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wsws : Nouvelles et analyses : Histoire et culture

Camp d’été 2005 du SEP (US) et du WSWS

Première conférence : La Révolution russe et les problèmes historiques non résolus du XXe siècle

Première partie

Par David North
26 août 2006

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Voici la première partie de la conférence intitulée « La Révolution russe et les problèmes historiques non résolus du XXe siècle » prononcée par le président du World Socialist Web Site, David North, à l'occasion du camp d'été du Parti de l'égalité socialiste (Etats-Unis) et du WSWS qui s'est déroulé du 14 au 20 août 2005,à Ann Arbor, au Michigan. Cette conférence comporte quatre parties. [Deuxième partie], [Troisième partie], [Quatrième partie]

Les connaissances historiques et la conscience de classe

Nous commençons aujourd'hui une série de conférences qui s'étendra sur une semaine intitulée « Le marxisme, la Révolution d’octobre et les fondements historiques de la Quatrième Internationale ». Au cours de ces conférences, nous examinerons les événements historiques, les controverses théoriques et les luttes politiques à partir desquels la Quatrième Internationale est apparue. Le point central de ces conférences sera les quarante premières années du XXe siècle. Dans une certaine mesure, cette limite est déterminée par le temps dont nous disposons. On ne peut pas tout voir en une semaine. Et passer en revue ne serait-ce que les quatre premières décennies du siècle dernier en seulement sept jours est une tâche pour le moins ambitieuse. Et pourtant, il y a une logique historique derrière notre attention concentrée sur la période allant de 1900 à 1940.

Lorsque Léon Trotsky a été assassiné en août 1940, tous les grands événements ayant déterminé les caractéristiques politiques essentielles du XXe siècle étaient déjà survenus : l'éclatement de la Première Guerre mondiale en août 1914, la conquête du pouvoir politique par le Parti bolchevik en octobre 1917 et la création subséquente de l'Union Soviétique en tant que premier Etat ouvrier socialiste, l'arrivée des Etats-Unis comme le plus puissant Etat impérialiste au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'échec de la Révolution allemande de 1923, la dégénérescence bureaucratique de l'Union Soviétique; la défaite de l'Opposition de gauche et l'expulsion de Trotsky du Parti communiste et de la Troisième Internationale en 1927, la trahison de la Révolution chinoise de 1926-1927, le Crash de Wall Street d'octobre 1929 et le début de la crise capitaliste mondiale, la montée de Hitler au pouvoir et la victoire du fascisme en Allemagne en janvier 1933, les procès de Moscou de 1936-1938 et la campagne de génocide politique contre l'intelligentsia socialiste et la classe ouvrière en URSS, la trahison suivie de la défaite de la Révolution espagnole de 1937-1939 sous l'égide du Front populaire dominé par les staliniens, l'éclatement de la Deuxième Guerre mondiale en septembre 1939 et le début de l'extermination des Juifs en Europe.

C'est pendant ces quatre décennies que les caractéristiques politiques essentielles du XXe siècle ont été définies, dans le sens que tous les grands problèmes politiques que la classe ouvrière internationale a confrontés suite aux années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ne peuvent être compris qu'au travers du prisme des leçons stratégiques des grandes expériences révolutionnaires et révolutionnaires de la période qui a précédé cette guerre.

Pour analyser les politiques des partis sociaux-démocrates après la Deuxième Guerre mondiale, il faut comprendre les implications historiques de la chute de la Deuxième Internationale en août 1914. La nature de l'Union Soviétique et des régimes établis en Europe de l'Est au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que celle du régime maoïste établi en Chine en octobre 1949, ne peut être comprise qu'en se basant sur l'étude de la Révolution d’octobre et de la dégénérescence prolongée du premier Etat ouvrier. De même, la solution aux problèmes de la grande vague de révolutions anti-coloniales et anti-impérialistes qui a balayé l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Amérique latine après 1945 ne peut être trouvée qu'en se basant sur une étude difficile des controverses politiques et théoriques entourant la théorie de la révolution permanente de Trotsky formulée pour la première fois en 1905.

La relation entre connaissances historiques, analyse et orientation politiques a trouvé sa plus grande expression dans la dernière décennie de l'Union Soviétique. Lorsque Mikhail Gorbachev a pris le pouvoir en mars 1985, le régime stalinien vivait une crise désespérée. La détérioration de l'économie soviétique ne pouvait plus être cachée dès que le prix du pétrole a commencé à chuter après la flambée des années 1970 qui avait donné au régime un répit à court terme. Quelles mesures devaient être prises pour renverser ce déclin se demandait alors le Kremlin. Les problèmes politiques se sont immédiatement entremêlés avec les questions non résolues de l'histoire soviétique.

Pendant plus de 60 ans, le régime stalinien a été engagé dans une campagne incessante de falsification historique. Les citoyens de l'Union Soviétique étaient grandement ignorants des faits de leur histoire révolutionnaire. Les ouvrages de Trotsky et de ses partisans ont été censurés et supprimés pendant des décennies. Il n'existe aucun ouvrage historique crédible de l'histoire soviétique. Chaque nouvelle édition de l'encyclopédie soviétique officielle réécrivait l'histoire selon les intérêts politiques et les instructions du Kremlin. En Union Soviétique, comme notre défunt camarade Vadim Rogovin l'a déjà fait remarquer, le passé était tout aussi imprévisible que l'avenir !

Pour les factions au sein de la bureaucratie et de la nomenklatura privilégiée qui ont favorisé le démantèlement de l'industrie nationalisée, la résurrection de la propriété privée et la restauration du capitalisme, la crise économique soviétique étaient la « preuve » que le socialisme avait échoué et que la Révolution d’octobre était une erreur historique catastrophique à partir de laquelle toutes les tragédies subséquentes qu'a vécu le pays ont inexorablement découlé. Les ordres mis de l'avant par ces forces pro-marché étaient basés sur une interprétation de l'histoire soviétique soutenant que le stalinisme est le résultat inévitable de la Révolution d’octobre.

La réplique à ces défenseurs de la restauration capitaliste ne peut être donnée sur la base des simples questions économiques. La réfutation des arguments pro-capitalistes exige plutôt l'étude de l'histoire soviétique, la démonstration que le stalinisme n'était pas le résultat obligatoire ou inévitable de la Révolution d’octobre. Il faut démontrer qu'une autre voie que le stalinisme était non seulement théoriquement concevable, mais qu'elle a même en fait existé sous la forme de l'Opposition de gauche dirigée par Léon Trotsky.

Ce que je vous dis aujourd'hui est plus ou moins ce que j'ai dit devant un auditoire d'étudiants et de professeurs en Union Soviétique réuni à l'Institut des archives historiques de l'Université de Moscou en novembre 1989. J'avais commencé ma conférence intitulée « L'avenir du socialisme » en faisant remarquer que « pour discuter de l'avenir, il est nécessaire d'étudier à fond le passé. Comment quelqu'un peut-il en effet discuter du socialisme aujourd'hui sans traiter des nombreuses controverses auxquelles le mouvement socialiste doit faire face ? Et, bien sûr, quand nous discutons de l'avenir du socialisme, nous discutons du sort de la Révolution d’octobre — un événement d'une portée mondiale et qui a eu un profond impact sur la classe ouvrière de tous les pays. Ce passé, particulièrement en Union Soviétique, est encore en grande partie enveloppé de mystère et de falsifications. » [1]

Il y eut un temps où un intérêt immense existait pour les questions historiques en URSS. Ma propre conférence, qui avait été organisée avec moins de 24 heures de préparation suite à une invitation impromptue du directeur de l'Institut des archives historiques, n'en a pas moins attiré un auditoire de plusieurs centaines de personnes. La publicité pour cette conférence a été presque entièrement limitée au bouche à oreille. La nouvelle a rapidement circulé selon laquelle un trotskyste américain allait prendre la parole à l'Institut, et un grand nombre de personnes s'est présenté.

Même si pendant la courte période de la Glasnost, ce n'était plus une nouveauté complète pour un trotskyste de pouvoir s'exprimer publiquement, une conférence prononcée par un trotskyste américain était encore sensationnelle. Le climat intellectuel pour une telle conférence était extrêmement favorable. Il y avait alors une faim de vérité historique. Comme le camarade Fred Williams a récemment fait remarqué dans son compte-rendu de la misérable biographie Staline écrite par Robert Service, le journal soviétique Arguments et Faits, qui n'était qu'une publication mineure avant la Glasnost, a vu sa circulation progresser de façon exponentielle, pour atteindre les 33 millions de copies, simplement en publiant des essais et des documents ayant trait à l'histoire soviétique pendant longtemps interdits.

Effrayée par le vaste intérêt croissant pour le marxisme et le trotskysme, la bureaucratie s'est empressée d'enrayer le processus intellectuel essentiel de clarification historique, qui avait tendance à encourager une résurgence de la conscience politique socialiste, en accélérant son mouvement vers l'éclatement de l'URSS. La façon précise dont la bureaucratie a orchestré la dissolution de l'URSS — le point culminant de la trahison stalinienne de la Révolution d’octobre anticipée par Trotsky plus d'un demi-siècle auparavant — est un sujet qui reste à examiner dans tous les détails nécessaires. Mais ce qui doit être souligné, c'est qu'un élément critique de la dissolution de l'URSS — et dont les conséquences catastrophiques pour les peuples de l'ex-Union Soviétique sont devenues on ne peut plus claires — c'est l'ignorance de l'histoire. Le fardeau de décennies de falsifications historiques ne pouvait être surmonté à temps pour que la classe ouvrière soviétique puisse s'orienter politiquement, défendre ses intérêts sociaux indépendants et s'opposer à la dissolution de l'Union Soviétique et à la restauration du capitalisme.

Il y a une grande leçon à tirer de cette tragédie historique. Sans une profonde compréhension des expériences historiques par lesquelles elle a passé, la classe ouvrière ne peut défendre ses intérêts sociaux mêmes les plus élémentaires, et encore moins mener une lutte politique consciente contre le système capitaliste.

La conscience historique est une composante essentielle de la conscience de classe. Ces mots de Rosa Luxembourg sont tout aussi pertinents aujourd'hui qu'ils l'étaient lorsqu'elle les a écrits au début de 1915, moins d'un an après le début de la Première Guerre mondiale et de la capitulation du Parti social-démocrate allemand face au militarisme prussien et à l'impérialisme :

« [Le prolétariat] n'a d'autre maître que l'expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l'autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu'au fond des choses, c'est l'air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre.

Dans la guerre mondiale actuelle, le prolétariat est tombé plus bas que jamais. C'est là un malheur pour toute l'humanité. Mais c'en serait seulement fini du socialisme au cas où le prolétariat international se refuserait à mesurer la profondeur de sa chute et à en tirer les enseignements qu'elle comporte ».[2]

A suivre

Notes :
[1] L'URSS et le socialisme : La perspective trotskyste (Détroit, 1990), pp. 1-2.
[2] La crise de la social-démocratie (« Brochure de Junius »)

 





 

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