Seulement quelques heures après que 3800
agents de réservation et du service à la clientèle d’Air Canada ont
débrayé pour s’opposer aux demandes patronales exigeant des concessions
radicales, le gouvernement conservateur du Canada a signalé qu’il allait
introduire une loi dès jeudi afin de rendre illégal et de criminaliser le
mouvement de revendication.
S'adressant à la Chambre des communes
mardi après-midi, la ministre du Travail Lisa Raitt a dit que le gouvernement
donnerait bientôt au parlement l’avis de 48 heures requis de son
intention de présenter une loi qui forcerait les travailleurs d’Air Canada
à retourner au travail.
Affirmant que le mouvement de
revendication à Air Canada pourrait mettre en péril la « fragile »
économie canadienne, Raitt a dit que « les Canadiens nous ont donné un
mandat fort, pour compléter notre reprise économique, c’est donc pour
cette raison que nous allons aviser ce soir de notre intention de présenter
cette loi, afin d’assurer la continuité du service aérien pour les
passagers ».
Que Raitt prétende disposer d'un
« mandat fort », c’est-à-dire un soutien populaire de masse,
sert à intimider les travailleurs. En fait, les conservateurs ont reçu le
soutien de moins du quart des Canadiens lors des dernières élections fédérales.
Mais leur action rapide contre les
grévistes d’Air Canada souligne qu’ils vont utiliser leur nouvelle
majorité parlementaire pour intensifier de façon significative l’assaut
de la grande entreprise sur la classe ouvrière. Déjà, dans le budget fédéral
présenté la semaine dernière, les conservateurs ont réaffirmé leur intention de
réduire les dépenses fédérales discrétionnaires par habitant par plus de 10
pour cent d’ici l’année financière 2014-15. Puis, Postes Canada,
une entreprise fédérale gouvernementale, a imposé un lock-out partiel à ses
48 000 facteurs, commis, trieurs et livreurs dans le but de réduire les salaires
et les avantages sociaux des nouveaux employés, sabrer les prestations
d’invalidité à court terme et imposer des suppressions de postes et un
dangereux nouveau rythme de travail aux facteurs.
Air Canada, le plus important
transporteur aérien du Canada, cherche à imposer d'énormes concessions à ses
3800 agents de réservation et du service à la clientèle, dont le représentant
de négociation collective est le syndicat des Travailleurs canadiens de
l’automobile (Syndicat national
de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et
travailleuses du Canada, TCA) Local 2002, et à ses mécaniciens,
bagagistes, à son personnel de bord et à ses pilotes, lesquels sont représentés
par un autre syndicat.
Ces concessions s’ajouteraient aux
nombreuses autres que les syndicats ont faites aux compagnies aériennes privées
au cours de la dernière décennie.
Pour ce qui est des agents de réservation
et du service à la clientèle, Air Canada demande que tous les employés actifs inscritsau régime de retraiteà prestations déterminées de la compagnie reçoivent des prestations
de retraite 35 à 40 pour cent inférieures à celle des retraités. Les nouveaux
employés seraient forcés de participer à un régime de cotisation de retraite,
lequel éliminerait toute obligation future de l’employeur et rendrait les
revenus de retraite des travailleurs complètement dépendants des fluctuations
du marché boursier. Air Canada demande aussi que l’âge et les années de
service où les employés peuvent prendre leur retraite sans pénalité soient
haussés de 5 ans.
Les patrons d’Air Canada reçoivent
des salaires de plusieurs millions de dollars et ont des retraites bien
garnies, malgré tout, le chef de l’exploitation d’Air Canada,
Duncan Dee, a dit à la radio de la CBC mardi que la compagnie devait couper les
prestations de retraite de ses employés afin qu’elle demeure
« compétitive », c’est-à-dire une source de grands profits pour
les actionnaires. Dee a affirmé, « les entreprises du secteur public dans
ce pays s’orientent généralement vers des régimes de retraite à
cotisations déterminées… La seule façon d'assurer la viabilité à long
terme d’Air Canada… est de faire des changements adaptés à notre
époque. »
Air Canada soutient aussi que les syndicats
doivent accepter que les employés d'une nouvelle compagnie aérienne à bas coût
en processus de création aient des salaires et des avantages sociaux moindres
que ceux des autres travailleurs.
Selon le syndicat des TCA, ses membres à
Air Canada ont subi des coupes de 10 pour cent de leurs salaires réels au cours
de la dernière décennie. Néanmoins, la compagnie aérienne a sèchement rejeté
les demandes des travailleurs pour une hausse salariale considérable.
Le week-end dernier, Air Canada dépensé
des dizaines de milliers de dollars en publicités pleine page dans les
principaux quotidiens du pays afin de clamer sur un ton provocateur que la
compagnie avait des plans de « contingence » pour maintenir la
totalité de ses opérations durant une grève. Mardi, ces plans ont été mis en
oeuvre quand Air Canada a déployé ses cadres et des centaines de briseurs de
grève – certains d'entre eux proviendraient de Garda World Security (une
multinationale active en Irak) – pour faire le travail des grévistes.
Mardi matin, certains pilotes et agents
de bord d'Air Canada ont refusé de franchir les piquets de grève établis par
les agents en grève du service à la clientèle à l'aéroport Trudeau de Montréal.
Mais ils ont finalement traversé, après que des cadres sont venus les escorter
jusqu'à leur lieu de travail.
Bien qu'on exige de tous les travailleurs
d'Air Canada des concessions semblables, aucun des syndicats censés les
représenter n'a exigé que les piquets de grève des agents de réservation et du
service à la clientèle soient respectés. Et ils n'ont certainement rien fait
pour organiser une grève commune contre les concessions.
Ce refus évident d'adhérer aux principes
les plus élémentaires de la solidarité ouvrière vient mettre en évidence le
fait que les syndicats sont opposés à toute lutte sérieuse contre Air Canada,
parce qu'ils savent qu'une telle lutte entraînerait une véritable confrontation
avec le gouvernement Harper et l'ensemble de l'élite dirigeante du Canada.
Comme les patrons de la compagnie aérienne, les syndicats acceptent que le
gagne-pain des travailleurs soit subordonné aux profits et à la valeur des actions.
Les TCA ont réagi à l'attaque flagrante
du gouvernement conservateur contre les agents de réservation et du service à
la clientèle en indiquant qu'ils étaient impatients d'en arriver à une entente
avec la compagnie aux dépens des travailleurs d'Air Canada.
Le président des TCA Ken Lewenza a fait
un commentaire qui allait de soi en indiquant que la rapidité avec laquelle le
gouvernement agit pour rendre la grève des travailleurs d'Air Canada illégale
montre que les propriétaires de la plus grande compagnie aérienne canadienne et
le gouvernement agissent de concert pour imposer des concessions. « La
rapidité avec laquelle ce projet de loi a été présenté, a dit Lewenza, indique
qu'il y a une véritable collusion entre le gouvernement fédéral conservateur et
Air Canada, visant à arracher les droits des travailleurs. »
Mais plutôt que de s'opposer à cette
collusion en appelant à une action revendicative de la part de tous les
travailleurs d'Air Canada et à la mobilisation de toute la classe ouvrière
contre le gouvernement Harper, Lewenza a annoncé que les TCA étaient déterminés
à en arriver à un accord avec Air Canada dans les 48 prochaines heures –
et ce, dans des conditions où l'employeur bénéficie de la menace d'une loi qui
forcerait le retour au travail, ce qui lui permet d'intimider davantage les
travailleurs. Selon une déclaration des TCA rendue publique mardi soir, « Lewenza
a affirmé qu'il était possible de conclure une entente avec Air Canada dans les
48 prochaines heures, avant que la loi ne devienne effective. »
Le syndicat prend donc lui-même la
responsabilité de réprimer la lutte des travailleurs d'Air Canada. Tout en
déplorant publiquement la collusion entre la compagnie et le gouvernement, il
se sert de la menace d'une loi antigrève pour défendre qu'il n'a d'autre choix
que d'abandonner les demandes légitimes des travailleurs.
Pour que les travailleurs d'Air Canada ne
subissent pas un autre recul amer, ils doivent s'emparer de la direction de leur
lutte en la soutirant aux TCA. Par le développement de comités ouvriers de la
base, organisés indépendamment de l'appareil syndical et en opposition à lui,
les travailleurs doivent faire de cette grève le fer de lance d'une offensive
politique et industrielle de la classe ouvrière contre toutes les suppressions
d'emplois et baisses de salaire et en défense des droits des travailleurs et
des services publics.