Merkel et Sarkozy se sont mis
d’accord sur trois propositions visant à démontrer ce qu’ils ont
déclaré être leur « volonté absolue de défendre l’euro ». Toutefois,
ils n’ont pas été au-delà de mesures discutées antérieurement
et auxquelles les experts donnent peu de chance de se concrétiser.
En première place se trouve
la création d’un « gouvernement économique européen » pour mieux
coordonner la politique économique et financière des 17 pays de la
zone euro. Merkel et Sarkozy ont proposé que les dirigeants des gouvernements
de la zone euro se réunissent à cet effet deux fois par an sous la
présidence du président du Conseil de l’Union européenne, Herman
Van Rompuy.
Un tel gouvernement économique
avait été annoncé précédemment en février de cette année lors
d’un sommet extraordinaire de l’UE et cette annonce n’avait pas
réussi à endiguer la crise de l’euro. Du fait d’une initiative
franco-allemande conjointe, Van Rompuy avait alors été chargé d’élaborer
un « un pacte pour l’euro, » qui a été adopté en mars lors d’une
deuxième réunion spéciale.
Le pacte engage les pays de
la zone euro à coopérer plus étroitement sur les questions financières,
pour limiter la dette publique [la règle d’or] et pour accepter des
objectifs communs concernant les salaires, les retraites et les impôts.
En contrepartie, le gouvernement allemand est d’accord pour accepter
une augmentation du fonds européen de secours et l’instauration d’un
mécanisme de sauvetage permanent de l’euro.
Au printemps dernier, Merkel
et Sarkozy avaient déjà proclamé, comme maintenant à Paris, que
« 2011 doit être l’année de la confiance retrouvée dans l’euro. »
Ils ont fait la même promesse en recourant presque au même langage
à leur sommet de mardi. Ce qui différencie les nouvelles propositions
des propositions précédentes n'apparaît pas clairement.
La deuxième proposition faite
cette semaine par Merkel et Sarkozy n’est pas non plus nouvelle. D’ici
2012, tous les 17 pays de la zone euro doivent inscrire dans leur constitution
une « règle d’or » sur l’équilibre des comptes publics, conformément
au modèle allemand. Ceci est censé garantir que tous les pays respectent
strictement les mesures d’austérité, indépendamment des résultats
électoraux ou de changements de gouvernement.
Etant donné que dans la plupart
des pays un amendement constitutionnel requiert une majorité des deux
tiers, il y a peu de chance que cette proposition soit promulguée même
si tous les gouvernements devaient l’accepter, ce qui est loin d’être
certain. En France, Sarkozy ne dispose pas de la majorité nécessaire
à une telle décision.
Même la troisième proposition
de Merkel et de Sarkozy – l'imposition des opérations financières
– n’a selon les experts aucune chance d’être concrétisée. Une
telle taxe ne serait efficace que si le Royaume-Uni et les Etats-Unis
faisaient de même mais ils refusent ce procédé. La proposition vise
à attirer des forces supposées de « gauche » qui exigent depuis longtemps
une telle « taxe Tobin. »
La réaction des experts allemands
des médias et de la finance à ce sommet oscille fortement entre la
déception et la moquerie. « Des grands mots, de petits actes » a écrit
Spiegel Online. « Une mini-réforme pour l’Europe, » a déclaré
le journal économique Handelsblatt.
La banque allemande Commerzbank
a dit en parlant de l’issue du sommet, « On s’attendait à ces résultats,
mais ils ne devraient que difficilement fournir un vent favorable à
l’euro. » Les marchés boursiers européens ont ouvert mercredi dans
le rouge, mais ont légèrement repris des couleurs durant la journée.
Merkel, Sarkozy et les autres
dirigeants européens ont perdu le contrôle de la crise qui a débuté
en 2007 sur le marché américain des subprime (prêts hypothécaires)
pour se répandre en 2008 aux banques et s’attarder à présent sur
la dette gouvernementale européenne. Les renflouements des banques
à hauteur de plusieurs milliers de milliards d’euros se sont avérés
incapables de surmonter la crise tout comme les drastiques plans d’austérité
auxquels ont dû se soumettre la Grèce, l’Irlande, le Portugal et
les autres pays lourdement endettés.
Depuis que Merkel et Sarkozy
ont annoncé en février leur « Pacte pour l’euro », qui était censé
sauver la monnaie commune, des sommets ont eu lieu à un rythme bimensuel
au niveau bilatéral, européen et international. En dépit de tout
cela, la crise de la dette des pays plus petits à la périphérie de
la zone euro s’est propagée à l’Espagne, l’Italie et menace
maintenant la France. Entre-temps, la croissance économique en Europe
et en Allemagne s’est effondrée, ce qui aggrave davantage encore
la crise de la dette.
La panique de ces deux dernières
semaines sur le marché boursier a été alimentée par des rumeurs,
entre autres que la notation des obligations du gouvernement français
pourrait être abaissée et que la première banque française, la Société
générale, connaissait des difficultés de paiement. Le président
Sarkozy a invité la chancelière allemande à participer au sommet
de crise dans le but d’apaiser les marchés. Mais, le résultat de
la réunion signifie que la prochaine crise ne tardera pas à venir.
Malgré les maigres résultats,
la réunion entre Merkel et Sarkozy a été plus qu’une opération
de relations publiques ratée. Tous deux ont fait savoir aux marchés
financiers leur volonté de faire passer davantage de plans d’austérité
et l’instauration d’une espèce de dictature financière européenne.
Il leur faut tout juste plus de temps.
Même avant la rencontre, il
apparaissait clairement qu'on ne peut sauvegarder l’euro, et avec
lui l’Union européenne, si l’Allemagne ne met pas davantage la
main à la poche pour satisfaire les banques créancières. Jusqu’à
présent, le gouvernement allemand a toujours insisté pour dire que
chaque pays était responsable de ses propres dettes et a associé son
soutien pour le fonds de sauvetage de l’euro à de dures conditions.
Ce cap se révèle difficile
à garder après que les mesures d’austérité imposées à la Grèce
et à d’autres pays lourdement endettés les ont plongés dans une
récession profonde, et maintenant l’Espagne, l’Italie et la France
doivent payer des intérêts de plus en plus élevés sur leurs dettes.
En conséquence, un débat virulent s’est déclenché en Allemagne
sur la question de savoir combien d’argent doit être levé pour défendre
l’euro.
Bien que les économistes s’accordent
à dire qu’un échec de l’euro plongerait l’économie de l’Allemagne,
qui est fortement tributaire des exportations, dans une crise désastreuse,
le Parti libéral démocrate (Freie Demokratische Partei, FDP) et d’autres
membres de la coalition gouvernementale de Merkel rejettent catégoriquement
l’émission de soi-disant euro-bonds. D’autres membres de la coalition
gouvernementale, et notamment l’opposition, le Parti social-démocrate
(Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) et les Verts, considèrent
que c’est le seul moyen de sauver l’euro.
De tels euro-bonds réduiraient
considérablement le fardeau des intérêts des pays lourdement endettés
tandis que l’Allemagne et d’autres pays auraient à payer des taux
d’intérêt plus élevés.
Juste avant le sommet, des
signaux étaient émis par le gouvernement allemand qu’il ne s’opposerait
plus catégoriquement à la question des euro-bonds. Actuellement, toutefois,
Merkel n’est pas en mesure de prendre une telle décision sans compromettre
sa majorité gouvernementale.
Quant à Sarkozy, par considération
pour la situation difficile de Merkel, il ne s’est pas prononcé publiquement
en faveur des euro-bonds. Il a laissé le soin à des membres subalternes
de son gouvernement de relayer les commentaires appropriés à la presse.
A la fin du sommet, il a dit, « Les euro-bonds pourraient être imaginés
à la fin du processus d’intégration européenne, pas au début. »
L’Allemagne attache des conditions
extrêmement dures à toute approbation des euro-bonds. Les pays qui
souhaitent utiliser de telles obligations pour financer les dépenses
gouvernementales auraient à soumettre leur politique financière, fiscale
et relative au marché du travail aux dictats des institutions européennes
qui – tout comme la Banque centrale européenne – sont soi-disant
« indépendantes », c’est-à-dire non soumises à un contrôle démocratique.
Ce processus consistant à
mettre fin à toute responsabilité des gouvernements devant la volonté
du peuple est déjà bien avancé. « Le cancer du mépris des élites
européennes pour la responsabilité parlementaire, pour le principe
de gouvernement responsable vieux de près de deux cents ans, est en
train de se métastaser au fur et à mesure que s’aggrave la crise
de la zone euro, » écrit le quotidien britannique Observer.
Les propositions que Merkel
et Sarkozy ont présentées à Paris progressent davantage dans cette
direction. Le « gouvernement économique » qu’ils préconisent n’a
qu’une forme vague, mais va clairement dans le sens d’une dictature
des intérêts financiers européens les plus puissants exercée sur
l’ensemble des aspects de la vie sociale. Les budgets équilibrés
qu’ils exigent signifient l’aliénation des parlements qui perdraient
leur pouvoir le plus important – celui de décider des dépenses et
des recettes de l’Etat.