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Festival international de Cinéma de San Francisco - Troisième partie

Pasolini et autres questions

Première partie
Deuxième partie

Par David Walsh
Le 30 mai 2002

Le remarquable poète, romancier et réalisateur italien Pierre Paolo Pasolini a été assassiné dans des circonstances étranges en 1975, à l'âge de 53 ans. Pasolini se considérait comme un marxiste et possédait un des esprits les plus clairvoyants de sa génération. Il nous lègue une oeuvre contradictoire mais ses meilleures oeuvres littéraires et cinématographiques figurent parmi les oeuvres les plus perspicaces et les plus lyriques de l'après-guerre.

Pasolini a été révélé dans les années 50, tout d'abord comme poète, puis comme romancier. Son grand amour qui est aussi le sujet d'un grand nombre de ses oeuvres c'était les jeunes des bas quartiers de Rome, qui étaient pour la plupart d'origine paysanne. Après avoir écrit des scenarios pour Federico Fellini, Mauro Bolognini et d'autres, Pasolini réalisa en 1961 son premier, et peut-être son meilleur film, Accatone.

Il a tourné cinq films avec Laura Betti (née en 1934). En 1968, celle-ci a tenu le rôle principal dans Théorème - ce film projeté au Festival de San Francisco est une des oeuvres les plus remarquables de Pasolini. Un jeune homme fait son apparition dans la maison d'un important homme d'affaires milanais et il séduit tout le monde: le père, la mère, la fille, le fils, la bonne (Laura Betti). Son départ est tout aussi mystérieux que son arrivée. Après son départ, chaque membre de cette famille bourgeoise, touché par quelque chose de pur et d'absolu, subit des métamorphoses notoires. C'est la domestique qui est métamorphosée de la façon la plus spectaculaire.

Dans une de ses lettres, Pasolini, qui était homosexuel, a décrit Betti comme " son épouse platonique ". A son tour, elle a pris le rôle de gardienne du temple après sa mort et a pris la direction de la Fondation Pasolini, qui s'occupe de conserver et d'archiver les oeuvres de Pasolini depuis 1980. Aujourd'hui, plusieurs décennies après l'assassinat de Pasolini, Betti a réalisé un documentaire Pierre Paolo Pasolini ( la traduction complète du titre en italien est Pierre Paolo Pasolini ou la raison d'un rêve) pour parler de ses sentiments et de ses pensées sur son ami disparu. Ce documentaire a également été présenté au festival de San Francisco.

Au début du film, Betti déclare: " C'est le poète que j'ai aimé, consciemment ou inconsciemment. Certainement plus, beaucoup plus que je ne croyais. Mais ce n'est que plus tard que l'on se rend compte de ces choses. Quand elles sont en train de se produire, tout est plus difficile. Souvent on ne veut pas savoir. "

Le documentaire comporte des extraits d'interviews de Pasolini, des extraits de ses films, des commentaires faits par ses contemporains, des images de ses funérailles. Il dit à un groupe des Jeunesses Communistes de " ne jamais rien accepter sans poser de questions ". Il critique la société de consommation, le " nouveau fascisme " et recommande le " progrès " plutôt que le " développement ". Pasolini évoque la " relation désespérée et tendue entre la poésie et la réalité ". Il déclare " Je choisis l'opposition " mais il exige " non pas seulement une dénonciation sociale superficielle " en art et en poésie " mais une idéologie profonde, totale, une vision vraie du monde. "

Un certain nombre d'opinions bien connues de Pasolini sur l'art et sur le cinéma sont évoquées. "Le premier langage de l'homme est celui de ses actions, de sa présence. La poésie est dans la vie. Le cinéma peut se passer de symboles. " (Par exemple, si l'on désire représenter une "femme" en langage écrit, on utilise certains signes arbitraires, alors qu'au cinéma, une femme est représentée par une femme).

Laura Betti et divers commentateurs ont essayé de dire que Pasolini était en avance politiquement sur son temps en tant que critique de la société de consommation et de la mondialisation. Un commentaire rapide du film s'approche de cette idée: " Il voyait le capitalisme en tant que poète, et non en tant que politique ". Ce serait en effet une erreur grave de présenter Pasolini comme un prophète politique. C'est son côté le moins convaincant.

Tout en étant sincèrement opposé au gouvernement bourgeois, les instincts politiques de Pasolini n'étaient pas bons. En réalité, pour ce qui concerne les problèmes politiques auxquels était confrontée sa génération d'intellectuels de gauche, il s'est trompé sur presque toute la ligne. Tout d'abord il a refusé de rompre avec le stalinisme ou d'en faire une analyse sérieuse et ceci malgré le désastreux rôle contre-révolutionnaire du Parti Communiste Italien. En plus, il a déploré la fin de la paysannerie et le développement de la classe ouvrière (il s'est une fois allié à la police contre des manifestants étudiants pour la raison que ces policiers étaient des fils de paysans). Le développement du capitalisme moderne, avec son pendant, la société de consommation, le conduisit tout simplement à un état de désespoir morbide, que l'on entrevoit dans le film Salo (1975).

Ce qui fit de Pasolini un être hors du commun ce fut son extraordinaire courage personnel et moral, son honnêteté, son autocritique sans indulgence, sa pénétration poétique de la beauté et de la terreur de la vie. Il subissait les attaques incessantes de l'Eglise catholique, de l'Etat italien, des Staliniens eux-mêmes et il n'a jamais capitulé face aux forces réactionnaires et à leurs attaques venimeuses. De tout cela, le film de Betti donne une idée assez complète. De ce point de vue, le documentaire est intéressant en ce qu'il rappelle la dévotion sans borne de Pasolini pour la vérité artistique. L'exemple de Pasolini a de quoi faire rougir presque tous ses contemporains réalisateurs ou poètes.

Le fait que Pasolini hante encore l'imagination de réalisateurs et autres artistes montre la complexité et l'importance des problèmes qu'il a examinés. Pasolini, tout comme Oscar Wilde, est un de ces personnages qui ne disparaîtra jamais. Néanmoins, il est quelque peu troublant que Betti, presque 27 ans après la disparition de Pasolini, ait si peu à dire qui soit réellement éclairant. Elle traite de sa vie et de son oeuvre quasiment de façon non critique. Betti déclare " J'ai fait un film parce que je voulais vraiment voir où il se situe réellement ". Malheureusement c'est précisément ce qu'elle n'a pas fait. Elle n'a pas présenté une image de ce que l'oeuvre de Pasolini représente aujourd'hui, sur le plan esthétique ou idéologique. Elle ne nous présente que ses sentiments profonds à l'égard du réalisateur et son sentiment de perte, suspendu dans le temps. Le film vaut la peine d'être vu mais il y a tellement plus à dire sur le sujet.

D'autres films d'Amérique du Sud

Fernando Birri (né en 1925) est désigné comme le " père " du nouveau cinéma d'Amérique Latine. De telles expressions veulent rarement dire grand chose et ce n'est peut-être pas le cas ici. Né dans la ville provinciale de Santa Fe en Argentine, Birri a fait des études de réalisateur en Italie au cours de la période néo-réaliste. En 1956, il a fondé la première école de réalisation de documentaires en Amérique Latine à l'Université de Santa Fe.

En 1960, au moment de la sortie de Tire Dié, documentaire sur la vie des pauvres d'Argentine, il écrivit son premier manifeste: " Pour un cinéma national, réaliste et critique. " Birri définit le nouveau cinéma d'Amérique Latine comme " un cinéma nationaliste, réaliste, critique et populaire qui a essayé d'interpréter, d'exprimer et de communiquer avec le peuple. C'est un cinéma pour la libération et de libération, pour une libération économique, politique et culturelle, et aussi pour la libération de l'imagination. "

Nous ne voulons pas entrer ici dans une longue polémique contre de telles conceptions qui reflètent les vues et les intérêts de sections de la petite bourgeoisie nationaliste d'Amérique Latine. On ne connaît pas l'attitude précise de Birri à l'égard de Peron ou du Peronisme, on peut cependant la deviner, mais son opinion sur Castro et sur le Castrisme est suffisamment claire. En 1985, il a réalisé un film appelé Mon fils le Che. En 1986, il a aidé à la fondation de l'Ecole du Film et de la Télévision à San Antonio de Los Banos, près de la Havane.

Le manifeste de Birri est loin d'être le seul à promouvoir l'idée d'un cinéma ou d'un théâtre, ou d'un art du " peuple " ou des " opprimés " en Amérique Latine au cours des années 1960 ou 1970. Si les motivations des nombreuses personnes qui ont fait campagne et soutenu ces projets étaient sans aucun doute sincères, il est nécessaire de faire la distinction entre ce genre d'approche populo-nationaliste (et la démagogie) et une conception socialiste révolutionnaire.

La seconde conception prend comme point de départ la nécessité d'assimiler tout ce qui est valable dans la culture bourgeoise internationale dans le processus d'éducation et d'élévation de la classe ouvrière. Le populiste insiste sur le fait que seul ce qui est compris et ce qui a une valeur immédiate pour le " peuple " , selon bien sûr sa propre définition, a une signification culturelle. Il renonce à la tâche d'éduquer la population dans les domaines les plus élevés de l'art et de la culture. On peut ici évoquer un Pasolini qui affirmait avec insistance que " le peuple doit atteindre la poésie "

Le populiste vise essentiellement à maintenir son audience enfermée dans certaines limites esthétiques et politiques, limites formées finalement selon les besoins des couches de la classe moyenne nationale. Encore une fois, tout ceci peut revêtir la forme de la phraséologie la plus militante et la plus " anti-impérialiste ". Comme Trotski l'a souvent répété - quand il écrivait sur les prescriptions de la bureaucratie stalinienne des expressions telles que celles introduites par Birri (" interpréter, exprimer et communiquer avec les gens ", " un cinéma qui est l'expression d'un continent entier dans toute la diversité de ses connotations culturelles et historiques " et ainsi de suite) " donne aussi peu de place à l'imagination créatrice que ne le fait la liste des prix dans une quincaillerie ou un horaire des chemins de fer.

Le premier film de Birri, Los Inundados (Les inondés) tend à confirmer ces craintes. Il raconte l'histoire d'un groupe de villageois qui sont déplacés dans un campement à Santa Fe suite à l'inondation de leur ville côtière. Cela se passe en période électorale, et les différents camps, ceux du gouvernement et de l'opposition politique font la promesse d'aider les victimes des inondations. Aucune de ces promesses n'est bien sûr tenue. Une famille vit dans un wagon couvert. Quand le wagon est par erreur attaché à un train de marchandise, la famille finit par errer dans toute la province, faisant la navette d'une gare à une autre.

Le film n'est sans doute par dénué de perspicacité, mais il souffre d'esthétique populiste. Son analyse n'est pas assez profonde, il tourne autour de questions sans jamais appréhender celles-ci de façon sérieuse. On a l'impression que le metteur en scène croit que la façon de " s'approcher du peuple " est de flatter celui-ci, de louer ses simples vertus. On peut se demander si un film comme celui-ci apprendra quelque chose de nouveau à qui que ce soit. Il suffit de faire la comparaison entre Los Inundados et Accatone qui a été fait une année plus tard. Pasolini a également les sentiments les plus profonds pour les pauvres, mais son point de vue est impétueux et critique, il est plein de vérité, il est douloureux et il est implacable.

Beaucoup de films cubains donnent la même impression que l'oeuvre de Birri. Ils semblent sincères, semblent pencher du bon côté mais ils ont trop tendance à la simplification et à la caricature, dans l'intérêt du prétendu " populaire ". Ils présentent des " types " d'une variété plutôt généralisée. Même Nuits de Constantinople (par le metteur en scène cubain Orlando Rojas) projeté à San Francisco, même s'il est peuplé de types assez exotiques comme les membres d'un ballet de travestis, souffre de ce même défaut. Les personnages manquent de naturel, ils semblent être l'incarnation de certains types sociaux et psychologiques.

25 Watts est un film uruguayen amusant, mis en scène par Juan Pablo Rebella et par Pablo Stoll (nés tous deux en 1974). Le film suit la non-aventure de trois adolescents de Montevideo. L'obsession de l'un deux consiste à réussir un examen d'italien qui se dresse entre lui et son diplôme de fin d'études secondaires. Il se trouve aussi avoir le béguin pour son professeur d'italien. Le second a un travail misérable consistant à faire le tour de la ville avec sa voiture sur le toit de laquelle des hauts parleurs hurlent des publicités. Le troisième se contente de traîner.

Une petite amie fait des apparitions épisodiques, au grand désespoir d'un de nos héros. On discute de l'intelligence des hamsters. On fait remarquer qu'il n'y a qu'un seul Uruguayen qui figure au Livre Guiness des Records et ceci pour avoir applaudi pendant cinq jours sans interruption. 25 Watts n'est peut-être pas un film essentiel dans l'histoire du cinéma, mais il a des éclats authentiques d'esprit et son genre bon enfant est tout à fait touchant du début à la fin du film.

Une maison avec vue sur la mer (Alberto Arvelo, Venezuela), Lavour arcaica (Luis Fernando Carvalho, Brésil) et Wagon fumador (Veronica Chen, Argentine) sont des films qui essaient de dire quelque chose mais sans grand résultat.

Le film d'Arvelo est une oeuvre sentimentale, dont l'action se déroule en 1948 et qui décrit la vie dure de petits fermiers et de leurs familles au Venezuela. Tomas, qui vient de perdre sa femme et un de ses fils, Santiago doit subir les brutales persécutions d'un propriétaire terrien et de ses fils. Tout d'abord passif, Tomas finit par réagir violemment. Avec l'aide d'un photographe de passage, le père et le fils vont jusqu'à la mer. Il n'est pas établi comment un changement de lieu va améliorer leur vie.

Le film brésilien (inspiré d'un roman de Raduan Nassar) commence à tue-tête sur le mode de l'apitoiement sur soi, et de l'auto glorification et continue ainsi sans répit. Un fils revient dans sa famille aisée après avoir voyagé à l'étranger pendant des années. Une expérience traumatisante l'a obligé à partir de chez lui et il faut attendre près de trois heures pour découvrir de quoi il s'agit, quelque chose en rapport avec " une soeur séduisante ". Toutefois, le spectateur s'est depuis longtemps désintéressé du film.

Wagon fumador est l'histoire de Reni et d'Andrés, deux jeunes gens errant dans Buenos Aires. Ils sont résolument mécontents. Mais cela ne va pas vraiment plus loin. La réalisatrice veut dire quelque chose sur les jeunes gens malheureux qui l'entourent mais son oeuvre est trop empruntée et trop superficielle. Si l'on veut exprimer quelque chose, il faut avoir à la fois une conception cohérente du monde et une capacité à nager à contre-courant. Les réalisateurs contemporains qui ont une conception cohérente du monde et qui savent nager à contre-courant peuvent se compter sur les doigts de la main.

FIN.


 

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