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Un survivant du ghetto de Varsovie

Le Pianiste de Roman Polanski

Par Fred Mazelis
Le 18 février 2003

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Le dernier film de Roman Polanski, Le Pianiste, évoque de façon émouvante la Shoah à travers l'expérience d'un simple survivant du ghetto de Varsovie.

Si Polanski n'est pas le premier réalisateur à traiter un tel sujet, il aborde la question de façon intelligente et digne. Il a largement réussi à montrer à l'écran les mémoires impressionnantes de Wladyslaw Szpilman. Celles-ci ont été écrites en 1946 mais il a fallu attendre 1999, juste un an avant la mort de l'auteur, et leur traduction en anglais en 1999, pour qu'elles soient connues du grand public. Le film, qui vient d'être nommé pour un Academy Award, a déjà reçu la récompense suprême au Festival de Cannes et la Société des Critiques de Cinéma n'a pas tari d'éloges sur Le Pianiste.

Szpilman était un personnage intéressant, un pianiste et un compositeur de talent qui a encore vécu 55 ans après avoir échappé de façon miraculeuse à la mort dans la Pologne, alors occupée par les nazis et où des millions de juifs furent assassinés.

Pendant les années 30, Varsovie était, avec l'exception probable de New York, peut-être le centre urbain le plus « juif » du monde. En Pologne, on assistait tous les jours à des manifestations d'antisémitisme, mais celles-ci était moins virulentes dans les grandes villes. Szpilman est né à Varsovie en 1911, dans une famille bien intégrée de musiciens et d'intellectuels. Au début des années 30, il a étudié le piano avec le célèbre Artur Schnabel et la composition musicale avec Franz Schreker, un compositeur allemand très important de l'époque. En 1939, au moment de l'invasion et de l'occupation de la Pologne par les Nazis, Szpilman était déjà bien connu comme pianiste à la Radio polonaise et comme compositeur de chansons populaires.

Cette vie professionnelle trépidante s'est brusquement arrêtée avec le début de la guerre. Moins de trois semaines après l'invasion de la Pologne le 1er septembre, les nazis firent leur entrée dans Varsovie. Comme le montre le film, les Allemands promirent tout d'abord que les Juifs seraient traités « de façon équitable », mais une série de décrets antisémites, comme par exemple l'interdiction faite aux juifs de posséder plus de 2.000 Zlotys en argent liquide, ne tarda pas à suivre. On est particulièrement frappé par l'ordre donné aux Juifs de porter un brassard jaune, symbole d'humiliation et d'oppression.

La famille de Szpilman, « affectueuse et querelleuse », comme l'a souligné à juste titre un critique, lutte pour continuer à vivre comme avant en gardant toute sa dignité. Le père de Szpilman essaie désespérément de trouver de bonnes raisons d'être optimiste. Ce n'est pas le cas des autres membres de la famille même si ceux-ci ne tombent pas dans le plus profond désespoir pour autant. Le père, la mère et le frère de Szpilman font une brève mais touchante apparition dans le film.

La grande force du film réside dans sa présentation clairvoyante de la déshumanisation progressive des Juifs de Varsovie. Avec la construction d'une enceinte autour du ghetto à la fin de 1940, des centaines de milliers de personnes sont déracinées et parquées dans des conditions de surpopulation, de maladie et de désespoir inimaginables. Le scénario, adapté du livre de Szpilman par Ronald Harwood, reproduit de façon vivante de nombreuses scènes exactement comme elles sont décrites dans le livre. La suite chronologique des événements montrent bien comment la solution finale des nazis s'est mise en place alors que les victimes assistaient à celle-ci avec une horreur croissante. Seules 200 personnes (sur une population juive de plus de 400.000 à Varsovie) ont survécu à ce cauchemar.

La vie de tous les jours continue. Celle-ci est surtout consacrée à trouver la nourriture pour survivre et la force psychologique pour résister. Des dizaines de milliers succombent de pauvreté, de faim et de maladie. La terreur nazie s'intensifie de jour en jour. Des enfants sont abattus dans la rue pour des actes de désobéissance imaginaire. Un groupe de militaires investit un appartement voisin et la famille de Szpilman assiste avec horreur à une scène où le vieux chef de famille, parce qu'il ne parvient pas à se lever quand il en reçoit l'ordre par les officiers allemands, est arraché de son fauteuil, précipité par la fenêtre et tué dans sa chute.

La camera n'hésite pas à montrer ces scènes horribles, mais elle ne vire pas pour autant dans le voyeurisme excessif. Il n'y a rien de facile, d'exagéré ou de sensationnel. Le résultat n'en est que plus efficace.

Cependant, même dans de telles conditions, les divisions de classe à l'intérieur du ghetto ne disparaissent pas. Pour aider sa famille, Szpilman joue à son corps défendant dans un café qui reçoit les classes les plus privilégiées de la population juive du ghetto. Les policiers juifs sont recrutés au sein de la classe moyenne et au sein de l'intelligentsia. Wladyslaw et son frère Henryk refusent cette solution avec mépris.

Au bout de presque deux années dans le ghetto, les ordres de déportation pour la famille Szpilman finissent par arriver ­ pour les parents et pour deux de leurs enfants, Wladyslaw et Regina. Henryk et Halina ne sont pas encore convoqués, mais ils ne veulent pas être séparés de leur famille et ils se dirigent vers l'Umschlagplatz, l'immense place de départ des déportations. Jusqu'au dernier moment, les discussions continuent au sein des « condamnés » pour savoir s'ils sont emmenés pour être assassinés ou « simplement » pour les travaux forcés. Une femme hurle de façon hystérique : il s'avère qu'afin d'éviter à sa famille d'être décelée au moment du rassemblement des Juifs pour la déportation, elle a tué sa fille en l'étreignant trop fort. Malgré ceci, ce geste les avait dénoncés aux yeux des Allemands.

Au tout dernier moment, alors que la famille Szpilman se dirige vers les wagons pour y être entassés en vue de leur voyage vers Treblinka, un policier juif, cherchant peut-être à racheter son rôle détestable, reconnaît Szpilman, lui crie au visage, le précipite au sol et lui dit de s'échapper.

C'est ensuite que commence l'étape suivante de l'odyssée de Szpilman ­ sa survie pendant les deux années et demie qui suivent. Tout d'abord, il accomplit des travaux forcés à l'intérieur du ghetto. Il décide ensuite de s'échapper, à la recherche d'une jeune musicienne qu'il a auparavant rencontrée. Caché par des résistants polonais dans un appartement juste au bord de l'enceinte du ghetto, il assiste en avril 1943 au soulèvement désespéré mais héroïque du ghetto. Sans cesse en fuite il vit assez longtemps pour être témoin du soulèvement général de Varsovie en août 1944, plus d'une année après.

Il n'y a rien d'ennuyeux ni d'artificiel dans la deuxième partie du film. Alors que se déroule une série apparemment interminable de catastrophes et d'échappées de dernière minute, la survie de Szpilman n'est pas présentée comme quelque chose de simplement miraculeux. Il est évident que certains éléments de chance devaient intervenir, mais on ne peut pas parler uniquement de chance. Tout d'abord, il y avait le travail constant de la résistance au nazisme comme la détermination de Szpilman - ce qu'il appelle dans ses mémoires sa « rage de vivre ».

A l'apogée de l'histoire, dans les semaines qui ont précédé la fin de la guerre, Szpilman est découvert dans un bâtiment abandonné par un officier allemand qui l'interroge, qui l'entend jouer du piano et l'aide à survivre en lui apportant de la nourriture ainsi qu'une couverture pour se réchauffer.

Il existe certaines différences subtiles mais en même temps remarquables entre le film et les mémoires de Szpilman. Ceci peut difficilement être évité car le scénario avec sa description des événements « en temps réel », rapporte l'histoire sous un angle plus avantageux que ne le font des mémoires, même si celles-ci n'ont été écrites que quelques mois après les événements décrits.

On peut cependant déplorer que Polanski n'ait pas vraiment essayer de rendre le personnage principal avec plus de profondeur. Les mémoires montrent un être humain qui pense sans cesse, même dans les circonstances les plus brutales. Le film introduit un changement subtil dans l'emphase. Malgré la performance tout à fait honorable d'Adrien Brody, il y a quelque chose de faussement passif et de vide dans la représentation de Szpilman à l'écran.

Ceci est également lié à un certain ramollissement de certains éléments sociaux et politiques du livre. Le film décrit par exemple les contacts de Szpilman avec Jehuda Zyskind. Ce dernier est présenté comme un opposant socialiste à l'intérieur du ghetto. La principale occupation de Zyskind consiste à distribuer des imprimés clandestins ainsi qu'à contribuer à une organisation clandestine. Il est qualifié d'exagérément « optimiste ». Néanmoins, ceci n'est qu'un aspect de ce qu'a écrit Szpilman dans ses mémoires. En parlant de Zyskind, quelques années après son assassinat par les nazis, il écrit :

« Quand je pense à lui aujourd'hui, à toutes les années d'horreur qui me sépare de l'époque où il était encore en vie et où il pouvait répandre son message, j'admire sa volonté très ferme A chaque fois que je le quittais, j'avais le sentiment d'être plus fort et plus solide. Ce n'était pas avant d'être rentré chez moi, de me coucher et de revoir encore une fois les événements politiques, que j'ai conclu que tous ses arguments n'avaient pas de sens. Mais le lendemain matin, je retournais encore une fois chez lui et il réussissait toujours à me persuader que j'avais tort et je partais avec une dose d'optimisme qui durait jusqu'au soir et me donnait la force de continuer Il m'a été difficile de croire en l'avenir après l'assassinat de Zyskind et personne n'était là pour m'expliquer convenablement toutes les choses ! Ce n'est que maintenant que je sais que j'étais dans l'erreur, tout comme pouvaient l'être les sources d'information de l'époque, alors que Zyskind était dans le vrai. Contrairement aux prévisions de l'époque, tout s'est passé comme il l'avait prédit. »

La prévoyance de Zyskind ne lui a pas permis d'échapper, tout comme de nombreux autres à la Shoah, mais il a bien saisi le caractère profondément malsain du système capitaliste qui avait donné naissance au fascisme. Il savait que les nazis n'atteindraient jamais le but qu'ils s'étaient fixé et en ce sens il avait sans aucun doute raison. Cette vision précieuse de Szpilman n'apparaît pas du tout dans le film.

Ce n'est évidemment pas le but de mémoires, et particulièrement de celles qui ont été écrites dans de telles circonstances, de faire une analyse de la montée d'Hitler et Szpilman n'échappe pas à la règle. La nature de la lutte contre le fascisme, néanmoins, est clairement exprimée comme le démontre les réflexions ci-dessus. Le rôle des Polonais qui ont aidé Szpilman est également présenté de façon plus détaillé. Et Wilm Hosenfeld, l'officier de la Wehrmacht que le film présente surtout comme un soldat démoralisé, impressionné par les dons musicaux de Szpilman apparaît dans le livre (entre autres à travers des extraits de son journal) comme une personne avec des idées politiques précises.

Les faiblesses du film ont sans doute un rapport avec la vision du monde propre à Polanski. Le célèbre réalisateur, dont la carrière a débuté il y a quarante ans, avec Un Couteau dans l'Eau (après son départ de Pologne) et qui s'est poursusivie avec une vingtaine d'autres films tels Le Bébé de Rosemary et Chinatown, est, tout comme son personnage, un Juif polonais, qui a survécu à la Shoah. Polanski est né à Paris en 1933 (vingt ans après la naissance de Szpilman). Ses parents sont retournés avec lui à Cracovie en 1936. Son père a survécu à la guerre mais sa mère est morte pendant celle-ci. Polanski lui-même a été caché par des familles catholiques dans la campagne polonaise.

Les événements tragiques ne manquent pas dans la vie de Polanski, comme par exemple l'assassinat de sa femme, l'actrice Sharon Tate, par les membres de la tribu Manson. Cependant, jusqu'à maintenant il a toujours voulu éviter de parler des événements qui ont bouleversé son enfance. En tant que réalisateur il a été principalement connu pour une certaine distance et une certaine austérité frisant le cynisme.

Polanski dit qu'il a été ému par le livre de Szpilman, et on a toutes les raisons de le croire. Il a commenté « Szpilman était objectif, pas sentimental. Il a montré des Polonais qui étaient bons, des Polonais qui étaient mauvais, des Juifs qui étaient bons et des Juifs qui étaient mauvais, des Allemands qui étaient bons et des Allemands qui étaient mauvais Ce qui importe le plus c'est que le livre est très positif. Après l'avoir lu, on n'est pas déprimé parce que l'on a plus d'espoir. A la fin, on est convaincu que malgré tout, la nature humaine est bonne. »

Ces remarques sont tout à fait pertinentes. Quand on lit ce que Szpilman a écrit, on pense à deux autres mémoires écrites par des survivants de la Shoah : Ma Survie à Auschwitz de Primo Levi et l'étonnant et impressionnant journal de Victor Klemperer où il évoque sa vie de Juif à Dresde pendant le Troisième Reich. Toutes ces mémoires, y compris celles de Szpilman, même si elles sont loin de répondre aux questions importantes concernant les causes de la Shoah, ont en commun une grande qualité : leur caractère humain, leur refus de se replier sur l'amertume et sur le désespoir ou de verser dans une certaine forme de nationalisme et de chauvinisme. Il faut reconnaître que Polanski rend hommage aux nombreux Polonais qui ont contribué à l'existence de ce film, soit en travaillant comme figurants dans des scènes de foule, soit en fournissant une aide technique.

Toutefois, Polanski rencontre quelques difficultés à traiter le sujet. Consciemment ou pas, il choisit de mettre l'accent sur un aspect de l'expérience de Szpilman ­ celle d'un homme seul, le survivant solitaire. Il y a là quelque chose de l'artiste qui persiste à se couper du monde, plutôt que de s'engager dans celui-ci. Dans ses mémoires, Szpilman a plus de choses à exprimer que cela.

Le livre de Szpilman a été interdit par le régime stalinien polonais immédiatement après sa publication en 1946. Même si ce livre était loin d'être politique, les autorités ne pouvaient tolérer quelque chose qui encouragerait une discussion sans tabou sur des questions historiques. Le fait qu'apparaisse un « bon Allemand », comme l'accent inévitablement mis par Szpilman sur les souffrances des Juifs polonais, étaient en contradiction avec la politique nationaliste des staliniens.

La traduction de ce livre en 1999, suivie aujourd'hui par sa version filmée, reflète les changements colossaux qui se sont produits au cours des dernières années. Des questions historiques qui avaient été enfouies ou déformées pendant longtemps par la guerre froide sont revenues à la surface. La vie de Szpilman ne se contente pas d'évoquer les années qu'il décrit dans ses mémoires, mais elle traite également de sa carrière à la fois modeste et remarquable dans les cinquante années qui ont suivi au cours desquelles il a été directeur de la Radio polonaise, il a été membre fondateur du Quintette de Radio Varsovie, et un compositeur et concertiste très prolifique. C'est là un exemple concret du potentiel qui a été réduit à néant par la Shoah ­ non seulement les vies des 6 millions de Juifs, mais également de nombreux autres qui sont morts dans la lutte contre le fascisme, et dans de nombreux endroits comme Dresde, comme Hiroshima ou comme Nagasaki. Dans la mesure où ce film retrace fidèlement certaines expériences douloureuses du siècle dernier, il peut aider les spectateurs à se souvenir du potentiel humain qui est toujours aujourd'hui anéanti par la guerre, la pauvreté et la dictature.



 

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