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Les justifications pro-impérialistes de Johann Hari

Le journaliste de l'Independent qui s'attaqua à Harold Pinter s'en prend au World Socialist Web Site

Par Paul Bond
(Article original paru le 12 janvier 2006)

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Quand Harold Pinter reçut le Prix Nobel de Littérature, le World Socialist Web Site avait constaté la profonde hostilité que cela avait engendré parmi ceux qui, dans l'intelligentsia de gauche, avaient le plus radicalement embrassé la politique impérialiste. Comme je l'avait fait observer dans un article consacré à la réussite artistique de Pinter, les attaques dont il fut l'objet dans les médias libéraux allaient de la tentative d'ignorer le fait qu'il avait reçu le prix Nobel à l'attaque déclarée comme dans l'article de Johann Hari paru dans The Independent et intitulé « Harold Pinter ne mérite pas le prix Nobel ».

Pinter est devenu la cible de telles attaques parce qu'il a été un adversaire des guerres menées par les grandes puissances contre la Yougoslavie et l'Iraq et l'a dit haut et fort.

Notre défense de Pinter a entraîné une réponse rapide et au vitriol de la part de Hari. Et ce dans un article, mis en ligne le 29 décembre sur son site internet, portant le titre : « Harold Pinter ­ la dispute continue : cette fois contre le World Socialist Web Site ».

Hari écrit que « l'auteur, quelqu'un du nom de Paul Bond, invente tout simplement une position factice qui n'a pas grand chose à voir avec ce que j'ai effectivement écrit, puis se met à la critiquer ». Dans la suite de l'article, il m'accuse de lui « lancer à la tête la fange de la propagande serbe » à propos du procès de l'ancien président Yougoslave, Slobodan Milosevic et d' « essayer de fourvoyer les lecteurs » à ce sujet.

Le journaliste de l'Independent déclare que le Comité international de défense de Slobodan Milosevic fut établi par des nationalistes serbes. La participation de Pinter à ce comité le rend donc coupable par association. En prenant la défense de l'opposition de Pinter à la parodie de procès organisée contre Milosevic par les puissances occidentales, le WSWS est, par implication, mis dans le même sac. Il écrit encore : « Et avant de dire que le nettoyage ethnique de Milosevic était une conséquence des bombardements de l'OTAN, souvenez-vous de ceci : la plupart des accusations dont il a à répondre concernent la Bosnie-Herzégovine de la moitié des années 1990, soit bien avant que l'OTAN n'ait lancé une seule bombe. »

Hari est de toute évidence en colère parce qu'il ne peut plus maintenir sa prétention d'être de gauche, d'où sa moquerie à « l'idée que je sois un propagandiste au service de Bush et de Blair ».

Le World Socialist Web Site s'est systématiquement opposé à la politique nationaliste de toutes les cliques bourgeoises des Balkans. Hari a en revanche choisi de s'indigner de façon sélective à l'égard des crimes de Milosevic afin de justifier son alignement sur les puissances impérialistes qui fomentèrent les hostilités nationales et ethniques dans le but de diviser la Yougoslavie et de la faire passer sous leur contrôle.

A l'origine, Milosevic n'était que trop enclin, dans l'espoir de toucher une partie des profits, à collaborer avec l'impérialisme pour lui permettre de pénétrer dans la région et on le traita en allié. Ce n'est que plus tard, lorsque l'Allemagne, puis les Etats-Unis furent passés à une politique de balkanisation de la région et qu'ils soutinrent des mouvements séparatistes rivaux, que l'on fit de Milosevic un méchant dans le but d'éliminer la Serbie en tant que puissance régionale la plus soucieuse de préserver l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie.

Comme nous l'écrivions au début des audiences du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) : « Aucun observateur objectif des événements qui se sont déroulés dans les Balkans au cours des deux dernières décennies ne refuserait d'admettre qu'il [Milosevic] partage la responsabilité politique des événements tragiques des années 1990 ».

Insister pour dire que l'impérialisme n'a pas le droit de traduire Milosevic en justice pour la division sanglante de la région ne constitue en rien une concession faite au nationalisme serbe ni n'implique un soutien de sa politique. Seule la classe ouvrière internationale a le droit et en fait la responsabilité de régler des comptes avec les anciens staliniens dont la politique nationaliste a activement favorisé les efforts des impérialistes pour dépecer et se partager la région.

La position de Hari selon laquelle on peut, d'une certaine manière, séparer la guerre de Bosnie des événements du Kosovo est tout simplement une distorsion de l'histoire du conflit des Balkans, le but étant de justifier son soutien à l'intervention militaire impérialiste et au bombardement de la Serbie. Une des raisons pour lesquelles le TPIY s'est tout d'abord concentré sur le Kosovo était que les Etats-Unis s'étaient servis de Milosevic comme du principal garant des accords de Dayton qui avaient mis fin à la guerre de Bosnie. On craignait qu'en incluant la Bosnie cela pouvait s'avérer embarrassant pour les Etats-Unis et l'Angleterre.

Contrairement aux anciens gauchistes tels que Hari, qui utilisèrent la propagande "humanitaire" des puissances impérialistes pour justifier et embrasser le séparatisme et pour s'aligner sur l'effort de guerre, le Comité international de la Quatrième internationale écrivait dans sa déclaration du 7 mai 1994: « Il n'y aucune raison de croire que les atrocités commises en Bosnie le soient avec le soutien de la masse des travailleurs de Belgrade, Zagreb ou Sarajevo. La trahison de leurs anciennes directions politiques et la confusion qui en résulta les a laissé, avec les travailleurs d'autres régions du monde, sans alternative politique indépendante. »

« Néanmoins, une telle alternative existe. C'est le programme de l'internationalisme socialiste qui seul peut fournir une solution progressiste à la crise engendrée par le capitalisme. »

Nous ne prétendons pas qu'Harold Pinter a la même perspective politique que nous. Pinter est un artiste qui exprime son opposition en termes artistiques. Nous ne partageons pas ses vues politiques et nous nous réservons le droit d'exprimer ouvertement nos désaccords avec lui. Sa réponse aux événements des Balkans fut spontanée, mais toujours motivée par les positions anti-militaristes de ses années formatrices. Quand il fit remarquer que « Milosevic leur avait rendu la tâche très difficile» au procès cela exprimait de façon exacte l'embarras politique des politiciens impérialistes face à la révélation de leur complicité dans ces crimes.

Nous n'avons pas non plus l'intention de laisser Hari critiquer, ce qui n'est pas bien difficile, les erreurs et les faiblesses de Pinter pour mieux justifier ses propres goujateries. Il écrit que Pinter vota pour Margaret Thatcher en 1979, par exemple, mais il oublie de mentionner le fait que l'écrivain a, par la suite, jugea ainsi ses propres actions : « Je ne pense pas que j'aie jamais fait quelque chose de plus honteux. C'était infantile de ma part. »

Lorsque Pinter met toutefois, dans les événements politiques qu'il observe, le doigt sur une vérité plus profonde, il mérite qu'on lui en fasse crédit. Hari prétend que la colère de Pinter est « politiquement neutre ». Bien que cela ne puisse en aucun cas remplacer un programme politique, l'indignation de Pinter, en tant qu'artiste, peut parfois mettre à jour la vérité d'un phénomène social ou politique. La reconnaissance par Pinter du fait que Bill Clinton et Tony Blair, les « vrais criminels », devraient rejoindre Milosevic au banc des accusés, était une telle vérité. Hari rejette cela sans autre forme de procès, car cela voudrait dire parler de la complicité de l'impérialisme dans la dislocation des Balkans et le soutien qu'Hari leur a donné. La remarque de Pinter mettait en fait directement en cause le rapport existant entre les crimes sanglants des nationalistes et les interventions impérialistes qui les encourageaient, les approuvaient et les exploitaient.

Il est certainement vrai que le Comité pour la défense de Milosevic comporte des défenseurs de l'ancien président yougoslave, des staliniens et des nationalistes serbes. Il inclut aussi des gens comme Pinter qui sont restés là où ils étaient après que les ex-« gauchistes » se soient précipités pour rejoindre Bush et Blair. Le crime de Pinter vis-à-vis de la bienséance de gauche est de s'être opposé par principe au militarisme et à la division ethnique sanglante, contrairement à ceux parmi la « gauche » qui se sont empressés de soutenir l'attaque du nouvel ennemi public par l'impérialisme.

En 1999, Pinter fit remarquer que le bombardement de la Serbie procédait d'« un mauvais jugement, était une mauvaise idée et un mauvais calcul », avait en fait encouragé les adversaires de Milosevic à venir à son secours : « Il y a deux ans seulement » dit-il dans une émission de radio de la BBC « des centaines de milliers de jeunes gens étaient dans la rue contre Milosevic. Le résultat de notre politique erronée du bombardement est qu'on les voit maintenant formant des chaînes humaines sur les ponts en attendant d'être frappés » (Cette émission avait entraîné des attaques similaires de l'art de Pinter par les médias bien-pensants « de gauche », avec en tête, Jay Rainer de l'Observer).

Parallèlement, Pinter dénonça l'Armée de libération du Kosovo (UCK) comme une « organisation de brigands ». Il faut rappeler qu'une des choses reprochée à Pinter par Hari est qu'« alors que de nombreuses personnes de gauche, des gens décents comme Peter Thatchell, Michael Foot et Susan Sonntag , appelaient les pays démocratiques à armer l'UCK pour défendre les Albanais de souche contre le meurtre raciste, Pinter décrivait l'UCK comme une 'organisation de brigands', 'effectivement' responsable du nettoyage ethnique de la région ».

La criminalité et la violence raciste étaient effectivement une partie essentielle de la politique de l'UCK et la CIA n'avait pas besoin de Foot, Sontag, Thatchell ou Hari pour la convaincre d'armer une organisation qu'elle considérait comme un instrument utile pour déstabiliser la région. Le fait est connu que les Etats-Unis ont promu l'UCK et en ont fait un moyen de créer les conditions d'une déclaration de guerre à la Serbie. Selon un témoignage, la secrétaire d'Etat Madeleine Albright dit à l'UCK durant les négociations qui aboutirent à l'accord de Rambouillet, « vous signez, les serbes ne signent pas, nous bombardons. Vous signez, les serbes signent, vous avez l'intervention de l'OTAN. Alors c'est à vous de décider ».

Il était clair, même à l'époque, que l'UCK était une organisation mafieuse, dont la politique était d'engendrer des divisions supplémentaires dans la région. Il est difficile d'imaginer que quiconque puisse s'opposer maintenant au jugement de Pinter la concernant. Hari cite l'organisation Human Rights Watch disant que le procès de Milosevic représente la « justice pour les victimes de crimes horrifiants ». Mais il ne fait pas mention des attaques commises par l'UCK contre les habitants serbes et romas du Kosovo telles qu'elles furent documentées par cette organisation, ni les observations de celle-ci concernant le fait que cela faisait partie depuis longtemps de leur programme. (Le rapport est accessible sur le site internet de Human Rights Watch). Il n'a rien à dire non plus sur les expulsions massives de Serbes de la Kraïna, le pire exemple de nettoyage ethnique dans la région.

Hari s'insurge contre le fait que j'ai déclaré que « la plupart des contemporains de Pinter, dans sa jeunesse, ont fait la paix avec l'establishment il y a longtemps. Comme l'a montré Hari, de nombreux scribouillards plus jeunes n'ont jamais eu le moindre désaccord avec l'establishment ».

Sa réponse : « Oh Paul, va lire ce que je dis sur le réchauffement de la planète, les demandeurs d'asile, ou le commerce des armes, ou les prisons, ou la politique fiscale, ou le FMI. Je ne manque pas de désaccords avec l'establishment ». Non, mais quand il s'agit de la question fondamentale de la guerre, Hari est prêt à accepter sans restriction la ligne de l'establishment. La Deuxième guerre mondiale ? Une lutte « contre les nazis ». La guerre froide ? « l'Europe était menacée à l'Est par une tyrannie stalinienne qui avait déjà assassiné trente millions de personnes ». Le démantèlement de la Yougoslavie par les armes? Un noble combat pour « défendre les Albanais de souche contre le meurtre raciste ».

Et il en est de même pour l'Iraq, qu'Hari m'accuse d'introduire arbitrairement dans la discussion alors qu'il ne l'avait jamais mentionné dans sa diatribe contre Pinter. Hari n'est pas de bonne foi. La position prise par Pinter sur l'Iraq fut une des raisons pour lesquelles on lui donna le prix Nobel et certainement une des raisons pour lesquelles Hari le déteste tant.

Hari soutint le bombardement et l'invasion de l'Iraq pour précisément les mêmes raisons que celles qui le poussèrent à s'aligner sur la guerre contre la Yougoslavie. Rejoignant le camp des « pro-guerre de gauche », Hari mit sa plume au service des interventions de l'impérialisme américain dans le monde. Dans un article du 11 avril 2003 intitulé « L'Amérique peut être une force en faveur du bien dans le monde », il dit que le génocide du Ruanda fut causé par le « manque d'action » de la part des Etats-Unis et « la gauche » devrait avoir pour but de guider l'impérialisme américain vers « le renversement de la tyrannie et la naissance de la démocratie ».

Il s'exalte lorsqu'il s'agit de décrire les scènes de jubilation et les jets de fleurs qui saluèrent l'arrivée de l'armée américaine en Iraq et qui avait été en fait une mise en scène organisée par quelques dizaines de supporters de la marionnette américaine Ahmed Chalabi.

Il a été plus difficile à l'impérialisme de faire passer l'invasion de l'Iraq que la guerre contre la Serbie, mais il utilisa les mêmes arguments faussement moraux : pour s'opposer au dictateur Saddam Hussein il était nécessaire de soutenir l'intervention impérialiste. Une fois de plus, Hari était prêt à rejoindre la meute.

De plus, non seulement la politique de l'invasion de l'Iraq découle directement de la justification donnée pour l'intervention dans les Balkans, mais encore le poème de Pinter qu'il a cité (et que Hari qualifie de « connerie ») fut écrit contre le triomphalisme américain qui suivit la première Guerre du Golfe en 1991.

Lorsque nous avons attiré l'attention sur l'article de Hari, nous avons fait remarquer que l'opposition de Pinter à un nouveau partage impérialiste du monde était un produit des qualités critiques qui avaient marqué toute sa vie et son oeuvre. Dans les quinze dernières années, il critiqua avec clarté et force la politique impérialiste au Moyen-Orient et dans les Balkans. Nous avons constaté le rapport qui existait entre ses attaques tranchantes sur l'usage de la torture par l'impérialisme américain et la violence de ses premières pièces. C'est sa résolution à rester critique et indépendant qui a donné son impulsion à l'oeuvre artistique.

Le poème de Pinter fait partie d'une oeuvre qui (malgré toutes ses faiblesses) essaye de traiter honnêtement de la brutalité et de l'oppression. En ce qui le concerne, Hari déclare dans son dernier article qu'il « est opposé à au moins 70 % de ce que font ces gouvernements-là ». Toutefois c'est là une défense bien faible si les 30% qu'il soutient incluent selon toute évidence invasions militaires et occupations dans le but de s'assurer les marchés et les ressources de la planète. Ses récents articles semblent indiquer un soutien moins direct à la guerre contre l'Iraq. En 2003, Hari appelait à mettre un terme au soutien de dictatures par l'impérialisme américain et demandait que celui-ci devienne « résolument wilsonnien et équipe d'armes défensives uniquement des démocrates accomplis ». En 2004, il critiquait l'imposition d'un « intégrisme du marché » en Iraq, appelant au contraire à y pratiquer une sorte de capitalisme bienveillant reflationiste afin de faire redémarrer le pays.

La constante dans tout cela, c'est son orientation vers les puissances impérialistes et son acceptation de leur droit à dicter le sort de la planète et de ses peuples. Hari est poussé à attaquer Pinter parce que celui-ci prend une position anti-impérialiste (qu'il caricature ainsi : « si les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni sont pour, je suis contre »).

Pour conclure, Hari se décrit dans son dernier article comme un « défenseur engagé de la liberté d'expression », insistant pour dire que je l'ai calomnié en déclarant que l'opposition de Pinter à l'intervention militaire dans les Balkans était pour lui chose « inacceptable ». C'est là une diversion. Il ne devrait guère être nécessaire de parler d'un engagement en faveur de la liberté d'expression. Mais il faut quand même rappeler à Hari qu'il a écrit : « A moins qu'il n'existe un prix Nobel de l'incohérence due au délire, on ne devrait pas diffuser ce week-end à Stockholm les divagations de Pinter. »

En ce qui nous concerne, nous défendrions même le droit de Monsieur Hari à publier ses panégyriques impérialistes. Nous nous réservons seulement le droit de les appeler par leur propre nom.

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