Mercredi, les dirigeants de l’ensemble des partis
représentés dans le parlement grec, à l’exception du parti fasciste Aube
doré, ont accepté d’organiser de nouvelles élections le 17 juin. Ceci marque
un échec définitif des tentatives de former un gouvernement ayant une
majorité fondée sur les élections du 6 mai.
Jusqu’aux élections, le président du Conseil
d’Etat, Panagiotis Pikramenos, dirigera un gouvernement intérimaire. Selon
la Constitution grecque, un tel régime de transition n’a pas l’autorité de
promulguer des lois. Sa principale tâche est d’organiser les nouvelles
élections.
Les marchés boursiers grecs et européens ont réagi
nerveusement aux derniers développements en date et des Grecs riches sont en
train de retirer de considérables sommes d’argent de leurs comptes. Selon le
directeur de la banque centrale grecque, l’on craint que la situation
bancaire ne dégénère en un mouvement de panique.
Lors des élections du 6 mai en Grèce, une
écrasante majorité de la population a voté contre la politique de rigueur de
l’Union européenne (UE). La principale bénéficiaire de ce sentiment
grandissant a été la Coalition de la Gauche radicale (SYRIZA) qui durant la
campagne a rejeté de nouvelles mesures d’austérité et a émergé comme le
deuxième plus fort parti des élections, avec 17 pour cent des suffrages.
Ce résultat a provoqué des ondes de choc à travers
l’establishment politique grec et européen et qui a conduit à un
débat acharné sur la manière de venir à bout de l’opposition à la politique
d’austérité de l’UE et de la crise grandissante de l’euro.
SYRIZA a rejeté un gouvernement de coalition avec
les anciens partis au pouvoir, le parti Nouvelle Démocratie (ND) et PASOK, à
moins qu’ils ne prennent leur distance par rapport à leur précédente
politique d’austérité. SYRIZA a proposé de renégocier les conditions des
sauvetages imposées à la Grèce par l’UE et les banques.
Une coalition entre ND, qui, en tant que parti
ayant obtenu le plus de votes, bénéficie automatiquement de 50 sièges
supplémentaires au parlement, PASOK et une scission de SYRIZA, la Gauche
démocratique (DIMAR), aurait eu une majorité. Toutefois, le dirigeant de ND,
Antonis Samaras, tout comme le chef de file de DIMAR, Fotis Kouvelis, ont
refusé de former une coalition avec SYRIZA. Ils n’ont pas osé appliquer des
mesures d’austérité impopulaires sans le soutien de SYRIZA.
Une proposition faite par les Grecs Indépendants,
scission populiste de droite de ND, de participer au gouvernement a
également été rejetée. Son président, Panos Kammenos, avait apparemment
envoyé une lettre aux présidents des autres groupes pour leur soumettre une
coalition d’unité nationale d’urgence à la condition que son parti se charge
du ministère de la Défense. Kammenos a par la suite nié avoir écrit une
telle lettre.
Les représentants de l’UE ont réagi à l’échec des
négociations en vue de la formation d’une coalition en intensifiant la
pression sur la Grèce. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble,
a déclaré à la radio allemande qu’il n’accepterait pas la renégociation du
pacte fiscal exigée par SYRIZA.
« Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent
du beurre, » a-t-il dit en exigeant que la Grèce se plie aux mesures
d’austérité précédentes si elle voulait rester dans la zone euro, il a dit
que ceci requérait « un gouvernement efficace et prêt à emprunter cette
voie. »
Même l’Union fédérale de l’Industrie allemande
(BDI) a sermonné la population grecque sur la manière de voter. « Le peuple
de Grèce est appelé à voter pour choisir des partis pro-européens qui visent
à rendre la Grèce plus compétitive, » a déclaré le président de la
fédération allemande des patrons, BDI, Hans-Peter Kreitel, au journal
Rheinische Post.
Immédiatement après les élections, les
responsables de l’UE ont clairement fait comprendre qu’ils préféreraient
voir la Grèce quitter la zone euro que de faire des concessions sur le pacte
fiscal. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a
menacé de suspendre les versements d’aide, acculant la Grèce à la faillite
en cas d’un relâchement quelconque des mesures d’austérité.
La logique de cette menace est évidente : soit la
Grèce accepte les coupes qui ont déjà conduit à une pauvreté de masse et au
chômage ainsi qu’à la ruine de l’économie, soit l’UE supprimera le crédit à
la Grèce, l’obligeant ainsi à réintroduire sa propre monnaie, la drachme.
Les marchés financiers internationaux feraient alors baisser la valeur de la
nouvelle monnaie grecque ce qui aurait pour conséquence une hyperinflation
et donc une dévaluation drastique correspondante des salaires et des
retraites.
Samaras a exploité ces menaces lors de sa campagne
électorale en déclarant que seule ND pourrait garantir que la Grèce restât
dans la zone euro en continuant à appliquer la politique de rigueur. « Les
prochaines élections sont une lutte entre les forces nihilistes gauchistes
en alliance avec des populistes opportunistes d’un côté et le front européen
fort et résolu de l’autre, » a-t-il déclaré.
La semaine dernière déjà, Samaras a appelé à une
alliance avec des partis droitiers plus petits qui n’avaient pas franchi le
seuil des trois pour cent nécessaire pour entrer au parlement. Il a reproché
à SYRIZA « une arrogance inconcevable et une incroyable irresponsabilité. »
Jusqu'ici, SYRIZA a été en mesure de tirer
avantage de ces menaces; l’organisation arrive maintenant en tête dans les
sondages avec 27 pour cent de voix. Son dirigeant, Alexis Tsipras, a déclaré
que son but dans ces élections était la formation d’un gouvernement de
gauche « qui annule les mesures d’austérité et qui reconstruit le pays à
partir des ruines laissées par les partis de la rigueur. »
Tsipras et d’autres représentants de SYRIZA ont
aussi souligné toutefois qu’ils rejetaient une sortie de la zone euro. Ils
ont propagé l’illusion qu’il était possible de défier le programme
d’austérité de l’UE tout en restant dans l’UE et la zone euro.
Ils mettent en avant un soutien aux politiciens
européens qui cherchent à remplacer le pacte fiscal communautaire par un
« pacte de croissance. » Ceux-ci comprennent le président français, François
Hollande, qui a dit vouloir adresser à la Grèce « un signe d’espoir » sous
la forme d’une « politique de croissance pour leur permettre d'assurer leur
présence en zone euro. »
Un tel pacte de croissance ne changerait toutefois
pas la nature des mesures d’austérité de l’UE. Il ne ferait que poursuivre
les attaques contre les dépenses sociales en introduisant des soi-disant
mesures structurelles visant à accroître la compétitivité – c’est-à-dire
abaisser les salaires en imposant des conditions de travail plus souples
pour amasser davantage d’argent pour les banques européennes en difficulté.
Le modèle pour Hollande, et les autres défenseurs
du « pacte de croissance », est l’Agenda 2010 introduit de 1998 à 2005 par
le gouvernement social-démocrate SPD du chancelier allemand Gerhard Schröder
et qui a créé en Allemagne un énorme secteur à bas salaire.
(Article original paru le 17 mai 2012)