Le 9 avril, les travailleurs du grand hypermarché du géant
français de la distribution Carrefour ont fait grève pendant 24 heures contre
les bas salaires, les réductions d’emplois et les mauvaises conditions de
travail.
Les travailleurs ont massivement participé à la grève
partout en France. Les syndicats ont affirmé que le mouvement avait été sans
précédent. Selon les indications fournies, quelque 150 magasins Carrefour sur
200, et qui emploient 65.000 employés, ont été touchés par la grève.
Des reportages ont fait état d’appels à la grève
pour des augmentations de salaire dans d’autres industries, dont les
constructeurs automobile Renault et GM ainsi que le groupe d’électronique
de défense Thales.
La grande majorité des travailleurs chez Carrefour gagne
le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), qui est
actuellement de 9 euros ($12.96) de l’heure. En mars, Carrefour a annoncé
que ses bénéfices avaient augmenté de 11 pour cent en 2010 (382 millions
d’euros).
La grève est survenue au milieu d’une opposition
grandissante contre les projets du directeur général, Lars Olofsson,
d’attaquer les travailleurs de Carrefour, notamment par une réduction des
coûts de 2,1 milliards d’euros. Ces projets prévoient « la
suppression des chefs de rayon et l’organisation du travail en quatre
équipes. La mise en rayons commencera ainsi à 2 heures du matin et non plus à 4
heures. »
L’application de ce plan, annoncé au milieu de 2009,
doit s'achever fin 2012. Carrefour a licencié 10.000 employés au cours des cinq
dernières années.
La grève a été appelée par les syndicats suivants: la
FGTA-FO (Fédération générale des travailleurs de l’agriculture, de
l’alimentation, des tabacs et des services annexes) qui représentent la
plupart des travailleurs chez Carrefour, la CGT (Confédération générale du
travail), la CFDT (Confédération française démocratique du travail) et la CGC
(Confédération générale des cadres).
Selon les syndicats, de nombreux magasins ont fait état de
85 à 100 pour cent de travailleurs en grève. Le secrétaire de la FGTA-FO a dit,
« Plus d’une trentaine de site auraient été totalement bloqués, les
salariés empêchant les accès des grandes surfaces. Même quand celles-ci
n’ont pas été totalement bloquées, le taux de grévistes a varié entre 30
pour cent à 85 pour cent. » Il a ajouté que les magasins dans le Nord, en
Bretagne et dans le centre du pays ont été les plus touchés.
Selon les correspondants de l’AFP, « Les
grévistes ont parfois érigé des barrages de charriots pour entraver
l’accès aux magasins, ou aux parkings, laissant passer les seuls piétons
auxquels ils distribuaient des tracts. »
Le Parisien a
rapporté qu’à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, « Une centaine
de salariés ont manifesté devant l’établissement, prévenant les clients
qu’ils s’exposaient à une longue attente aux caisses tenues par les
cadres. »
La vaste participation des travailleurs à la grève de 24
heures souligne la colère grandissante de la classe ouvrière face à la
dégradation des conditions de vie, des coupes sociales brutales qui sont
imposées aux travailleurs partout en Europe et la hausse du coût de la vie.
Selon l’Institut national de la statistique Insee,
les prix à la consommation ont augmenté de 0,9 pour cent en France en mars par
rapport à février et de 2,2 pour cent sur un an en raison de
l’augmentation des prix des produits pétroliers et alimentaires. Au cours
des douze derniers mois, les prix des produits de base ont nettement augmenté,
dont une hausse de 0,8 pour cent du prix des denrées alimentaires, une
augmentation de 15,3 pour cent de l’énergie et le prix du carburant
continue d’augmenter, soit une augmentation de 17,4 pour cent. L’on
indique que les prix du carburant pourraient atteindre 2 euros le litre.
La forte hausse du prix des produits de première nécessité
touche des millions de travailleurs face à la stagnation des salaires. En
conséquence, le pouvoir d’achat des travailleurs continue de se dégrader.
Les travailleurs participant à la journée d’action
ont exprimé leur colère quant aux bas salaires et aux mauvaises conditions de
travail. David, salarié qui a 15 ans d’expérience et qui s’occupe
de la mise en rayon des produits pour Carrefour, à dit au Parisien,
« Je gagne 1100 euros net pour 35 heures de travail par semaine. Mon ami
ne travaille pas. Quand nous avons payé le loyer de 500 euros et les charges,
il ne nous reste rien. »
Le 13 avril, Carrefour a rencontré les syndicats pour
reprendre les négociations salariales. Les syndicats ont déclaré qu’ils
étaient satisfaits des mesures prises. Après cette réunion avec les syndicats,
Jean-Luc Masset, le directeur des ressources humaines de Carrefour, a promis
« augmentation des salaires de 2 pour cent au 1er mars, une
prime exceptionnelle de 200 euros nets, et une remise de 10 pour cent sur les
achats dans l’enseigne (contre 7 pour cent aujourd’hui). »
Ces mesures sont, toutefois, une bien maigre concession
destinée à désamorcer provisoirement la colère des travailleurs. Une
augmentation de salaire de 2 pour cent – face à la progression de
l’inflation et des coupes dures dans les dépenses sociales du président
Nicolas Sarkozy – ne contribuera en rien à faire sortir les travailleurs
d’une situation où ils tentent en permanence de joindre les deux bouts.
Ayant reconnu l’énorme soutien existant au sein de
la classe ouvrière pour lutter contre les coupes sociales et les bas salaires,
les syndicats ont immédiatement arrêté la grève chez Carrefour. Ils sont
conscients de la montée des luttes de masse partout dans le monde, notamment
des soulèvements de masse en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ils se
souviennent de la grève du secteur pétrolier de l’année dernière qui
avait bénéficié d’un soutien populaire massif bien que les syndicats
aient insisté pour qu’il n’y ait qu’une résistance
« symbolique » contre l’intervention de la police pour briser
la grève.
Justifiant l’acceptation des propositions de
Carrefour, le représentant de la CFDT, Serge Corfa, a dit, « Certains ont
arrêté la grève après quelques heures. C’était prévu, le but
n’étant pas de faire perdre excessivement d’argent à
l’entreprise, mais de montrer le malaise profond des salariés. »
Ceci révèle au grand jour la perspective en faillite des
syndicats : ils ne veulent pas lutter contre le patronat et l’establishment
politique. Incapables de défendre même les intérêts les plus fondamentaux de la
classe ouvrière, ils ont négocié avec le président Nicolas Sarkozy des coupes sociales
profondes et trahi les grèves répétées contre ces coupes sociales.
La déclaration de Corfa mérite une analyse plus
approfondie: quel était l’objectif d’appeler à la grève s’il
n’y avait aucune intention d’exercer une pression financière sur
l’entreprise ? Elle a permis à la direction de mesurer et de
désamorcer le mécontentement social des travailleurs, comme l’a remarqué
Corfa. Dans des conditions notamment où les travailleurs ne tireront aucun
bénéfice substantiel à long terme de la grève, le rôle joué par les syndicats
devient tout à fait clair.
Ils ont appelé à cette grève de 24 heures pour contrôler
et désamorcer le mécontentement des travailleurs dans la situation d’une
crise sociale et économique croissante, en France et internationalement. Cette
grève coïncide aussi avec un nouveau déclin de la popularité du gouvernement et
des protestations de masse grandissantes au Moyen Orient et aux Etats-Unis. De
plus, ils ont appelé à cette grève au moment où la France est engagée dans une
guerre contre la Libye afin de promouvoir ses intérêts impérialistes en Afrique
du Nord.
Pour les travailleurs, toute véritable lutte pour la
défense des emplois, pour des salaires décents et les besoins sociaux requiert
une rupture politique avec les syndicats et leurs partisans au sein des partis
soi-disant de gauche tels le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) qui sont les
laquais de l’élite dirigeante française. Contre l'offensive capitaliste,
la classe ouvrière doit adopter une stratégie internationale: la construction
de ses propres organisations indépendantes, une lutte fondée sur une
perspective socialiste révolutionnaire pour le renversement de la bourgeoisie
et l’établissement d’un gouvernement ouvrier.
Dans le contexte actuel, toute lutte réelle mènerait à une
confrontation politique sérieuse avec le gouvernement Sarkozy – qui, au
nom des marchés financiers et du patronat, est engagé dans une offensive contre
les travailleurs – et ses alliés dans la bureaucratie syndicale.
C’est précisément pour cette raison que les syndicats ont interrompu la
grève chez Carrefour.