Suite à la crise financière qui a commencé en 2008, les principales
nations et blocs de nations capitalistes se servent de formes de plus en
plus agressives de protectionnisme pour faire avancer leurs intérêts.
La question du protectionnisme s’est manifestée brusquement cette semaine
lorsque la société aéronautique EADS a annoncé qu’elle retirait son offre
d’une compétition pour un contrat de 35 milliards de dollars en vue de la
construction de 179 avions de ravitaillement de l’armée américaine.
Des hommes politiques en colère à Berlin et Paris ont accusé
l’administration américaine de protectionnisme en faveur de Boeing, le plus
important fabriquant d’avions militaires des Etats-Unis. Un dirigeant du
parti libéral allemand FDP, qui fait partie de la coalition au gouvernement
en Allemagne, a appelé son gouvernement à « faire pression sur les
Etats-Unis pour qu’ils mettent fin à leurs tendances protectionnistes ».
D’autres ont été plus directs encore. Joachim Pfeiffer de l’Union
chrétienne sociale (CDU) un autre parti de la coalition, dit avec colère :
« Ceci est un acte scandaleux et inacceptable. Il faut faire de cela un
problème politique avec les Etats-Unis. »
Garrelt Duin, du Parti social-démocrate SPD, parti d’opposition, déclara
: « C’est là un tour de passe- passe de la part des amerlos… Les américains
ne parlent de libre concurrence que quand elle les arrange. On ne peut pas
simplement changer les règles du jeu parce qu’on n’aime pas le gagnant. »
Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères français a envoyé une
lettre menaçante aux Etats-Unis mardi, avertissant de ce que l’Europe allait
« considérer les implications » de la prise de décision du Pentagone en
faveur de Boeing et au détriment du consortium européen EADS.
Il n’y a pas de doute quant à l’usage de mesures protectionnistes de la
part de l’administration américaine. Elles ont été une des caractéristiques
de l’administration dirigée par Barak Obama, et il eut en cela le soutien de
ses alliés de la bureaucratie syndicale. Mais les plaintes faites par les
hommes politiques européens sont tout à fait hypocrites.
Un certain nombre de commentaires des médias ont montré que les Etats
Unis, l’Europe et certaines nations individuelles au sein de l’Union
européenne ont, pendant de nombreuses années, défendu jalousement les
intérêts de leur propre industrie d’armement. Il y a seulement quelques
jours, certains pays européens ont approuvé le déblocage de 3,5 milliards
d’Euros afin de permettre à EADS d’achever la construction de son avion de
transport militaire, l’A400M.
Le quotidien allemand Handelsblatt écrivit : « Le marché commun
transatlantique de défense n’est guère qu’une illusion… En fait l’Europe n’a
pas réellement un marché de la défense ouvert….les Allemands, les
Britanniques et les Français protègent fortement leurs industries
domestiques de la défense, empêchant les processus d’appels d’offres publics
et les fusions. »
Les divergences entre les partenaires transatlantiques ne se limitent pas
aux contrats militaires.
Une autre fracture qui va s’élargissant est apparue cette semaine avec
l’annonce par des hommes politiques de premier plan en Allemagne et en
France qu’ils étaient en faveur de l’instauration d’un Fonds monétaire
européen. Sur fond de crise de l’endettement en Europe, le ministre allemand
des Finances, Wolfgang Schäuble, a appelé à la constitution d’un tel Fonds,
ajoutant vite que ce ne serait pas un rival du Fonds monétaire
international, dominé par les Etats-Unis. Mais tout le monde a bien compris
que c’est précisément cela que représentera un Fonds monétaire européen. Un
commentaire paru dans le Financial Times résume les sentiments des
cercles politiques européens à ce point de vue: « L’idée de Washington
renflouant un pays de la zone euro est intolérable »
Le projet d’un tel Fonds européen en est au stade du développement et il
y a des hommes politiques et des intérêts influents en Europe qui y sont
opposés, mais les conceptions derrière le projet sont claires. Les nations
européennes dirigeantes, Allemagne en tête, veulent avoir les mêmes pouvoirs
permettant de passer outre à la souveraineté nationale de pays individuels
et d’imposer des programmes d’austérité drastiques que ceux dont dispose le
FMI – sans ingérence de la part des Etats-Unis.
Ce sont de semblables considérations qui sous-tendent la récente annonce
par les gouvernements allemands et français qu’ils envisageaient des mesures
destinées à empêcher diverses formes de spéculation, tels que les
« couvertures de défaillance » et la « vente à découvert » contre les
monnaies et les obligations d’Etat. Les objections soulevées par les
capitales européennes à de telles formes de spéculation ne sont pas fondées
sur une quelconque opposition de principe. Les gouvernements allemands et
français sont tout à fait disposés à fournir des centaines de milliards
d’euros à leurs banques respectives pour éponger des pertes résultant de
telles pratiques. Leur principal souci est ici la prédominance des banques
américaines dans ce domaine et la capacité de celles-ci à causer des ravages
pour l’euro. Ils ont tiré la conclusion qu’une législation minimale pouvait
contribuer à empêcher que les intérêts financiers américains n’interviennent
à tort dans les affaires financières de l’Europe.
La guerre des paroles au sujet du contrat manqué d’EADS et les tensions à
propos de la manipulation des marchés européens par Wall Street ne sont que
les plus récents parmi une suite de conflits politiques et économiques
importants entre l’Europe et son plus important partenaire économique, les
Etats-Unis.
Au début du mois de février, les cercles politiques européens se sont
montrés consternés par l’annonce par le Département d’Etat que le président
Obama ne particperait pas à un sommet important de l’Union européenne prévu
à Madrid au mois de mai prochain.
Le 11 février, le parlement européen a voté contre un accord de transfert
de données bancaires vers les Etats-Unis via le réseau Swift et qui aurait
permis aux organismes de sécurité américains d’accéder aux données bancaires
européennes. Les responsables américains ont été choqués de cette décision.
On pourrait étendre le contentieux entre les partenaires transatlantiques
et y inclure la guerre en Afghanistan, la politique de l’environnement et la
réponse des Etats-Unis au tremblement de terre en Haïti.
D’autres conflits s’annoncent dans le domaine de la politique
commerciale. L’Europe se prépare actuellement à signer un certain nombre
d’accords commerciaux avec les pays asiatiques. Le commissaire européen au
commerce résuma récemment la stratégie européenne en déplorant le fait que
l’Europe avait été incapable de transformer son pouvoir économique en
influence politique. Il énonça ainsi les priorités de l’Europe pour l’avenir
proche : « l’Inde, le Canada, l’Ukraine, l’Amérique Latine, la zone
méditerranéenne ont de grandes chances de dominer notre calendrier sur les
deux prochaines années….avec des discussions avec Singapour et le
renouvellement de nos relations commerciales avec la Chine ».
La même course aux marchés et aux matières premières est menée par le
grand patronat américain. Une confrontation de grande envergure entre les
intérêts européens et américains est inévitable.
Pendant plus de cinq décennies suivant la seconde Guerre mondiale, un
partenariat résolu entre les Etats Unis et l’Europe, sur la base d’une
Amérique forte et d’une Europe faible a constitué le soubassement d’une
relative stabilité de l’occident. Ce partenariat se défait rapidement. La
locomotive industrielle américaine de l’après-guerre est depuis longtemps en
déclin et l’Europe, sous la direction de l’Allemagne et de la France, fait
de plus en plus jouer son muscle politique et militaire.
Le protectionnisme et la guerre commerciale constituent invariablement la
réponse des principales puissances capitalistes à l’approfondissement de la
crise. Ceux qui mènent la claque pour une telle politique ce sont les
syndicats et les bureaucraties sociales-démocrates. Leur promotion du
nationalisme économique est inséparable de leur soutien aux mesures
d’austérité brutales prises contre la classe ouvrière par leurs
gouvernements respectifs.
Les fractures qui ont conduit à deux guerres mondiales au cours du siècle
dernier sont toujours là. Le seul moyen d’empêcher la guerre commerciale de
se changer une fois de plus en conflit armé entre nations est une
mobilisation et une unification indépendantes de la classe ouvrière sur la
base d’une perspective internationaliste.