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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

Pas d’intervention impérialiste en Libye!

Par Patrick Martin
5 mars 2011

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Les Etats-Unis et les puissances européennes se dirigent vers une intervention militaire directe en Libye. Ils cherchent à exploiter un soulèvement populaire légitime contre le régime d’un Mouammar Kadhafi au pouvoir depuis 41 ans pour prévenir toute possibilité d’émergence d’un régime plus radical et pour installer à la place de cette dictature discréditée un gouvernement fantoche de type colonial.

La vitesse à laquelle s’opère le changement de la politique américaine en particulier est extraordinaire. Washington est passé d’un silence relatif sur le mouvement contre Kadhafi à la prise de la direction d’une campagne en faveur de l’intervention extérieure.

Comme dans le cas de toute opération dans cette région du monde, les mobiles décisifs sont d’une double nature: mainmise sur les ressources de l’un des principaux pays producteurs de pétrole et poursuite des intérêts stratégiques d’ensemble de l’impérialisme américain au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Des forces militaires impérialistes stationnées en Libye seraient en mesure d’influencer le cours futur des événements en Egypte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc, qui sont tous à présent dans la tourmente tout comme le sont, au-delà du Sahara, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Nigeria.

Nul – et le peuple libyen moins que tout autre – ne devrait croire les affirmations de préoccupations humanitaires mises en avant pour justifier l’entrée des armées américaines, britanniques, françaises, allemandes, italiennes et autres en Libye. Ces puissances sont restées sans rien faire lorsque les dictateurs tunisien et égyptien, Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak, ont massacré des manifestants qui voulaient des emplois, des droits démocratiques et la fin du pillage organisé par une élite dirigeante corrompue. Elles avaient au contraire offert une aide politique, diplomatique et, dans certains cas, une aide sécuritaire dans le but d’étayer ces régimes  fantoches.

Durant les deux semaines où les forces de sécurité de Kadhafi ont abattu des manifestants de l’opposition, des crimes identiques ont été commis par les alliés des Etats-Unis à Oman et à Bahreïn ainsi que par le régime client des Etats-Unis en Irak, sans susciter de la part de Washington la moindre réprimande, et encore moins l’organisation d’une campagne internationale pour une intervention militaire.

Une campagne de propagande de grande envergure est en cours, sur le modèle de celle qui avait, dans les années 1990, ouvert la voie à l’intervention des Etats-Unis et de l’OTAN en Bosnie et au Kosovo ; les projecteurs à présent braqués sur les atrocités commises par le régime Kadhafi doivent convaincre de la nécessité d’une intervention commune des puissances impérialistes  pour « sauver » le peuple libyen. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton a donné le ton lundi en dénonçant le recours de Kadhafi à des « nervis » et à des « mercenaires ». Elle a déclaré, « Rien n’est exclu tant que le gouvernement libyen continue de menacer et de tuer ses concitoyens. » Le premier ministre britannique David Cameron a ajouté sa voix, disant devant la Chambre des communes, « Nous n’excluons pas le recours à des actions militaires » en Libye.

S’inspirant de Washington, de Londres et des autres capitales impérialistes, les médias internationaux ont consacré une énorme attention au prétendu recours à la puissance aérienne des forces de Kadhafi contre les rebelles en Libye orientale et aux alentours de Tripoli, la capitale. Les attaques réellement documentées se sont limitées à une poignée vu que de nombreux pilotes de Kadhafi ont déserté.

Le ministre australien des Affaires étrangères, Kevin Rudd, est sorti d’une réunion avec Clinton en déclarant qu’une zone d’exclusion aérienne devrait être imposée immédiatement. « Guernica est connu dans le monde entier pour le bombardement de la population civile, » a-t-il dit en se référant au massacre perpétré par l’aviation nazie durant la guerre civile espagnole. « Nous avons des preuves de ceci en Libye. Ne restons pas simplement inactifs alors que des atrocités identiques sont à nouveau commises. » L’Australie a été, bien loin de l’inactivité, un partenaire à part entière dans les guerres d’agression américaines tant en Irak qu’en Afghanistan et qui ont produit des atrocités biens plus grandes.

La pose de l’indignation humanitaire adoptée par les Etats-Unis et l’Europe n’est pas crédible. Jusqu’à il y a deux semaines, ces puissances ont courtisé Kadhafi pour l’obtention de contrats lucratifs dans l’exploitation des ressources pétrolières et du gaz libyen. Tout un cortège de prétendants occidentaux qui avaient suivi l’odeur du pétrole – Condoleezza Rice, le britannique Tony Blair, le français Chirac, Berlusconi d’Italie, Zapatero d’Espagne – avait fait le chemin de Tripoli. Ils n’avaient alors prêté aucune attention à l’Etat policier de Kadhafi et aux hurlements provenant de ses chambres de torture.

Les Etats-Unis ont effectué un important investissement politique et financier dans l’entretien de relations amicales avec Kadhafi, considérant son rapprochement soudain de Washington et de la politique étrangère américaine après 2003 comme un gain stratégique majeur. Hillary Clinton avait dernièrement reçu avec les honneurs l’un des fils de Kadhafi à Washington et a nommé le président fondateur de l’Association d’entreprises américano-libyenne au poste de coordinateur pour les Affaires énergétiques au Département d’Etat.

Le fils de Kadhafi s’était déjà rendu aux Etats-Unis en 2009. La secrétaire d’Etat Clinton avait veillé à ce qu’il soit accueilli en conséquence.

Si ces puissances font à présent la queue pour retourner en Libye comme les soi-disant gardiens des forces d’opposition qui ont pris le contrôle d’une bonne partie du pays, c’est qu’elles sont poussées par le même appétit de profit et de pillage. Et malgré leurs affirmations de soutien à un renversement de Kadhafi, l’entrée des forces militaires des Etats-Unis et des anciennes puissances coloniales européennes ne constitue pas un service rendu à ceux qui luttent véritablement pour le renversement de la dictature.

Une intervention étrangère enflammera l’hostilité populaire. Nombre de ceux qui ont participé au soulèvement à Benghazi ont déjà déclaré leur opposition catégorique à l’arrivée des troupes américaines et européennes. C’est la seule chose qui permettrait à Kadhafi de reprendre sa fausse attitude anti-impérialiste et de donner à son régime un nouveau souffle.

Les larmes de crocodile versées sur le sort des centaines de milliers de personnes qui fuient la Libye depuis que les combats ont débuté le 17 février à Benghazi sont tout aussi cyniques. Les porte-parole officiels des diverses puissances impérialistes affirment que leurs ressortissants, de nombreux techniciens et autres fonctionnaires des sociétés pétrolières, sont en danger et doivent être sauvés. Dans le même temps, les pays méditerranéens – l’Italie, La France et l’Espagne – ont mis en garde contre un flot grandissant de réfugiés victimes de la guerre civile. Evidemment, les deux problèmes ont la même « solution » – intervention militaire, à la fois en Libye et au large de ses côtes.

La campagne anti-Libye est à proprement parler un exercice de pillage. La première action majeure après l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution imposant des sanctions contre la Libye a été de saisir effectivement 30 milliards de dollars d’avoirs libyens déposés dans des établissements financiers aux Etats-Unis et d’autres milliards encore sur des comptes bancaires européens. Bien qu’étant qualifié de « gel » des avoirs, c’est en réalité une confiscation des ressources appartenant au peuple libyen.

Le vol est tellement flagrant que le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’exprimant devant une conférence d’entrepreneurs en Allemagne s’est vu obligé de s’y opposer. « Les peuples ne devraient pas être obligés de payer pour les fautes de leur gouvernement, » a-t-il dit. « Nous pensons que des discussions sur une intervention en Libye ou des sanctions sont troublantes si l’on pense au peuple libyen et aux étrangers qui se trouvent dans le pays. » Il a dit que les puissances extérieures devraient agir sur la Libye « d’un point de vue humanitaire et pas en fonction de leurs intérêts pétroliers. »

La dynamique d’une marche vers l’intervention militaire s’accélère. Le gouvernement Berlusconi en Italie – l’ancienne puissance coloniale en Libye et son plus gros client pétrolier – a officiellement répudié dimanche son pacte de non agression avec le régime Kadhafi. C’était la disposition juridique nécessaire à la fois à une action militaire italienne à l’intérieur de la Libye et à l’attaque d’avions de combat américains à partir d’Aviano et d’autres bases de l’OTAN situées en Italie.

Le gouvernement Obama a confirmé lundi avoir commencé à redéployer ses forces navales en Méditerranée en les positionnant à portée de la Libye. Le Pentagone avait été pris de court par la rapide propagation des troubles en Libye. Il venait tout juste le 15 février, quatre jours après le renversement du président égyptien Moubarak, de faire franchir le canal de Suez au porte-avions USS Enterprise en direction de la Mer rouge pour faire une  démonstration de force. Le groupe aéronaval a poursuivi sa route vers la mer d’Arabie, « hissant le drapeau » en signe de soutien au dictateur pro-américain assiégé Saleh du Yémen et aux émirats pétroliers du Golfe persique.

Un porte-parole du Pentagone a annoncé lundi, « Nous avons des planificateurs qui sont à l’oeuvre et nous disposons de plusieurs plans d’urgence et… en fonction de cela nous repositionnons nos forces en vue d’avoir la flexibilité nécessaire une fois que les décisions auront été prises. » L’USS Enterprise et un porte-hélicoptères plus petit, l’USS Kearsage, sont maintenant retournés dans la Mer rouge et ils sont en position soit de re-transiter par le canal de Suez soit de lancer des frappes aériennes contre des cibles libyennes. Les opérations qui sont débattues vont d’actions de « sauvetage » comme celles déjà menées par les commandos britanniques et allemands passant par une zone d’exclusion aérienne, à au débarquement pur et simple des marines.

Une préoccupation supplémentaire pour les Etats-Unis est le rôle de la Chine qui prépare sa toute première opération militaire en Méditerranée. Beijing a envoyé la frégate Xuzhou qui fait partie d’une patrouille anti-pirate déployée au large des côtes somaliennes vers les côtes libyennes via le canal de Suez pour aider à l’évacuation de 30.000 citoyens chinois, pour la plupart des ouvriers du bâtiment, piégés par les combats.

Il y a un aspect désespéré et au plus haut point irresponsable dans cette campagne anti-libyenne. Elle n’a éclaté que quelques jours après que le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, ait déclaré dans un discours prononcé devant un auditoire militaire, « A mon avis, tout futur secrétaire d’Etat à la Défense qui conseillerait à nouveau au président d’envoyer une importante armée terrestre américaine en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique devrait ‘se faire examiner la tête’, comme l’avait dit si délicatement le général MacArthur. »

Gates a exprimé le pessimisme causé par l’opposition inflexible de la population afghane à la longue occupation américaine ainsi que par les préoccupations des gros bonnets de l’armée devant la détérioration de la situation dans une armée composée de volontaires au bout de dix ans de déploiements constants à l’étranger.

Mais, en dépit de telles inquiétudes, il y a à l’impérialisme une logique et c’est elle qui pousse le gouvernement Obama. En dernière analyse, le but d’une intervention américaine et européenne serait de combler le « vide politique » en Libye, comme l’a formulé dimanche le New York Times, en transformant le pays en un protectorat des puissances impérialistes.

Un spécialiste américain de la Libye a directement comparé, dans un article paru dimanche dans le magazine Newsweek, l’intervention en Libye au rôle à long terme joué par les Etats-Unis aux Balkans. La situation politique en Libye, écrit-il, « fait penser aux Balkans plutôt qu’à l’Egypte ou à la Tunisie voisines comme précurseurs pour une structure de l’Etat en Libye. Et, comme dans le cas des Balkans, la communauté internationale aurait un grand rôle positif à jouer en apportant une expertise et, provisoirement, des forces de sécurité. »

En d’autres termes, la Libye doit être transformée en une semi colonie dirigée par les Etats-Unis et leurs confrères prédateurs d’Europe de l’Ouest qui prendront le contrôle des réserves pétrolières et transformeront le territoire de ce pays en une base stratégique pour le lancement d’opérations contre les soulèvements de masse qui déferlent présentement sur le Moyen Orient et l’Afrique du Nord.

 (Article original paru le 1er mars 2011)

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