wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

wsws : Nouvelles et analyses : Histoire et culture

Les origines du bolchevisme et Que faire?

Partie 1 | Partie 2 | Partie 3 | Partie 4 | Partie 5

Par David North

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Voici la cinquième partie de la conférence « Les origines du bolchevisme et Que faire? » prononcée par le président du World Socialist Web Site, David North, à l'occasion du camp d'été du Parti de l'égalité socialiste (Etats-Unis) et du WSWS qui s'est déroulé du 14 au 20 août 2005, à Ann Arbor, au Michigan. La conférence est mise en ligne en sept parties.

La critique bourgeoise de Que faire?

Ces passages ont été dénoncés à maintes reprises comme étant l’expression quintessencielle de l’« élitisme » bolchevik où résiderait les germes de son évolution totalitaire subséquente. Dans un ouvrage intitulé The Seeds of Evil, Robin Blick, un ex-trotskyste, fait référence à la dernière phrase citée ci-avant (celle où Lénine parle de « cette tendance spontanée qu’a le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie ») comme une « formulation absolument extraordinaire pour quelqu’un habituellement si préoccupé d’être perçu comme défendant l’“orthodoxie” marxiste, et certainement égalant dans son audace n’importe quelle révision du marxisme alors entreprise par le social-démocrate allemand Édouard Bernstein... Ce que Marx et Engels n’ont jamais fait, c’était bien d’exprimer dans leurs écrits une doctrine achevée d’élitisme politique et de manipulation organisationnelle. »[16]

Cet argument a été développé plus substantiellement dans l’ouvrage bien connu du philosophe Leszek Kolakowski, intitulé Main Currents of Marxism, publié en trois volumes en 1978. Celui-ci rejette comme une « nouveauté » l’affirmation de Lénine selon laquelle la spontanéité de la classe ouvrière ne peut se développer en une conscience socialiste, et que la classe ouvrière doit par conséquent avoir une idéologie bourgeoise. Encore plus troublante, selon Kolakowski, est l'allégation selon laquelle le mouvement ouvrier doit assumer un caractère bourgeois s’il n’est pas dirigé par un parti socialiste. « Ce qui est renforcé par une seconde allégation : le mouvement de la classe ouvrière dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire un mouvement politique révolutionnaire, est défini non pas comme un mouvement des travailleurs mais en un mouvement possédant la bonne idéologie, c’est à dire le marxisme, une idéologie “prolétarienne” par définition. Autrement dit, la composition de classe d’un parti révolutionnaire n’a aucune importance dans la définition de son caractère de classe. »[17]

Kolakowski enchaîne avec quelques remarques sarcastiques et cyniques, se moquant de l’affirmation selon laquelle le parti « connaît quels sont les intérêts “historiques” du prolétariat et qu’elle est la conscience authentique de ce dernier à tout moment particulier, bien que sa conscience empirique traîne habituellement derrière. »[18] Des remarques de la sorte sont supposées être incroyablement fines selon leur auteur, mettant à nu l’absurde prétention d’un petit parti politique selon lequel son programme articulerait les intérêts de la classe ouvrière, même si la masse des travailleurs n’y adhère pas, ou même ne comprend pas ce programme. Mais des arguments de la sorte n’apparaissent fins tant et aussi longtemps que l’on ne prend pas trop le temps d’y penser.

Si l’argument de Kolakowski est correct, quelle est la nécessité d’avoir un parti politique de la classe ouvrière ou même de la bourgeoisie? Après tout, n’est-ce pas le cas de tous les partis politiques et de leurs leaders de prétendre parler au nom de vastes collectivités sociales et d’articuler leurs intérêts? Si l’on considère l’histoire de la bourgeoisie, ses intérêts en tant que classe ont été identifiés, définis et articulés par des partis politiques, dont les leaders ont souvent été contraints de travailler en opposition, en tant que petite faction minoritaire, et même dans l’illégalité, jusqu’à ce qu’ils fassent triompher pour leur classe, ou du moins pour les éléments les plus critiques de cette dernière, la perspective et le programme pour lesquels ils se sont battus.

Le puritanisme a existé en tant que tendance religieuse-politique en Angleterre pendant un demi-siècle avant de devenir la tendance dominante au sein de la bourgeoisie montante et qu’il n’assure, sous la direction de Cromwell, la victoire de la révolution sur la monarchie des Stuart. Un siècle et demi plus tard, les jacobins, des rousseauistes politisés, émergèrent des luttes de factions acerbes qui déchirèrent les rangs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie de 1789 à 1792, devenant la section dirigeante de la Révolution française. Des exemples tout aussi pertinents peuvent être tirés de l’histoire des États-Unis, de la période prérévolutionnaire jusqu’à l’ère actuelle.

La politique qui exprime les intérêts « objectifs » d’une classe – c’est-à-dire qui identifie et formule de façon programmatique les moyens d’établir les conditions requises pour l’avancement des intérêts politiques, sociaux et économiques d’une classe en particulier – peut ne pas être reconnue par une majorité, ou même une section substantielle de cette classe à un moment donné. L’abolition de l’esclavage, comme l’histoire l’a démontré de façon si concluante, a certainement mené à la consolidation de l’État-nation des États-Unis et à une vaste accélération de la croissance industrielle et économique du capitalisme. Et pourtant, les abolitionnistes qui étaient l’avant-garde politique même de la lutte contre l’esclavage, ont été forcés de mener une lutte acerbe qui s’est étendue sur plusieurs décennies contre la puissante résistance de la bourgeoisie des États nordistes qui s’opposaient à l’abolition et craignaient une confrontation avec le Sud. Ce petit nombre d’abolitionnistes avait compris mieux que la vaste majorité des hommes d’affaires, marchands, fermiers et même des travailleurs urbains nordistes, ce qui correspondait le mieux aux intérêts et au développement à long terme de l’État-nation des États-Unis et du capitalisme nordiste. Certes, les abolitionnistes du début du XIXe siècle n’ont pas expliqué leur programme et leurs actions en termes de classe aussi explicites. Mais cela ne change rien au fait qu’ils exprimaient, dans le langage approprié de leur époque, les intérêts de la bourgeoisie nordiste montante tels que perçus par les sections les plus perspicaces de cette classe.

Un exemple plus récent de parti politique définissant et luttant pour les intérêts objectifs de la bourgeoisie en opposition à de vastes parties de leur propre classe est le Parti démocrate sous Roosevelt. Ce dernier représentait la faction de la bourgeoisie américaine – très clairement minoritaire – qui devint convaincue que le salut du capitalisme aux États-Unis était impossible sans réformes sociales majeures, ce qui passait par de considérables concessions à la classe ouvrière.

Permettez-moi de vous rappeler que les élites dirigeantes emploient les services de centaines de milliers de spécialistes en politique, en sociologie, en économie, en affaires internationales, etc, pour justement les aider à mieux saisir quels sont leurs intérêts objectifs. Même s’il est plus facile, pour des raisons que j’expliquerai plus loin, pour un bourgeois moyen que pour un ouvrier moyen de percevoir où résident ses véritables intérêts, la formulation de la politique de la classe dominante ne peut jamais être simplement le reflet direct de ce que pense l’homme d’affaires américain « moyen » ou même le cadre d’entreprise multimillionnaire « moyen ».

L’affirmation de Kolakowski selon laquelle la conception de Lénine du rapport entre le parti socialiste et le développement de la conscience n’a pas de fondements dans le marxisme n’est recevable que si l’on passe sous silence tout ce que Marx et Engels ont en fait écrit à ce propos. Dans La sainte famille, écrit en 1844, ils expliquent que dans la formulation du programme socialiste :

« Il ne s'agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être. Son but et son action historique lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable dans sa propre situation, comme dans toute l'organisation de la société bourgeoise actuelle. » [19]

Dans un autre livre attaquant Que faire?, le passage précédemment cité est repris – mais ce coup-ci non pas comme dans le cas de Kolakowski pour discréditer seulement Lénine. Pour l’historien britannique Neil Harding, Lénine était en fait un marxiste orthodoxe. Les conceptions présentées dans Que faire? sont basées sur ce que Marx même avait écrit dans La sainte famille. Par conséquent, selon Harding, « le rôle privilégié alloué à l’intelligentsia socialiste dans l’organisation et l’articulation des griefs du prolétariat et pour diriger la lutte politique de ce dernier, loin d’être une déviation léniniste du marxisme, est au centre de l’arrogance du marxisme dans son ensemble. Marx (et tous les marxistes qui l’ont suivi) devait faire valoir qu’il avait une conscience encore plus profonde des intérêts et des objectifs à long terme du prolétariat que n’importe quel prolétaire ou groupe de prolétaires ne pouvait posséder.» [20]

Alors que Kolakowski soutient que Lénine a révisé Marx, Harding insiste au contraire sur le fait que Lénine s’est basé sur Marx. Leur dénonciation de Que faire? procède toutes deux du rejet de l’affirmation selon laquelle la conscience de classe socialiste doit être insufflée à la classe ouvrière par un parti politique, avançant que tout parti peut prétendre que son programme représente les intérêts objectifs de la classe ouvrière. L’affirmation marxiste de la vérité objective dérive pour eux d’une infatuation envers la science, une croyance selon laquelle le monde est, dans un sens objectif, reconnaissable et régi par des lois, « et que la connaissance systématique, généralisée (ou “objective”) de la science a été privilégiée au détriment de la connaissance “subjective” découlant de l’expérience immédiate. »[21] Harding attaque la conception marxiste selon laquelle la connaissance objective doit être considérée à part et même être opposée aux résultats d’un examen de l’opinion publique. Il écrit :

« Le léninisme est un enfant du marxisme à part entière en ce qui a trait aux fondements de base de sa théorie du parti. Il prend une position similaire, prétendant à une sorte de connaissance spéciale en affirmant de façon tout aussi arrogante que la cause prolétarienne ne peut être découverte simplement en effectuant un sondage parmi les travailleurs. »[22]

Armé du jargon en vogue du post-modernisme tant chéri des ex-gauchistes universitaires contemporains – dans lequel la connaissance scientifique est redéfinie comme un simple mode de discours « privilégié » ayant réussi, pour des raisons entièrement étrangères à la qualité intrinsèque de son contenu, à faire valoir sa prééminence sur d’autres formes d’expression moins favorisées par la culture – Harding rejette ce qu’il appelle la « notion ténébreuse de l’imminence historique » à laquelle tant Marx que Lénine ont souscrit; c’est à dire la notion selon laquelle « l’étude en profondeur du développement de la société révèle certaines tendances générales qui, une fois établies et dominantes, poussent l’homme à agir de certaines façons. » [23]

À suivre

Notes
[16] Londres : Steyne Publications, 1995, p. 17.
[17] Londres : Oxford University Press, 1978, pp. 389-390.
[18] Ibid, p. 390.
[19] Collected Works Volume 4 (New York : International Publishers, 1975), p. 37.
[20] Leninism (Durham, N.C. : Duke University Press, 1996), p. 34.
[21] Ibid, p. 173.
[22] Ibid, p. 174.
[23] Ibid, p. 172.


Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés