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Craintes d'un effondrement économique de la Chine
Par John Chan
14 octobre 2011
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Des déséquilibres croissants de l'économie chinoise ont généré des
craintes parmi les analystes internationaux que le capitalisme mondial ne
soit sur le point d'être frappé par un nouveau choc.
Un indicateur manifeste de l'inquiétude mondiale sur un effondrement
chinois est l'augmentation de la valeur absolue des CDS [Credit Default
Swaps - Couvertures de défaillance] – des assurances contre le
fait que l'Etat ne pourrait pas rembourser ses dettes. Elles représentent
maintenant 8,3 milliards de dollars – le 10e total le plus élevé
du monde, devant le Portugal et Bank of America. Il y a tout juste deux ans,
le total des CDS pour la Chine n'était que de 1,6 milliards de dollars et
était à la 227e place mondiale.
Un éditorial de Bloomberg News du 3 octobre intitulé, « La chute
de la Chine et non sa montée constitue la vraie menace mondiale, » résumait
ce sentiment. Il prévenait que l'expansion de la Chine, s'appuyant sur « le
travail bon marché, la monnaie sous-évaluée, les investissements importants
dans l'industrie et la concentration sur les exportations, » avait atteint
ses limites, avec « des conséquences à long terme pour les États-Unis et
l'Europe, toutes deux étant de plus en plus dépendantes de la Chine. »
L'éditorial faisait la liste des tensions auxquelles l'économie chinoise
est confrontée. En premier, « les coûts du travail remontent » les jeunes
ouvriers de l'industrie demandent maintenant un niveau de vie et des
salaires supérieurs, ce qui remet en question le rôle de plus grande
plateforme de travail à bas coût du monde que la Chine s'était donné.
Deuxièmement, les mesures de sauvetage économique prises à partir de 2008
ont libéré des milliers de milliards de dollars de crédits accordés à des
taux très bas par les banques publiques, ce qui « a entraîné un
surinvestissement et poussé à la hausse les prix de l'immobilier, jusqu'à
des niveaux que de nombreuses familles ne peuvent atteindre, ce qui ajoute
aux tensions sociales et risque d'entraîner un fiasco. »
La réponse conventionnelle des économistes et politiciens occidentaux
face à la crise chinoise qui se développe est d'appeler à un « rééquilibrage
» de l'économie chinoise : puisque l'investissement en capital fixe [moyens
de production et immeubles, ndt] a atteint le niveau grotesque et
insoutenable à long terme de près de la moitié du PIB du pays, la
consommation nationale doit être augmentée pour absorber la production de la
vaste surcapacité industrielle chinoise, pour compenser les exportations en
déclin.
En réalité, la Chine n'a pas beaucoup de marge de manœuvre pour augmenter
sa consommation nationale. Au cours des deux dernières années, les
augmentations de salaires limitées qui ont suivi une vague de grèves ont
résulté en une érosion rapide de la part de marché chinoise, les entreprises
ayant déplacé leur production vers des plateformes concurrentes moins chères
comme le Vietnam et l'Inde. Bloomberg a noté que le développement de
la consommation était « délicat » : les consommateurs ont également besoin
d'une monnaie forte pour soutenir leur pouvoir d'achat, donc les
exportateurs vont perdre une partie de leurs avantages face à la
concurrence. Les épargnants ont besoin de taux d'intérêts assez hauts sur
leurs placements pour garantir leur retraite, donc les banques et les
entreprises verront le coût de leurs emprunts augmenter. »
Il poursuivait : « En conséquence, de grands pans de l'industrie chinoise
peuvent devenir non-rentables. De mauvais prêts pourraient forcer le
gouvernement à intervenir et recapitaliser les banques. L'investissement en
capital fixe, qui représente 46 pour cent de l'économie, contre seulement 12
pour cent aux États-Unis, pourrait chuter fortement, ce qui saperait la
croissance de l'emploi dont le pays a besoin pour soutenir sa consommation.
En bref, le modèle chinois orienté à l'exportation pourrait s'effondrer
avant que les consommateurs ne soient en mesure de prendre le relais. Dans
ce genre de crise, le poids économique de la Chine deviendrait un problème.
»
L'effet serait particulièrement grave sur les économies fondées sur les
matières premières comme celle de l'Australie, dont les exportations de
minéraux et autres matières premières vers la Chine ont explosé ces
dernières années.
Exprimant les inquiétudes du monde des affaires australien, David Potts a
écrit dans le Sydney Morning Herald lundi : « Notre dépendance par
rapport à la Chine est indiscutable et, d'ailleurs, [le ministre du budget
australien] Wayne Swan devrait partager son prix du meilleur ministre du
budget avec son homologue chinois qui a investi dans son économie plus qu'il
ne l'a jamais fait pour éviter la récession. » Il a noté que dans la crise
mondiale de 2008, le plan de sauvetage chinois avait fait monter la demande
de marchandises, protégeant ainsi l'économie australienne et lui évitant la
récession.
Cette fois-ci, la Chine ne pourra pas sauver l'Australie, a prévenu
Potts. Le « souci » pour l'Australie, a-t-il relevé, n'est pas seulement que
la Chine ralentit, mais qu'elle ne peut plus s'appuyer sur les exportations
et l'investissement dans les usines, les équipements et les infrastructures
pour croître – tout cela consommait d'énormes quantités d'acier, ce qui
stimulait les importations de minerais de fer, de nickel et de charbon à
coke en provenance d'Australie.
De plus, une « bulle encore plus grande que celle des prix des
marchandises, » selon Potts, tient aux réserves de bonds du trésor américain
détenus en Chine. Il a ajouté, « Sans le vouloir, elle [la Chine] est
victime de sa propre politique qui consiste à maintenir un taux de change
très bas avec le dollar américain » pour maintenir sa compétitivité à
l'exportation. Maintenant, Pékin ne pourrait plus revendre son stock massif
de plus de 1000 milliards de bonds du trésor américain. « Les ayant achetés,
elle est prise au piège, si elle cherche à les vendre, cela mettra à terre
le système financier mondial, » a-t-il expliqué.
Potts a relevé que les 3000 milliards de dollars en monnaies étrangères
détenus par la Chine ne signifient pas qu'elle était « sans dettes. » Si le
niveau d'endettement officiel n'est que de 27 pour cent du PIB, « les
économistes soupçonnent qu'il pourrait se monter à 90 pour cent en réalité,
une grande part ayant été administrée par les communes utilisant des
terrains comme garanties, ce qui n'apparaît pas dans les comptes officiels.
Comme on peut s'y attendre, quand un conseil municipal reçoit carte blanche,
un grand nombre de prêts ont été gâchés dans des projets sans intérêt
économique. »
Il n"y a pas si longtemps, les analystes comme Potts parlaient de
l'éclatement d'une « crise des subprimes » à la chinoise due aux
municipalités lourdement endettées qui ne pouvaient pas rembourser leurs
emprunts. Maintenant, ce risque des mauvais prêts s'est subitement propagé
aux entreprises de petite et moyenne taille ayant reçues beaucoup
d'investissements. Alors même que Pékin proclamait son succès face à la
montée des prix, sa politique de restreindre le crédit a forcé des petites
et moyennes entreprises à se tourner vers des prêteurs "non-officiels" qui
pratiquent des taux d'intérêts allant jusqu'à 180 pour cent.
Le point où cette dernière crise se focalise est Wenzhou [1 million
d'habitants au Sud de Shanghai, ndt] – qui fut par le passé le modèle de
l'expansion chinoise orientée à l'export. Depuis avril, plus de 90
entreprises ont fermé, les propriétaires s'enfuyant simplement ou se
suicidant, et les travailleurs protestant contre les salaires non versés.
Les troubles ont poussé le Premier ministre Wen Jiabao à visiter la ville
cette semaine et à ordonner à la police de s'en prendre durement aux requins
de la finance parallèle.
Les commentateurs ont prévenu que ces fermetures n'étaient que la partie
émergée de l'iceberg. Le marché parallèle des prêts a commencé à faire
parler de lui l'an dernier avec un capital total estimé à 2500 milliards de
yuans (391 millions de dollars). Près de la moitié de ces prêts étaient des
prêts accordés par des institutions publiques à but commercial qui
re-prêtent les prêts qu'elles obtiennent à des taux usuraires, et le reste
était du capital privé.
Il y a des problèmes économiques encore plus profonds. Étant donné le
rendement en baisse de l'industrie, de nombreux groupes utilisent leurs
propres entreprises comme garanties pour emprunter aux sources parallèles,
puis dans certains cas, elles re-prêtent à des taux plus élevés ou se
lancent dans la spéculation immobilière. Comme l'a dit l'économiste en chef
de la Société générale en Asie, Yao Wei, le fait que ces petites et moyennes
entreprises « soient prêtent à emprunter de l'argent à des taux si élevés
montre qu'elles sont soit en manque total de liquidités, soit qu'elles sont
impliquées dans la spéculation, parce qu'aucune activité économique réelle
ne peut générer un retour sur investissement assez élevé pour leur permettre
de rembourser. »
Le centre industriel de Wenzhou est devenu une économie « factice »
spéculative, d'après un article du Shanghai Morning Post de mardi. En
2001, par exemple, il y avait 4000 entreprises à Wenzhou qui produisaient
des briquets – 80 pour cent de la production mondiale. Dix ans plus tard, il
n'en reste que 100. Les capitaux ont été réinvestis dans la spéculation
immobilière. Un homme d'affaires gardant l'anonymat a déclaré au journal que
son usine de 1000 employés faisait moins d'un million de yuans [117 000
euros] de profit par an avec du « vrai travail, » pendant que sa femme avait
investi dans seulement 10 propriétés à Shanghai et gagné 30 millions de
yuans en huit ans.
Avec la chute des prix de l'immobilier et des commandes à l'export en
raison de la dépression économique globale, les garanties engagées par les
PME pour leurs prêts vont également voir leur valeur baisser, ce qui va
entraîner de nombreuses faillites et pertes d'emplois.
Loin de pointer une quelconque solution, l'éditorial de Bloomberg
admet que « Il y a peu de choses que les dirigeants du monde développé
peuvent faire pour influencer le sort de la Chine. » Il a continué : « Il
vaut mieux pour les États-Unis et l'Europe qu'ils se concentrent sur la
limitation de leur propre vulnérabilité : plus ils conserveront une
croissance à peine au-dessus de zéro, et plus ils risquent de tomber en
récession en cas de choc soudain – comme une crise chinoise. »
Ce commentaire souligne le fait qu'au lieu d'être capable de sauver le
capitalisme mondial, la Chine elle-même devient rapidement une source
majeure d'instabilité économique, alimentant la crise globale qui se creuse.
(Article original paru le 7 octobre 2011)