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WSWS : Histoire et culture

Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme 1973-1985

Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale

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Tables des matières


Deuxième partie: La trahison de la Révolution Permanente

17. Le WRP abandonne le prolétariat des pays arriérés

18. L’évolution de la politique du WRP au Moyen-Orient

19. Les perspectives du Quatrième congrès du WRP (mars 1979)

20. Le WRP trahit la révolution zimbabwéenne

21. Le WRP trahit les masses arabes

22. Les suites du congrès

23. La Libye : A quoi ressemblait le bloc dans la pratique

17. Le WRP abandonne le prolétariat des pays arriérés

C’est à travers son abandon de la théorie de la Révolution permanente et de la stratégie de la révolution socialiste mondiale que l’essence opportuniste de la ligne ultra gauchiste du WRP vis-à-vis du Parti travailliste apparaît le plus clairement. Les relations sans principe établies par le WRP avec des régimes bourgeois du Moyen-Orient, et qui commencèrent par un accord avec le gouvernement libyen passé et signé à l’insu du CI en avril 1976, furent en premier lieu une tentative de surmonter les problèmes politiques du parti en se tournant vers des forces de classe non prolétariennes.

Au lieu d’une stratégie internationale visant à construire des partis trotskystes dans le plus grand nombre de pays possible, le WRP développa sa propre « politique étrangère », visant à trouver les moyens financiers nécessaires au fonctionnement du parti en Grande-Bretagne. Une politique reposant sur ce point de vue nationaliste et opportuniste devait inévitablement prendre des formes qui sont parmi les plus réactionnaires qu’on puisse imaginer. En 1978-1979, le WRP était déjà devenu, au sens littéral du terme, un agent à la solde de la bourgeoisie arabe, et le News Line était utilisé comme organe de propagande pour justifier les crimes et les trahisons des régimes avec lesquels Healy avait établi ses alliances sans principe.

Le WRP jeta par-dessus bord tous les principes marxistes pour lesquels la Socialist Labour League (le prédécesseur du WRP) s’était battue au début des années 1960, lorsqu’elle combattit la capitulation du SWP américain devant les pablistes. La SLL avait alors pris la tête de la lutte menée contre les tentatives de Hansen de liquider le CI à travers une capitulation devant le nationalisme bourgeois. La SLL avait insisté sur la nécessité historique de construire des partis trotskystes dans les ex-pays coloniaux et semi-coloniaux, en dépit des succès limités et épisodiques de Castro. En refusant de désigner Cuba comme un « Etat ouvrier », la SLL défendait les fondements de la théorie marxiste de la lutte de classe : la conception selon laquelle la voie historique qui mène au socialisme exige la mobilisation internationale de la classe ouvrière sur la base du programme de la dictature du prolétariat. En se basant sur les fondements théoriques du matérialisme dialectique, la SLL avait combattu tous ceux qui, avec Hansen et Mandel, défendaient la conception selon laquelle des nationalistes petits-bourgeois pourraient spontanément devenir des marxistes et remplacer des cadres trotskystes éduqués dans la classe ouvrière sous la direction de la Quatrième Internationale.

En septembre 1963, immédiatement après la scission avec le Socialist Workers Party, Cliff Slaughter expliquait les divergences fondamentales qui opposaient de façon irréconciliable le CI aux pablistes.

« Dans les pays arriérés, se battre pour résoudre la crise de la direction signifie se battre pour la construction de partis prolétariens ayant pour but l’instauration de la dictature du prolétariat. Il est particulièrement nécessaire d’insister sur le caractère prolétarien de la direction dans les pays où il y a une large petite-bourgeoisie ou une large paysannerie. Sur cette question, les révisionnistes prennent une voie opposée à celle de V. I. Lénine et L. Trotsky, justifiant leur capitulation devant des directions petites-bourgeoises et nationalistes en spéculant sur un nouveau type de paysannerie. Pendant ces dernières années, les pablistes ont déclaré que le caractère des nouveaux Etats africains serait déterminé par le caractère social et les décisions de l’élite au pouvoir, plutôt que par la lutte de classe comme nous l’avons compris. » (traduit de Trotskyism Versus Revisionism, New Park, Vol. 4, p. 188)

Rejetant l’affirmation de Hansen selon laquelle « sans théorie consciente, les hommes réagissent aux ‘ forces objectives ‘ et s’engagent dans la voie du marxisme », et insistant sur « la question décisive de la solution des problèmes subjectifs de la révolution mondiale », Slaughter déclarait :

« C’est dans ce sens que la lutte pour la dialectique est la lutte pour construire le parti mondial dans chaque pays. L’un ne peut vaincre sans l'autre. Le matérialisme dialectique ne pourra être compris et développé que par la lutte pour construire le parti contre tous les ennemis. Le parti ne peut être construit que par une lutte consciente pour le matérialisme dialectique contre les idées des autres classes. C’est sur la théorie révolutionnaire que repose la possibilité pour le parti de gagner l’indépendance politique de la classe ouvrière. » (Ibid., p. 193)

Dans un passage, qui se lit aujourd’hui comme une condamnation de toute la politique opportuniste adoptée par le WRP entre 1976 et 1985, Slaughter déclarait :

« Le test décisif quant à l’orientation d'un parti marxiste à l’égard du mouvement de masse est le succès avec lequel il construit un cadre révolutionnaire dont les liens avec la classe ouvrière sont forgés dans la lutte contre les opportunistes et les bureaucrates. En s’évertuant depuis 10 ou 15 ans à ‘ se rapprocher de la nouvelle réalité ‘, les révisionnistes ont produit un cercle de ‘ leaders ‘ et une méthode diamétralement opposés à cette préparation révolutionnaire. Dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, il est clair que les prétendues sections de la QI qui ont suivi Pablo ne sont devenues que des apologètes des directions nationalistes. Leur abandon d'une orientation indépendante pour la classe ouvrière est explicite. Une telle méthode ne produit qu’un groupe malléable de conseillers professionnels qui ne dédaignent pas de devenir des petits fonctionnaires, comme on l'a vu en Algérie. A partir de ces positions ‘ influentes ‘, ils contribuent au processus ‘ objectif ‘ par lequel les dirigeants petits-bourgeois sont poussés vers le marxisme. » (Ibid., p. 217)

Healy, Slaughter et Banda surpassèrent dans leur répudiation de la théorie de la Révolution permanente – conçue non seulement comme une critique des dirigeants nationalistes bourgeois mais comme stratégie de la révolution socialiste mondiale – toutes les trahisons que se sont permises les pablistes dans les années 1950 et 1960. Ils tournèrent le dos au prolétariat et à la masse des paysans opprimés des pays coloniaux et semi-coloniaux et soutinrent inconditionnellement leur subordination aux gouvernements bourgeois. Envoûté par le mirage de la force politique de ces dirigeants – mirage produit par les avantages tactiques temporaires acquis lors de la guerre israélo-arabe de 1973 et de la hausse des prix du pétrole – Healy lia l’avenir politique du WRP aux gains qu’il espérait obtenir par diverses alliances sans principe. De cette façon, la position politique du WRP devenait un sous-produit des pétro-dollars recyclés des USA, de l’Europe et du Japon – confirmant ainsi dans son sens le plus direct la définition du centrisme par L. Trotsky comme une agence de seconde catégorie de l’impérialisme.

18. L’évolution de la politique du WRP au Moyen-Orient

L’abandon de la théorie de la Révolution permanente par le WRP ne s’est pas faite du jour au lendemain. La direction du WRP s’engagea dans une série de manoeuvres pragmatiques pour nouer des relations avec les régimes bourgeois arabes au cours desquelles Healy, Banda et Slaughter accordèrent de moins en moins d'attention aux questions politiques de principes. Ne partant à aucun moment de la construction du Comité international de la Quatrième Internationale, le travail du WRP au Moyen-Orient s’éloigna de plus en plus de son point de départ prétendu – la défense de l’OLP et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination – pour développer des alliances avec tous les régimes du Moyen-Orient au fur et à mesure que les occasions se présentaient.

Le WRP exploita de façon toujours plus cynique ses rapports avec l’OLP pour renforcer ses positions dans ses négociations avec les dirigeants bourgeois arabes. De cet opportunisme au niveau de la pratique, il s’ensuivit inéluctablement que la direction du WRP introduise carrément des révisions dans le programme du trotskysme, révisions qui, en écho aux conceptions staliniennes, attribuaient à la bourgeoisie semi-coloniale et arabe le rôle dirigeant dans la lutte anti-impérialiste. Ces révisions ouvrirent à leur tour, à partir de 1979, la voie aux trahisons politiques les plus grotesques.

Le 29 avril 1976, le Workers Revolutionary Party signait un accord avec le gouvernement libyen. Ni les termes, ni même l’existence de cet accord ne furent rapportés au Comité international de la Quatrième Internationale, qui en prit connaissance pour la première fois en novembre 1985, quand il fut découvert par la commission de contrôle du CIQI qui enquêta sur la dégénérescence politique du WRP.

Cette violation sans précédent du centralisme démocratique signifiait que le travail de la section britannique au Moyen-Orient échappait à tout contrôle du Comité international. Pendant un certain temps, le développement dans les coulisses de ce type de contacts fut masqué par des déclarations formellement exactes concernant la situation politique au Moyen-Orient, comme par exemple la dénonciation par le CIQI de l'invasion du Liban par la Syrie en 1976 et du massacre de Tel-al-Zaatar. Une déclaration rédigée par le Comité politique du WRP en novembre 1976, fut une des dernières déclarations réellement trotskystes publiées par le CIQI sur le Moyen-Orient :

« C’est la responsabilité des ouvriers juifs et arabes de vaincre cette conspiration agressive. Seule la victoire inconditionnelle des peuples arabes contre le sionisme, le renversement de l’Etat raciste d’Israël et la création d’une Palestine démocratique et socialiste peuvent mettre fin à la menace d’une autre guerre. Dans cette lutte, la classe dominante arabe ne peut que jouer un rôle lâche et traître, oscillant entre l’impérialisme et les travailleurs et paysans arabes. C’est là la leçon incontestable de l’invasion du Liban par la Syrie...

« La tâche de libérer la nation arabe de l’impérialisme et de vaincre définitivement le sionisme, ne peut être confiée aux capitalistes et propriétaires terriens arabes réactionnaires. Cette tâche peut et doit être accomplie par les travailleurs juifs et arabes sous la direction du Comité international de la Quatrième Internationale. » (News Line, le 13 novembre 1976, p. 9)

Cette déclaration concluait par un appel pour la construction de sections du CIQI « dans tous les pays arabes et en Israël ».

En juillet 1977, le WRP signait un communiqué commun avec le gouvernement libyen dont le CIQI n’eût connaissance qu’après sa publication dans le News Line. C’était le début d'une politique petite-bourgeoise d’adulation du colonel Kadhafi sur laquelle nous reviendrons plus tard.

Dans l’année qui suivit, le WRP multiplia de façon spectaculaire ses activités dans d’autres pays du Moyen-Orient, cultivant des relations avec les Baassistes en Syrie et en Irak. Le moment choisi par le WRP pour entrer en relation avec ces derniers était particulièrement sinistre, les Baassistes étant en pleine guerre de fractions avec le Parti communiste irakien. Dans le but de tirer avantage de cette lutte, le WRP défendit de façon inqualifiable l’exécution de militants d’un parti de la classe ouvrière.

Le 2 février 1979, dans un article intitulé « Une conspiration démasquée », le News Line rapporta, en s’y montrant favorable, l’exécution de 21 militants du PC irakien pour « avoir illégalement formé des cellules dans les forces armées ». Le 8 mars 1979, en réponse à la lettre d’un lecteur qui protestait contre cette trahison de classe, le News Line prit la défense des exécutions dans une déclaration non signée s’étalant sur toute une page.

On y déclarait que le « Parti socialiste arabe Baath irakien a joué un rôle cent fois plus progressiste au Moyen-Orient que le stalinisme » – abandonnant ainsi les critères de classe dans l’évaluation des tendances politiques et oubliant que la critique trotskyste du stalinisme au Moyen-Orient a toujours été concentrée sur ses relations opportunistes et sans principe avec les nationalistes bourgeois. C’est sur cette base que le Comité international avait critiqué le Parti communiste soudanais en 1971 – tout en protestant contre l’exécution de ses dirigeants par le bourreau Nimeiri. Mais, en 1979 le WRP dénonçait le PC irakien justifiant le meurtre de ses membres pour des raisons exactement opposées – ne pas s’être entièrement conformés à un accord opportuniste passé entre les staliniens et les Baassistes !

« Le fait est que les membres du PC furent exécutés selon un code militaire, discuté, approuvé et mis en vigueur par le PC irakien. A ce jour, le PC irakien n’a pas demandé le rejet de ces lois militaires, qui interdisent la formation de cellules secrètes dans l’armée. Il n’a jamais contesté que les officiers arrêtés soient coupables ! ] des accusations portées contre eux.

« Ceci est manifestement une situation dans laquelle Moscou tente de former des cellules dans les forces armées irakiennes pour miner le régime. Il doit en accepter les conséquences ...

« C’est un principe pour nous, trotskystes, de défendre les travailleurs, qu’ils soient staliniens, révisionnistes ou sociaux-démocrates, face aux attaques de l’Etat capitaliste.

« Mais, comme les faits le démontrent, tout cela n’a rien à voir avec les incidents ayant eu lieu en Irak. » (p. 10)

Comme si cela ne suffisait pas, la déclaration allait jusqu’à mettre en garde l’auteur de la lettre de protestation contre les exécutions, qu’il « devait partir de ces considérations révolutionnaires, s’il ne voulait pas devenir un pion dans la conspiration cynique des staliniens et des impérialistes au Moyen-Orient. » (p. 10)

19. Les perspectives du Quatrième congrès du WRP (mars 1979)

Le Quatrième congrès du WRP, qui s’étala sur près de deux semaines, fut tenu moins d’un mois après le renversement de cette marionnette de l’impérialisme qu’était Bakhtiar et la victoire de la révolution nationale iranienne sous la direction de Khomeyni. C’est dans une longue résolution programmatique de ce congrès, écrite par Michael Banda, que furent officialisées les révisions fondamentales du marxisme et de la théorie de la Révolution permanente de Trotsky. Etant donné le rôle important et critique que ce document joua en sanctionnant la transformation du WRP en une agence des régimes nationalistes bourgeois, il mérite une analyse attentive.

Il y avait deux aspects essentiels intimement liés dans ce document éclectique. Premièrement, l’analyse est faite de façon à justifier les relations opportunistes déjà établies par le WRP avec divers régimes bourgeois et avec l’OLP. Ainsi, la nécessité d'une révolution socialiste n’était reconnue que dans les pays où le WRP n’avait pas encore établi de liens avec les nationalistes bourgeois, comme en Iran (du moins à cette époque). Deuxièmement, on y présentait pour la première fois une perspective qui élimine virtuellement les distinctions entre les classes dans les pays semi-coloniaux, pour élever ensuite la lutte armée au niveau d’une stratégie, en en faisant le critère fondamental pour évaluer la crédibilité des diverses directions nationalistes comme combattants anti-impérialistes. Ce document établit clairement le rôle central de Banda dans la dégénérescence politique de l’ex-section britannique. Il n’a pas réussi à assimiler la composante essentielle de la théorie de la Révolution permanente en tant que stratégie du prolétariat international. A sa place il a avancé une position petite-bourgeoise qui n’était rien d’autre que du pablisme revêtant des formes pseudo-maoïstes.

Dans une partie du document traitant de la lutte au Zimbabwe et des efforts de l’impérialisme britannique pour imposer un accord négocié, on déclarait que les effets de la crise économique mondiale « poussent des masses de plusieurs millions de personnes en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et au Moyen-Orient à la révolte armée. » (traduit de Perspectives of the Fourth Congress, p. 14)

Cette déclaration ne serait pas fausse si les forces sociales antagonistes présentes dans ces « masses de plusieurs millions de personnes » étaient correctement identifiées, et si on y définissait la nature de classe des tendances politiques qui étaient à la direction de cette « révolte armée ». En fait, le document ne faisait jamais référence aux intérêts de classe indépendants et aux tâches du prolétariat qui se bat pour établir son hégémonie dans la lutte anti-impérialiste. Au lieu de cela, Banda justifiait la subordination du prolétariat et de la paysannerie à la bourgeoisie nationale.

Décrivant le rôle de Nkomo et Mugabe en termes flatteurs, le document déclarait : « Les puissants coups de massue des guerilleros du Front patriotique contre les forces armées du régime de Smith ont démoli efficacement la conspiration de Muzorewa, Sithole et Chirau, et ont ravivé les forces et le courage du peuple zimbabwéen dans sa lutte pour la libération complète de son pays. »

Ces remarques qui remplacent l’analyse par des adjectifs et des adverbes, ne servirent qu’à désarmer les militants du WRP et les ouvriers et paysans zimbabwéens – comme les événements ultérieurs allaient le démontrer. La profondeur politique de l'opposition de Mugabe et Nkomo à Muzorewa, Sithole et Chirau était exagérée. Tandis que ce trio agissait en complices ultra-lâches de l’impérialisme, Mugabe et Nkomo, dont les représentants avaient avec le WRP des contacts réguliers, représentaient une section plus influente de la bourgeoisie zimbabwéenne, manipulant avec adresse les mouvements de masse pour s’assurer les meilleures positions possibles dans leur marchandage avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

La formule astucieuse et traîtresse employée par Banda pour justifier la capitulation du WRP devant les agents zimbabwéens de l’impérialisme britannique est celle-ci :

« Le WRP se tient de façon inconditionnelle aux côtés de la classe ouvrière et de la paysannerie africaines contre les régimes au pouvoir et leurs agents dans le mouvement national. Nous soutenons le Front patriotique de Mugabe et Nkomo dans la mesure où il poursuit sa lutte armée contre Smith et rejette un compromis constitutionnel. Seul le renversement armé de l’Etat capitaliste en Afrique australe et en Afrique centrale et l’établissement d'un gouvernement ouvrier et paysan peut mettre fin à l’apartheid, rendre la terre à la paysannerie et nationaliser les mines, les grandes propriétés foncières et les usines. » (Ibid., p. 15)

Cette conception repose sur une tromperie : l’affirmation qu’il peut y avoir une conciliation entre des classes opposées et irréconciliables. Violant tous les principes marxistes, le WRP remplaçait dans son programme le programme de classe par la lutte armée comme critère pour déterminer l’attitude de la QI envers une direction nationaliste bourgeoise. La lutte armée – considérée en tant qu’abstraction séparée de son contenu politique de classe – servait de tremplin pour justifier le programme du Front populaire dans les pays sous-développés. Plutôt que d’affirmer clairement que la bourgeoisie zimbabwéenne est incapable de gagner une véritable indépendance nationale et qu’elle ne continuera la lutte armée que dans les limites de ses propres intérêts de classe, le document liait le sort de la classe ouvrière à la politique de la bourgeoisie. Le « dans la mesure où » de Banda était une supercherie, qui laissait croire que la lutte armée, sous la direction de Nkomo et Mugabe, mènerait automatiquement – sans la construction d’une direction indépendante et révolutionnaire de la classe ouvrière – au renversement de l’Etat capitaliste et à la réalisation d'une politique socialiste.

La condition posée par Banda, Slaughter et Healy au Front patriotique – de « rejeter un compromis constitutionnel » – était politiquement sans valeur et revenait à accorder sa confiance à la bourgeoisie africaine. Il représentait un reniement de la responsabilité qu’a le mouvement trotskyste de se battre pour l’organisation politique de la classe ouvrière, indépendamment de la bourgeoisie et avant que n’intervienne la trahison inévitable de cette dernière de la lutte contre l'impérialisme.

C’était, de plus, une farce politique que de suggérer qu’un gouvernement ouvrier et paysan puisse être instauré sous l’égide du Front patriotique, peu importe le temps que durerait la lutte armée. Cette référence à la création d’un gouvernement ouvrier et paysan – par l’intermédiaire d’une lutte armée sous la direction de la bourgeoisie nationale bénéficiant du soutien non-critique du WRP – revient à duper la classe ouvrière à la façon des pablistes. C’est ainsi que le WRP contribua à désorienter les masses zimbabwéennes en les livrant à la trahison des dirigeants du Front patriotique.

Ces profondes révisions du trotskysme avaient leur origine politique dans la conception petite-bourgeoise de Banda selon laquelle la « lutte armée » est une stratégie qui, dans la lutte anti-impérialiste, relègue les questions de classe à l’arrière plan, et non pas une tactique employée par des forces sociales déterminées poursuivant leurs propres intérêts de classe. Cette position répudiait toutes les leçons de la lutte de Trotsky contre la trahison de l’Internationale Communiste en Chine en 1927. S’opposant au soutien donné par Staline au bourgeois Tchang Kaï-Chek « dans la mesure où la bourgeoisie ne s’oppose pas à l’organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et mène une lutte effective contre l’impérialisme, » Trotsky écrivit :

« L’unique ‘ condition ‘ de tout accord avec la bourgeoisie, accord séparé, pratique, limité à des mesures définies et adapté à chaque cas, consiste à ne pas mélanger les organisations ni les drapeaux, ni directement ni indirectement, ni pour un jour ni pour une heure, à distinguer le rouge du bleu et à ne jamais croire que la bourgeoisie puisse ou soit disposée à mener une lutte réelle contre l’impérialisme et à ne pas s’opposer aux ouvriers et aux paysans. L’autre condition ne nous est d’aucune utilité pour des accords pratiques. Au contraire, elle ne pourrait que nous être nuisible et rendre confuse la ligne d'ensemble de notre lutte contre la bourgeoisie, lutte qui ne cesse pas durant la brève période de la conclusion d’un tel ‘ accord.‘ » (Léon Trotsky, L’Internationale Communiste après Lénine, Ed. PUF, p. 289)

Le caractère perfide de la formule de Banda et la nature menchevique et pabliste de sa politique allaient être clairement révélés moins d'un an plus tard, lorsque le WRP laissa tomber sa seule et unique condition – que le Front patriotique rejette un compromis constitutionnel – afin de préserver sa lâche alliance avec la bourgeoisie zimbabwéenne.

20. Le WRP trahit la révolution zimbabwéenne

Avant de revenir à notre analyse du document, montrons quelles furent les conséquences pratiques de la ligne politique du WRP.

En septembre 1979, le Front patriotique mit – sans beaucoup s’occuper de l’unique condition de Banda – un terme à sa lutte armée. Mugabe et Nkomo se rendirent à Londres pour participer aux négociations de Lancaster House, dont le but était de mettre fin à la lutte de libération nationale au Zimbabwe par la conclusion précisément d’un accord constitutionnel. Plutôt que de dénoncer cette bouffonnerie réactionnaire et d’appeler les masses zimbabwéennes à rejeter le piège de Lancaster House, le WRP adaptait immédiatement sa position politique à ce virage à droite du Front patriotique. Pendant les six mois suivants, le News Line allait fonctionner quotidiennement comme organe de propagande semi-officiel du Front patriotique, prodiguant les tranquillisants politiques destinés à calmer l’anxiété croissante des travailleurs britanniques et zimbabwéens (sans compter les innombrables étudiants africains de Londres) devant la faillite des dirigeants nationalistes.

Le 10 septembre 1979, dans un article en première page intitulé « Nkomo s’attaque à Bishop », le News Line informait ses lecteurs que : « les dirigeants du Front patriotique zimbabwéen, présents à Londres pour la conférence constitutionnelle qui s’ouvre à Lancaster House aujourd’hui, ont clairement fait comprendre qu’ils n’accepteraient pas moins que le pouvoir aux mains de la majorité. » Plutôt que de dénoncer ces vantardises superficielles, le News Line citait longuement Nkomo, sans le critiquer. Le seul avertissement, fait au cours de cet article, fut ce commentaire du correspondant John Spencer : « Il ne doit y avoir aucune illusion sur le rôle du gouvernement Thatcher, qui est l’ennemi juré de tous les mouvements de libération à travers le monde. » Il évita l’inconvénient de mentionner que les pourparlers de Lancaster House reposaient sur la collaboration du Front patriotique avec ce même impérialisme britannique.

Le 22 septembre 1979, dans un article intitulé « Le Front patriotique reste ferme », le News Line fournit ces assurances trompeuses :

« Après deux semaines de dures négociations à Lancaster House, le Front patriotique maintient ses revendications pour un Zimbabwe indépendant, jouissant de droits démocratiques indivisibles pour tous les citoyens. »

L’article laissait entendre que les « marionnettes de Salisbury » avait fait des concessions majeures parce qu’elles avaient accepté les propositions d’une nouvelle constitution des Tories– oubliant adroitement que deux semaines auparavant le WRP faisait encore dépendre son soutien au Front patriotique du rejet de tout compromis sur une constitution bourgeoise. Il s’avéra qu’en fin de compte Ian Smith était resté plus longtemps ferme que Nkomo et Mugabe ! Une fois de plus, cependant, le News Line avertissait qu’il restait des obstacles à une entente : « Mais le Front patriotique est toujours profondément mécontent du plan constitutionnel britannique. Joshua Nkomo et Robert Mugabe maintiennent qu’il contient toujours des traces [ ! ] de racisme parce qu’il fait mention de listes électorales séparées pour blancs et pour noirs et qu’au Parlement il y a des sièges réservés aux blancs. »

A peine trois jours plus tard, le News Line rapportait que le Front patriotique avait surmonté son mécontentement et accepté les 24 sièges blancs exigés par l’impérialisme britannique. Le titre de l’article du 25 septembre prétendait que « Le coup inquiète Salisbury ». Alors que quelques jours auparavant le News Line citait encore le Front patriotique qui dénonçait l’accord comme raciste, il faisait observer à présent que « la présente constitution raciste est morte et enterrée... »

Le 5 octobre 1979, le News Line rapportait que Lord Carrington avait présenté un ultimatum au Front patriotique, demandant que Mugabe et Nkomo acceptent le cadre constitutionnel élaboré par l’impérialisme britannique sans quoi les pourparlers seraient interrompus.

Le 9 octobre 1979, le News Line publiait les « sept désaccords » du Front patriotique avec la constitution proposée par Lord Carrington. Aucun de ces désaccords n’était de nature fondamentale et cela montrait que le Front patriotique avait capitulé sur des questions essentielles et était disposé à laisser aux impérialistes le contrôle d’un Zimbabwe « indépendant ». Mais le News Line ne demanda pas au Front patriotique d’abandonner les pourparlers, et ne critiqua en quoi que ce soit leurs prises de position. Au lieu de cela le News Line publia, au nom du Front patriotique, une timide protestation.

Dans son numéro du 15 octobre 1979, un article intitulé « La question agraire, un point crucial dans les pourparlers sur le Zimbabwe », le correspondant John Spencer, se plaignait de ce que les propositions de Carrington « ne constituaient qu’un ultimatum grossier visant à stopper les négociations si le mouvement de libération zimbabwéen refusait de se laisser intimider et d’accepter les conditions dictées par Westminster.

« Carrington pousse les pourparlers jusqu’au point de rupture malgré le fait que le Front patriotique a toujours été disposé à poursuivre les négociations et à empêcher qu’elles n’échouent.

« Le projet constitutionnel que Carrington tente d’imposer n’offre rien qui ressemble à une indépendance et une souveraineté pleine et entière pour le peuple zimbabwéen.

« Il contient des clauses qui seraient inacceptables et offensantes pour n’importe quel gouvernement souverain à travers le monde et, ce qui est encore plus important, ces clauses sont directement contraires aux intérêts et aux besoins du peuple zimbabwéen. »

Le rôle joué par le News Line était à présent celui de garçon de course entre le Front patriotique et la classe dirigeante britannique, et non pas celui d’une tribune pour la classe ouvrière et les masses opprimées du Zimbabwe. Il informa fidèlement de la déception du Front patriotique face au dur marchandage de Carrington et avertissait, avec tact, que le Front pourrait être forcé, contre son gré, d’abandonner les négociations. C’est pour cette raison que le News Line – sans nul doute à la demande des aides de camp de Nkomo et Mugabe – rapporta la critique des pourparlers faite par le représentant du Front patriotique aux Nations Unies.

Toutefois, au cours des 24 heures suivantes, le Front patriotique décida de persévérer dans sa trahison à Lancaster House et le News Line eut pour tâche de présenter cette misérable capitulation comme s’il s’agissait d’une audacieuse réplique à Carrington. Ainsi, en première page de l’édition du News Line du 16 octobre 1979, on pouvait lire : « NOUS RESTONS ! – répond Nkomo à Carrington. »

Le premier paragraphe de l’article de John Spencer disait : « Le co-dirigeant du Front patriotique Joshua Nkomo a dit hier soir que le gouvernement britannique n’avait aucun droit de mettre le mouvement de libération à la porte de Lancaster House où ont lieu les négociations sur l’avenir du Zimbabwe. »

Poursuivant dans son rôle de garçon de course, le News Line citait « un cadre du Front patriotique »: « Une entente entre le gouvernement britannique et Muzorewa est sans valeur puisqu’ils ne peuvent mettre un terme à la guerre. »

Un mois plus tard, lorsque le Front patriotique capitula devant les propositions de Carrington, la nouvelle fut enterrée dans une des pages intérieures du journal où un reportage suggérait que le gouvernement britannique avait fait des concessions importantes dans la formulation de ses propositions.

Dans le but de détourner l’attention de la trahison éhontée qui était en train d’avoir lieu, le News Line du 27 novembre 1979 créa une diversion grotesque pour laquelle on fit appel à Alex Mitchell. Celui-ci composa un article à sensation qu’on publia en première page, avec pour thème les négociations sur le Zimbabwe sous ce titre évocateur : « En exclusivité : un sinistre complot démasqué. »

Selon « des sources dignes de confiance qui doivent rester anonymes » Mitchell rapportait que « les services de renseignement britanniques ont monté la plus grande opération de surveillance électronique de leur histoire contre la délégation du Front patriotique aux négociations sur l’avenir de la Rhodésie à Londres...

« Ils ont livré au ministère des Affaires étrangères – et par conséquent aux régimes d’Afrique du Sud et de Salisbury – les détails des réflexions et de la tactique du Front patriotique dirigé par Joshua Nkomo et Robert Mugabe. » – comme si l’impérialisme britannique avait besoin d’une table d’écoute pour prévoir la trahison de ses agents au Zimbabwe !

L’article se terminait par une gentille menace du garçon de course Mitchell, à l’adresse de l’impérialisme britannique : « Si Carrington n’est pas prêt à retirer complètement son projet et à accepter inconditionnellement les propositions du Front patriotique, celui-ci a tous les droits de quitter Londres et de reprendre la lutte armée jusqu’à la victoire définitive. » On se demande pourquoi le News Line n’a pas demandé au Front patriotique de quitter Londres et de reprendre la lutte armée si une victoire définitive était possible ? En vérité, cette déclaration cynique prouve que la direction du Workers Revolutionary Party agissait en agent conscient de la bourgeoisie coloniale dans le but de trahir la révolution zimbabwéenne.

Le 5 décembre 1979, le News Line jouait le dernier atout du Front patriotique. Un article à la une intitulé : « Le Zimbabwe accuse : les Tories optent pour la guerre », rapportait que Mugabe et Nkomo faisaient la mise en garde que « si Carrington mettait fin à la conférence de Londres sans un accord avec le Front patriotique, la guerre pour la libération du Zimbabwe continuerait. »

Le 14 décembre 1979, le News Line commença à préparer ses lecteurs à la capitulation de Nkomo et Mugabe. Un article de Mitchell déclarait à la une : « Le Front patriotique subit des pressions de toutes parts pour accepter les propositions de cessez-le-feu des Tories et pour rendre les armes dans la lutte de libération du Zimbabwe. » Il s’excusait pour le Front patriotique, affirmant qu’« il était seul avec son attitude pleine de droiture » et que « les Etats du Front ont eux aussi abandonné les combattants de la libération » – dépeignant ainsi un tableau d’un total désespoir pour justifier la capitulation politique devant Carrington et l’abandon de la lutte armée, que le WRP avait proclamée être, quelques mois auparavant, la raison de son soutien au Front patriotique.

Aussi, le 18 décembre 1979, le News Line rapportait, sans la moindre critique, que « le Front patriotique signe les accords ».

Pendant trois mois, le Workers Revolutionary Party avait endossé fidèlement chaque recul du Front patriotique et avait accepté le sale boulot de faire avaler ces accords à la classe ouvrière britannique et aux combattants africains. Dans le but de faciliter leur trahison, le WRP travailla jour et nuit pour rehausser l’autorité de Mugabe et Nkomo. Pas une fois pendant le temps que durèrent les négociations de Lancaster House, le Workers Revolutionary Party n’a présenté quelque chose qui ressemblât même de loin à une analyse marxiste de la politique des nationalistes bourgeois, ou avancé un programme révolutionnaire pour aller à l’encontre de leur trahison. Il faut dire que la direction Healy-Banda-Slaughter a joué de par sa collaboration réactionnaire avec les traîtres du Front patriotique le rôle d’un renfort de troupes pour l’impérialisme britannique.

Plus tard, trois mois après cette trahison, le News Line publiait dans son numéro du 3 mars 1980 un article ayant pour titre « Qu’est-il advenu du Front patriotique ?» et y déclarait :

« Les masses du Zimbabwe font face aux pires menaces à cause des intrigues de l’impérialisme et à cause de l’opportunisme de leurs propres dirigeants. » Dans un avertissement cynique et tardif, le News Line rapportait que : « Maintenant, les dirigeants du Front patriotique travaillent main dans la main avec le Général Sir John Acland, Walls et Maclean pour intégrer les armées du ZIPRA et du ZANLA dans une seule armée centralisée. »

La nouvelle attitude « critique » ne dura pas longtemps. Deux jours après, en première page du numéro du 5 mars 1980, le News Line annonçait en gros caractères : « Victoire de Mugabe : un grand coup porté aux Tories ».

L’article commençait ainsi : « La victoire écrasante de Robert Mugabe aux élections zimbabwéennes est une grandiose confirmation du mouvement révolutionnaire des masses en Afrique et dans le monde entier.

« Par cette victoire les masses poursuivent leur marche irrépressible, commencée avec les victoires sur l’impérialisme au Vietnam, puis en Angola, au Mozambique, en Iran et au Nicaragua. »

Dans ses efforts pour s’attirer les bonnes grâces de Mugabe, le News Line dénonçait Nkomo, dont les forces militaires étaient maintenant décrites comme « une force entraînée de façon conventionnelle sous la poigne solide de conseillers soviétiques et est-allemands. »

Or, à peine un an auparavant, dans un document du Quatrième congrès, Banda décrivait les forces de Nkomo comme étant un élément vital pour un futur « gouvernement d’ouvriers et de paysans » au Zimbabwe.

Dans le même numéro, après avoir affirmé avec enthousiasme son soutien à la victoire électorale de Mugabe, décrite par le WRP comme un coup porté à l’impérialisme britannique, le News Line rapportait, sans la commenter, la politique définie par le nouveau gouvernement : 1) « La nationalisation avec compensation » ; 2) « L’acceptation de la base capitaliste de l’économie rhodésienne avec ‘ des modifications progressives ‘ sans expropriation de la propriété privé ou de nationalisations massives » ; 3) L’acquisition par le Zimbabwe du statut de pays non-aligné « avec des amis aussi bien dans l’OTAN que dans le Pacte de Varsovie » ; 4) La coexistence avec l’Afrique du Sud.

Le résultat final de la politique du WRP en Afrique du Sud – pour laquelle Healy, Banda et Slaughter partagent une égale responsabilité – était une trahison politique d’ampleur historique.

21. Le WRP trahit les masses arabes

C’est de façon plus directe et immédiate encore que pour le Zimbabwe, que la résolution du Quatrième congrès apportait une justification théorique à la trahison par le WRP des ouvriers et des paysans du Moyen-Orient.

Le document de Banda décrivait la lutte du peuple palestinien contre le sionisme comme « le paroxysme de la révolution mondiale » une définition pabliste qui déformait les rapports objectifs existant entre les divers éléments de la lutte de classe internationale. De plus, désigner un élément particulier comme étant « le paroxysme » impliquait politiquement que toutes les autres luttes lui étaient subordonnées. Cette formulation se révéla être la justification pour une réorientation du travail international du WRP autour d'une série d'alliances opportunistes avec la bourgeoisie arabe.

Ce château de cartes théorique était complété par l’affirmation selon laquelle « La stratégie de l’impérialisme anglo-américain dans cette région est dictée uniquement par son désir de protéger les champs pétrolifères d’une expropriation par un régime radical. » (Fourth Congress Resolution, p. 15, caractères gras ajoutés)

Les conclusions politiques qui découlaient implicitement de cette évaluation absurde étaient : 1) que le travail pratique du WRP devait se concentrer sur la défense de ces régimes radicaux bourgeois en coordonnant son travail avec celui des ministères des Affaires étrangères de divers Etats arabes ; et 2) que la classe ouvrière, ne jouant qu’un rôle de second plan dans la lutte anti-impérialiste, devait nécessairement subordonner ses propres intérêts à la défense des régimes en place, qui ont auparavant été définis comme l’ennemi principal de l’impérialisme anglo-américain.

Cette subordination de la classe ouvrière était ensuite justifiée par une évaluation politique de l’histoire du Moyen-Orient qui ne tenait compte que du seul ennemi extérieur des masses arabes – le sionisme – tout en ignorant les contradictions sociales internes par lesquelles sont médiatisés les intérêts de l’impérialisme. Ainsi, Banda écrivait : « Jamais l’impérialisme n’eût de meilleur instrument que l’immigration sioniste. » (Ibid.) Cette déclaration évitait toutes les questions fondamentales d’une analyse marxiste des tâches du prolétariat au Moyen-Orient. Outre que l’immigration sioniste était une conséquence directe des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie qui menèrent à la victoire du fascisme dans les années 1930 et à l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale impérialiste, l’incapacité des dirigeants arabes de défendre les droits nationaux du peuple palestinien et d’avancer une stratégie pour vaincre le sionisme, soulève la question de la crise de la direction révolutionnaire – internationalement ainsi qu’au Moyen-Orient. Ayant rejeté cette considération de classe primordiale – le point de départ pour l’élaboration d’un programme révolutionnaire et d’un plan d’action – le document du Quatrième congrès dégénérait en une glorification journalistique petite-bourgeoise de la politique étrangère de la bourgeoisie arabe.

Plutôt que d’éduquer les travailleurs arabes les plus conscients à prendre une attitude critique face à la politique des Etats bourgeois du Moyen-Orient – en expliquant l’incapacité organique, même pour les régimes les plus radicaux, de mener une politique anti-impérialiste conséquente, en s’opposant aux illusions naïves nourries vis-à-vis des instruments de l’impérialisme comme les Nations unies, et en démasquant chaque geste perfide commis par la bourgeoisie envers la classe ouvrière et les masses opprimées de tous les pays arabes – le document mettait l’accent sur leurs soi-disant conquêtes diplomatiques, élevant ces parodies politiques soigneusement orchestrées au rang de véritables victoires des ouvriers et des paysans. Cette méthode petite-bourgeoise mena à une trahison de fait de la lutte anti-impérialiste, et particulièrement de celle des masses palestiniennes.

Ainsi, « Grâce à l’intervention du régime Baath irakien qui s’est opposé de façon conséquente à ce qu’Israël soit jamais reconnu et qui a supporté la révolution palestinienne dans les jours sombres de la guerre civile au Liban, le complot de Camp David fut déjoué. » Quelle pathétique myopie !

Ce n’est pas tout. Inspiré par les astuces politiques du Moyen-Orient, Banda déclarait : « Au sommet de Bagdad en novembre 1978, l’OLP et les régimes radicaux de la Syrie, de l’Irak, de la Libye, de l’Algérie et du Sud-Yemen se sont assurés l’appui des Etats conservateurs de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et des Emirats arabes pour rejeter l’accord de Camp David et réaffirmer le droit de l’OLP à être le seul représentant du peuple palestinien. La promesse d’un soutien financier et politique à la révolution palestinienne par les Etats producteurs de pétrole a été un coup dur porté aux rêves réactionnaires de Sadat. » (Ibid., p. 16)

Il suffit de regarder les événements sanglants des huit dernières années – au cours desquels l’OLP et le peuple palestinien ont été les victimes d’innombrables actes de trahison de la part de leurs « frères arabes » – pour se rendre compte du peu de valeur de cette estimation. Durant cette période, Healy et Banda étaient en contact constant avec l’OLP et leurs analyses furent un lien objectif de la chaîne des événements qui menèrent au désarmement et à l’isolement du mouvement palestinien. Depuis 1978, chacun des Etats cités dans le panégyrique de Banda a poignardé l’OLP dans le dos et a oeuvré pour anéantir physiquement ses chefs et ses cadres.

En fait, le WRP a participé en pratique à la conspiration vicieuse dirigée contre l’OLP. L’objectif politique principal de Healy au Moyen-Orient n’était pas d’assurer les droits nationaux du peuple palestinien mais d’entretenir des relations rémunératrices pour le WRP avec les Etats arabes « enrichis par le pétrole ». Lorsqu’il était forcé de choisir entre les deux, Healy protégeait invariablement ses liens avec les régimes arabes. C’est Banda qui fournit la couverture politique de ces manoeuvres de mauvaise foi et sa résolution du Quatrième congrès qui s’énonçait comme suit : « Le sommet de Bagdad a mis un terme aux luttes de factions sanglantes au sein de l’OLP et a jeté les bases pour une coordination de la politique étrangère et de la politique de défense irakienne et syrienne, de même que celles d’une possible réunification des deux partis baassistes. » (Ibid.)

Dans ce passage se manifestait le réel mépris de la direction du WRP pour l’OLP. L’acceptation de l’hégémonie irakienne dans les affaires internes de l’OLP était une violation du principe de l’autodétermination. La référence faite en passant par Banda à la fin des « luttes de factions sanglantes au sein de l’OLP » signifiait que le WRP soutenait la suppression des droits démocratiques pour les tendances politiques qui existent parmi les masses palestiniennes. Il était politiquement évident que les Baassistes réprimaient justement les tendances qui entraient en conflit avec les relations entretenues par les dirigeants irakiens avec l’impérialisme et la bureaucratie soviétique.

Quant à la spéculation sur les relations entre les sections syrienne et irakienne de la monstruosité politique baassiste, pourquoi une telle perspective d’unité entre ces politiciens bourgeois soulevait-elle l’enthousiasme des dirigeants du WRP ? Depuis quand les trotskystes encouragent-ils de telles manoeuvres politiques ? Cette spéculation démontrait la crédulité petite-bourgeoise de Healy et Banda à l’égard de la viabilité historique du nationalisme bourgeois. En l’espace de quelques mois, tous les pourparlers en faveur de l’unité furent enterrés sous une nouvelle vague de luttes intestines sanglantes entre les sections nationales rivales du baassisme.

Quant à ses relations avec l’OLP, la direction du WRP alliait la duperie politique à la malhonnêteté sur le plan théorique. Invoquant son appui inconditionnel à l’OLP face à l’impérialisme – un principe trahi à plusieurs reprises par Healy – le WRP minimisait le rôle décisif du prolétariat au Moyen-Orient. Healy, Banda et Slaughter attribuaient de façon malhonnête à l’OLP un rôle qu’elle ne jouera pas, ni ne pouvait jouer : « La puissance de la classe ouvrière et de la paysannerie est directement reflétée dans la croissance de l’OLP et dans sa montée comme direction de la lutte pour l’émancipation de toute la nation arabe. » (Ibid., caractères gras ajoutés)

Cette déclaration représentait la répudiation la plus complète de la théorie de la Révolution permanente, qui affirme qu’à l’époque de l’impérialisme seul le prolétariat, armé d'un programme marxiste et sur la base de la lutte de classe, peut mener à bien les tâches démocratiques d’unification et de libération nationales face à l’impérialisme. En outre, la véritable unification des peuples arabes est historiquement liée à la liquidation des frontières actuelles qui bloquent le progrès économique et perpétuent les anciennes divisions tribales et féodales, de même que celles fomentées par l’impérialisme. Loin de se présenter, sur la base de son programme, comme l’unificateur de toute la nation arabe du Maghreb au golfe Persique, l’OLP s’est traditionnellement définie comme le seul représentant légitime du peuple palestinien et a explicitement reconnu l’existence de plusieurs tendances sociales dans ses propres rangs.

C’est vainement qu’on cherche parmi toutes les formulations anti-marxistes de ce document une référence quelconque au rôle historique du prolétariat au Moyen-Orient. Le problème de l’unité des travailleurs arabes et juifs – un problème d’importance stratégique sur lequel la Quatrième Internationale avait insisté dans les années 1940 tout en s’opposant à la création d’Israël – n’était bien sûr pas mentionné.

Dans une autre de ses productions journalistiques nauséabondes, Banda affirmait que « l’OLP avait surmonté tous les obstacles se trouvant sur son chemin, avait uni le peuple palestinien et était reconnue comme son unique représentant. » (Ibid.)

Il s’agissait là de la pire des traîtrises : se servir de viles flatteries sous les dehors d’une analyse scientifique, pour mentir au peuple palestinien. Il n’est guère nécessaire de réfuter l’affirmation selon laquelle l’OLP « a surmonté tous les obstacles se trouvant sur son chemin... » Seuls des imbéciles pourraient prendre au sérieux ce genre d’affirmation. Les assertions suivantes cependant, méritent du point de vue théorique qu’on les considère avec plus d’attention. Il n’est pas seulement impossible, pour les raisons que nous avons mentionnées plus haut, à l’OLP d’unifier la nation arabe, mais aussi, dans un sens marxiste, que l’OLP unisse véritablement le peuple palestinien. Elle est aussi incapable de le faire que la Ligue Awami d’unir les masses du Bangladesh, ou encore, que le Front patriotique d’unir les masses du Zimbabwe. A moins de définir quelles sont concrètement les différentes classes en présence à l’intérieur du mouvement national, toute référence à la nation palestinienne est une abstraction politique qui, encore une fois, sert à nier le rôle décisif de la classe ouvrière. Quant à la définition qui veut que l’OLP soit « le seul représentant légitime » du peuple palestinien, elle est acceptable pour défendre publiquement l’OLP contre les intrigues de l’impérialisme, du sionisme et de la bourgeoisie arabe. Mais lorsqu’elle est présentée dans un document programmatique du mouvement trotskyste comme une définition politique, elle ne peut que semer illusions et confusion. La seule conclusion qu’on puisse tirer d’une telle définition est que le WRP s’opposait à la construction du CIQI au sein d’une classe ouvrière palestinienne qui grandissait rapidement. En d’autres termes, le trotskysme n’a aucun rôle à jouer dans l’émancipation des masses palestiniennes.

Une fois encore, c’est Banda qui fournit la justification théorique de cette capitulation liquidatrice devant la bourgeoisie palestinienne. La résolution du Quatrième congrès dit :

« Ce qui caractérise l’OLP, c’est la lutte armée qui a pris la forme d’une guérilla prolongée, l’accent qu’elle met sur la mobilisation des masses en opposition au terrorisme individuel et sa détermination à mener la lutte sur tous les fronts.

« Cette lutte s’exprime dans leur cri de guerre : ‘ Révolution jusqu’à la victoire ‘ » (Ibid., p. 16-17)

On se servit pour caractériser politiquement l’OLP de la même théorie de la « lutte armée » que celle dont on se servit pour masquer la nature de classe du Front patriotique au Zimbabwe. Cette fausse théorie allait avoir au Moyen-Orient des conséquences encore plus tragiques qu’au Zimbabwe. On substitua la « lutte armée » et une abstraite « mobilisation des masses » à l’organisation d’un parti prolétarien pour établir l’indépendance de la classe ouvrière face aux régimes bourgeois arabes. Le développement ultérieur de la lutte de classe au Moyen-Orient, surtout après l’invasion sioniste du Liban en juin 1982, démontra le caractère fallacieux du concept de « lutte armée » défendu par l’OLP.

Au Liban même, l’OLP ne fut jamais en mesure d’avancer un programme pour l’unification des masses palestiniennes et libanaises. L’organisation de parades militaires à Beyrouth s’est avérée nuisible, ne servant qu’à provoquer le nationalisme libanais. Malgré tout leur héroïsme, les unités militaires de l’OLP n’ont pas pu arrêter la percée des forces sionistes. Le vrai défi, celles-ci l’ont finalement rencontré lorsqu’elles furent repoussées par le soulèvement des ouvriers et des paysans libanais qu’elles ont elles-mêmes provoqué – ce qui a démontré que la principale faiblesse de l’OLP, inhérente à sa nature même, fut son incapacité à formuler un programme pouvant, bien avant 1982, mobiliser cette grande puissance pour la défense du droit des Palestiniens à l’autodétermination. Pour un marxiste, la perspective de la lutte de classe est au coeur de son programme. Elle n’est pas un « cri de guerre ».

La résolution cherchait ensuite à apporter une justification théorique à l’adulation du régime de Kadhafi en Libye. Dans un passage important se référant aux pressions croissantes de l’impérialisme au Moyen-Orient et à ses efforts pour obtenir l’appui de l’Egypte et du Soudan, la résolution affirmait que « ces manoeuvres d’approche de l’impérialisme ne peuvent que conduire à accroître les tensions à l’intérieur du mouvement national et pousser les éléments les plus radicaux du mouvement national arabe à reconnaître que ‘ l’arme historique de la libération nationale ne peut être que la lutte de classe. ‘ (Ibid., p. 17)

Dans ce passage, la réalité était mise à l’envers. On transformait la lutte de classe, qui est le résultat objectif du développement du capitalisme au Moyen-Orient, en une politique adoptée subjectivement par la bourgeoisie nationale sous les pressions de l’impérialisme. A l’aide de cette formulation, Banda apportait une justification au caractère bonapartiste de régimes bourgeois dans des pays sous-développés, qui se tiennent en équilibre de façon précaire entre l’impérialisme et la classe ouvrière nationale. De tels régimes, dont les dirigeants haranguent les masses de leurs balcons, cherchent habituellement à adapter la lutte de classe aux besoins pratiques de leurs marchandages avec l'impérialisme.

Pour le WRP, le but immédiat de cette formule subtile était de se donner un couvert à son double jeu politique au Moyen-Orient ; elle permettait au WRP de prétendre que la personne du Colonel Kadhafi incarnait le mouvement national radical et la lutte de classe prolétarienne et que la Jamahiriya libyenne se transformait en un Etat socialiste.

La résolution prétendait que la trahison de l’OLP par Sadat avait démontré la justesse du « bloc politique entre le Workers Revolutionary Party et le Congrès Populaire de la Jamahiriya arabe libyenne et socialiste » et que le bloc « avait été formé dans le cadre de tâches pratiques, strictement définies et avec le maintien de l’indépendance complète de notre propre organisation... » (Ibid.)

Mais cette affirmation était démentie par la nature du bloc qui se basait sur des tâches d'un caractère essentiellement propagandiste – « avertissant les peuples arabes et la classe ouvrière européenne du changement de tactique opéré par l’impérialisme et du contenu contre-révolutionnaire de la politique étrangère de Sadat et du roi Khaled. » (Ibid.) Or, comme le disait L. Trotsky avec insistance : « Mais c’est précisément dans le domaine de la propagande qu’un tel bloc est inadmissible. La propagande doit s’appuyer sur des principes clairs, sur un programme précis. Marcher séparément, frapper ensemble. Le bloc n’est créé que pour des actions pratiques de masse. Les transactions au sommet sans base de principe ne mènent à rien, sauf à la confusion. » (Léon Trotsky, Comment vaincre le fascisme, Editions Buchet/Chastel, Paris, 1973, p. 163)

De la confusion ... et de l’argent ! Healy et A. Mitchell auraient pu dire en protestant que leur bloc avec la Libye concernait des tâches pratiques comme l’organisation de piquets devant les ambassades égyptienne et américaine à Londres. Mais, était-il nécessaire pour des trotskystes de former un front uni afin d’accomplir un geste de solidarité anti-impérialiste aussi élémentaire ? Est-ce qu'un travailleur membre du syndicat demanderait d’abord un front uni avec la bureaucratie syndicale avant d’accepter d'accomplir sa tâche en tant que piquet de grève ? En fait, c’est dans le domaine de l’analyse politique que le bloc du WRP avec la Libye fut conclu – c'est-à-dire qu’il engageait le WRP à dire uniquement les choses que la Jamahiriya voulait avoir dites ou voulait entendre.

22. Les suites du congrès

Le Quatrième congrès ouvrit les portes à une vague d’opportunisme sans précédent dans l’histoire de la Quatrième Internationale. Quelques semaines après le congrès, une délégation du WRP, comprenant Healy, Mitchell et Redgrave, s’envola pour le Moyen-Orient afin de se livrer à une des tournées politiquement dépravées, de collecte de fonds.

Bien que la résolution du Quatrième congrès ait condamné les régimes du Golfe, cela ne pouvait empêcher Healy de frayer avec les dirigeants féodaux et les grands bourgeois de Qatar, d’Abu-Dhabi et du Koweït. La « saveur » politique de ce périple pouvait être appréciée par la note suivante rédigée par Healy sur son séjour au Koweït. Nous citons ces lignes extraites d’un document écrit et signé par Healy, daté du 14 avril 1979, résumant les résultats de ce voyage. Cette note fut découverte par la Commission internationale de contrôle en novembre 1985 : « Nous avons travaillé étroitement avec l’Organisation de libération de la Palestine même si nous ne leur demandions pas de nous soutenir sur le plan financier. Selon l’opinion de la délégation, c’était là la tâche des cheiks du Koweït et de leurs ‘ amis ‘ parmi les Palestiniens riches. »

La collaboration de Healy avec ces forces réactionnaires était reflétée de manière frappante dans un incident décrit comme suit dans son rapport :

« Le 31 mars, la délégation fut invitée à dîner avec un groupe d’oppositionnels de gauche dirigé par la famille du Sultan. L’objet de cette réunion fut présenté par Najjat Sultan à Vanessa Redgrave comme une invitation ‘ pour expliquer les raisons réelles de votre visite au Koweït ‘. La délégation refusa d’accepter cette invitation étant donné que nous ne souhaitions pas intervenir dans les affaires politiques du Koweït. »

Après avoir éconduit les trouble-fête radicaux, Healy pouvait rapporter qu’il avait pu se procurer de vastes sommes d’argent venant « de dirigeants du Koweït, incluant des chèques d’un montant considérable signés par le prince héritier, le gouverneur de Ahmadi » ainsi que d’autres dirigeants féodaux.

23. La Libye : A quoi ressemblait le bloc dans la pratique

Il serait impossible dans les limites de cette analyse de reproduire tous les articles dans lesquels le News Line a glorifié les acquis du régime libyen. Cependant, nous allons donner les exemples les plus frappants de la manière dont Healy a prostitué le marxisme et s’est transformé, lui et ses plus proches acolytes, en mercenaires à la solde de cet Etat bourgeois.

En accord avec le bloc de propagande formé avec Kadhafi et sa « théorie » de la lutte de classe prolétarienne menée par la bourgeoisie nationale, le News Line du 4 septembre 1979 comportait un article de deux pages sur la Libye intitulé « Des masses d’ouvriers prennent le contrôle des usines ». L’article rapportait, sans critique aucune, que des ouvriers « suite à un discours tenu par le secrétaire général du Congrès général du peuple, le Colonel Muammar Kadhafi », auraient pris « le contrôle total de la production ».

Sans émettre la moindre réserve, l’article citait l’affirmation de Kadhafi que « la Jamahiriya annonçait une transformation radicale des bases de l’ordre politique et de la structure sociale du monde entier ».

Le 29 août 1979, le News Line publiait un supplément spécial en couleurs de quatre pages qui célébrait le dixième anniversaire de l’accession au pouvoir de Kadhafi et dans lequel figurait un article intitulé « La richesse du pétrole reconquise pour le peuple ». L’article affirmait carrément que « Les grandes avances faites par les masses libyennes n’auraient pas été possibles si le Conseil révolutionnaire n’avait pas défié et vaincu les géants pétroliers internationaux ».

Si on considère le fait que ce sont les trotskystes britanniques qui ont naguère mené la lutte contre la capitulation théorique du pablisme devant le castrisme, cet article était une expression condensée du mépris cynique des dirigeants du WRP pour les questions de principe. Tout en affirmant que la Libye avait vaincu les trusts pétroliers, l’article omettait de dire que la plupart de leurs holdings n’ont jamais été expropriées, ni nationalisées. Au lieu de cela, les acquis bien plus modestes des Libyens – centrés sur la renégociation des conditions dans lesquelles les compagnies étrangères dirigent leurs opérations à l’intérieur du pays – étaient décrits avec toute la rhétorique ronflante du journalisme.

Une semaine plus tard on pouvait lire dans le News Line du 5 septembre 1979 cette trahison du marxisme : « La révolution dirigée par le Colonel Kadhafi lutte sans cesse contre toutes formes de bureaucratie. La Jamahiriya libyenne a démenti de façon concluante ce mensonge bourgeois cynique selon lequel la bureaucratie est un produit inévitable de la révolution. La bureaucratie n’est pas inévitable, sauf dans certaines conditions historiques. L’expérience de la révolution libyenne a démontré que la lutte pour la révolution socialiste mondiale peut détruire – et détruira à tout jamais la bureaucratie. »

Ces lignes ont fait de Kadhafi l’égal de Trotsky. La profonde analyse historique faite par ce dernier sur les origines de la bureaucratie a été rejetée avec mépris et remplacée par une vulgaire fantaisie qui ne mérite aucune considération sérieuse. Le seul but de ces idioties antimarxistes était de corroder les fondations théoriques de la section britannique et de démoraliser ses cadres qui, après avoir consacré leur vie à la lutte contre la bureaucratie dans le mouvement ouvrier, pouvaient maintenant lire dans le News Line que Kadhafi avait découvert, en Libye, une potion magique qui rendait superflu le travail historique de la Quatrième Internationale. Qui pouvait bien avoir besoin de la Révolution trahie dès lors qu’il y avait le Livre Vert, accessible à tous grâce à l’imprimerie du WRP à Runcorn !

Dans le News Line du 9 octobre 1979, on glorifiait le Livre Vert de Kadhafi par un article de deux pages signé par Mitchell. Décrivant le déroulement d’un séminaire sur la signification de cet oeuvre Mitchell écrivait :

« Au total 60 pages ont été traduites et distribuées pour la discussion, pages qui traitaient des divers aspects de la crise mondiale de la démocratie, du bipartisme, de l’accroissement de la bureaucratie et du transfert du pouvoir aux masses...

« Ce furent Kadhafi et un petit groupe d’universitaires libyens qui firent les contributions les plus excitantes et les plus incisives. Ils ont patiemment et fermement expliqué chaque étape du développement des théories du Livre vert, qui consistent à créer une société dans laquelle les anciennes formes de gouvernement et de démocratie bourgeoise sont remplacées par les comités populaires et par la concentration, dans les mains des masses armées, de la propriété, du contrôle et de l’autorité.

« Dans la Jamahiriya, ont-ils expliqué, les droits démocratiques sont assurés, car les salariés sont devenus des partenaires dans leurs usines et leurs bureaux et l’exploitation a été par conséquent abolie. »

Dans ce chef d’oeuvre de servilité journalistique, Mitchell ne suggère nulle part qu’il est en désaccord avec ces imbécilités utopiques. Il n’a pas non plus ressenti le besoin de différencier entre la position du Parti et celle du Livre Vert au sujet du marxisme et de l’URSS. Au contraire, sans tenter la moindre critique, le reportage se poursuivait ainsi :

« Ils dirent que le marxisme est un produit de la révolution industrielle et qu’il a été mis en pratique dans la révolution ouvrière en Union soviétique.

« Mais ils considèrent que la révolution soviétique n’a pas su réaliser la démocratie pour les masses. Ils dirent que la Troisième théorie universelle libyenne est née d’une analyse des deux principales tendances dans le monde – le soi-disant capitalisme ‘ libéral ‘ et le marxisme. »

Il est impensable que Lénine ait permis qu’une telle description du Sun Yat-senisme soit publiée dans les pages de la presse des bolcheviques. Mais, bien entendu, Healy était très loin de Lénine.

En 1980, Healy a essayé de démontrer au régime de Kadhafi que le programme du Workers Revolutionary Party était fondamentalement identique à celui de la Jamahiriya libyenne. Dans un document découvert par la Commission de contrôle internationale, intitulé « Notes sur le programme, stratégie et tactiques du Workers Revolutionary Party », document soumis au gouvernement libyen et daté du 30 avril 1980, Healy écrivit :

« Nous sommes d'accord avec la Jamahirya [sic] sur :

« a) Le rôle populaire des Comités révolutionnaires (Livre Vert) comme base de la manifestation du pouvoir révolutionnaire démocratique des masses. Ces comités pourraient prendre d’autres noms correspondant aux traditions organisationnelles des masses, mais leur contenu et leurs buts seront ceux des Comités révolutionnaires.

« b) Le Workers Revolutionary Party est d’accord avec la Jamahirya [sic] sur le rôle des partenaires dans une société socialiste (voir nos notes déjà soumises au sujet de la Deuxième partie du Livre Vert). »

Healy était désormais prêt à faire de Kadhafi le dirigeant de la classe ouvrière libyenne et du Livre Vert un substitut au marxisme. Un projet de résolution voté le 28 juillet 1980, par le Comité politique du WRP déclara que « le Workers Revolutionary Party salue la lutte infatigable et courageuse du colonel Kadhafi dont le Livre Vert a guidé la lutte pour instaurer le contrôle ouvrier sur les usines, les ministères et services diplomatiques et pour dévoiler les manoeuvres réactionnaires de Sadat, Beigin et Carter... Nous sommes prêts à mobiliser les ouvriers britanniques pour la défense de la Jamahiriya libyenne et à répandre les enseignements du Livre Vert comme partie intégrante de la lutte anti-impérialiste. »

Le 12 décembre 1981, le Comité politique du WRP publia une déclaration qui proclamait : « Lorsque Kadhafi et les officiers unionistes libres ont saisi le pouvoir populaire en 1969, ils ont conduit la Libye sur le chemin du développement et de l’expansion socialistes... Kadhafi a politiquement évolué dans la direction du socialisme révolutionnaire et a refusé tous les palais et les harems de certains autres dirigeants arabes. »

Ce travail d’agent publicitaire en faveur de la bourgeoisie libyenne, financé par Kadhafi, conduisit directement en un peu plus de six mois à une trahison politique de l’OLP. Lors de l’invasion israélienne du Liban, au cours de l’été 1982, tandis que les bombes pleuvaient sur Beyrouth, la contribution de Kadhafi à la lutte antisioniste fut d’appeler Arafat à se suicider ! Même une déclaration de ce genre ne put provoquer une attaque politique sérieuse de la part du WRP.

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