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Un échange de lettre sur le stalinisme, le trotskysme et le Parti Communiste du Canada

Le 9 mars 1999
Camarades,

Je viens de découvrir votre site. Il est très bien organisé et vos articles sont intelligents et bien étudiés. Votre analyse est également prenante.

Je suis membre du Parti Communiste du Canada et également organisateur de ma cellule. Toutefois, je suis quand même un admirateur de Trotsky et je suis d'accord avec son analyse de l'Union Soviétique et de Staline. Je ne crois pas que Trotsky avait raison sur tous les points (un long débat compliqué n'ayant pas sa place ici serait nécessaire pour expliciter), mais il me semble que les raisons historiques et les différences politiques perçues et présentes entre les partis « communistes » et les trotskystes constituent maintenant un obstacle à la lutte internationale pour le communisme. Maintenant que les forces capitalistes mondiales imposent leur poids avec toutes leurs énergies sur la classe ouvrière, il est criminel que les forces socialistes restent divisées. Non seulement l'ensemble du mouvement s'en trouve affaibli, mais cette situation accroît la confusion dans la classe ouvrière fatiguée des attaques à savoir qui est plus révolutionnaire, plus démocratique que l'autre, ou encore qui est à blâmer pour telle ou telle erreur.

Il ne fait aucun doute que les partis communistes staliniens (c'est-à-dire ceux qui ont choisi de rester sous l'aile du PCUS) ont fait de sérieuses erreurs en matière de démocratie interne de parti et de politique économique, notamment en réfrénant les forces révolutionnaires dans le monde entier dans leurs tentatives d'épargner l'Union Soviétique d'attaques supplémentaires menaçant son existence même. Mais Trotsky aurait-il fait mieux ? Possible, mais ça, nous ne le saurons jamais.

Toutefois, il est également clair que la politique trotskyste d'entrisme dans les partis de la classe ouvrière appliquée en Europe et ailleurs a complètement échoué. Lors d'un débat à Manhattan il y a quelques années, Ernest Mandel et Seymour, représentant des spartakistes, en étaient venus aux insultes, s'accusant l'un l'autre d'être hors contexte à ce sujet. Pourtant, il me semble qu'ils avaient tous deux raison lorsqu'ils disaient que le mouvement communiste mondial, indépendamment de ses tendances particulières, doit travailler de concert à nouveau, du moins au niveau de base.

Tant les membres des partis trotskystes que communistes se voient comme des communistes révolutionnaires. Ils adhèrent tous deux aux principes de Lénine du centralisme démocratique au sein du parti et savent que le travail au sein des partis social-démocrates ne sert à rien.

D'après moi, la division qui subsiste est un anachronisme. Staline n'est plus là, et pas seulement physiquement. Il est maintenant possible de parler de Trotsky dans mon parti sans que les gens se sauvent. C'est vrai, quelques vétérans croient encore ce que l'on leur a dit, à savoir que Trotsky était un anticommuniste, mais les jeunes n'avalent plus cela et veulent savoir.

Plutôt que de s'opposer les uns aux autres, nous devons encourager les actions conjointes lorsque cela est possible et tenir des conférences sur nos supposées différences d'approche. Cela ne veut pas dire qu'il ne restera pas quelques différences et que la suspicion disparaîtra entièrement. Mais en tant que communistes, nous devons agir en véritables révolutionnaires et nous organiser pour le bénéfice de la classe ouvrière. Est-ce bien important de savoir qui dirigera la classe ouvrière tant et aussi longtemps que nous serons sur la voie du socialisme ?

Au plaisir de vous lire.

Salutations fraternelles,
(Anonymat respecté pour fin de publication)

 

Cher camarade,

Merci pour vos remarques élogieuses à propos du World Socialist Web Site et toutes nos excuses pour le long délai avant la communication de cette réponse.

Nous ne pouvons tout simplement pas partager votre affirmation selon laquelle la chute de l'Union Soviétique rend « anachronique » la scission entre les partisans de Léon Trotsky et des organisations comme la votre qui ont louangé Staline et les politiques de l'État soviétique pendant des décennies. Il ne s'agit pas ici d'une question de parti ou de faction. La question principale ici, c'est notre évaluation du XXe siècle et la façon dont il faut effectuer le travail préparatoire politique et idéologique en attendant la prochaine vague de lutte de classe révolutionnaire.

Vous reconnaissez d'abord que les « partis communistes staliniens ... [ont réfréné] les forces révolutionnaires dans le monde entier » pour ensuite qualifier cela de simple erreur. Selon vous, il faudrait donc présumer que les procès de Moscou, l'assassinat de Trotsky et l'extermination d'innombrables socialistes soviétiques lors des purges des années 30 n'auraient été que des « erreurs » .

Puisque vous déclarez connaître les écrits de Trotsky, vous n'êtes pas sans savoir que ce dernier soutenait que sous Staline, le Parti communiste de l'Union Soviétique (PCUS) et les autres sections de la Troisième Internationale (Komintern) ont été transformées et sont passées de partis révolutionnaires qu'ils étaient en instruments politiques d'une caste bureaucratique privilégiée qui a usurpé le pouvoir à la classe ouvrière soviétique. Résultat du retard de la révolution mondiale, de l'isolement et de l'arrérage du premier État ouvrier, la bureaucratie était, en dernière analyse, une agence de l'impérialisme.

Vous mentionnez au passage certaines questions importantes de la lutte menée par Trotsky contre la dégénérescence bureaucratique de la révolution d'Octobre. Or, au coeur même de la dispute entre Trotsky et la faction dirigeante du PCUS se trouvait la question du « socialisme dans un seul pays » . En séparant le sort de la révolution d'Octobre à celui de la lutte mondiale pour le socialisme, Staline a renié non seulement le programme et la perspective sur lesquels la révolution bolchevik était basée, mais également l'un des enseignements fondamentaux du socialisme scientifique.

Peu de temps après la promulgation de la théorie du « socialisme dans un seul pays » par Staline à l'automne 1924, Trotsky annonça que ce credo reflétait en fait les intérêts matériels d'une couche bureaucratique montante enracinée dans l'appareil d'État et du parti. S'étant assurée une position privilégiée au sein de l'État ouvrier, la bureaucratie cherchait maintenant à préserver sa position en concluant un nouveau mode de vie avec l'impérialisme. En affirmant que le « socialisme » pouvait être construit à l'intérieur des frontières nationales de l'État soviétique, la bureaucratie offrait en fait la garantie à l'impérialisme que la révolution d'Octobre ne serait pas exportée, espérant ainsi convaincre la bourgeoisie internationale d'abandonner ses efforts pour renverser l'État soviétique, la source même des privilèges bureaucratiques.

Depuis au moins la capitulation ignoble du Parti Communiste Allemand face à Hitler en 1933, le PCUS et le Komintern ont non seulement tenté de réfréner les luttes de la classe ouvrière, mais les ont en plus saboté et supprimé. La défense de l'Union Soviétique, une tactique qui avait toujours été subordonnée au programme de la révolution socialiste mondiale sous Lénine, fut transformée par la bureaucratie en un mécanisme de réconciliation des éléments autrefois révolutionnaires qui s'étaient ralliés à la bannière de la révolution d'Octobre en fondant les partis communistes avec « leur » bourgeoisie nationale propre. Déviation nationaliste du programme marxiste, le « socialisme dans un seul pays » ne pouvait inévitablement que nourrir les orientations nationalistes dans tous les partis staliniens ­ mais nous en reparlerons un peu plus loin lorsque viendra le temps d'analyser l'héritage du Parti Communiste du Canada (CPC).

Pour ce qui est de votre comparaison entre les « erreurs » des partis communistes ayant réfréné la révolution mondiale et l'échec prétendu de la « politique » trotskyste de l'entrisme, excusez-nous d'être aussi direct, mais c'est absurde. L'entrée des trotskystes dans les partis rivaux centristes et social-démocrates n'a jamais été qu'une tactique limitée défendue par Trotsky dans les conditions très particulières des années 30. Par ailleurs, pour débattre sur l'utilité de l' « entrisme » , il faut se rappeler que Trotsky et ses partisans subissaient alors de la part de l'État soviétique et des partis staliniens une persécution d'une importance et d'une intensité sans précédent dans l'histoire du mouvement ouvrier.

La nécessité absolue d'une stratégie révolutionnaire internationale

La lutte menée par Trotsky pour défendre et enrichir la conception d'une stratégie révolutionnaire mondiale opposée à la bureaucratie stalinienne est plus que jamais d'actualité à l'heure de la lutte pour faire renaître le mouvement socialiste mondial. Ce n'est certes pas le moment ici de récapituler en détail l'analyse du CIQI, mais brièvement, disons que nous soutenons que la crise actuelle de la classe ouvrière est enracinée dans sa soumission qui dure depuis des décennies à des forces de classe extérieures ­ les bureaucraties staliniennes, social-démocrates et syndicales, et dans le cas des pays oppressés d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine, certaines sections de la bourgeoisie nationale ­ qui prétendent toutes que l'impérialisme ne peut être combattu que sur la base d'un programme national. Avec la fin du boum de l'après-guerre, le rejet des dispositifs de régulation économique nationaux par la bourgeoisie et la mondialisation de la production, ces organisations se sont montrées tout à fait incapables de défendre même les intérêts les plus élémentaires de la classe ouvrière. Or, si cette dernière veut combattre avec succès le capital organisé mondialement, elle doit plus que jamais se constituer en classe internationale et se mobiliser selon une stratégie révolutionnaire mondiale.

Le dossier politique du PCC

Il est évident que vous croyez que le PCC, indépendamment de son rapport historique avec Staline et le stalinisme, peut encore contribuer à construire un parti ouvrier socialiste de masse. Nous sommes curieux de savoir qu'est ce que vous trouvez de positif dans l'héritage du PCC. Pour notre part, nous pensons que, bien que « Staline n'est plus là » , le PCC, de par son histoire, ses affiliations internationales et son programme est toujours un parti stalinien. Et surtout qu'il est resté fidèle à l'opposition nationaliste des staliniens contre le programme trotskyste de la révolution socialiste mondiale.

Le PCC vante ses rapports avec le Parti Communiste Français qui fait actuellement partie du gouvernement du Parti Socialiste de Jospin. Le PCC est également l'allié du Parti Communiste de la Fédération Russe (PCFR). Successeur direct du PCUS de Staline, le PCFR oscille entre son soutien au gouvernement Elstine-Primakov et sa connivence avec les opposants chauvins grand-russes à ce même gouvernement Eltsine.

Le PCC s'enorgueillit d'être le plus ardent défenseur du nationalisme canadien au sein de la classe ouvrière. Pendant la guerre froide, la « lutte pour l'indépendance du Canada » correspondait aux objectifs de la politique étrangère du Kremlin qui espérait ainsi persuader la bourgeoisie canadienne de quitter les alliances politiques et militaires anti-soviétiques dominées par les États-Unis. Mais le nationalisme canadien découle également des besoins de certaines sections de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie canadiennes qui n'aiment pas la compétition et la domination étrangère, notamment des États-Unis. Le PCC a une orientation explicite vers ces forces. La principale résolution politique du 32e congrès du PCC, tenu en décembre 1997, faisait pression pour que « le mouvement ouvrier et les autres forces démocratiques tirent habilement avantage » de l'opposition des « petites et moyennes entreprises non monopolistiques » à l'ALÉNA et à la mainmise grandissante de l'étranger sur l'économie canadienne et « autres menaces à la souveraineté du Canada » . Pourtant, les véritables socialistes s'opposent à l'ALÉNA et aux autres initiatives conçues pour renforcer la poigne des sections les plus puissantes du capital canadien et international du point de vue du travail pour unir les luttes des travailleurs canadiens avec celles de leurs frères et surs de classe aux États-Unis, au Mexique et ailleurs dans le monde. Pour sa part, le PCC tente de lier la classe ouvrière à un programme national, en pressant les travailleurs canadiens à faire front commun avec les sections du capital menacées par la compétition de rivaux étrangers plus puissants et techniquement plus avancés et de défendre l'État-nation canadien désuet et réactionnaire. Cette orientation trouve justement son expression dans l'appel de votre parti pour une coalition populaire comprenant des sections du capital et ayant pour but de décréter un programme de réformes démocratiques. Selon le programme du PCC, la venue au pouvoir d'une telle coalition constituerait une étape distincte conditionnelle à toute lutte éventuelle pour le socialisme.

Nous nous réjouissons de toutes les occasions qui s'offrent à nous pour expliquer le programme, les perspectives et l'histoire du Comité International de la Quatrième Internationale. Rien de ce qui a été écrit ici n'exclue le fait de pouvoir poursuivre cette discussion à propos des questions programmatiques et historiques de la lutte pour forger une nouvelle direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

En guise de conclusion, j'aimerais vous suggérer quelques titres d'ouvrages qui pourraient très certainement vous être utiles dans l'étude du trotskysme, de l'histoire de la Quatrième Internationale et du programme du CIQI. Le livre 1937, Stalin's Year of Terror, de la plume de Vadim Rogovin, historien marxiste russe récemment décédé, démontre bien que les purges étaient en fait destinées à annihiler l'opposition socialiste au régime de Staline et ainsi grandement renforcer la réaction. Écrit par David North, The Heritage We Defend est un compte-rendu complet de l'histoire de Quatrième Internationale. Parmi les nombreux sujets abordés, notons au passage comment la tactique trotskyste de l' « entrisme » a été détournée pendant la période de l'après-guerre par un courant opportuniste qui s'est adapté à la domination temporaire de la classe ouvrière par le stalinisme et la social-démocratie. Écrit sous la forme d'une polémique contre les spartakistes, Globalization: A Marxist Assessment brosse bien l'analyse du CIQI sur plusieurs questions programmatiques centrales auxquelles font face les marxistes contemporains, notamment l'importance de la mondialisation et l'attitude marxiste à l'égard des syndicats et de la question nationale.

Au nom du WSWS,
Keith Jones


 

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