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Romance - un film qui dérange

Par Jérôme Lonide

Romance fait partie des films qui dérangent. Le simple fait que Catherine Breillat soit une ancienne assistante de Pialat et de Fellini place son film parmi les « films d'auteurs ». En même temps, elle décide de consacrer son sujet au désir féminin sans renoncer aux scènes explicites. Utilisant la voix-off avec un texte très travaillé, souvent littéraire (Bataille et Sade sont placés en figures tutélaires), elle engage un des acteurs les plus connus du cinéma X, Rocco Siffredi. Ceci explique déjà la réputation sulfureuse de ce film avant même sa sortie. Jouant sur cette ambiguïté, l'affiche originale (censurée aux Etats-Unis) montre un corps de femme cadrée au niveau du pubis, sur lequel repose une main que l'on suppose du même corps, un des doigts outrageusement distant des autres. Le grand 'X' rouge barrant l'affiche à d'ailleurs amené une partie du public à renommer le film « Romance X », ce qui n'est pourtant pas le propos de Breillat.

Un propos, il y en a bien un puisqu'on pourrait dire qu'il s'agit d'un film à thèse : à travers l'histoire de son héroïne, jouée par Caroline Ducey, la réalisatrice revendique pour les femmes un droit à la jouissance. L'histoire tient en quelques mots : vivant avec un homme qui a perdu tout désir pour elle (Paul / Sagamore Stévenin), Marie se jette à corps perdu (plutôt à corps offert) dans une odyssée du plaisir sexuel.

Avec cette revendication, une question se pose : Breillat adopte-t-elle un point de vue féministe ? Pas vraiment et c'est aussi ce qui dérange (dans un article paru en février 2000 dans Le Monde Diplomatique, Carlos Pardo assène, sentencieux, « rarement la misogynie fut si violente »). On peut se demander, il est vrai, si un homme qui aurait réalisé le même film n'aurait pas été accusé de machisme. On entend dans la bouche de Marie « une femme n'est pas une femme avant d'être une mère » et dans celle de Robert avec lequel elle se plaît à se faire dominer, « la seule possibilité d'amour avec les femmes passe par le viol. » Dans une scène qui fait écho au film de Laetitia Masson, A vendre, Marie cherche comme le dit la voix-off le déshonneur, la déconsidération, et, se faisant violer dans des escaliers, on l'entend seulement hurler « tu me paies ! ». Si Laetitia Masson liait la question de la sexualité à celle de la recherche d'affection (se perdant de plus dans les méandres d'un polar autant invraisemblable que superflu), Breillat se limite à la question du plaisir. Il n'est pas question d'égalité des sexes. A deux reprises Marie annonce à son partenaire, qu'elle s'arroge le droit de le tromper sans que ceci puisse être réciproque. On est loin du féminisme des années 70 et l'on se demande parfois si Breillat n'a pas simplement intériorisé des propos misogynes maintes fois entendus, se contenant d'inverser les rôles. La question du couple, de sa survie dans la durée, n'est pas abordée. Marie fuit son couple et démissionne provisoirement dans la relation qui la lie à Paul.

Pour autant, Marie n'a rien de La collectionneuse, le personnage d'Haydée éponyme du film de Rohmer, dont la légèreté devenait insoutenable aux deux hommes qui cohabitent avec elle. Après deux rencontres avec Paolo (Rocco Siffredi), pour lequel elle ne semble éprouver aucun sentiment, elle s'initie au bondage avec le directeur de l'école privée dans laquelle elle enseigne. Découvrant les limites de la jouissance / douleur, elle prend goût à se faire dominer. Comme le dit son 'maître' (Robert / François Berléand), il n'est question de séduire que dans le sens étymologique de 'amener à soi' (se-aductere) et Marie prend (du) plaisir à sentir son corps attaché, alors même qu'elle reste attachée à Paul, cette fois-ci par ses sentiments. Ainsi, selon un rituel quasi-religieux, empreint de précision et solennité, on assiste, voyeurs, aux scènes où Marie se fait dominer.

Breillat a alors fini de déconstruire les différents rôles jusqu'ici consentis aux femmes dans l'histoire du Cinéma. Ni vamp ni femme soumise, fidèle et infidèle sans être collectionneuse, Marie vit pleinement sa sexualité tout en prônant une morale du respect (« c'est le respect qui est la logique des choses » explique doctement Robert). Tout le projet de Breillat à travers ce film résulte d'ailleurs d'une conférence qu'elle a donnée à Téhéran en 1997 lors d'un colloque sur la « Présence de la femme dans le cinéma contemporain ». Son intervention (publiée en 1999 aux Editions des Cahiers du Cinéma avec le scénario du film) s'intitulait « De la femme et la morale au cinéma, de l'exploitation de son aspect physique, de sa place dans le cinéma : comme auteur, comme actrice ou comme sujet. » Dans cette démarche, on est d'ailleurs en droit de se demander si Breillat n'aurait pas dû, par souci de cohérence, renoncer à une si belle actrice.

La solennité des scènes de bondage se retrouve lorsque Marie, comme par enchantement, devient enceinte de Paul, dès lors le martyr du film. Les prénoms prennent évidemment ici tout leur sens, Paul étant le premier martyr chrétien. Marie choisit à présent d'offrir son corps à la science, s'en remettant aux mains des carabins qui l'auscultent tour à tour. Offrir son corps comme pour s'en débarrasser, éliminer le trivial. L'amour, c'est d'ailleurs dans le film, « le fracas du trivial et du divin ». Marie voit le divin dans le don de la vie, l'accouchement comme jouissance extrême. Pulsions de vie et de mort en même temps ­ c'est Paul qui ne survivra pas à la naissance

Entre La Maman et la Putain d'Eustache et Romance de Breillat, il y a 25 ans, une génération. Le ton est devenu plus grave (sida oblige ?), la dualité entre corps et âme plus marquée, mais pourtant la femme oscille encore entre ces deux images. Eustache libérait la femme dans le choix de ses relations, Breillat la libère dans l'expression de sa sexualité et pénètre dans la sphère de l'intime. Que ce soit par le thème même du film, ce droit au plaisir, où par les différentes expériences que vit l'actrice, chacun est alors renvoyé à ses propres expériences et les réactions en sortie de projection en dépendant largement



 

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