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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

La finance internationale fait pression pour une contre-révolution en Tunisie

Par Olivier Laurent
4 mai 2011

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Le processus de réformes politiques en Tunisie écarte du pouvoir les figures trop liées, aux yeux des masses, au dictateur Ben Ali, tombé en janvier dernier. Cependant, il vise avant tout à justifier le maintien des conditions sociales contre lesquelles les Tunisiens se révoltent, dans l'intérêt des bourgeoisies nationale comme étrangères – et notamment française.

Ainsi, le gouvernement de transition tunisien a proposé d'interdire à ceux qui avaient détenu des postes à responsabilité au cours des dix dernières années dans le parti de l'ex-président Ben Ali, le Rassemblement démocratique constitutionnel (RDC) maintenant dissout, de participer aux prochaines élections prévues pour le 24 juillet. Il est également question d'exclure les membres du gouvernement précédent, ses conseillers et ses attachés.

Ces propositions sont une réaction à la mobilisation continue de la classe ouvrière tunisienne, une tentative tardive et symbolique de se distancier du régime de Ben Ali. Chokri Belaid du Mouvement des patriotes démocrates (MPD) et Abdellatif el-Mekki, membre du Bureau exécutif du parti islamiste Ennahdha, ont tous deux refusé de s'associer à cette décision limitée, prévenant le gouvernement qu'elle était loin de suffire à contenter la population et qu'ils craignaient une « nouvelle vague de contestations ».

Le Premier ministre d'intérim, Beji Caid Essebsi, a adopté une position distante vis-à-vis de la proposition, déclarant que les ex-membres du RDC « ne devraient pas être empêchés de se présenter à ces élections, s'ils ne sont pas condamnés par la justice. » Il a également insisté sur la nécessité de garantir un « climat social et économique adéquat » pour ces élections.

Sa réaction est la conséquence d'une pression croissante de la finance internationale, pour que l'exploitation des travailleurs tunisiens reprenne de plus belle le plus tôt possible. Dans ce contexte, le pouvoir tunisien mène un chantage économique envers son propre peuple, et s'appuie sur le soutien de tous les partis ayant un tant soit peu d'écho dans les masses, qu'ils soient "de gauche" ou islamistes. Essebsi a ainsi exprimé son inquiétude envers les sit-in, manifestations et grèves qui se poursuivent dans le pays, disant clairement que cela allait diminuer les investissements. Il y aurait eu 110 faits de blocages d’autoroutes et lignes de chemins de fer par des manifestants ces derniers mois.

Les principaux motifs d'inquiétude cités par Essebsi sont le cas de British Gas, qui fournit près de la moitié de la consommation nationale en gaz, où les grèves se sont multipliées parallèlement à un blocage de l'usine par des habitants proches exigeant des emplois ; le blocage du port de Sfax par des marins ; et des émeutes dans la région de Zarzis après l’arrestation des organisateurs d’un réseau d’immigration clandestine.

Les institutions internationales commencent à faire sentir leur impatience. La Tunisie a été invitée à participer à la prochaine réunion du G8 qui se tiendra en France (l'ancienne puissance coloniale de la Tunisie et qui est actuellement à l'initiative d'une intervention impérialiste en Libye voisine). Pour Essebsi, c'est « un motif de fierté pour tous les Tunisiens ».

Le message qui y sera délivré au gouvernement tunisien sera dans la lignée de celui donné lors des assemblées de printemps de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI). Ceux-ci, qui qualifiaient la Tunisie de « bon élève » sous Ben Ali, ont annoncé une aide budgétaire de 500 millions de dollars accordée au pays, qui devrait « générer 700 millions de dollars supplémentaires dans le cadre d’une nouvelle approche proactive. » Le contenu de cette "approche proactive" sera de « supprimer toutes formalités inutiles pour la création d’activités, » c'est-à-dire essentiellement de poursuivre les réformes économiques libérales.

La Tunisie n'aura qu'une croissance de 1,3 pour cent cette année d'après le rapport sur les perspectives économiques globales du FMI et de la BM, contre 5 pour cent de moyenne sur les dix dernières années. La baisse des exportations vers l'Europe après la crise économique avait déjà fait chuter cette croissance à 4,6 pour cent en 2008 et "entre 3 et 4 pour cent" en 2009-10 (source CIA World Factbook).

Le FMI anticipe une reprise à 5,6 pour cent l'année prochaine, mais cela ne lui suffit pas : « Le rééquilibrage n’est pas en train de se faire aussi rapidement que nous le souhaitons. Et il faut encore plus d’efforts pour soutenir l’exportation, la consommation et l’investissement, » a déclaré Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI.

La hausse des salaires est une option exclue d'emblée par le FMI : Ahmed Masood, directeur du département MENA au FMI a déclaré que la hausse des salaires ne pourrait pas constituer une solution, en l’absence d’une augmentation encore plus importante de la productivité.

Le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, a organisé à l'Institut du monde arabe à Paris un colloque le 16 avril sur le thème du « printemps arabe, » réunissant les ambassadeurs de France, des chercheurs et des "acteurs" de ces révolutions, dont des représentants de partis islamistes arabes. Ces partis n'ont joué pratiquement aucun rôle dans les mouvements initiaux, mais les puissances impérialistes les considèrent maintenant comme un moyen acceptable de canaliser le mécontentement populaire—à condition de donner quelques gages de bonne conduite aux impérialistes.

Ainsi, lors de ce colloque, Mohamed Ben Salem, représentant du parti Ennahdha, a déclaré qu'il « ne vise pas l'hégémonie » et s'est prononcé pour la parité hommes-femmes lors des élections, rejoignant le souhait du gouvernement et des groupes de défense des droits de l'Homme.

Pour autant, la politique qui sera ainsi appliquée avec la participation des islamistes et des féministes sera fondamentalement anti-ouvrière. Toujours dans ce colloque, deux militantes tunisiennes des droits de l'homme, Souhayr Belhassen et Radhia Nasraoui, se sont publiquement inquiétées des risques de « contre-révolution » dans leur pays. 

En fait, elles adhérent complètement au chantage économique du gouvernement. Leur inquiétude tient à « l'incohérence et l'instabilité du processus démocratique qui tend à la disparition de l'État ; l'appauvrissement économique alors que l'activité industrielle et touristique tarde à reprendre ; le désenchantement. En outre, certaines structures et pratiques de l'ancienne police politique semblent se remettre en place. » C'est-à-dire que pour éviter la répression contre-révolutionnaire, elles militent pour l'acceptation par la population d'une politique économique brutale.

Quelques mois à peine après la révolution qui a chassé Ben Ali, l'intégration de la nouvelle couche de jeunes petits-bourgeois "révolutionnaires" tunisiens dans le système impérialiste français est déjà bien en marche. Ce lien transparaît clairement dans une visite « express » de Juppé en Tunisie le 20 avril, pour accorder un prêt de 350 millions d'euros.

Juppé y a trouvé le temps pour un dîner « avec quelques bloggeurs chevilles ouvrières de la révolution, », selon l’AFP, puis de partager son petit-déjeuner le lendemain matin avec des hauts responsables du nouveau régime, dont Yadh Ben Achour, président de la Haute commission de réformes politiques, et connu comme expert en droit public et en théorie politique islamique.

Les ministres tunisiens des Finances, du Commerce et du Tourisme, du Transport et de l'Équipement et de la Formation professionnelle et l'Emploi se sont ensuite rendus à Paris le 26 avril, pour garantir la pérennité de leurs investissements à 300 chefs d'entreprises françaises réunis au siège du MEDEF. « Nous sommes venus dire que la Tunisie est en train de changer en mieux et que les opportunités futures seront encore plus rentables et plus intéressantes, » leur a déclaré Jalloul Ayed, ministre tunisien des Finances.

Essebsi a résumé son chantage en déclarant que, « La révolution tunisienne peut mener à la guerre civile comme elle peut mener à la Démocratie, » en clair : si la classe ouvrière ne se contente pas de ces changements cosmétiques, et ne reprend pas le travail dans des conditions largement similaires à celles qui régnaient sous Ben Ali, l'usage de la force sera envisageable pour ce gouvernement capitaliste.

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