Le parti Die Linke (La Gauche) tiendra
ce week-end son deuxième congrès dans la ville d'Erfurt, la capitale du Land de
Thuringe. La question centrale à faire l'objet d'un débat lors de ce
« Congrès à Erfurt de Die Linke » sera une résolution relative au
programme du parti qui sera soumise au vote avant la ratification du programme
par les membres du parti.
Bien que Die Linke existe depuis
quatre ans, le parti n'a, à ce jour, pas eu de programme spécifique. Lorsqu'au
printemps de 2007, le Parti du socialisme démocratique (PDS) - successeur du
parti stalinien de l'Allemagne de l'Est, le Parti socialiste unifié d'Allemagne
(SED) - s'était uni avec l'Alternative électorale-travail et justice sociale
(WASG), basée en Allemagne de l'Ouest, pour former Die Linke, ils s'étaient uniquement
mis d'accord sur des « points fondamentaux. » Ce flou programmatique
avait permis à Die Linke de réunir diverses tendances politiques dans ces rangs.
Dès le début, Die Linke fut une
construction bureaucratique. Peu de temps après la chute du Mur de Berlin en
1989, les héritiers du SED s'étaient regroupés dans l'Est du pays pour former
le PDS qui joua un rôle important en canalisant les protestations à l'encontre
du régime de la République démocratique allemande (RDA) en Allemagne de l'Est dans
le sens de la restauration capitaliste et de la réunification nationale
allemande. Le PDS oeuvra par la suite pour contenir la colère populaire résultant
du déclin économique et social en Allemagne de l'Est. De nombreux politiciens
conservateurs pro-patronaux occupant des postes importants dans des
administrations municipales et régionales se trouvaient dans ses rangs.
En Allemagne occidentale, par
crainte que le SPD ne perde le contrôle de la classe ouvrière suite aux
réformes Hartz largement méprisées, des fonctionnaires sociaux-démocrates (SPD)
et des fonctionnaires syndicaux aguerris se rassemblèrent pour former la WASG.
Des groupes se qualifiant à tort de socialistes ou de révolutionnaires, furent
également attirés par la WASG bien que s'étant alignés auparavant sur le régime
SED et la bureaucratie syndicale.
Cet assemblage de restes de l'appareil
stalinien et de sections de la bureaucratie syndicale fut une source de
tensions et de conflits politiques permanents au sein de Die Linke. Un effort sera
entrepris au Congrès d'Erfurt pour réconcilier ces éléments disparates pour
qu'à l'avenir, vu de l'extérieur, le parti paraisse plus uni. Cet objectif fut
souligné par les deux dirigeants du parti, Gesine Lötzsch et Klaus Ernst, dans
leur lettre d'invitation adressée aux délégués.
C'est ce à quoi servira l'adoption
d'un programme dont la version originale, rédigée sous la direction d'Oskar
Lafontaine, a été amendée à plusieurs reprises ces derniers mois. Le rôle
actuel de Die Linke - parti d'opposition en paroles, parti de l'establishment
par les faits - devra être incorporé dans ce programme. Malgré une flopée de
phrases, de propositions de réformes et d'appels à une société meilleure, le
document de 80 pages cherche à faire l'affaire. Le programme souscrit
pleinement à l'ordre existant, à ses lois et à ses institutions.
Le préambule du projet de
programme plaide en faveur d'un « système économique et social
différent : le socialisme démocratique, » et d'une économie et d'une politique
se concentrant sur les « besoins et les intérêts vitaux de la majorité des
gens. » Il préconise, « un changement systémique de l'économie parce
que le capitalisme - basé sur l'inégalité, l'exploitation, l'expansion et la
concurrence - est incompatible avec ces objectifs. »
Toutefois, tout au long du
document tous les piliers du capitalisme : la constitution anti-classe
ouvrière de l'Allemagne, les rapports de propriété capitalistes et les
institutions internationales telles l'Union européenne et les Nations unies
sont défendus.
Sous le titre « Projets de réforme
de gauche : des mesures pour une transformation sociale, » le
programme s'engage résolument en faveur de la constitution et de l'Etat
capitaliste existant. Il stipule : « La République fédérale
d'Allemagne doit être un Etat démocratique et constitutionnel. » Toute
mention d'un Etat socialiste est soigneusement évitée.
Plus loin, dans une autre section,
le projet de programme s'engage à vouloir « vaincre le capitalisme. »
Mais, ceci devra se faire à l'aide de réformes progressives dans le cadre des
limites de l'ordre social existant. Le document déclare que « des
conditions initiales de transformations démocratiques socialistes » seront
créées « en conséquence de luttes sociales et politiques et de changements
dans les rapports de force. »
Tout ceci ne se différencie en
rien des vieux programmes réformistes de la social-démocratie. Chaque réforme ringarde,
peu importe son âge, qu'elle soit dépassée ou inefficace, fait partie du programme :
de la « démocratie économique » à l'« actionnariat
salarié » en passant par la « participation des travailleurs à la
gestion de l'entreprise. »
La tentative de ressusciter la phraséologie
éculée de la politique de réforme n'est pas seulement grotesque, elle sert à
créer le plus de confusion politique possible afin d'empêcher tout
développement socialiste au sein de la classe ouvrière.
Le parti Die Linke est intimement
impliqué dans l'actuelle transformation du paysage politique en Allemagne. La
crise financière et économique internationale est en train de manifester dans
des formes de plus en plus dramatiques. D'un côté, des milliards sont alloués
aux banques sous forme de soi-disant plans de sauvetage, et de l'autre, des
programmes d'austérité draconiens imposant des coupes dans les dépenses de tous
les secteurs sociaux plongent des pays entiers dans un abîme économique en
suscitant des conflits sociaux et nationaux à travers l'Europe entière.
Dans le même temps, l'opposition
à ces développements est en train de croître. Les plus grandes manifestations
depuis la chute de la junte militaire, il y 35 ans, se sont déroulées ces
derniers jours en Grèce. Des centaines de milliers de gens sont descendus dans
la rue en Espagne, en Italie et dans d'autres pays. Ce mouvement fait partie
d'une mobilisation internationale naissante de la classe ouvrière qui avait
commencé avec les soulèvements en Tunisie et en Egypte et qui englobe à présent
de grandes parties de l'Europe et des Etats-Unis.
Cette radicalisation a eu un
double effet sur Die Linke. D'abord, de nombreux électeurs ont délaissé le
parti, notamment là où il avait fait partie des gouvernements régionaux et
municipaux. Le congrès du parti a lieu quatre semaines seulement après la
défaite cuisante de Die Linke à Berlin. Au bout de dix années de partage de
pouvoir avec le SPD à Berlin, Die Linke a perdu près des deux tiers de ses
électeurs lors des récentes élections au Sénat (chambre basse) de la ville-Etat
de Berlin.
D'autre part, l'intérêt pour Die
Linke est en train de croître au sein de la bourgeoisie. Le congrès a suscité
un intérêt exceptionnellement grand en attirant l'attention des médias. De
nombreux commentateurs n'ont pas caché leurs opinions à savoir que Die Linke
est un instrument utile non seulement pour imposer des mesures d'austérité selon
le modèle berlinois - d'autres partis sont capables d'en faire autant - mais de
maintenir aussi le contrôle sur une opposition grandissante de la population en
stabilisant par conséquent le statu quo bourgeois.
Sahra Wagenknecht, la vice-présidente
de Die Linke, a été décrite ces dernières semaines dans les médias comme la
nouvelle vedette de l'organisation. Wagenknecht, qui aime souvent faire ses
apparitions publiques vêtue de rouge, est invitée à presque tous les talkshow, mise
en valeur dans les grands journaux et continuellement interviewée.
Elle est l'incarnation même du cynisme
de Die Linke. Juste avant la chute du Mur de Berlin, elle avait adhéré au SED
stalinien à l'âge de 20 ans. Elle continua ensuite pendant de nombreuses années
à servir de figure de proue de la faction du PDS, la Plate-forme communiste
(Die kommunistische Plattform). Au début des années 1990, sa nostalgie de
l'ancienne Allemagne de l'Est et ses vues staliniennes ont failli entraîner son
expulsion du parti. Aujourd'hui, ces caractéristiques servent à la fabrication
d'une image gauchiste.
En début d'année, Wagenknecht a
publié un livre sur la crise économique dans lequel que Karl Marx est
inexistant et où elle préfère chanter les louanges de l'économie de marché, de
la concurrence et de la société « fondée sur le rendement
individuel ». Au centre de la critique du capitalisme de Wagenknecht il y
a l'idée que le libre marché n'a pas été suffisamment contrôlé par une
règlementation étatique. Son appel pour un Etat fort est en train d'obtenir l'appui
de la classe dirigeante vu qu'une règlementation étatique de l'économie
capitaliste est impossible à réaliser sans réprimer la classe ouvrière.
Le congrès de Die Linke à Erfurt
marque une nouvelle étape dans l'évolution d'un parti qui est de plus en plus déterminé
à devenir un rempart contre un développement socialiste révolutionnaire de la
classe ouvrière.