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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

L’investiture du président ivoirien soutenu par la France

Par Kumaran Ira
9 juin 2011

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Le 21 mai, le président français Nicolas Sarkozy a assisté à la cérémonie d’investiture du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, dans la capitale Yamoussoukro. Ouattara, allié de longue date de l’élite dirigeante française lui a réservé un accueil chaleureux avec les pleins honneurs militaires. Parmi les autres participants à la cérémonie il y avait le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, et des représentants du président américain Barack Obama.

Sarkozy était accompagné par les financiers milliardaires français Martin Bouygues et Vincent Bolloré ainsi que par d’autres dirigeants d’entreprise : Michel Roussin de Veolia et Alexandre Vilgrain, le président du CIAN – Conseil français des investisseurs en Afrique.

La liste des personnes présentes montre très clairement les motivations impérialistes qui se cachent derrière le soutien français accordé à Ouattara en avril dans la guerre civile qui a conduit au renversement du président sortant Laurent Gbagbo. Les tensions entre Ouattara et Gbagbo, dont les forces tenaient respectivement le Nord et le Sud de la Côte d’Ivoire, s’étaient exacerbées après les élections présidentielles contestées de novembre 2010. Ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international et ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Ouattara avait été reconnu par la France et d’autres grandes puissances comme le vainqueur des élections.

Lorsque les combats ont éclaté en avril entre les deux camps, les forces françaises et de l’OTAN sont intervenues directement dans la guerre en bombardant la résidence de Gbagbo et en soutenant les forces d’Ouattara tandis qu’elles attaquaient la capitale commerciale, Abidjan.

Dans son discours d’inauguration, Ouattara a loué la France – ancienne puissance coloniale en Côte d’Ivoire – pour avoir partagé des « liens historiques et une vision commune de l’avenir. Monsieur le président Sarkozy, le peuple ivoirien vous dit un grand merci. »

Après l’inauguration, Sarkozy a prononcé un discours à la base militaire d’Abidjan, devant des ressortissants français en Côte d’Ivoire. Il a fait l’éloge de l’intervention militaire française à la fois en Libye et en Côte d’Ivoire : « Dans ces deux crises, l’ivoirienne et la libyenne, face à des dirigeants qui massacraient leur propre population, la communauté internationale a décidé d’agir avec détermination, et c’est l’honneur de la France d’avoir, avec quelques autres, mené ce juste combat. L’armée française a agi au service de la démocratie. »

Sarkozy a clairement fait comprendre que l’intervention en Côte d’Ivoire faisait partie d’une politique de la guerre néocoloniale plus générale de la France symbolisée par l’agression en mars de la Libye. « C’est une nouvelle politique africaine que nous mettons en œuvre. Et même une nouvelle politique étrangère que notre engagement en Côte d’Ivoire a illustrée ces derniers mois. »

Sarkozy a ajouté: « Nous garderons toujours des forces militaires ici pour assurer la protection de nos ressortissants. » Il a aussi annoncé que la France qui compte quelque 1.600 troupes en Côte d’Ivoire, réviserait les accords sur la coopération militaire entre les deux pays.

Le quotidien français Libération a fait le commentaire suivant: « En annonçant le maintien d’une présence militaire à Abidjan, Sarkozy fait d’une pierre deux coups : il répond à une demande insistante de son homologue ivoirien et rassure la communauté française, mais aussi les opérateurs économiques qui espèrent bien toucher les dividendes du rôle crucial joué par Paris dans la chute de Gbagbo. »

L’objectif de Paris est d'utiliser la victoire d’Ouattara pour transformer la Côte d’Ivoire en un avant-poste militaire et commercial servile de l’impérialisme français. Libération a aussi rapporté qu’un colonel français avait été affecté comme conseiller militaire auprès d’Ouattara. Le rôle de cet officier est de réorganiser l’armée nationale ivoirienne dont les dirigeants seront choisis par l’Elysée, palais présidentiel français.

Les entreprises françaises projettent de signer dans les mois à venir un certain nombre d’accords avec le régime d’Ouattara. Le premier ministre français, François Fillon, devrait se rendre le 14 juillet en Côte d’Ivoire, accompagné d’une vaste délégation d’hommes d’affaires. La France reste le plus important partenaire commercial de la Côte d’Ivoire où sont présentes quelque 600 entreprises françaises contrôlant 30 pour cent du BIP de la Côte d’Ivoire.

Les prétentions pseudo-démocratiques de l’intervention France-OTAN – fondées sur les affirmations que la France protège la population ivoirienne en appliquant l’issue légitime des résultats de novembre 2010 – sont cyniques et fausses. Quel que soit le soutien dont bénéficient dans leurs fiefs les seigneurs de guerre du Nord liés à Ouattara, Ouattara n’a pas joui historiquement de l’appui populaire dans le Sud, notamment à Abidjan. Pour rester au pouvoir, il est tributaire du soutien de l’impérialisme français.

Des rapports émanant de groupes de droits de l'homme suggèrent qu’Ouattara tente de gouverner Abidjan par le règne de la terreur dirigé contre des fidèles de Gbagbo. Dans son rapport du 2 juin, Human Rights Watch (HRW) a écrit, « Les forces armées fidèles au président Alassane Ouattara ont tué au moins 149 partisans réels ou supposés de l’ancien président Laurent Gbagbo depuis leur prise de contrôle de la capitale commerciale, à la mi-avril 2011. »

HRW rapporte que les Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (FRCI) d’Ouattara ont tué au moins 95 personnes non armées à Abidjan durant les opérations à la fin avril et en mai au moment où elles sécurisaient et fouillaient les quartiers autrefois contrôlés par les forces pro Gbagbo. Au cours de sa mission du 13 au 25 mai à Abidjan, HRW a constaté que « les meurtres, les tortures et les traitements inhumains des forces armées d’Ouattara se poursuivaient. »

Dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire, le conflit post-électoral a eu pour conséquence quelque 3.000 morts et la fuite d’environ 2 millions de personnes, ce qui a provoqué une crise humanitaire catastrophique.

Selon l’organisation caritative venant en aide aux orphelins et aux enfants abandonnés SOS Children’s Villages Canada, « De nombreux enfants sont encore déplacés, vivant et dormant dans des lieux bondés sans avoir suffisamment de nourriture ou d’équipements adéquats. Dans la capitale Abidjan et aux alentours, certaines familles ne disposent que d’assez de nourriture pour un repas par jour. Les conditions sanitaires dans les camps pour personnes déplacées sont médiocres et rendent les résidents vulnérables aux maladies contagieuses. »

Loin de vouloir protéger les civils, le renversement de Gbagbo a été lié aux intérêts commerciaux géostratégiques essentiels de l’impérialisme français, notamment l’accroissement de la concurrence avec la Chine pour l’influence en Afrique.

Les relations françaises avec Gbagbo s'étaient détériorées au cours de ces dernières années – particulièrement depuis qu’il avait noué des liens économiques plus étroits avec la Chine et que ses partisans avaient protesté contre la présence de troupes françaises en Côte d’Ivoire. Le négoce entre la Côte d’Ivoire et la Chine est passé de 50 millions d’euros en 2002 à 500 millions d’euros en 2009.

Le 16 avril, Le Monde a publié un article de Winson Saintelmy, homme d’affaires canadien, disant : « Le triomphe de la diplomatie économique chinoise en Afrique de l’Ouest notamment confirme la proximité géopolitique entre M. Gbagbo et la démocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M. Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France. A travers le contentieux Gbagbo-Ouattara, se développent la géopolitique des flux entre la Chine et la France. »

Il a ajouté, « Toute percée chinoise en Afrique du l’Ouest et en Côte d’Ivoire se traduit par un recul réel de l’influence française dans la région pour le Quai d’Orsay. »

(Article original paru le 6 juin 2011)

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