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Décès à 96 ans de Jules Dassin, victime de la chasse aux sorcières anti-communiste

Par David Walsh
10 avril 2008

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Le réalisateur Jules Dassin, qu´on mit sur la liste noire à Hollywood pendant le maccarthysme et qui passa le reste de sa vie en Europe, est décédé à Athènes le 31 mars, à l'âge de 96 ans.

Dassin est surtout connu pour un certain nombre de films noirs qu'il a réalisés de 1947 à 1950 pour des studios hollywoodiens, (Brute Force [Les démons de la liberté], The Naked City [La cité sans voile], Thieves' Highway [Les bas-fonds de Frisco], Night and the City [Les forbans de la nuit]), Rififi [Du rififi chez les hommes] (1955) – un film de hold up réalisé lors de son exil en France – et pour plusieurs films avec Melina Mercouri (qui devint sa femme), parmi lesquels Never on Sunday [Jamais le dimanche] (1960) et Topkapi [Topkapi] (1964).

Dassin était un des derniers réalisateurs encore vivants à avoir réalisé des œuvres majeures dans l'immédiat après-guerre. Ironiquement, Richard Widmak, la vedette d'un de ses meilleurs films, Night and the City, et l'une des dernières stars masculines à avoir percé à la même époque, est mort une semaine plus tôt.

Dassin était peut-être « un réalisateur plein de vitalité dans un registre mineur », comme le critique de cinéma Andrew Sarris l'a décrit une fois, mais ce genre de caractérisation est relatif. Un survol rapide de sa vie et de sa carrière nous rappelle le fait que Dassin et d'autres de sa génération à Hollywood, quelles qu'aient été leurs limites, étaient des gens qui avaient quelque chose à dire. Ils avaient connu le besoin et la lutte, ils avaient traversé de grands événements historiques et ces expériences diverses avaient laissé des traces indélébiles sur leurs efforts artistiques. Il suffit de les comparer à la grande majorité des réalisateurs actuels !

Que la bonne société américaine et l'industrie cinématographique, avec la complicité active des producteurs, des syndicats et des médias, aient pu empêcher ces auteurs, ces réalisateurs et ces acteurs de gauche de travailler, ou les aient expulsés du pays, constitue une honte nationale dont les conséquences continuent à se faire sentir.

Dassin est né à Middletown dans le Connecticut, dans une famille russe d'origine juive venant d'Odessa et qui comptait huit enfants ; la famille devait bientôt déménager et habiter le quartier de Harlem à New York. Son père était coiffeur. Jules (né Julius) alla à l'école dans le Bronx. Devenir socialiste ou communiste était une évolution tout à fait naturelle et presque organique pour quelqu'un de sa génération. Ainsi qu'il le disait au Guardian dans un entretien en 2002, « Vous grandissez à Harlem où il est difficile de se nourrir et de garder sa famille au chaud, et vous vivez tout près de la Cinquième Avenue, qui est élégante. Vous gambergez, vous avez des idées, à force de voir beaucoup de pauvreté autour de vous, et c'est un processus très naturel. »

Les cercles artistiques de gauche abondaient à New York pendant la Dépression, Dassin évoluait autour de la compagnie de théâtre yiddish de gauche ARTEF (Arbeter Theater Farband, l'Organisation théâtrale des travailleurs), dirigée par l'un de ses mentors, Benno Schneider.

D'après Brian Neve dans Film and Politics in America, ARTEF a été « fondé en 1925 en tant que théâtre d'agitprop, reproduisant la pratique soviétique de l'époque. Le style de ce théâtre a été décrit comme éclectique et révélant l´influence de Vakhtangov, mais aussi une touche de Brecht, de l'agit-prop, et du pur Stanislavsky. » Dassin a commencé par être comédien, mais il est rapidement passé à la mise en scène pour cette compagnie de théâtre avec laquelle il est resté six ans. À un moment, il a rejoint le Parti communiste. Il affirmera plus tard avoir quitté le parti stalinien au moment du pacte germano-soviétique de 1939.

Dassin a également commencé à écrire pour la radio. Après que l'ARTEF se soit dissoute en 1939, il mit en scène une pièce à Broadway, ce qui entraîna une offre de la RKO, l'un des principaux studios. On le fit venir à Hollywood en tant qu’« observateur », quelqu'un « qui regarde les autres faire des films », ce qui devait être un apprentissage, comme Dassin l'a dit à la journaliste Sandra Berg.

L'un de ceux qu'il a vu tourner à Hollywood était Alfred Hitchcock, lorsqu´il faisait Mr. & Mrs. Smith [Joies matrimoniales] (1941), ce qui ne fut apparemment pas une expérience très heureuse pour Dassin. Refusé par l'armée pour des raisons physiques et renvoyé de la RKO, Dassin alla travailler pour la MGM, endurant ce qu'il appelait « un contrat d'esclavage de sept ans ». Il y réalisa un certain nombre de films de série B peu remarquables. Son mécontentement vis-à-vis de cette situation vint à la connaissance de Louis B. Mayer, le chef de MGM, qui le convoqua dans son bureau. Une lutte verbale s'engagea qui se termina quand Mayer lui cria, « Sort d'ici, sale rouge ! » Évidemment, son contrat avec la MGM se termina aussi.

La carrière de Dassin dans le cinéma commença pour de bon quand il se lia avec le producteur indépendant Mark Hellinger, qui avait produit The Killers [Les tueurs] (réalisé par Robert Siodmak), un film mémorable basé sur une histoire d'Hemingway, en 1946. Dassin réalisa deux films de réalisme social pour Hellinger, Brute Force (1947) et The Naked City (1948).

Le premier, une première tentative de Dassin dans le registre dramatique, est une œuvre extrêmement convaincante ; Bosley Crowther du New York Times, tout en désapprouvant le thème du film, a dit de la réalisation qu'elle était « montée sur ressorts ». Burt Lancaster y joue le rôle de chef d'un groupe de détenus qui subissent le sadisme d'un gardien en chef joué d'une manière inoubliable par Hume Cronyn (et qui finissent par se révolter contre lui). Le film est dur et passionné et sa vision des prisonniers est peut-être trop simpliste, mais sa sympathie pour l'opprimé et son hostilité envers l'autorité sont palpables. Comme beaucoup des films les plus intéressants de l'époque, il résonne d'une haine du fascisme et de la personnalité fasciste. Lancaster y est particulièrement vivant et énergique.

Neve note dans Films and Politics in America, que le commentateur Thom Andersen place Dassin parmi un groupe de réalisateurs de gauche plus jeunes (qui inclus Joseph Losey, Abe Polonsky, Robert Rossen et John Berry) dont le travail était « caractérisé par "un plus grand réalisme psychologique et social", par du scepticisme envers le rêve américain et par des références appuyées aux "blessures psychologiques de classe" ».

Dassin réalisa ensuite The Naked City, (qui devait déboucher sur une série télévisée populaire dans les années 50), sur le thème d´une chasse à l'homme menée par la police et tourné à New York dans un style quasi-documentaire. Les influences de Dassin étaient probablement aussi éclectiques que le répertoire de l'ARTEF. Sarris affirme que « l'influence stylistique [du réalisateur allemand Fritz Lang] a entraîné l'apparition d'une nouvelle génération de réalisateurs de films noirs » dont Dassin faisait partie. Le néo-réalisme italien, avec son insistance sur le naturalisme, le refus du professionnalisme et le tournage en extérieur, constituait certainement une autre de ses influences. Si elle est l'une des œuvres les plus connues de Dassin, The Naked City n'est pas nécessairement l'une des meilleures. Le réalisateur affirme en tout cas qu'Universal a remonté le film, et que sa vision humaniste et l'insistance sur les différences de classe ont été « arrachées du film ».

Thieve's Highway est également une œuvre intéressante. Richard Conte, un très bon acteur, y joue un camionneur qui cherche à se venger de la pègre qui contrôle le marché de San Francisco. Lee J. Cobb (un futur informateur) est le chef des bandits. Dassin s'est plaint de ce qu´il n'avait « que 24 jours pour tourner – j'aurais pu faire mieux avec plus de temps ».

Les chasseurs de sorcières d'Hollywood étaient alors sur ses traces. Ce qui arriva à Dassin semble presque trop mélodramatique pour être vrai. Dans un de ses articles, Sandra Berg cite l'acteur et producteur Norman Lloyd, se remémorant une nuit dramatique de 1949. « Tout le monde avait entendu dire que des mandats d'arrêt avaient été délivrés », dit Lloyd. « Dassin vivait à Bronson, on a frappé à sa porte d'entrée. Julie est allé ouvrir et s'est trouvé devant Darryl Zanuck [le patron de la 20th Century Fox], qui lui a dit, "Vous feriez mieux de quitter la ville". Il lui confia la mission de réaliser Night and the City, à Londres. C'était complètement inattendu de voir un directeur de studio venir comme ça en personne et essayer de vous aider. »

« Dassin n'a jamais oublié cette péripétie : " Zanuck a dit « Tu vas en Angleterre. Ecris un foutu scénario, commence à tourner, commence par les scènes les plus chères et ils ne te vireront pas, parce que ce sera probablement le dernier film que tu vas faire. » J’aimais Darryl Zanuck ! Alors que je travaillais sur le scénario, Zanuck m'a appelé et il m'a dit, « Je veux que tu m'écrives un rôle pour Gene Tierney. Elle est dans le pétrin, et c'est une bonne petite. Sauve-la. » Alors je lui ai écrit un rôle. Elle était à la fin de sa carrière. C'est un côté de Zanuck que les gens ignoraient." »

Night and the City porte la marque de la tension et du traumatisme de la période. Widmark y joue une petite frappe américaine, Harry Fabian, qui se retrouve empêtré jusqu'au cou en tentant d'organiser des combats de lutteurs. Il est confronté à la pègre et doit en payer le prix. La scène la plus mémorable montre Widmark faisant des efforts désespérés pour garder de l'avance sur ses assassins.

Neve écrit : « Le point d'orgue montre une poursuite à travers des bas-fonds à la Dickens, alors que les chefs de gang offrent 1000 livres à quiconque leur apportera Fabian. La police se fait remarquer par son absence, ou son inefficacité, et tout le monde peut être acheté. [...] Animal traqué au bord de la mort, Fabian se confie à une vieille femme, "J'étais si près de réussir, Hanna, si près." » Ce fut le dernier film de Dassin à être financé aux États-Unis avant que la liste noire ne le rende « inemployable ».

Dassin est retourné aux États-Unis et il a été accusé par la Commission des activités anti-américaines du Sénat, mais il n'a jamais été appelé à témoigner. Cependant, après que son nom ait été donné par d'autres, dont Elia Kazan et Edward Dmytryk, l'un des « Dix d'Hollywood » [ceux qui avaient initialement refusé de témoigner, ndt] (et dont Dassin avait gardé les enfants), le réalisateur savait que sa carrière à Hollywood était finie. Il alla en France, où il ne trouva aucun travail pendant cinq ans.

Son projet suivant devait être Rififi, un film policier tourné à Paris. Dassin l'avait adapté d'après un livre qu'il n'avait pas tellement apprécié. Il a écrit le scénario avec un collaborateur en sept jours. Une de ses séquences les plus célèbres est une scène de 33 minutes sans musique ni dialogue, la scène du crime lui-même. On a beaucoup loué cette scène pour sa tension constante, mais Dassin fait remarquer que la principale raison du manque de dialogue tenait à sa méconnaissance de la langue française et à sa volonté de produire un scénario aussi court que possible.

Les critiques sont divisés à propos de cette œuvre. François Truffaut la considère apparemment comme l'un des plus grands drames policiers jamais réalisés, au moins pour l'époque. Sarris le considérait comme surfait, et Jean-Luc Godard, qui était un critique à ce moment-là, écrivit ce commentaire condescendant en 1959 : « Jules Dassin n'était pas mauvais du tout quand il tournait dans un style semi-documentaire parmi les maraîchers de San Francisco, dans le vieux métro en bois de New York, sur les quais éthérés de cette charmante cité que, comme le disait Sacha Guitry, les Anglais persistent à appeler London. Mais un jour, hélas, notre Jules a commencé à se prendre au sérieux et vint en France avec un passeport de martyre. À l'époque, Rififi fit illusion sur certaines personnes. Aujourd'hui, il ne peut pas se mesurer à Touchez pas au grisbi [de Jacques Becker en 1954], qui lui avait tracé la voie, et encore moins à Bob le flambeur [de Jean-Pierre Melville en 1956], pour lequel il avait montré la voie. »

Pour autant, Rififi est un film fait et joué avec compétence et intelligence, où Dassin joue l'un des criminels. Berg note que « pendant qu'il écrivait le scénario, son expérience des temps difficiles que lui [Dassin] et beaucoup de ses collègues avaient traversé a eu une profonde influence sur le texte. Il a dit que "Quand j'écrivais la mort de mon personnage, il y a un gros plan sur moi en train de dire « vous devez m'abattre » et je pensais tellement à ceux qui étaient sur la liste noire. [Dans la scène] ils veulent [que le personnage de Dassin] donne des noms au bandit qui va me tuer et je me disais « Non, tu ne donnes pas de noms ». Je pensais à tous mes amis qui avaient trahi d'autres amis pendant la période maccarthyste." »

Dassin s'engagea sentimentalement et artistiquement avec l'actrice grecque Melina Mercouri au milieu des années 50. Certains de leurs films n'ont rien de marquant, ou pire (Celui qui doit mourir [d'après un roman de Nikos Kazantzakis], La Loi, Phaedra). Never on a Sunday (1960), avec Mercouri dans le rôle d'une prostituée joyeuse, est une sorte de fantaisie et de bagatelle, mais le film contribua à ouvrir le cinéma américain à une attitude plus réaliste, ou tout du moins, moins prude, en ce qui concerne le sexe. Ce n'est pas une coïncidence si cette œuvre enjouée sortit au moment de la fin de l'application de la liste noire. Topkapi (1964), un autre film de hold-up (avec Mercouri et Peter Ustinov), mais cette fois dans un registre comique, est également une œuvre mineure, mais elle contribua aussi à décrisper le public américain et à l'introduire à une attitude européenne, plus fine et plus cynique envers la police et les malfrats.

Il n'y a pas grand-chose de notable après cela dans la carrière de Dassin au cinéma. Mais avant de se retirer complètement de la réalisation en 1980, la politique et les réactionnaires devaient encore une fois gêner son activité artistique sous forme de la junte militaire grecque. Après que cette dernière soit arrivée au pouvoir en 1967, Dassin et Mercouri partirent en exil, à Paris, et firent campagne publiquement contre la dictature. Après sa chute, le couple est retourné en Grèce, et Mercouri s'est enrôlée dans le gouvernement bourgeois de gauche du PASOK d'Andreas Papandréou en 1981 en tant que ministre de la culture. Mercouri est morte en 1994. Dassin a vécu le reste ses jours en Grèce, faisant occasionnellement de la mise en scène au théâtre.

La vie de Dassin a été liée à des événements clefs du vingtième siècle. Il est devenu, avec beaucoup d'autres personnalités talentueuses, une victime de la psychose anti-communiste des années 50 qui a handicapé pour des dizaines d'années la vie artistique et intellectuelle aux États-Unis. L'industrie du cinéma subit toujours les conséquences de cette purge contre l'esprit critique et la gauche.

Il n'est évidemment pas possible de savoir quelle sorte d'œuvres lui et d'autres de sa génération auraient pu produire dans des circonstances plus favorables. Personne ne semble avoir douté de sa sincérité ou de son honnêteté.

Bertrand Tavernier, réalisateur et scénariste français, constatait que « Le maccarthysme, en réduisant au silence toute une génération de jeunes réalisateurs (Dassin, Losey, Berry, Rossen, Polonsky, Enfield), de scénaristes importants (Trumbo, Wilson, Maltz, Buchman, Ring Lardner Jr., Hugo Butler), a paralysé tout un élan créatif. »  

Lire aussi :

Entretien avec Bertrand Tavernier [10 juillet 1999]


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