Les principales puissances qui font la guerre à la Libye ont forgé une
nouvelle arme contre le colonel Kadhafi, son fils et d'autres officiels: la
menace d'avoir à répondre de crimes de guerre.
Luis Moreno-Ocampo, le procureur en chef de la Cour Criminelle
Internationale (ICC) a dit au Conseil de Sécurité des Nations Unies du 5 mai
qu'il préparait trois mandats d'arrêt pour des crimes contre l'humanité en
Libye. A ce qu'on dit, les mandats incluraient Kadhafi et son fils Saif
al-Islam et les charges qui ne sont pas spécifiées incluraient le meurtre,
la détention illégale, l'utilisation de bombe à fragmentation et le fait
d'utiliser le viol comme arme de guerre.
La Grande Bretagne et la France ont été à l'origine de la démarche de
l'ICC en demandant une enquête au Conseil de sécurité de l'ONU en février
dernier avec le soutien des Etats Unis. Depuis Londres, Paris et Washington
ont monté un dossier avec le concours de l'opposition à Kadhafi.
Amnesty International a exprimé son soutien à l'enquête pendant le
week-end en disant que les forces gouvernementales avaient tué des civils
illégalement au cours « d'attaques féroces et sans discrimination. »
Moreno-Ocampo a affirmé que selon les estimations « crédibles » des
enquêteurs, 500 à 700 civils avaient été tués par les forces
gouvernementales. D'après lui, la persécution des manifestants et des
opposants « semble avoir été systématique et s'être produite dans
différentes villes, » et « des crimes de guerre ont apparemment été commis
par décision politique. »
Il a énuméré le fait que les forces de sécurité aient tiré sur les
manifestants désarmés, l'utilisation du viol et « les arrestations
systématiques, la torture, la déportation, les meurtres, les disparitions
forcées et la destruction des mosquées » comme les méthodes supposément
utilisées par le gouvernement.
L'hypocrisie de l'enquête en question crève les yeux. Elle arrive au
milieu de plus de 5 000 opérations militaires, dont 2 204 accompagnées de
frappes, des forces de l'OTAN sur Tripoli et d'autres endroits peuplés de
civils. Ces opérations ont inclus l'assassinat ciblé de Kadhafi la semaine
dernière, qui a échoué; à la place du leader libyen, un des fils et trois
des petits enfants de Kadhafi ont été assassinés. Tout en étant les
instigateurs de procès légaux pour crimes de guerres contre le régime qu'ils
veulent éliminer, Washington, Londres et Paris commettent eux-mêmes de
monstrueux crimes de guerre.
Les déclarations de l’ICC ont été programmées pour coïncider avec un
meeting à Rome du Groupe de Contact sur la Libye au cours duquel la
secrétaire d'Etat Hillary Clinton a annoncé que Washington allait fournir
des fonds à l'opposition en prélevant une « portion » des 30 milliards
d'actifs libyens confisqués. La guerre est toujours menée sous l'égide de la
Résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU fondée sur l'affirmation
grotesque que l'OTAN cherche à « protéger les civils. »
Ce prétexte permet désormais non seulement d'envoyer de l'argent mais
aussi des armes à un des camps dans une guerre civile qui a été entretenue
par les puissances impérialistes. Samedi dernier, le gouvernement italien a
été obligé de démentir officiellement avoir accepté de fournir des armes au
Conseil National de Transition (TNC) de l'opposition basée à Benghazi, après
qu'un porte parole de Benghazi, Abdel-Hafidh Ghoga, ait affirmé que Rome
avait promis de leur donner toutes les armes qu'ils voulaient. Mais en fait
le démenti du ministre des affaires étrangères n'était pas vraiment une
réfutation, puisqu'il a dit que l'Italie ne fournirait aux rebelles que « du
matériel d'auto-défense. »
Le double jeu des puissances qui sont derrière l'ICC est mis en lumière
par le fait que plusieurs membres du Conseil de Sécurité de l'ONU, dont les
Etats Unis, la Russie et la Chine ont voté pour que la Libye soit référée
devant une Cour de justice qu'ils ne reconnaissent pas eux-mêmes.
Washington a approuvé l'enquête de l'ICC seulement après avoir obtenu
l'exemption exigée par l'administration d'Obama pour protéger les forces
armées et les politiciens étasuniens. L'exemption stipule que les citoyens
des pays qui ne sont pas membres de l'ICC et qui seraient l'objet d'une
enquête ou d'une poursuite judiciaire pour des actes supposément commis en
relation avec des opérations autorisées par le Conseil de Sécurité en Libye,
le soient dans leur propre pays et non par l'ICC.
L'ambassadeur français à l'ONU, Gerard Araud, a dit à des journalistes
que les Etats Unis considéraient cette exemption qui fut acceptée à
l'unanimité comme « une ligne rouge » et « une cause pour rompre le
contrat. »
Le deux poids deux mesures saute aux yeux. La Libye n'est pas non plus
membre de l'ICC mais quand elle a promis de faire une enquête, sa compétence
n'a pas été reconnue. Pourtant le député et ministre des affaires étrangères
libyen, Khalid Kaim, a même offert de coopérer pleinement à une « mission
d'enquête supplémentaire du Conseil de Sécurité |[de l'ONU]. »
L'ICC remplit une fois de plus le rôle de serviteur docile des puissances
impérialistes. Avant la création de l'ICC, les Etats-Unis avaient mené une
campagne pour l'empêcher. Dans une lettre ouverte, les anciens secrétaires
d'états, Henry Kissinger et George Shultz, l'ancien directeur de la CIA
Richard Helms et l'ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew
Brzezinski, avaient demandé que « notre personnel militaire soit mis hors
d'atteinte d'un procureur international indépendant qui opérerait selon des
procédures incompatibles avec notre Constitution. »
Le délégué des Etats-Unis pour les problèmes de crimes de guerre,
l'ambassadeur Pierre-Richard Prosper a dit à l'ONU au sujet de l'ICC: « nous
ne voulons rien avoir à faire avec ce tribunal » pendant que le Congrès
passait une loi autorisant le gouvernement et l'armée étasuniens à utiliser
« tous les moyens possibles » pour que les citoyens étasuniens ne puissent
pas être soumis à sa juridiction.
Depuis, l'ICC a amplement démontré sa valeur et sa loyauté à Washington.
Ayant été créée à la veille même de la guerre en Irak, elle a à ce jour
ouvert six enquêtes, toutes en Afrique.
Le premier objectif de ceux qui demandent l'enquête de l'ICC est
d'utiliser la menace d'une action pénale pour crime de guerre contre Kadhafi
afin d’empêcher tout accord négocié. Avant la démarche de l'ICC, l'OTAN a
rejeté une proposition de l'Union Africaine de négocier un cessez-le-feu
entre le régime et le TNC de l'opposition et a aussi rejeté plusieurs
propositions similaires de Kadhafi lui-même.
Le second objectif est d'encourager les défections à l'intérieur de
l'appareil dirigeant qui ouvrirait la porte au changement de régime et à
l'installation du Conseil National de transition, une marionnette
pro-occidentale. Le 28 mars, après avoir parlé de la poursuite pour crime de
guerre, le premier ministre anglais David Cameron et le président français
Nicolas Sarkozy ont écrit une lettre conjointe qui disait: « Nous appelons
tous ceux qui suivent [Kadhafi] à l'abandonner avant qu'il ne soit trop
tard. »
L'enquête de l'ICC a débuté avec comme base la seule allégation d'un
« plan préétabli » pour attaquer les manifestants. Mais la liste des délits
supposés s'est allongée grâce à des affirmations contestées de ses opposants
politiques et le plus souvent sans aucune preuve à l'appui.
L'allégation que le viol a été utilisé comme une arme est entrée en scène
après qu'une femme, Eman al-Obeidy soit venue dire à des journalistes
internationaux, à l'hôtel Rixos à Tripoli le 26 mars, que 15 hommes l'avait
battue et violée pendant deux jours. Elle a maintenant quitté la Libye avec
l'aide d'une officier de l'armée qui a déserté.
Les autres preuves que le viol était une « politique officielle »
reposent sur les rapports des combattants de l'opposition qui auraient
trouvé des pilules de Viagra dans des tanks et des voitures prises aux
forces de Kadhafi. Susan Rice, l'ambassadrice étasunienne à l'ONU, a repris
cet incident qu'Al Jazeera a été le premier à mentionner le 28 avril. Ce
média est financé par le Qatar, le principal membre arabe de la guerre
contre la Libye. Rice a dit à des collègues ambassadeurs que les forces de
Kadhafi « distribuaient du Viagra aux soldats pour qu'ils aillent violer. »
Une des principaux partisans de l'intervention militaire a dit que
d'autres ambassadeurs semblaient douter de la véracité des ces allégations.
Mais l'ICC elle, ne doute pas.
Les violations que les forces gouvernementales auraient commises pendant
les attaques sur Misrata sont aussi sujettes à caution. Human Rights Watch
(HRW) et le New York Times sont cités à l'appui des affirmations de
l'opposition selon lesquelles des bombes à fragmentation auraient été
larguées.
Une seule bombe à fragmentation a été "découverte" par un reporter du
New York Times puis inspectée et photographiée par des enquêteurs de
HRW. Elle a été identifiée comme étant une bombe à mortier MAT 120mm qui
s'ouvre en plein ciel et lâche 21 "petites bombes" sur un large territoire.
HRW affirme aussi qu'un de ses photographes a vu des bombes à mortier
exploser au dessus du quartier résidentiel de el-Shawahda.
HRW a déclaré que la bombe à fragmentation intacte avait été fabriquée en
Espagne en 2007 et semblerait « avoir atterri à environ 300 mètres de
l'hôpital de Misrata. » Pourquoi cela semble être le cas n'est pas expliqué.
De la même manière qu'ils ont refusé d'en devenir membre ou d'accepter la
juridiction de l'ICC, les Etats-Unis ont refusé de signer le traité
international interdisant les bombes à fragmentation qui a été parrainé par
l'ONU et que 111 pays ont adopté en mai 2008.
L'affirmation concernant les bombes à fragmentation arrive au milieu
d'autres déclarations suspectes de la TNC. Des bombes auraient été larguées
sur quatre grands réservoirs de pétrole pendant le week-end par de petits
avions qui vaporisent des pesticides. Cela en dépit du fait que l'OTAN
contrôle complètement l'espace aérien et qu'elle avait été informée à
l'avance de l'attaque par le TNC. Dans d'autres rapports, la destruction des
tanks de pétrole est attribuée à des roquettes Grad tirées par un lance
roquette.
Le TNC et un travailleur humanitaire dont le nom n'est pas mentionné,
prétendent qu'un hélicoptère selon une version ou plusieurs selon l'autre
qui portaient l'emblème de la Croix Rouge selon une version ou du Croissant
Rouge selon l'autre, ont été utilisés pour larguer des mines jeudi et
vendredi sur le port de Misrata. Des mines anti-véhicules ont aussi été
larguées selon HRW et The Times. Deux personnes auraient été blessées,
selon un contrôleur du port, quand un engin a explosé sous un camion. Il n'y
a pas d'autres pertes rapportées.
Il faut noter que l'OTAN n'a pas confirmé ces rapports.
Un porte-parole du gouvernement libyen, Moussa Ibrahim, a nié que des
bombes à fragmentation aient été utilisées à Misrata. il a dit à des
reporters: « Je vous mets au défi de le prouver » et a ajouté que ce n'était
pas l'intérêt de la Libye de le faire.
« La preuve de l'utilisation de ces bombes persisterait pendant des jours
et des semaines et nous savons que la communauté internationale va bientôt
arriver en masse dans notre pays. Nous ne pouvons donc pas faire ça. Même si
nous étions des criminels nous ne le ferions pas car cela nous incriminerait, »
a-t-il dit.
L'Espagne n'a fait aucune déclaration concernant l'origine supposée des
bombes à fragmentation.
Les pertes citées par l'ICC sont contestées par le gouvernement qui
affirme que les pertes totales ne dépassent pas deux ou trois centaines de
personnes et par le TNC qui estime que près de 10 000 personnes sont mortes.
(Article original publié le 9 mai 2011)