L’annonce faite par l’agence de notation
Standard and Poor’s qu’elle avait abaissé sa perspective de la
dette américaine à « négative » a fait frémir les marchés financiers
mondiaux. La décision signifie qu’il y a à présent une chance sur trois
que la dette américaine même soit dégradée au cours des deux prochaines années
– un événement qui est sans précédent.
Mais ce qui est remis en question
par la décision de S&P c’est plus que l’état de
l’économie et des finances du gouvernement américains. Avec la dette
américaine, considérée comme étant la plus sûre du monde, toute dégradation
signifie que le rôle du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale sera
sérieusement compromis sinon complètement abandonné.
En réaction à la décision et au manque de confiance
grandissant dans les monnaies papier, le prix de l’or a franchi un
nouveau record en grimpant à plus de 1.500 dollars l’once.
Au cours de la dernière décennie, le rôle du dollar comme
pivot du système financier mondial a de plus en plus fait l’objet
d’un examen minutieux, au fur et à mesure de l’augmentation de la
dette américaine et du creusement du déficit de la balance des paiements, en
nécessitant des flux de capitaux de plus importants du reste du monde,
notamment en provenance de la Chine. Mais, tant que l’économie mondiale
continuait de croître, ces inquiétudes étaient quelque peu passées inaperçues.
Les choses ont commencé à changer avec le déclenchement de la crise financière
en 2008 qui a révélé au grand jour la décrépitude – pour ne pas parler de
la criminalité avérée – existant au cœur du système financier
américain.
L’inquiétude au sujet du rôle du dollar américain
est attisée par le fait que, loin d’être résolue, la crise financière
mondiale qui avait débuté y a deux ans et demi avec l’effondrement de
Lehman Brothers a tout simplement subi une mutation.
Le week-end dernier, le financier milliardaire, George
Soros, a mis en garde que la présente situation était plus déconcertante et
moins prévisible qu’elle ne l’était au plus fort de la crise
financière. « Il existe certainement un nombre de situations intenables et
qui persistent néanmoins et les autorités n’essaient pas nécessairement
de les résoudre mais tentent simplement de gagner du temps. Nous nous trouvons
dans cette situation sans être confrontés à un effondrement immédiat ou à une
solution immédiate. »
Suite à la décision de S&P, Maurice Newman,
l’ancien président de la bourse australienne, Australian Securities Exchange
(ASX), a prévenu que l’économie mondiale vit au-dessus de ses moyens et
va vers un choc cataclysmique dans les huit prochaines huit années.
« Près de trois ans après la crise financière
mondiale, l’économie mondiale est toujours en réanimation malgré les
milliards de dollars de relance budgétaire et d’assouplissement
monétaire, » a-il-dit lors d’un récent déjeuner d’affaires. La
volatilité des marchés financiers « créera une crise » menant à
« une dislocation à grande échelle des marchés commerciaux et
financiers. » Il a prédit que la crise entraînerait la fin du rôle joué
par le dollar américain comme monnaie de réserve mondiale.
Des initiatives allant dans cette direction sont déjà en
cours.
La semaine passée, lors du troisième sommet du groupe BRICS
– Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, un communiqué a
été publié déclarant que la crise financière mondiale avait « révélé les
insuffisances et les déficiences de l’actuel système monétaire
international » et a appelé à une réforme se fondant sur « un système
de monnaie de réserve international élargi pour garantir la stabilité et la
sûreté. »
Le communiqué a indiqué les principales raisons de
l’actuelle détérioration : la contradiction inhérente à la dualité
du rôle du dollar américain – à la fois comme monnaie nationale et comme
monnaie mondiale. Afin de soutenir le système financier américain en couvrant
ses pertes à hauteur de milliards de dollars – tout comme le renforcement
de la position des banques américaines alors qu’elles luttent pour des
parts de marché – la Réserve fédérale américaine a mis à la disposition
des centaines de milliards de dollars en crédits bon marché par le biais de son
soi-disant programme d’assouplissement quantitatif.
Ceci a toutefois créé des problèmes majeurs pour
d’autres économies. De l’argent a afflué dans leur système
financier, entraînant une inflation sur les denrées alimentaires et autres
produits tout en créant des bulles spéculatives touchant des actifs, notamment
des biens immobiliers.
Le communiqué du BRICS a appelé à ce que « une plus
grande attention » soit accordée aux « risques de l’afflux de
capitaux massifs transfrontaliers auxquels sont confrontées les économies
émergentes » en mettant en garde qu’une « volatilité
excessive » des prix des produits représentait un risque pour la reprise
économique mondiale.
L’appel du groupe BRICS pour un nouveau système
international de monnaie de réserve n’est pas seulement une réaction au
processus mis en branle par la crise financière mondiale, il reflète aussi des
développements à long terme, notamment le changement dans les positions
relatives des Etats-Unis et des soi-disant puissances émergentes au sein de
l’économie mondiale.
Durant la première décennie du vingt-et unième siècle, les
pays du BRICS auraient atteint en moyenne une croissance annuelle de plus de 8
pour cent contre à peine 2,6 pour cent pour les pays industrialisés. La récente
annonce que la Chine a remplacé les Etats-Unis comme première économie
manufacturière est symptomatique de ce changement. La part de l’économie
mondiale du groupe BRICS est passée de 17,7 pour cent au début de la décennie à
24,2 pour cent en 2009 alors qu’en termes de croissance additionnelle
mondiale, la part du groupe BRICS a grimpé de quasiment zéro en 1999 à plus de 60
pour cent l’année dernière.
Le groupe BRICS réclame une nouvelle monnaie de réserve
internationale en rappelant les propositions faites par l’économiste
britannique John Maynard Keynes lors des discussions aboutissant aux accords de
Bretton Woods de 1944. Keynes préconisait un système financier fondé sur une
monnaie internationale, le « bancor », et pas une monnaie nationale
spéciale. Les Etats-Unis avaient toutefois utilisé leur dominance économique
pour rejeter cette proposition et le dollar américain était devenu la monnaie
mondiale. Le système s'ancrait sur une décision selon laquelle le dollar
américain serait rattaché à l’or au prix de 35 dollars l’once.
Le nouveau système n’était pas une solution
permanente. Au fur et à mesure que le commerce mondial s’étendait et que
les investissements étrangers américains ainsi que les dépenses militaires à
l’étranger croissaient, la masse des dollars en circulation sur les
marchés internationaux dépassaient de loin les réserves en or détenues par les
Etats-Unis. En août 1971, le président américain Richard Nixon supprima la
garantie or du dollar américain.
Durant les 40 dernières années, le système financier
international a néanmoins fonctionné avec le dollar américain comme monnaie
mondiale. Cela ne fut possible qu’en raison de la relative supériorité
économique des Etats-Unis par rapport à leurs rivaux. Mais, la supériorité a à
présent été minée et le système financier international repose sur la monnaie
de l’un des plus gros débiteurs du monde.
Toutefois, le dollar ne sera pas remplacé par une
quelconque forme de nouvelle monnaie conçue par le groupe BRICS ou tout autre
regroupement de puissances capitalistes. Au contraire, les tempêtes et les
crises financières actuelles résulteront, tout comme dans les années 1930, en
une fragmentation croissante de l’économie mondiale en monnaies
nationales rivales et en blocs commerciaux. Comme jadis, la conséquence de ces
divisions sera une exacerbation des conflits économiques et politiques et qui
conduiront finalement à la guerre.
Le seul moyen d’empêcher une telle catastrophe
mondiale est de développer un mouvement politique international de la classe
ouvrière fondé sur un programme révolutionnaire pour le renversement de
l’ordre capitaliste dépassé et de ses « grandes puissances »
rivales, dans le but d’utiliser rationnellement les forces productrices
mondiales dans le cadre d’une économie socialiste internationale
consciemment planifiée.