wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

L'héritage que nous défendons

Chapitre 28

Table des matières

La SLL défend le Comité International

Banda ne dit pratiquement rien sur le contenu politique de la lutte du Comité International contre la réunification du Socialist Workers Party et du Secrétariat International pabliste. Tout ce que l'on peut trouver sur ce chapitre décisif de l'histoire de la Quatrième Internationale tient en deux courts paragraphes :

«Il faut démasquer cet autre mensonge, cette légende selon laquelle la discussion sur Cuba avait démontré "l'orthodoxie" du Comité International. S'il en avait été ainsi, nous n'aurions pas la crise que nous avons aujourd'hui. Sans doute, certaines contributions importantes ont été faites sur la méthode du pragmatisme, la théorie de la connaissance, la dialectique et la question de la base et de la superstructure etc. au cours de la controverse avec le SWP. Mais le cadre dans lequel la discussion a pris place, lui, était éminemment suspect.

«Healy ne fit aucune contribution à cette lutte. Le travail théorique fut exclusivement réalisé par les camarades Slaughter, Banda et Kemp.»

Parce qu'il rejette le trotskysme aujourd'hui, Banda rejette la légitimité politique de la lutte menée au début des années 1960 par la Socialist Labour League pour défendre l'héritage programmatique de la Quatrième Internationale. Le «cadre» de la lutte qui eut lieu de 1961 à 1963 contre une réunification sans principes consistait en l'héritage de la Lettre ouverte de Cannon de 1953 et en la création du CIQI pour opposer le révisionnisme pabliste. Dans une situation où le SWP, qui n'avait pu développer la lutte contre l'opportunisme de par sa faiblesse politique après la scission de 1953, était passé aux perspectives liquidatrices des pablistes, la tâche de défendre les principes énoncés par Cannon lors de la formation du Comité International incombait à la SLL, la section britannique.

Indépendamment de l'importance de la contribution personnelle de Healy à la lutte de 1961-1963, qui était loin d'être aussi insignifiante que Banda veut bien l'admettre vingt ans après, les documents des trotskystes britanniques contribuèrent de façon déterminante au développement théorique de la Quatrième Internationale. L'actuelle trahison de Healy, Banda et Slaughter n'efface en rien ce qu'ils ont réalisé par le passé. En fait, c'est Banda qui se trompe entièrement : la crise qui démolit le WRP en 1985-86 était le résultat du rejet par Banda, Healy et Slaughter des principes qu'ils avaient défendus en 1961-1963.

Banda aborde la lutte contre la réunification comme il a abordé la Lettre ouverte de 1953. Plutôt que de traiter du véritable contenu de la lutte menée par le CIQI, il utilise un critère subjectif pour l'attaquer. Lorsqu'il attaquait la Lettre ouverte, il en faisait une «manoeuvre indigne». Lorsqu'il tente de dénigrer la lutte contre la réunification, il dénonce le cadre «éminemment suspect» de la discussion. Mais il ne dit jamais ce à quoi il s'oppose précisément. Il ne prend pas même la peine de dire si désormais il rejette ou non la position qu'avait prise le CIQI sur Cuba. Il ne dit pas non plus si le CIQI s'était trompé en rejetant la réunification. Et comme toujours, il n'essaye pas même d'analyser les forces de classe qui s'expriment à travers les positions opposées.

La signification de la lutte menée par la Socialist Labour League entre 1961 et 1963 fut de prouver l'opposition de classe irréductible qui existait entre le trotskysme et le pablisme. Elle démontra que le pablisme n'était pas simplement, comme le prétendait le SWP, un concept démodé servant à définir des pratiques organisationnelles incorrectes comme, par exemple, un centralisme exagéré. Dans une analyse exhaustive de l'évolution politique du pablisme, la SLL montrait au contraire qu'il était la manifestation de la pression de l'impérialisme sur l'avant-garde révolutionnaire, un courant opportuniste et petit-bourgeois dont l'hostilité vis-à-vis des fondements programmatiques et des tâches révolutionnaires de la Quatrième Internationale rendait toute conciliation impossible. Elle prouva que la réunification proposée par le SWP, conduirait, si personne ne s'y opposait, à la liquidation politique irrémédiable du mouvement trotskyste et le transformerait en appendice du stalinisme, de la social-démocratie et du nationalisme bourgeois. Partant de cette conception, la SLL expliqua que Cuba représentait un aspect, mais pas le fond de la discussion. On ne pouvait répondre correctement à la question du caractère de classe de l'État cubain qu'à travers une élaboration de la perspective historique de la Quatrième Internationale.

S'opposant à une réunification avec les pablistes sans discussion commune préalable de la signification de la scission de 1953 pour les perspectives mondiales de la Quatrième Internationale, et refusant de définir Cuba comme un État ouvrier, la Socialist Labour League défendait : 1. La théorie léniniste du parti comme avant-garde de la classe ouvrière et comme arme essentielle dans l'organisation de la révolution prolétarienne ; 2. La théorie de la révolution permanente qui démontre l'hégémonie de la classe ouvrière dans les luttes anti-impérialistes et démocratiques des pays sous-développés et sa complète indépendance vis-à-vis des organisations nationalistes bourgeoises ; 3. La Quatrième Internationale en tant que parti mondial de la révolution socialiste ; 4. Le matérialisme dialectique et historique en tant que fondation théorique du programme révolutionnaire du marxisme.

Les quatre aspects que nous venons d'énumérer constituent les composantes d'une théorie unifiée nécessaire à la défense de l'héritage politique du trotskysme. Il faut souligner que la capacité de la SLL d'étendre la lutte contre le révisionnisme pabliste à sa méthodologie idéaliste et de démontrer que son attaque du programme de la Quatrième Internationale était lié de façon inséparable à son objectivisme anti-dialectique, représentait pour la Quatrième Internationale un progrès important et un renouvellement de la ligne développée en 1939 et 1940 par Trotsky dans la lutte cruciale contre Burnham et Shachtman. C'est là aussi une conquête qui garde toute sa validité, malgré le fait que Healy ait, par la suite, abusé de la méthode dialectique et l'ait déformée.

La SLL entama la lutte contre le tournant vers la réunification par une lettre que son comité national adressa au comité national du SWP le 2 janvier 1961. Dans ce premier document, la signification du pablisme se trouvait correctement expliquée :

«Le plus grand danger pour le mouvement révolutionnaire est la tendance à la liquidation qui découle d'une capitulation soit devant la force de l'impérialisme, soit devant les appareils bureaucratiques du mouvement ouvrier ou devant les deux. Le pablisme représente, maintenant plus encore qu'en 1953, cette tendance liquidatrice dans le mouvement marxiste international. Pour le pablisme, la classe ouvrière avancée n'est plus l'avant-garde de l'histoire, le centre de toute théorie et de toute stratégie marxiste à l'époque de l'impérialisme, mais le jouet de "facteurs historiques mondiaux", considérés et appréciés de façon abstraite... Toute responsabilité historique du mouvement révolutionnaire est niée, tout est soumis à des forces panoramiques; la question du rôle de la bureaucratie soviétique et des forces de classe dans la révolution coloniale reste sans solution. Cela vient naturellement parce que la clé de ces problèmes est le rôle de la classe ouvrière dans les pays avancés et la crise de la direction de ses mouvements ouvriers.

«Toute retraite par rapport à la stratégie de l'indépendance politique de la classe ouvrière et de la construction de partis révolutionnaires de la part du mouvement trotskyste aura l'importance d'une erreur de proportions historiques mondiales...

«C'est précisément parce que les possibilités qui s'offrent au trotskysme sont si grandes et que par conséquent la nécessité d'une clarté théorique et politique est si grande, qu'il nous faut d'urgence nous démarquer du révisionnisme sous toutes ses formes. Il est temps de mettre fin à la période où le révisionnisme pabliste était considéré comme un courant au sein de la Quatrième Internationale. Si nous manquons de le faire, nous ne pourrons pas nous armer en vue des luttes révolutionnaires qui commencent maintenant. Nous souhaitons qu'en commun avec nous, le SWP aille de l'avant dans cet esprit.» [1]

Sans rejeter la possibilité d'une réunification avec le Secrétariat International, la SLL insistait pour dire qu'on ne pouvait faire aucune concession politique aux conceptions pablistes et que les mesures organisationnelles devaient être précédées par l'élaboration de perspectives mondiales et d'une analyse extrêmement détaillée de l'évolution du pablisme :

«Ce qu'il faut pour le mouvement international aujourd'hui, c'est une déclaration politique de la part des trotskystes orthodoxes qui établira notre point de vue sur les grands problèmes de l'heure. Sans cette déclaration politique internationale, il sera impossible de reconstruire le mouvement international. On peut le voir clairement dans la crise de Sri Lanka et dans notre propre mouvement en Argentine. Le développement d'un mouvement très prometteur au Japon ne peut se poursuivre que sur la base d'une telle réaffirmation internationale des principes...

«Il faut faire suivre ce document international d'une série d'articles analysant le cours révisionniste du pablisme. Une condition préalable essentielle du développement de la Quatrième Internationale est de rompre définitivement avec toute trace de ce genre de révisionnisme. Si nous ne parvenons pas à accomplir cette rupture maintenant, notre mouvement subira, c'est l'avis de la SLL, sa plus grave crise dans la période où les possibilités qui se présenteront à elle seront les plus grandes.» [2]

Le 8 mai 1961, la Socialist Labour League envoya au SWP un autre document qui abordait le glissement du mouvement américain vers des positions ayant un caractère nettement pabliste, contredisant le SWP qui prétendait que la scission de 1953 n'avait plus d'importance pour le mouvement trotskyste. La SLL condamna sévèrement l'affirmation de Morris Stein selon laquelle le stalinisme pouvait jouer un rôle révolutionnaire en aidant la lutte anti-impérialiste et exprima sa crainte que les positions prises par quelques membres du SWP lors de la réunion du comité national du 14 janvier 1961,

«... indiquent une retraite par rapport aux positions prises vis-à-vis des pablistes. L'essence de la méthode pabliste consistait, en partant d'un point de vue qui était sensé être objectif et qui était en fait purement contemplatif, à soupeser les "forces objectives" ou la "réalité mondiale" et à en tirer des conclusions qui ne dépassaient pas le niveau de l'apparence et n'étaient en fait qu'une adaptation. Quelle différence y a-t-il entre les remarques faites par le camarade Stein [citées au chapitre 27] et la théorie révisionniste pabliste selon laquelle les partis staliniens "défendaient une orientation révolutionnaire "?»[3]

La SLL en venait ensuite à un point de litige crucial avec les pablistes : le fait qu'ils subordonnaient le prolétariat à la bourgeoisie nationale des pays sous-développés.

«Une composante essentielle du marxisme révolutionnaire dans cette époque est la théorie que la bourgeoisie nationale des pays sous-développés est incapable de vaincre l'impérialisme et d'instaurer un État national indépendant. Cette classe est liée à l'impérialisme et elle est bien sûr incapable d'un développement capitaliste indépendant, car elle fait partie du marché mondial capitaliste et ne peut concurrencer les produits des pays avancés. Dans les mouvements de libération nationale, les organisations ouvrières doivent suivre le mot d'ordre de Lénine "marcher séparément et frapper ensemble" contre les capitalistes étrangers et leurs collaborateurs immédiats. Avec Marx, nous disons : soutenez les partis bourgeois et petits-bourgeois dans la mesure où ils nous aident à porter des coups communs à notre ennemi ; opposez-vous à eux dans toutes les questions où ils veulent stabiliser leurs propres conditions d'existence et consolider leur propre domination.

«S'il est vrai que le degré d'"indépendance" atteint par des pays comme le Ghana et les mouvements d'indépendance nationale dirigés par des hommes comme Mboya au Kenya ont une action stimulante sur les mouvements de libération nationale d'autres pays, il n'en reste pas moins que Nkroumah, Mboya, Nasser, Kassem, Néhrou, Soukharno et leurs semblables représentent la bourgeoisie nationale de leur pays. Les principaux politiciens impérialistes des États-Unis et de la Grande-Bretagne savent pertinemment que les possessions et les alliances stratégiques du capital international en Asie, en Afrique et en Amérique Latine ne peuvent être conservées que s'ils accordent l'"indépendance" politique à ce type de dirigeants ou s'ils acceptent leur victoire sur des éléments féodaux comme Farouk et Nouries-Saïd.

«L'article du camarade Hansen sur la conférence de Mexico ne prend pas une position de principe sur le caractère de tels États. Les trotskystes n'ont pas à vanter les mérites de ce genre de dirigeants nationalistes. Ces derniers jouissent de la confiance des masses uniquement parce que les directions sociales-démocrates et surtout staliniennes ont trahi et que, de ce fait, ils deviennent des tampons entre l'impérialisme et la masse des travailleurs et des paysans. La possibilité d'une aide économique de la part de l'Union soviétique leur permet souvent de faire de meilleures affaires avec les impérialistes. Elle permet même à des éléments plus radicaux parmi les dirigeants bourgeois et petits-bourgeois d'attaquer la propriété impérialiste et d'obtenir un soutien supplémentaire de la part des masses. La question essentielle pour nous est dans tous les cas que, dans ces pays, la classe ouvrière établisse son indépendance au moyen d'un parti marxiste, entraîne la paysannerie pauvre à la construction de soviets et la conduise à reconnaître la nécessité de leur relation avec la révolution socialiste internationale. Les trotskystes ne devraient en aucun cas remplacer cette stratégie par l'espoir que les directions nationalistes deviendront socialistes. L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes. La présente discussion sur Cuba semble procéder de la manière suivante : les masses cubaines soutiennent Castro ; Castro débuta comme petit-bourgeois, mais il est devenu socialiste ; la pression publique de l'attaque impérialiste et la lutte populaire pourraient en faire un marxiste et la tâche qu'il a devant lui de défendre les conquêtes de la révolution, lui a déjà fait adopter, de façon "naturelle", des positions qu'on ne peut plus distinguer du trotskysme. Cette approche foule aux pieds les fondements du marxisme. Même si Castro et son cadre se "convertissaient", la révolution en deviendrait-elle pour autant prolétarienne ? Avons-nous oublié l'opiniâtreté avec laquelle Lénine expliqua, en avril et en mai 1917, la nécessité d'expliquer et celle d'organiser la majorité de la classe ouvrière pour la conquête du pouvoir à travers les soviets ? Si les bolcheviks eux-mêmes ne purent mener la révolution sans le soutien conscient de la classe ouvrière, comment Castro le peut- il ? Cela mis à part, il nous faut aussi apprécier les tendances politiques sur une base de classe et d'après la façon dont elles se développent sur une longue période par rapport au mouvement des classes en lutte. Aucun parti prolétarien, et certainement aucune révolution prolétarienne, ne seront être dans un pays sous-développé le produit de la conversion de nationalistes petits-bourgeois qui se sont aperçu "naturellement" ou "accidentellement" de l'importance des travailleurs et des paysans.» [4]

La SLL rejeta catégoriquement l'affirmation selon laquelle le mouvement castriste petit-bourgeois du 16 juillet pouvait constituer un moyen de substitution à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière cubaine :

«La seule voie qui mène au pouvoir ouvrier est celle de la destruction de l'État bourgeois et du contrôle exercé sur la vie de la nation par des organes propres à la classe ouvrière (des soviets, conseils ouvriers etc.) Cela vaut pour les pays avancés comme pour les pays coloniaux. La tâche ne se pose pas seulement aux États-Unis, mais aussi à Cuba. Certains camarades ont, dans la discussion du comité national du SWP, critiqué l'approche des camarades latino-américains qui ont pris fait et cause pour une politique juste, celle des conseils ouvriers et paysans, de l'armement des ouvriers etc. Ces critiques suggéraient par exemple qu'une telle campagne serait considérée comme contre-révolutionnaire par les masses cubaines et par la direction Castro. Une fois de plus, l'ensemble de la méthode marxiste et de l'expérience révolutionnaire sont jetées par-dessus bord par une telle approche. Si ces camarades réfléchissent un instant, ils seront certainement d'accord pour dire que dans une période révolutionnaire, telle qu'elle existe aujourd'hui à Cuba, il s'agit précisément de trouver des méthodes grâce auxquelles la classe ouvrière pourra résoudre les problèmes de la défense intérieure et extérieure et des problèmes économiques du pays. La tactique du parti révolutionnaire consistera à présenter la voie vers le pouvoir ouvrier en terme des méthodes de classe nécessaires pour résoudre ces problèmes. Là aussi, la direction donnée par Lénine au parti bolchevique durant la période de double pouvoir est exemplaire...

«Les remarques générales faites par le camarade Hansen sur cette question sont extrêmement désarmantes : il s'agit, voyez-vous, du parti mondial qui grandit dans le monde entier tandis que l'impérialisme bat en retraite. Il nous laisse entendre qu'en certains endroits ce processus de l'émancipation de la classe ouvrière se déroulera sans un tel parti. Cuba est présumément un tel endroit. Dans l'exposé du camarade Hansen, on trouve le phénomène bizarre d'une "conscience socialiste qui commence à apparaître" seulement après que soit établi l'État ouvrier! À notre avis, la discussion de la question du parti à ce niveau "international" abstrait est une façon de fuir la question concrète de la construction de tels partis dans chaque pays.» [5]

Lors d'une session du Comité International, les 28 et 29 juillet 1961, Cliff Slaughter analysa la résolution du SWP sur les perspectives et se concentra sur son abandon total de la méthode marxiste :

«On trouvera la faiblesse fondamentale de la résolution du SWP dans le fait qu'elle remplace la méthode marxiste par l'"objectivisme", c'est-à-dire par une fausse objectivité. Cette manière de faire conduit à des conclusions semblables à celles des pablistes. Lénine tira de son analyse de l'impérialisme comme stade suprême du capitalisme la conclusion que rien n'était plus important que le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et de son parti. Les tenants de l'"objectivisme" tirent en revanche la conclusion que la force des "facteurs objectifs" est si grande que, indépendamment du fait que le prolétariat dispose ou non dans sa lutte d'une direction marxiste, la révolution de la classe ouvrière vaincra et renversera le pouvoir des capitalistes. Il n'y a guère d'autre façon de comprendre la formulation de la résolution du SWP qui évoque l'"impatience" des masses qui ne peuvent pas retarder la révolution jusqu'à la construction d'une direction révolutionnaire. Cela signifie que les directions existantes des forces anti-impérialistes seront forcées, "par la logique de la révolution elle-même", de prendre la direction révolutionnaire de la lutte prolétarienne pour le pouvoir. Le SWP n'a pas développé cette théorie jusqu'au bout, mais dans l'attitude qu'elle prend vis-à-vis de Cuba, elle accepte précisément ces conclusions. Au début des années 1950, l'idée des pablistes que les partis communistes et la bureaucratie soviétique "défendaient une orientation révolutionnaire" provenait précisément d'une telle approche. Une analyse marxiste doit insister pour que la logique de cette déviation que l'on trouve dans la résolution du SWP soit pensée jusqu'au bout. Si la direction petite-bourgeoise de Cuba a été forcée, par la logique objective des événements, de mener le prolétariat au pouvoir (le SWP dit que Cuba est un "État ouvrier" ce qui ne peut vouloir dire que la dictature du prolétariat), alors il nous faut exiger qu'une analyse de la situation mondiale soit présentée, qui explique comment un événement qui rend caduque la théorie léniniste du rapport entre la classe, le parti et le pouvoir, a pu se produire.

«Il en va de même pour ce qui est de la formulation de la résolution du SWP sur la construction du parti révolutionnaire au cours de la révolution elle-même. Là encore il faut aller jusqu'au bout des implications de cette formulation. Pour nous, de telles formules n'ont de sens qu'au niveau de la perspective historique générale des rapports de classe. Le SWP doit montrer de quelle manière les "facteurs objectifs" de la situation mondiale rendent inutiles, dans certains cas, la préparation et la construction d'une direction révolutionnaire. La construction de tels partis dans les périodes de réaction importante comme dans les périodes préparatoires et les périodes pré-révolutionnaires, est l'oeuvre historique principale de Lénine et de ses partisans. Le SWP pense-t-il que même si Lénine et Trostky n'avaient pas tort, en leur temps, de préparer de tels partis, à notre époque, des forces objectives déterminées garantissent qu'il y aura assez de temps pour construire des partis révolutionnaires au cours de la révolution elle-même ? Si oui, il faut qu'ils nous expliquent exactement quelle transformation qualitative s'est produite entre l'époque de l'impérialisme, dans laquelle Lénine et Trotsky travaillaient, et notre époque. Sinon, il leur faudra probablement retourner à la position léniniste sur cette question.» [6]

Au cours de sa véhémente attaque contre l'objectivisme des perspectives du SWP et la désorientation qu'il causait, Slaughter qualifia l'affirmation que les actions des nationalistes petits-bourgeois étaient une «confirmation» de la théorie de la révolution permanente de «charabia réactionnaire» : «Cela revient à l'une de ces deux choses (et peut-être à toutes les deux) ; a) cela épargne à des gens qui se disent trotskystes la tâche de "confirmer", dans la pratique, dans l'arène des luttes de la classe ouvrière, la théorie de la révolution permanente ou b) cela sert à couvrir, à l'aide à de beaux discours sur la confirmation des théories de Trotsky, une capitulation devant les nouveaux opportunistes et le rôle qu'ils jouent». [7]

Le déroulement ultérieur de la polémique montra que le SWP rejetait la nécessité de construire des partis révolutionnaires du prolétariat dans les pays sous-développés. Étendant son analyse de Cuba à la situation en Algérie, le SWP soutint Ben Bella sans le critiquer et reprocha à la SLL de s'être opposée aux accords d'Evian passés entre le FLN et l'impérialisme français en 1962. La direction du SWP expliquait :

«Cette condamnation n'a absolument aucune base. L'accord qui fut arraché à De Gaulle contre la résistance de l'OAS est une grande victoire pour le peuple algérien et pour la révolution arabe et coloniale. C'est un revers douloureux pour l'impérialisme français et mondial. Bien sûr, il ne s'agit pas là d'une victoire complète et définitive. Mais elle a amené la lutte pour l'indépendance nationale et l'émancipation sociale à un niveau plus élevé et donne à la révolution des bases plus solides et plus favorables pour résoudre ses prochaines tâches...

«Cuba et l'Algérie réunissent la plupart des problèmes fondamentaux posés aux marxistes au stade actuel de la révolution coloniale. La désorientation dont fait preuve la SLL pour ce qui est de ces deux révolutions vient de la méthode erronée avec laquelle elle aborde les processus fondamentaux en cours. La source de leurs erreurs est dans les deux cas la même : l'abandon de l'objectivité marxiste, la non-observation et la minimisation des autres facteurs de la situation, en dehors du caractère de la direction officielle. La méthode subjective de l'analyse conduit à des conclusions fortement simplifiées et sectaires.» [8]

Curieusement, alors que Banda est très loquace sur l'erreur de Healy à propos de Messali Hadj au milieu des années 1950 (tout en n'hésitant pas à mentir sur son propre rôle), il ne souffle mot de la dispute sur l'Algérie en 1962-1963. Il ne dit pas si la SLL avait tort ou non de s'opposer aux accords d'Evian ou s'il est encore d'accord avec la critique de la ligne des pablistes concernant Ben Bella qu`a faite la SLL. L'attaque par les pablistes de la critique des accords d'Evian par la SLL était dirigée contre le droit du prolétariat d'adopter un point de vue hostile et indépendant vis-à-vis de la politique de la bourgeoisie nationale.

Hansen, qui défendait les accords d'Evian comme un compromis nécessaire, évitait de s'adresser à la question essentielle : les accords d'Evian représentaient un arrangement entre les représentants politiques de l'impérialisme français et la bourgeoisie algérienne. Il ne pouvait pas plus être soutenu par la classe ouvrière que l'accord par lequel Ceylan obtint son «indépendance» de la Grande-Bretagne en 1947. À cette époque, les trotskystes cingalais votèrent contre l'accord d'indépendance, refusant d'en porter la responsabilité et de soutenir de quelque manière que ce soit un arrangement qui instaurait au Ceylan un État bourgeois sous l'hégémonie de la bourgeoisie cingalaise. Mais le SWP ignora ces leçons. Dans ses sophismes sur l'inévitabilité des compromis en politique, Hansen abandonnait les principes fondamentaux en faveur d'avantages tactiques.

Si les pablistes dénonçaient l'intérêt que le CIQI portait à la nature de classe de la direction des luttes anti-impérialistes pour être «subjectif», leur théorie se concentrait, elle, entièrement sur les gestes et actions des dirigeants nationalistes. Cela s'exprimait très clairement dans leur théorie du rôle de l'élite politique dans l'instauration du socialisme. En prenant le contrôle de l'appareil d'État, ainsi argumentaient les pablistes, la nouvelle couche dirigeante se libère de l'influence de la bourgeoisie nationale.

«C'est par l'administration de l'État que cette couche développe et acquiert son importance sociale, non pas par les nécessités internes de la production et sa position dans la production. Dans les conditions historiques qui prévalaient dans le passé et jusqu'à la dernière guerre, une telle couche se développait nécessairement en bourgeoisie compradore au service de l'impérialisme.

«Mais dans les conditions particulières d'aujourd'hui, où elle se trouve sous l'influence d'un mouvement de masse puissant et de la puissance croissante des États ouvriers et où elle sait qu'elle peut utiliser à son profit l'opposition Est-Ouest, cette couche joue un rôle bonapartiste et l'étend à l'ensemble de l'État dont les structures économiques et sociales ne se sont pas encore orientées définitivement vers un développement capitaliste classique irréversible.» [9]

De cette analyse découlait une perspective qui faisait dépendre la transformation socialiste des décisions subjectives d'élites gouvernantes qui étaient sensées se tenir au-dessus des principales classes de la société et agir indépendamment d'elles. C'était pourquoi la meilleure ligne à adopter pour la Quatrième Internationale était de tâcher d'approcher de tels dirigeants afin de les influencer. Pablo mit cette théorie en pratique, devenant un fonctionnaire du régime de Ben Bella.

La conception selon laquelle le socialisme n'est pas nécessairement le résultat de la lutte consciente de la classe ouvrière était au coeur de la définition toute économique que proposait Hansen d'un État ouvrier. En juin 1962, il expliquait:

«Permettez-moi de récapituler les principaux concepts. Par principe, on définit un État ouvrier par l'expropriation de la classe capitaliste de ses possessions dans les industries clés, les transports et le secteur financier, par l'instauration d'un monopole gouvernemental du commerce extérieur et par l'introduction de l'économie planifiée. Ce qui dévie de la norme d'un État ouvrier en bonne santé relève fondamentalement du domaine de la politique, c'est-à-dire cela concerne la quantité relative de démocratie prolétarienne.» [10]

Pour Hansen, les fondations historiques et politiques de l'État ouvrier, tout ce qui avait trait au développement du prolétariat en tant que force sociale consciente de sa tâche révolutionnaire, à la prise du pouvoir et à la création des formes spécifiques à travers lesquelles la classe exerce sa dictature, tout cela ne faisait pas intrinsèquement partie de la définition d'un État ouvrier. Puisque le socialisme pouvait être introduit «par le haut» dans les pays sous-développés et ne dépendait pas d'une révolution prolétarienne, le SWP parvenait inévitablement à la conclusion que la lutte pour construire un parti révolutionnaire du prolétariat n'était pas essentielle.

«L'expérience a prouvé, écrivait Hansen, que des forces d'opinion socialiste, mais qui ne sont pas des bolcheviks, peuvent parvenir au pouvoir et prendre une série de mesures qui, dans certaines circonstances, vont jusqu'à dépasser le capitalisme privé, posant les bases d'un État ouvrier.» [11]

Cette position liquidatrice se trouvait formulée en toutes lettres dans la résolution sur le programme adoptée au congrès de réunification du SWP et des pablistes, en juin 1963 : «Dans les pays sous-développés la faiblesse de l'adversaire a aussi créé la possibilité de prendre le pouvoir à l'aide d'un instrument émoussé.» [12] Ces mots révèlent toute la signification historique de la réunification de 1963. La position des pablistes ne pouvait signifier qu'une seule chose : pour la réalisation du socialisme, ni la Quatrième Internationale ni la conquête du pouvoir par la classe ouvrière n'étaient nécessaires.

La position selon laquelle les partis marxistes ne sont pas nécessaires dans les pays sous-développés, mène irrémédiablement à cette conclusion qu'ils ne sont nécessaires nulle part dans le monde. Si la nécessité ou non d'un parti marxiste peut être déduite de la faiblesse d'une classe dirigeante nationale dans une partie du monde, il s'en suit que l'établissement de régimes «socialistes» dans un certain nombre de pays sous-développés créerait immédiatement une crise si grave aux États-Unis, en Europe et au Japon que, là aussi, le socialisme pourrait être instauré à l'aide d'instruments «émoussés», c'est-à-dire d'instruments non-marxistes. Qui plus est, puisque la construction de partis marxistes n'est rien d'autre que l'expression consciente du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière comme seule porteuse de nouveaux rapports sociaux, le refus d'admettre la nécessité d'un tel parti implique que le socialisme n'est pas nécessairement réalisé au moyen de la lutte des classes prolétarienne.

Au centre de la perspective pabliste, on trouve le rejet du rôle révolutionnaire du prolétariat. Les pablistes affirmaient explicitement que le travail de leur mouvement international n'était plus concentré sur les pays capitalistes avancés. Au lieu de cela, ils déclarèrent lors de leur sixième congrès, qu'«il était nécessaire pour la Quatrième Internationale de réorganiser ses activités en tant qu'internationale par rapport au secteur le plus important de la révolution mondiale, la révolution coloniale, et de concentrer, pendant toute une période, l'essentiel de leur travail sur ce secteur».[13]

Les pablistes rejetèrent explicitement toute tentative d'organiser le prolétariat des pays sous-développés indépendamment de la bourgeoisie :

«Les éléments marxistes révolutionnaires qui opèrent dans les pays dépendants n'ont pas toujours la possibilité de s'opposer de l'extérieur et de façon tout à fait indépendante aux mouvements nationaux dont la direction ou l'idéologie sont bourgeoises, car ils risqueraient de cette façon de se couper des grandes masses et de rester inefficaces dans la pratique. Tout en se consacrant partout à la tâche de distribuer des écrits ouvertement révolutionnaires qui éclaircissent les problèmes et montrent une perspective claire, ils peuvent se voir contraints de travailler essentiellement au sein des mouvements nationaux existants à caractère révolutionnaire de masse et de prendre fait et cause en leur sein pour une aile prolétarienne d'orientation socialiste.» [14]

Il ne pouvait y avoir plus clair rejet du prolétariat. La formule pabliste consistait en ceci : ils consacreraient «l'essentiel de leur travail» aux pays coloniaux, afin d'y «travailler essentiellement» au sein des mouvements nationaux.

Les sections britannique et française du Comité International refusèrent d'envoyer des délégations au congrès de réunification pabliste où fut créé le Secrétariat Unifié. Au lieu de quoi le CIQI se réunit en septembre 1963 afin de dresser un bilan politique de la lutte contre le pablisme. Le rapport principal de cette réunion fut présenté par Cliff Slaughter :

«La lutte contre le révisionnisme dans le mouvement trotskyste et en particulier dans le Socialist Workers Party, a mis en lumière une différence fondamentale de méthode. Les dirigeants du Socialist Workers Party ont remplacé le marxisme par l'empirisme, ils ont abandonné la méthode qui part du point de vue de transformer le monde, au lieu de l'interpréter ou de le contempler. Dans la lutte contre ce révisionnisme la plus grande partie du travail reste à faire. Il ne suffit pas d'être capable de démontrer la chute des révisionnistes dans l'empirisme ­ notre problème est de construire autour de cette lutte contre le révisionnisme des sections de la Quatrième Internationale capables de diriger l'avant-garde de la classe ouvrière. Regarder le monde dans le but de le transformer signifie aujourd'hui partir de la construction de partis révolutionnaires disciplinés, capables d'intervenir dans les luttes de la classe ouvrière et capables, à partir de cette intervention, de construire la Quatrième Internationale. Ces partis sont des partis prolétariens dont le travail et les méthodes correspondent aux intérêts généraux de la classe ouvrière. Dans les pays avancés, de tels partis ne peuvent être construits qu'au moyen d'une opposition implacable aux cercles petits-bourgeois qui ont dominé la politique de gauche "officielle" durant la relative prospérité qui règne depuis 1945. Cela signifie une lutte de tous les instants au sein de notre mouvement pour former des cadres consciemment opposés au style de vie des cercles de propagande centristes, qui fournissent une couverture de gauche à la bureaucratie. Ceci est diamétralement opposé à la théorie et à la pratique pabliste de défense de la bureaucratie qui prend la forme du soutien de soi-disant courants de "gauche" dans la bureaucratie stalinienne, allant jusqu'à croire qu'elle sera forcée de conquérir le pouvoir dans les pays capitalistes avancés ou de mener la révolution politique dans les États ouvriers. D'autre part, cela conduit à l'"entrisme profond" dans la social-démocratie, justifié par l'espoir de voir émerger des partis de masse "centristes de gauche".

«Lutter pour résoudre la crise de la direction dans les pays sous-développés, signifie lutter pour la construction de partis prolétariens ayant pour objectif la dictature du prolétariat. Dans les pays où la classe moyenne ou la paysannerie est nombreuse, il faut particulièrement mettre en avant le caractère prolétarien de la direction. Sur cette question, les révisionnistes vont dans le sens opposé à Lénine et à Trotsky, justifiant leur capitulation devant les directions petites-bourgeoises et nationalistes par des spéculations sur un nouveau type de paysannerie. Dans un passé récent, les pablistes ont déclaré que le caractère des nouveaux États africains sera déterminé par le caractère social et les décisions de l'élite qui détient le pouvoir d'État, plutôt que par la lutte des classes comme nous l'entendons. Plus récemment encore, Pablo et d'autres ont découvert "le rôle révolutionnaire de la paysannerie". Ce ne sont là que de pauvres excuses pour une capitulation devant la direction petite-bourgeoise du FLN en Algérie et de Castro à Cuba. Avant tout, la "théorie" selon laquelle l'épicentre de la révolution s'est déplacé vers les pays coloniaux et semi-coloniaux est, bien qu'elle paraisse très révolutionnaire, utilisée afin de justifier cette capitulation.» [15]

Slaughter fut particulièrement dur dans sa condamnation de la conception pabliste d'une «internationale» dont les dirigeants considéraient que leur tâche principale était d'être des conseillers semi-officiels de dirigeants des mouvements nationalistes bourgeois. Slaughter n'imaginait pas à cette époque, qu'en l'espace de moins de dix ans Healy, Banda et lui-même joueraient exactement le même rôle à l'égard des mouvements nationalistes du Moyen-Orient. Dans ce paragraphe qui, en 1963, représentait une condamnation accablante des pablistes, mais qui se lit aujourd'hui comme une analyse prophétique de la déchéance du WRP, Slaughter expliquait :

«Une telle orientation produit un type particulier de sections nationales et un type particulier de direction au sein de l'internationale pabliste. Autour des publications de ces groupes se rassemblent un certain nombre d'intellectuels petit-bourgeois qui acceptent facilement des professions de foi "de principe" mais relativement abstraites du marxisme, séparées de la lutte pour la construction d'une direction contre les ennemis du marxisme et de la classe ouvrière. De tels groupes sont constamment à la recherche "d'alliances" avec toutes sortes de courants centristes et ont les illusions les plus naïves sur ces "alliés" des milieux syndicaux et parlementaires, comme en Angleterre et en Belgique. La véritable tâche des marxistes, "pénétrer de plus en plus profondément dans la classe ouvrière" afin de construire une force qui brisera la bureaucratie, est pour ces cercles un véritable cauchemar. Le message selon lequel la chose la plus importante est d'encourager les "centristes de gauche" est un cadeau du ciel pour ce style de vie politique. Les dirigeants de cette internationale sont de plus en plus des "personnages influents", des hommes qui ont "une réputation" dans les cercles petits-bourgeois et non pas des dirigeants ouvriers, des dirigeants qui ont une connaissance intime et précise des problèmes de la classe ouvrière et du parti révolutionnaire.» [16]

Slaughter conclut son rapport en attaquant un paragraphe de la résolution de réunification qui parlait de «construire des partis révolutionnaires au cours de la révolution elle-même». Slaughter expliqua que ceci n'était que

«...la pire de toutes les formules hypocrites qui abondent dans la résolution. C'est précisément dans les situations révolutionnaires comme en Algérie et à Cuba que la construction d'un parti révolutionnaire a été le plus ouvertement rejetée en s'appuyant sur la supposition que les dirigeants petits-bourgeois eux-mêmes deviendraient des marxistes révolutionnaires. Même si cette formulation devait être prise au sérieux en tant que contribution théorique, il faudrait la rejeter immédiatement comme incorrecte. La tâche de révolutionnaires ne consiste pas à spéculer pour savoir s'il y a ou non assez de temps pour construire le parti, mais à travailler à tous les stades de développement de la lutte des classes, guidés par les intérêts révolutionnaires à long terme de la classe ouvrière, pour consolider le parti révolutionnaire en lutte contre chaque section de la classe capitaliste et de son État, afin de développer des cadres bolcheviques liés à toutes les couches de la classe ouvrière par des liens indestructibles. Cette lutte permanente dans les périodes de la pire réaction et dans les périodes d'essor révolutionnaire est la seule garantie pour être prêt à la lutte pour la prise du pouvoir. Et même un tel parti aura nécessairement, au moment de la révolution, à surmonter des conflits internes, des hésitations et même des désertions, comme cela est arrivé à Lénine en 1917. Cette perspective n'a rien à voir avec la conception superficielle de la "construction de partis au cours du processus de la révolution elle-même".»[17]

Ces mots sont aujourd'hui aussi justes qu'ils l'étaient en 1963. Slaughter les a répudiés depuis ­ allant jusqu'à voter contre une résolution soumise par le Comité International en décembre 1985 et réaffirmant la position prise par les trotskystes britanniques dans la lutte contre la réunification du SWP et des pablistes. Le fait que Slaughter répudie ses propres paroles n'invalide pas sa lutte passée ou le rôle qu'il a joués dans cette lutte. Il n'a pas simplement changé d'avis, il a changé sa position de classe. Ce qu'il a accompli dans le passé fait toujours partie de l'héritage du mouvement trotskyste et nous citons encore contre lui les paroles mêmes par lesquelles il conclut son rapport en 1963 : «Notre lutte contre le révisionnisme dans la Quatrième Internationale est une partie nécessaire et vitale de notre travail politique révolutionnaire dans la classe ouvrière. C'est la pratique révolutionnaire qui permettra sans aucun doute à la Quatrième Internationale de donner une direction à tous ces communistes qui viendront tenir leur rang dans les batailles finales et à venir de la classe ouvrière pour le renversement du capitalisme mondial.» [18]

Dans sa lutte contre la réunification, la Socialist Labour League enrichit la compréhension qu'avait le mouvement trotskyste de la nature du révisionnisme pabliste. Toute la vérité de la déclaration de Slaughter, selon laquelle la lutte contre le révisionnisme était au coeur de la construction de la Quatrième Internationale, fut démontrée par le processus même de la défense du Comité International par la SLL. Les documents produits par la SLL représentaient un renouvellement de la perspective historique sur laquelle la Quatrième Internationale avait été fondée. Les pablistes trouvèrent rien moins que choquante la déclaration de la SLL selon laquelle l'organisation de la révolution socialiste et la reconstruction d'une culture socialiste autrefois puissante dans le mouvement ouvrier, et pratiquement détruite par les trahisons de la social-démocratie et du stalinisme, était le devoir du mouvement trotskyste ; que les Castro, les Ben Bella et les Nasser de ce monde, loin de représenter le chemin vers le pouvoir, étaient des obstacles sur ce chemin ; que leur autorité dans le mouvement de masse de leur pays reflétait les problèmes restés sans solution de la direction prolétarienne.

Contre «l'opportunisme à la mode» des pablistes ­ Hansen dit même à la SLL que l'attitude critique qu'elle avait adoptée vis-à-vis de Castro était du suicide politique en Amérique latine ­ les trotskystes britanniques défendirent la conception qu'il fallait construire des partis révolutionnaires s'appuyant sur le prolétariat international. La SLL offrait une perspective clairement orientée vers la classe ouvrière en opposition à une perspective orientée vers les bureaucraties et les directions petites-bourgeoises qui dominaient le mouvement des masses dans tel ou tel pays. Elle disait aux trotskystes du monde entier que la Quatrième Internationale devait construire les partis révolutionnaires du prolétariat dans une lutte sans merci contre toutes les autres tendances, peu importe leur force ou leur popularité apparente.

La dégénérescence ultérieure de Healy, Banda et Slaughter ne diminue en rien l'importance historique de la lutte de la SLL contre la réunification. La position prise par la SLL en défense du Comité International et contre la trahison du Socialist Workers Party en 1961-1963, préserva la continuité révolutionnaire du trotskysme et empêcha la liquidation de la Quatrième Internationale. Elle développa l'ensemble de l'héritage programmatique de la Quatrième Internationale et recréa les bases pour la construction du mouvement trotskyste en tant que parti mondial de la révolution socialiste.

[1] Cliff Slaughter, édit. Trotskyism Versus Revisionism : A Documentary History, New Park Publications, Londres 1974, t.3, The Socialist Workers Party's Road Back to Pabloism, pp.48-49.
[2] Ibid., p.54.
[3] Ibid., p.63.
[4] Ibid., pp.64-66.
[5] Ibid., pp.66-67.
[6] Ibid., pp.161-162.
[7] Ibid., p.167.
[8] Ibid., pp.217-218.
[9] Sixième congrès mondial de la Quatrième Internationale, The Colonial revolution : Its Balance-Sheet, Its Problems and Its Prospects , dans Fourth International, n°12, hiver 1960-1961, p.42.
[10] Cliff Slaughter, édit. Trotskyism Versus Revisionism, t.3, p.272.
[11] Cliff Slaughter, édit. Trotskyism Versus Revisionism : A Documentary History, New Park Publications, Londres 1974, t.3, The International Committee Against Liquidationism, p.58.
[12] Ibid., p.199.
[13] Fourth International, hiver 1960-1961, p.47.
[14] Ibid., p.37.
[15] Cliff Slaughter, édit. Trotskyism Versus Revisionism, t.4, pp.187-188.
[16] Ibid., p.218.
[17] Ibid., pp.220-221.
[18] Ibid., p.221.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés