui jouaient aux dés dans un parc, leur a ordonné de
rester sur place et leur a dit qu’ils recevraient un constat d’infraction
(de 2004 à 2008, il y a eu pour tout Montréal un seul autre constat
d’infraction pour jeux de hasard dans un parc).
Jugeant l’attitude de Dany Villanueva
« agressive », l’agent Lapointe lui a remis un deuxième constat d’infraction
pour « bruit et tumulte ». Lapointe a alors pris le bras de Dany Villanueva
(selon ce dernier, Lapointe ne lui aurait jamais demandé de s’identifier
avant de l’arrêter, ce qui revient à une arrestation illégale) et celui-ci a
voulu dégager son bras et s’est défendu en disant qu’il n’avait rien fait.
Lapointe a alors fait un croc-en-jambe à Villanueva et les deux sont tombés
au sol. Les autres jeunes ont voulu s’interposer, dont Fredy.
C’est alors que Lapointe a dégainé quatre coups de
feu. Il ne s’est écoulé que 57 secondes entre le moment où Lapointe a quitté
son véhicule et celui où il tirait sur le groupe de jeunes hommes. Un de
ceux-ci a été tiré dans le dos, alors qu’il fuyait la scène.
Au contraire de ce qu’a dit l’agent Lapointe,
personne n’a sauté au cou de l’agent Lapointe, comme celui-ci le prétend
depuis le lendemain des événements et comme les médias l’ont répété avec
enthousiasme depuis. (Voir :
Aucune blessure ou marque au cou n’a été trouvé
sur le corps de Lapointe et celui-ci n’avait pas déclaré de blessures au cou
à l’agent de la Sûreté du Québec (police provinciale, SQ) chargé de le
photographier. De plus, la policière Pilotte, la collègue de Lapointe, a
déclaré lors de l’enquête qu’elle n’a jamais eu peur pour sa vie et qu’elle
n’a jamais pensé sortir son arme, contrairement à Lapointe qui affirme avoir
eu « peur de mourir » en étant désarmé par un des jeunes. A ce sujet,
l’enquête a révélé que même si un jeune avait tenté de désarmer le policier
Lapointe, il est pratiquement impossible qu’il y serait parvenu, l’étui où
le policier range son arme étant muni d’un dispositif de sécurité.
L’autre partie de la « théorie » de Maître
Boisvert («
parce qu'il se savait en violation d'une
ordonnance de probation et parce qu'il appréhendait le résultat d'une
enquête de l'Agence des services frontaliers à son sujet »), n’est aussi que
demi-vérités et mensonges.
Dany Villanueva, âgé maintenant de 23 ans, a déjà
fait partie d’un gang de rue vers la fin de son adolescence. Il dit l’avoir
quitté en 2006 après avoir purgé 11 mois de prison pour vol à main armée. Le
journal Le Devoir du 1er avril note : « Dany Villanueva jure qu'il a
quitté les Rouges [un gang de rue de Montréal], sans aucune difficulté, afin
d'éviter que son jeune frère Fredy suive son mauvais exemple et se retrouve
aussi derrière les barreaux. Peu avant sa sortie de prison, la famille
Villanueva a d'ailleurs déménagé à Longueuil, puis à Repentigny (en juillet
2007), afin de soustraire les deux frères à l'influence néfaste des gangs de
Montréal-Nord. »
Suite aux crimes qu’il avait commis lorsqu’il
était dans les gangs de rue, Dany Villanueva était sous ordonnance de la
Cour et il n’avait pas le droit de fréquenter des membres de gangs de rue.
Le soir du 9 août 2008, il était en compagnie de Jeffrey Sagor-Metellus qui,
selon la ville de Montréal, est membre d’un gang de rue. Lors de l’enquête,
Dany Villanueva a dit qu’à sa connaissance, Metellus n’est pas membre d’un
gang de rue. Le SPVM n’a jamais fourni de preuve que Metellus appartient à
un tel gang. Même en supposant qu’il l’était, l’agent Lapointe n’a jamais
invoqué cette prétendue violation de probation avant d’arrêter Dany.
Pour ce qui est de l’Agence des services
frontaliers du Canada ou ASFC (comme Dany Villanueva était résident
permanent et non citoyen canadien, l’ASFC a le pouvoir de le renvoyer dans
son pays natal, le Honduras, en raison du vol à main armée qu’il avait
commis), elle n’a rendu son rapport sur Dany Villanueva qu’en janvier 2010,
soit environ 44 mois après la condamnation de Villanueva pour vol à main
armée et environ 17 mois après les évènements d’août 2008.
Selon Maître Handfield, l’avocat de Villanueva
dans cette affaire : « Après une condamnation, cela prend d'habitude entre
huit et douze mois avant qu'un rapport de l'Agence soit déposé. Ici, ça a
pris quatre ans. Est-ce que l'enquête du coroner a joué? Ce n'est pas à moi
de le dire, mais probablement ».
Il est fort probable que les évènements du 9 août
2008 et la campagne diffamatoire contre Villanueva ait provoqué des
discussions politiques aux plus hauts niveaux et ait retardé le dépôt du
rapport par l’AFSC tout en changeant les conclusions de l’agence. De plus,
le dépôt du rapport sur Villanueva en janvier 2010 a permis à l’ASFC
d’intenter des procédures d’expulsion qui ont culminé avec le verdict d’un
commissaire à l’immigration en avril 2010, au même moment où Dany Villanueva
était sous les feux de la rampe dans le cadre de l’enquête du coroner. Le
commissaire à l’immigration a alors tranché en faveur de l’expulsion de Dany
Villanueva pour cause de « grande criminalité ». L’avocat de Villanueva a
déposé un avis pour contester le renvoi.
Lors de la dernière journée d’audience de Dany
Villanueva, Maître Boisvert, de façon arrogante, ne s’est pas gêné pour se
moquer du fait que Dany Villanueva ne souhaite pas retourner dans son pays
natal. Le journal La Presse du 6 mai écrit : « L'avocat a lancé que
le jeune homme a tellement l'habitude de se « mettre dans le trouble »
qu'« on veut le renvoyer au Honduras ». « C'est certainement un beau pays,
mais lui n'a peut-être pas envie d'y aller », a-t-il dit sur un ton
sarcastique.
Quant au policier Jean-Loup Lapointe, il a fait
plus que sa part pour aider les médias et ses avocats dans leur campagne
diffamatoire. Confiant que l’establishment est derrière lui, il a révélé
durant l’enquête publique que, depuis le 8 octobre 2008, il a demandé et
obtenu le droit de porter une arme en tout temps sur lui en raison de
menaces qui, selon le policier en question, lui auraient été proférées. Au
même moment que son arme lui a été remise, le policier Lapointe était sous
enquête de la SQ relativement à son intervention policière où il avait tiré
sur les jeunes. L’enquête de la SQ s’était avérée être complètement bidon,
la SQ n’ayant même pas respecté ses propres règles de fonctionnement (Voir :
Pendant les audiences de l’enquête publique, en
plus d’être armé, Lapointe, tout comme sa coéquipière Pilotte, est escorté
par trois agents en civil qui sont aussi armés. Il y a en plus trois
constables spéciaux à l’intérieur de la salle d’audience et trois à
l’extérieur, tous armés. À l’opposé,
tous les
participants à l'enquête, à l'exception des avocats et des policiers,
doivent être fouillés et doivent passer au détecteur de métal avant de
pouvoir entrer dans l’immeuble.
Lorsque Maître Boisvert a dit que la Ville de
Montréal allait argumenter que Fredy Villanueva a été victime de son propre
comportement, la mère de Fredy est sortie de la salle d’audience en pleurant
et en hurlant « Fredy, mon fils ! ». Les agents qui escortent Lapointe et
Pilotte les ont froidement sortis de la salle, comme s’il y avait une menace
à leur sécurité.
Ces manœuvres et ces dispositifs de sécurité, tout
comme les propos des avocats des policiers et de la ville de Montréal,
repris à grand renfort médiatique, sur les liens entre les gens de
l’entourage de Fredy Villanueva et les milieux criminels, cherchent à
laisser entendre que ces jeunes sont violents et que le policier Lapointe
avait raison de craindre pour sa vie et donc de dégainer quatre coups de feu
et d’abattre le jeune Fredy.
L’enquête publique du coroner, déclenchée par le
gouvernement libéral de Jean Charest pour calmer la colère populaire après
les émeutes qui avaient suivi la mort de Fredy Villanueva, avait été
boycottée au début par les familles des victimes et d’autres groupes
participants à l’enquête. Ceux-ci jugeaient que l’enquête était partiale,
les frais d’avocats étant initialement payés par le gouvernement uniquement
pour les policiers et les causes sociales plus larges ayant mené à la mort
du jeune homme n’étant pas abordées.
Avec la campagne diffamatoire contre Dany
Villanueva et les autres jeunes victimes, l’enquête se révèle maintenant
pour ce qu’elle est vraiment : la poursuite des efforts de l’élite
dirigeante pour blanchir les policiers responsables de la mort du jeune
homme. C’est un sérieux avertissement aux travailleurs que la classe
dirigeante ne reculera devant rien, y compris la brutalité policière, pour
imposer les terribles conditions sociales d’un système capitaliste en
faillite.