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WSWS : Histoire et culture

Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme 1973-1985

Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale

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Tables des matières


Troisième partie : l’effondrement du WRP

35. Un étrange intermède, les élections de 1983

36. « Grisé par le succès » - le Sixième congrès du WRP

37. Le commencement de la fin : le WRP et le conflit du NGA

38. Conflit au sein du Comité international

 

35. Un étrange intermède, les élections de 1983

En 1979, le jour des élections, le WRP s’était vanté de pouvoir présenter aux élections suivantes assez de candidats pour pouvoir constituer son propre gouvernement. Mais, lorsque Thatcher décida des élections anticipées en mai 1983, les lecteurs du News Line qui se souvenaient de ces projets ambitieux étaient, peut-être, surpris d’apprendre dans l’édition du 10 mai 1983, que « le Workers Revolutionary Party est fier d’annoncer qu’il va présenter 21 candidats dans diverses circonscriptions d’Angleterre, d’Ecosse et du Pays de Galles » - un tiers donc seulement des candidats présentés quatre ans auparavant. Le WRP ne fournit toutefois aucune analyse de ce changement important dans sa stratégie politique.

Toutes les déclarations publiées par le WRP pendant cette campagne prouvent qu’il n’avait absolument rien appris du fiasco de 1975-1979. En mai-juin 1983, sa ligne politique était encore plus éclectique et plus contradictoire que dans la campagne électorale précédente. Le News Line du 10 mai 1983 contient une déclaration du Comité politique intitulée « Vote de classe pour jeter les Tories dehors ». Elle constatait que Thatcher, dans le cas d’une réélection, « mettrait un programme en vigueur visant à renverser le cours de l’histoire et à ramener la Grande-Bretagne aux débuts du dix-neuvième siècle. » La déclaration contenait en outre cette mise en garde :

« La classe dirigeante se voit placée devant la tâche d’anéantir physiquement les syndicats, d’imposer des salaires d’esclave dans l’économie et de détruire les services sociaux ainsi que le NHS [National Health Service, le Service national de santé].

« Elle ne peut plus tolérer aucune opposition politique. Les Tories projettent de promulguer dans un proche avenir des lois abolissant la contribution financière syndicale au Parti travailliste, de façon à le saigner financièrement. En même temps, les syndicats seront condamnés à des amendes en raison de grèves soi-disant illégales et leurs fonds seront confisqués. »

Incroyable mais vrai : malgré cette analyse, la direction du WRP ne put se résoudre à un appel énergique pour remettre le Parti travailliste au pouvoir. Leur ligne principale consistait bien plus à cacher le fait qu’ils fuyaient, à l’aide de grands discours, devant les tâches immédiates auxquelles était confrontée la classe ouvrière:

« Nous disons que la réponse à cela, c’est la mobilisation de la classe ouvrière sous la direction du Workers Revolutionary Party, pour détruire le système historiquement dépassé du capitalisme et construire une Grande-Bretagne socialiste avec une économie planifiée sous contrôle et sous direction ouvrière. »

Il est difficile de dire si les auteurs des déclarations ci-dessus étaient des idiots, des cyniques, des criminels ou les trois à la fois. D’abord, ils parlaient d’une mobilisation de la classe ouvrière sous la direction du WRP en dépit du fait que l’influence du parti ait reculé pendant les quatre années précédentes de manière spectaculaire au point de n’être plus en mesure que de présenter un quart seulement des candidats présentés en 1979. Ensuite, il était incontestable que la classe ouvrière restait dans sa grande majorité politiquement dominée par la social-démocratie. Le WRP mettait en garde contre une menace de destruction du mouvement ouvrier en cas de réélection de Thatcher – et il était clair qu’il n’était pas capable de mobiliser derrière lui une section de quelque importance de la classe ouvrière – et ne jugeait absolument pas nécessaire de lutter pour la victoire du Parti travailliste.

Dans la lutte contre le fascisme en Allemagne, Trotsky se battit contre l’ultimatisme des staliniens face à la social-démocratie et bien que le Parti communiste ralliât alors plusieurs millions de travailleurs. Mais le WRP ne conduisait que quelques centaines d’ouvriers – dont quelques dizaines seulement avaient une fonction quelconque dans les syndicats en tant que délégués syndicaux –et ne posait aucune revendication au Parti travailliste.

C’était là du crétinisme gauchiste – sénile dans le cas de Healy. Mais que dire de la déclaration suivante :

« Les élections législatives ne peuvent pas résoudre ces questions historiques. Afin d’atteindre les buts de la révolution socialiste, il faut une action de classe sous la direction du WRP et il faut détruire l’Etat.

« Les quatre semaines qui viennent seront néanmoins décisives pour l'ensemble de la classe ouvrière – quatre semaines de discussion politique intensive dans toute la classe ouvrière durant lesquelles le WRP fera usage de son droit démocratique pour mobiliser, organiser et développer la diffusion de son quotidien, le News Line. » (souligné dans l’original)

Après avoir lancé la mise en garde que l’existence des organisations ouvrières était menacée de façon immédiate dans le cas d’une victoire des Tories, la déclaration constatait incidemment, que le résultat des élections n’avait pas grande importance. L’essentiel était que le WRP allait être occupé à discuter intensément pendant quatre semaines. C’était du pur cynisme, car le WRP ne prenait pas au sérieux ses propres avertissements. Que pouvait-il dire aux travailleurs pendant ces quatre semaines de discussion : « Votre vie est en danger, si Thatcher gagne, mais le résultat des élections a peu d’importance ! »

Le seul appel à voter Travailliste parut comme note politique explicative à la suite d’un texte appelant les travailleurs à voter pour le WRP dans 21 circonscriptions de son choix.

Regardons de plus près le contenu politique de la ligne du WRP pendant les élections de 1983. Pendant les trois années précédentes, il avait entretenu les relations les plus étroites avec la gauche travailliste dans le GLC de Londres et avec certaines sections de la bureaucratie syndicale. En 1981, le WRP avait insisté sur le fait que la présence d’une majorité travailliste dans le Conseil municipal de Lambeth était d’une telle importance pour le sort de la classe ouvrière, qu’elle devait arrêter des grèves et accepter des augmentations d’impôts pour permettre à ces politiciens travaillistes de conserver leurs postes. Le WRP insista sur le fait que ces fonctionnaires élus devaient rester en place pour pouvoir mener la lutte contre les Tories.

Et pourtant, dans une élection nationale où le WRP prédisait des attaques de grande envergure contre la classe ouvrière dans le cas d’une victoire Tory, le fait de donner sa voix au Parti travailliste n’avait plus grande importance.

Plus étrange encore était la contradiction suivante : bien que le WRP ait déjà conclu un accord de fait avec des sections non négligeables du Parti travailliste et de la bureaucratie syndicale, il n’appelait pas à une lutte totale pour jeter les Tories dehors – et n’exigeait pas non plus que Livingstone, Knight et leurs alliés mobilisent les masses sur la base d’une politique socialiste, ce qui aurait été encore plus important.

Nous en arrivons à l’aspect criminel de la politique du WRP ! Tant que les Tories restaient au pouvoir, les amis du WRP parmi les politiciens de la gauche travailliste pouvaient mener une vie tranquille, comme critiques ultra critiques du gouvernement et déguiser leurs propres trahisons et leur impuissance grâce à des accusations radicales en apparence, mais insignifiantes en réalité contre les Tories. Parallèlement à ceci, le WRP pouvait de son côté cultiver à loisir ses relations opportunistes avec ces bolcheviques de salon, sans avoir besoin de les démasquer devant les masses. Ces rapports agréables et confortables pour les deux côtés auraient été menacés par un retour au pouvoir du Parti travailliste.

On ne peut tirer de tout cela qu’une seule conclusion politique : En 1983 le WRP n’était pas le moins du monde intéressé à voir les Travaillistes revenir au pouvoir. Une victoire des Travaillistes n’aurait « rien signifié de bon » pour le maintien de leur alliance centriste réactionnaire avec les réformistes du Parti travailliste et divers bureaucrates syndicaux. Une situation aurait existé dans laquelle le WRP aurait été obligé de défier ouvertement ses amis parmi les Travaillistes de gauche ou aurait risqué d’être complètement démasqué devant la classe ouvrière.

La victoire des Tories en juin 1983 fut pour Healy un soulagement. Il pouvait retourner à son ancien jeu d’une alliance anti-Tory avec le GLC et des sections de la bureaucratie syndicale ... contre la classe ouvrière.

Dès que les élections furent passées, Healy retourna à la ligne opportuniste en faillite, grâce à laquelle il avait transformé le WRP entre 1981 et 1983 en appendice de la bureaucratie travailliste dans le GLC. Une déclaration du Comité central du WRP du 11 juin 1983 intitulée « La seule voie en avant après les élections » expliquait ceci :

« La défense des emplois ira de pair avec la lutte pour défendre le conseil municipal du Grand Londres (GLC) et les conseils municipaux des six grandes villes que les Tories se sont engagés à supprimer. Au centre du plan Tory, il y a la volonté d’éliminer des services sociaux assurés par le gouvernement local et de licencier les centaines de milliers de travailleurs municipaux qui leur permettent de fonctionner.

« Ce plan attaque en outre les droits et le niveau de vie des travailleurs dans les grands ensembles du centre ville. Les conseils municipaux contrôlés par le Parti travailliste doivent montrer la voie et appeler tous les syndicats et toutes les organisations municipales à construire des Conseils communautaires pour organiser une résistance de classe contre la dictature Tory du gouvernement central.

« Les syndicats dont les droits fondamentaux seront soumis à des attaques nouvelles et plus sévères encore de la part du gouvernement Tory doivent participer à cette lutte. » (News Line du 13 juin 1983)

Ce n’était rien de moins qu’une réédition du vieux plan traître consistant à subordonner toutes les sections de la classe ouvrière à l’Etat et à ses agents parmi les Travaillistes de gauche. La référence aux syndicats était particulièrement cynique. Quand Healy disait que les syndicats devaient participer « à cette lutte, » il voulait dire – comme on l’a vu dans le cas des travailleurs du métro – qu’ils devaient éviter toute confrontation avec les gestionnaires travaillistes de l’Etat capitaliste et abandonner la défense de leurs membres.

Enfin, une appréciation de la campagne électorale du WRP ne saurait être complète si elle ne mentionnait pas la contribution unique d’Alex Mitchell à une compréhension du caractère du Parti communiste et du Parti travailliste. Au cours d’une longue « réflexion » sur les problèmes auxquels se heurta le WRP dans la « Marche populaire pour l’Emploi » – qui eut lieu au milieu de la campagne électorale de 1983 – Mitchell parvint à cette profonde découverte :

« Cela nous amène à la division politique centrale entre les réformistes du Parti travailliste et les staliniens. Les sociaux-démocrates (politiciens travaillistes) trahissent la classe ouvrière, mais les staliniens le font consciemment. Ils sont un parti de la trahison organisée contre les intérêts de la classe ouvrière. (News Line du 16 mai 1983. Tout le passage est en caractères gras dans l'original.)

Cette observation donne beaucoup à réfléchir : si les politiciens travaillistes ne trahissent pas consciemment, ne serait-il pas possible de les convaincre de lutter pour la classe ouvrière, si seulement on pouvait leur faire reconnaître leurs erreurs ? Et pour ce qui est des staliniens, le commentaire de Mitchell ne fait que rendre plus étrange sa défense passionnée du contrôle du Morning Star par le Parti communiste tout juste trois semaines plus tard.

36. « Grisé par le succès » – le Sixième congrès du WRP

Lorsque les délégués du Sixième congrès du WRP se réunirent à la fin de l’été 1983, ce fut pour se féliciter du résultat de huit années jalonnées de difficultés et d’erreurs catastrophiques. Le parti qui avait été fondé dix ans à peine auparavant agonisait déjà politiquement, atteint d’un inguérissable opportunisme, qu’aucun de ses dirigeants ne voulait diagnostiquer comme tel, malgré l’évidence des symptômes.

Les documents des perspectives soumis au Sixième congrès révélaient la dégénérescence presque inimaginable de ce parti et de ses principaux dirigeants. Ils avaient déjà atteint le stade où ils étaient incapables, non seulement de faire une analyse politique quelconque, mais encore de concevoir le travail de leur organisation avec un minimum d’honnêteté. Healy, Slaughter et Banda vivaient tous et de façon tout à fait consciente dans le mensonge politique, tentant de cacher aux membres du parti ce qu’ils savaient être la stricte vérité : le WRP était une organisation compromise et politiquement corrompue, dont les dirigeants avaient trahi tous les principes pour lesquels ils s’étaient autrefois battus.

Le document entier était caractérisé par une pauvreté théorique saisissante. Il ne contenait rien qu’on puisse décemment qualifier d’analyse. Les quelques paragraphes d’introduction contenaient ce qu’on essayait de faire passer pour une perspective :

« Les contradictions de l’impérialisme mondial ont complètement et irrémédiablement disloqué l’économie capitaliste. Cela a contribué à l’accélération d'une crise de surproduction et d’endettement qui plonge le monde dans le marasme le plus dévastateur que l’histoire ait connu et pousse le système bancaire capitaliste vers un effondrement immédiat. » (traduit de Documents and Resolutions of the Sixth Congress, p. 17)

Les formes spécifiques et contradictoires de cette crise étaient totalement ignorées. Aucune analyse n’était faite de la stratégie suivie par la bourgeoisie, ni des transformations de la politique économique des principales puissances impérialistes. On évitait tout examen concret des problèmes actuels du mouvement ouvrier en Europe et aux Etats-Unis. Et le document ne faisait que brièvement référence aux Etats-Unis, le centre de l’impérialisme mondial. En relation avec « l’effondrement imminent, » la résolution principale affirmait que « la classe ouvrière des nations industrielles et des nations coloniales fait face à des luttes révolutionnaires décisives et imminentes pour le pouvoir… » (Ibid., p. 18)

Dans la deuxième partie concernant « la lutte pour le pouvoir, la résolution affirmait que :

« En Grande-Bretagne la réélection du gouvernement Thatcher le 9 juin accélère la crise économique, sociale et politique qui s'est emparée du capitalisme britannique et conduit à une intensification de la lutte de classe.

« La classe ouvrière se trouve confrontée à un gouvernement de classe violent, qui profite de sa majorité parlementaire pour se saisir du pouvoir absolu, afin de pouvoir imposer son impitoyable politique de crise. » (Ibid)

On n’essayait pas d’expliquer quel rapport existait entre les luttes révolutionnaires imminentes et la réélection de Thatcher. Pourquoi la petite-bourgeoisie s’était-elle ralliée aussi massivement aux Tories si, en Grande-Bretagne, il y avait une situation révolutionnaire ? Existait-il pour ce phénomène une base économique quelconque ?

La division au sein du Parti travailliste et la formation du Parti social-démocrate ne furent pas estimées objectivement du point de vue de la transformation des relations entre les classes. Au lieu de cela, on s’en débarrassait comme s’il s’était agi d’un plan entièrement subjectif « pour anéantir toute chance au Parti travailliste de jamais revenir au pouvoir. » (Ibid)

La résolution poursuivait : « Les mesures de guerre civile des Tories représentent un nouveau stade intense dans l’effondrement au niveau mondial et une rapide intensification de la lutte de classe. » (Ibid., p. 19)

En fait, en 1983, le pire de la récession mondiale était passé. La stagnation durable de l’économie britannique se trouvait en forte contradiction avec le taux de croissance des Etats-Unis. Mais ce qui caractérisait cette croissance ce n’était pas des investissements dans la production mais une gigantesque augmentation du capital fictif et du parasitisme financier. Cet essor économique relatif ne fut accompagné ni d’un recul significatif du chômage, ni d’une baisse de l’offensive de la bourgeoisie contre le mouvement ouvrier en Europe et aux Etats-Unis. Les fusions de sociétés, qui se multipliaient à partir de 1981 jusqu’à un niveau sans précédent, et les mesures de privatisation prises par Thatcher avaient pour but de réorganiser le capital pour aller à l’encontre de la chute des taux de profits grâce à une augmentation draconienne du taux d’exploitation de la classe ouvrière et pour, en même temps, administrer des tranquillisants financiers à la petite-bourgeoisie. Mais la résolution ne mentionnait pas ces changements, et encore moins leur analyse du point de vue du développement de la lutte de classe et de celui de la tactique du parti révolutionnaire.

Au lieu d’essayer d’être concret, la résolution se contentait d’abstractions théoriques appauvrissantes telles que :

« Aucun des problèmes fondamentaux de la classe ouvrière – l’emploi, les salaires, les conditions de travail, les services sociaux, le logement, l’éducation, la santé, et les droits démocratiques – ne peut être résolu sans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Ceci est la vérité objective essentielle qui découle des conditions de la présente crise économique et politique. » (Ibid)

Ceci est correct à l’échelle de l'histoire - mais en tant que guide pour la pratique immédiate du parti, c’est une perspective totalement insuffisante. Comme l’écrivit Trotsky : « Une pensée tout à fait juste du point de vue de la stratégie révolutionnaire se transforme en un mensonge si elle n’est pas traduite dans le langage de la tactique. Est-il juste qu’il faille abolir le capitalisme pour se débarrasser du chômage et de la misère ? C’est juste. Mais seul le dernier des imbéciles en tirera la conclusion qu’on ne doive pas dès aujourd’hui lutter de toutes ses forces contre les mesures à l’aide desquelles le capitalisme aggrave la misère des ouvriers. » (Léon Trotsky, Ecrits sur l’Allemagne, EVA, tome I, pp. 167-68).

La résolution revendiquait :

« Des occupations doivent empêcher la complète destruction des chantiers navals, des mines, des usines et des ateliers, soutenues par la constitution de conseils communautaires, c’est-à-dire des organisations révolutionnaires du genre soviets, pour que soient constitués des organes de pouvoir ouvriers. » (Resolution, p. 19)

Nous avons déjà démasqué la tentative de Healy de nous faire prendre ses conseils communautaires – conçus comme une extension de l’Etat capitaliste ayant pour fonction la défense d’une de ses subdivisions – pour de véritables soviets. La référence aux soviets ne pouvait avoir aucun sens, hormis cette duperie, car elle ne s’appuyait sur aucune démonstration théorique sérieuse de l’existence d’une situation révolutionnaire.

On comblait une fois encore le vide théorique à l’aide du verbiage traditionnel : « Le rythme révolutionnaire des événements exige du Workers Revolutionary Party qu’il se tourne avec détermination et audace vers de très larges couches de travailleurs, de syndicalistes et de jeunes, afin de construire le parti, de fonder de nouvelles cellules et d’augmenter la diffusion du quotidien News Line. » (Ibid.)

La résolution constatait ensuite que la tâche centrale du parti était d’accroître le nombre de ses membres jusqu’à atteindre 5 000 d’ici novembre. Plus tard, en octobre 1985, après que le WRP se soit effondré, le Comité International apprit que ce parti n’a jamais eu plus de 600 adhérents réellement actifs dans les années 1980. Les milliers dont parlait Healy – sans que Banda ou quelqu’un d’autre ne l’ait jamais contredit – étaient les « âmes mortes » du WRP, n’ayant d’existence que sur le papier. Celles-ci n’avaient d’existence que sur papier, une sorte de capital humain fictif qui réclamait des adhérents véritables dont le nombre était en baisse constante, des rendements de plus en plus élevés. Le but final de toute campagne de recrutement de membres ne consistait pas à gagner au parti plus de travailleurs, mais plutôt à augmenter la somme fixée par adhérent et que chaque cellule doit verser au centre londonien. En d’autres termes, le nombre des membres du WRP représentait une grandeur imaginaire qui ne permettait pas de déterminer la véritable force du parti dans la classe ouvrière, mais de calculer le revenu hebdomadaire fourni par chaque cellule.

Le charlatanisme organisationnel complétait le charlatanisme politique. Le document ne s’efforçait pas le moins du monde d’examiner le travail du parti dans les syndicats – cette lacune ne faisait que refléter le fait que, depuis la scission avec Thornett, il n’y avait plus eu de travail systématique dans ce domaine. La tentative d’introduire frauduleusement une nouvelle ligne concernant le caractère des gouvernements locaux sans que le travail du WRP, mené pendant les deux années précédentes sur la base d’une définition incorrecte de leur nature de classe, n’ait été examiné de façon critique, est, elle aussi, très révélatrice.

Il y avait dans ce document deux perspectives incompatibles. Les conseils communautaires y étaient une fois de plus assimilés à des soviets :

« Le conseil communautaire sera l’équivalent du soviet, développé par la classe ouvrière russe dans sa lutte pour le pouvoir. Il devra prendre la responsabilité immédiate de défendre les occupations d’usines, de protéger les principaux services sociaux dans chaque commune, de donner des logements aux sans-abris, de protéger les quartiers contre les attaques des fascistes, des racistes et de la police.

« Ils se développeront en organes locaux régionaux et nationaux du pouvoir ouvrier et seront la base d’un gouvernement révolutionnaire ouvrier, quand la classe ouvrière renversera l’Etat capitaliste sous la direction du Workers Revolutionary Party. » (Ibid., pp. 46-47)

Mais le paragraphe suivant faisait ressortir de façon plus claire encore le contenu frauduleux de cette perspective :

« Les conseils communautaires joueront aussi un rôle d’une importance historique décisive en mobilisant contre la suppression du conseil municipal du Grand Londres (GLC) et de six autres grandes villes projetée par les Tories. » (Ibid.)

En d’autres termes, on assignait aux soviets – organes exprimant l’existence d’un double pouvoir – le rôle décisif de la défense des organes du pouvoir bourgeois. Pourquoi le GLC devait-il encore avoir une importance quelconque une fois que la classe ouvrière aurait rompu avec le Parlement et aurait instauré ses propres organes de pouvoir ?

En réalité toute cette pompeuse rhétorique d’extrême gauche ne faisait que camoufler une lâcheté opportuniste de la pire espèce et une perspective n’ayant rien de révolutionnaire. « Construisez des conseils communautaires pour sauver le GLC » ou bien, dans le cas où Lénine aurait utilisé cette formule, le cri de ralliement des bolcheviques aurait été : « Construisez des soviets pour défendre le gouvernement provisoire ! »

La résolution poursuivait en minant ce qu’elle disait précédemment. Pour la première fois, le WRP admettait que les conseils municipaux des grandes monopoles étaient des « instruments du pouvoir de classe bourgeois » et concédait que « la défense des services sociaux et des droits démocratiques est une question de classe. Elle ne peut être menée à bien que par la classe ouvrière, non pas par des groupes de conseillers municipaux. » (Ibid., p. 47)

Rien n’indiquait toutefois que cette nouvelle conclusion était une correction de la ligne précédente ou bien qu’elle demandait une nouvelle appréciation du travail mené par le parti et des relations qu’il avait établies avec des gens comme Livingstone et Knight. En fait le paragraphe suivant montrait que cette « correction » n’était rien d’autre qu’une adaptation verbale au fait indéniable que le GLC et les autres conseils municipaux faisaient partie de l’Etat bourgeois. Ainsi donc, pour réconcilier la vieille pratique opportuniste avec les génuflexions verbales envers l’orthodoxie, on avança une nouvelle formulation :

« Nous appelons les conseils municipaux contrôlés par le Parti travailliste à quitter les salles de réunions et à aller dans les communes pour organiser une résistance massive par l’établissement de conseils communautaires. En se tournant vers la population locale et en prenant l’initiative de la revendication de conseils communautaires ils peuvent doter la classe ouvrière de nouvelles formes d’organisation capables de développer la force indépendante de la classe. » (Ibid.)

A peine deux mois auparavant le WRP avait virtuellement rayé le Parti travailliste de la carte. Il prétendait à présent que les Travaillistes étaient en mesure de donner l’impulsion à une mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre l’Etat capitaliste ... en quittant le conseil municipal !  Absolument rien ne laissait entrevoir dans cette déclaration qu’elle était une revendication posée aux Travaillistes dans le but de les démasquer. On ne chercha pas non plus à mettre cet appel en accord avec la déclaration faite à maintes reprises depuis 1981 à savoir que la lutte contre Thatcher exigeait des conseillers municipaux qu’ils restent dans leurs conseils municipaux.

Chaque partie du document portait la marque d’un travail diplomatique. La tentative cynique des dirigeants du WRP d’ajuster leurs lignes disparates trouvait son illustration dans des formules creuses du type :

« Toutes les luttes théoriques et politiques menées depuis 1938 par le CIQI contre le réformisme, le stalinisme et le révisionnisme représentent une conquête indestructible de la classe ouvrière.

« Les formes prises par ces luttes décisives – les scissions et les discussions, sur les questions fondamentales du marxisme telles que la théorie de la connaissance de la classe ouvrière – ont préservé et approfondi la continuité de la lutte dans la classe ouvrière en faveur des doctrines de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, établies de façon indestructible par la révolution soviétique de 1917. » (Ibid., pp. 20-21)

Quel bavardage creux ! Il n’y avait pas un iota de contenu politique dans ces discours du dimanche. Quelles luttes ? Quelles doctrines ? Quelles scissions ? Quelles discussions ? Autant de banalités servies aux membres du WRP dans la section de la résolution intitulée « La crise de la direction de la classe ouvrière ». Cette section était dans le meilleur des cas une illustration de la crise telle qu’elle existait à l’intérieur du WRP, mais n’indiquait certainement pas la façon de la résoudre ni en Grande-Bretagne, ni ailleurs.

Les deux sections suivantes – « Défense des acquis d’Octobre » et « La lutte contre le stalinisme » – affichaient la même faillite et consistaient en références peu nombreuses et abstraites à la Révolution d’Octobre et à la fondation de la Quatrième Internationale. Pas un mot concernant la crise actuelle de l’URSS et du stalinisme. Ni l’Afghanistan, ni la Pologne n’étaient mentionnés. Il n’y avait aucune information nouvelle – même pas de données économiques – afin de démontrer la nécessité de la révolution politique.

Malgré le fait que le WRP se trouve encore au beau milieu d’une campagne effrénée pour le rétablissement du contrôle du Parti communiste sur le Morning Star, il n’y avait aucune analyse des racines historiques et politiques de la crise à l’intérieur du PC britannique, ni de la nature des factions rivales en présence. Au lieu de cela, le WRP ne trouva rien de mieux à faire que de se vanter d’avoir, lors du meeting de clôture de la Marche populaire pour l’Emploi 1983, « distribué des milliers de tracts affirmant le principe [ ! ] que le ‘Morning Star est le quotidien du Parti communiste’. Ces tracts s’adressaient aussi bien aux membres du Parti communiste qu’au mouvement ouvrier en général pour que soit réaffirmée notre relation historique avec les grands acquis de la Révolution d’Octobre, incarnés dans la nationalisation des relations de production. » (Ibid., p. 40)

Voilà qu’on donnait l’impression que la continuité historique du trotskysme en Grande-Bretagne était assurée par les services du torchon des staliniens !

Dans la section de la résolution sur le danger de guerre nucléaire la revendication des Etats-Unis socialistes d’Europe n’apparaissait même pas.

Une des parties les plus importantes de la résolution était consacrée à la marche organisée pour célébrer le centenaire de la mort de Karl Marx :

« La marche du centenaire de Marx était une confirmation décisive [ ? ] de la méthode marxiste qui consiste à guider la pratique dialectique à l’aide de la théorie abstraite dialectiquement. Elle prouva le principe souvent cité par Trotsky que ‘ le marxisme est une méthode d’analyse historique, d’orientation politique et non pas une série de décisions toutes faites ‘. » (Ibid., p. 34)

La marche n’avait en réalité rien à voir avec une confirmation de la méthode marxiste, telle que Trotsky l’avait définie. Pour commencer, Healy l’avait conçue comme un moyen d’utiliser l’anniversaire de la mort de Marx pour établir des relations avec les sociaux-démocrates et les staliniens sur le continent et aussi pour redonner vie à l’intérêt déclinant porté par certains régimes du Proche-Orient à l’avenir du WRP. C’est pourquoi il choisit comme slogan « Le socialisme révolutionnaire de Karl Marx seulement » – un cliché typiquement centriste – pour éviter que la marche ne soit qualifiée de trotskyste. Il n’existait aucun axe politique sur lequel la marche soit centrée. Elle n’était pas orientée vers la construction de nouvelles sections du CIQI, ni vers l’établissement du trotskysme comme le marxisme de notre époque. Dans la pratique, les marcheurs consacrèrent la plus grande partie de leur temps à essayer d’obtenir nourriture et hébergement. L’argent collecté par les marcheurs ne pouvait être utilisé pour leurs dépenses quotidiennes. Le résultat : les marcheurs en furent partiellement réduits à mendier.

La résolution poursuivait: « Nous avons rassemblé 130 jeunes de sections des Jeunes Socialistes dans huit pays différents pour une marche qui commença le 12 février 1983. Ceci représentait en soi [ ? ] déjà un lien historique indissociable [ ? ] entre les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière aujourd’hui et la philosophie révolutionnaire de Karl Marx. » (Ibid.)

Les relations établies par Healy n’existaient que dans son imagination, mais la déclaration la plus révélatrice fut la suivante :

« Les expériences quotidiennes des marcheurs les mirent face à face avec la récession capitaliste : des usines et des aciéries fermées, des syndicalistes et des jeunes au chômage, et les préparatifs violents de la machine d’Etat capitaliste. » (Ibid., p. 35)

Pas besoin de marcher à travers l’Europe pour le vérifier. Chaque jeune dans n’importe quel pays capitaliste peut voir en permanence des usines fermées et des syndicalistes au chômage. La question est de savoir pour quelle politique les marcheurs ont lutté parmi les chômeurs ? Est-ce-que des meetings ont été organisés sur le rôle du trotskysme, sur la lutte contre la social-démocratie et contre le stalinisme. La résolution restait muette sur ces points, car il n’y avait rien à dire à ce sujet.

« Le WRP souligne le fait qu’une direction révolutionnaire ne peut être construite qu’en unissant théorie et pratique tel que cela fut confirmé par la marche du centenaire de Marx .» (Ibid.)

C’était la « pratique de la connaissance » de Healy en pleine action : des cadres étaient mis « face à face » au cours de leurs expériences « quotidiennes » avec la crise économique capitaliste – et en même temps, ils collectaient, bien sûr, beaucoup d’argent pour le WRP. Au lieu de lutter pour permettre aux jeunes d’avoir une compréhension théorique de la nature de la société de classes, Healy liquidait l’entraînement des cadres dans un activisme politique destructeur. Aussitôt rentrés dans leur pays, la plupart des jeunes qui participèrent à la marche quittèrent les sections du Comité international

Le passage consacré aux dernières élections ne dépassait pas le niveau d’impressions journalistiques. On y accordait beaucoup d’importance à la campagne électorale des Tories pour n’en tirer que des conclusions d’une grande radicalité certes, mais aussi d’un parfait ridicule :

« Les Tories ont mené une coûteuse campagne de propagande pour laquelle ils ont dépensé en trois semaines de campagne électorale plus de 15 millions de livres sterling. Ils ont délibérément passé sous silence la crise économique, la hausse du chômage et l’influence dévastatrice du monétarisme sur l’industrie britannique.

« Au lieu de cela, ils ont déployé leurs techniques publicitaires et créé un monde irréel d’« essor économique » et de « sécurité » et de « détermination ». Thatcher elle-même eut droit à un nouvel emballage de la part des médias conservateurs ; elle a même été munie du label « invincible ». Les sondages d’opinion ne furent pas faits dans le but de tester l’opinion publique mais bien pour la modeler et pour pousser les classes moyennes à se rallier au Thatchérisme... L’ensemble revenait à une gigantesque escroquerie électorale qui démasquait [pour qui ? ] la duperie des élections parlementaires bourgeoises. La tradition d’élections parlementaires à bulletin secret fut remplacée par une coercition massive telle qu’elle n’a jamais existé [ !! ] dans des élections auparavant. Cela dévoilait le besoin désespéré de Thatcher de gagner une majorité inattaquable, afin d’instaurer un pouvoir conservateur absolu... » (Ibid., p. 41)

Alex Mitchell avait, c’est évident, perdu le contrôle de son ordinateur. Si ce qu’il disait était vrai, pourquoi la direction du WRP n’a-t-elle rien entrepris pour mobiliser la classe ouvrière contre cette intimidation de masse et pour défendre les droits démocratiques – ou du moins pour qu’une enquête soit menée par le mouvement ouvrier ? En fait cet impressionnisme débridé annonçait la transition vers la conception selon laquelle les Tories auraient établi un régime bonapartiste et qui allait en moins d’un an devenir une idée fixe du WRP.

La perspective d’une dictature conservatrice était une hallucination politique qui démasquait le caractère petit-bourgeois de la direction du WRP et sa capitulation devant Thatcher et la bourgeoisie. On se précipita sur des articles de journaux relatant des incidents mineurs et on les transforma en événements historiques. Ainsi, selon la résolution, la prise du pouvoir absolu par les Tories « se trouvait confirmée quelques jours après les élections, lorsque Thatcher dissolvait son groupe de conseillers, appelé ‘ Think Tank ‘ et l’installait directement dans ses bureaux de Downing Street [ !!! ]. Cela constituait un changement constitutionnel majeur [ ! ] conduisant à un régime présidentiel gouvernant par décret. » (Ibid., pp. 41-42)

Tout comme le roi Charles II s’était imaginé pouvoir empêcher le développement de la révolution bourgeoise en jetant le Grand Sceau dans la Tamise, Healy croyait que 300 ans de démocratie parlementaire pouvaient être anéantis par le transfert des bureaux de quelques bureaucrates à Downing Street. On s’étendait ainsi sur l’incommensurable importance de cette mesure de Thatcher :

« Au lieu de gouverner à l’aide du gouvernement et du débat parlementaire [comme dans le bon vieux temps de Baldwin, Churchill, Macmillan et Heath], Thatcher et son petit cercle de monétaristes ont l’intention de fixer eux-mêmes leur politique et de rédiger des lois que le Parlement ne fera plus qu’approuver. Cela met un terme à une forme de gouvernement reposant sur le consensus et l’accord mutuel [ !!! à la Heath] et inaugure !! ] une dictature conservatrice dans laquelle des personnages non élus et qui n’ayant de compte à rendre à personne, sortis des pièces obscures de Downing Street [plutôt que de celles de Threadneedle Street] sont les vrais détenteurs du pouvoir et les vrais législateurs. » (Ibid., p. 42)

C’était là le langage hystérique de démocrates petits-bourgeois apeurés qui faisaient de leurs peurs et cauchemars maladifs des vérités universelles. Pendant la deuxième guerre mondiale, il y avait eu un groupe de révisionnistes, émigrés Allemands plutôt pitoyables, qui prétendaient que la victoire d’Hitler avait inauguré une nouvelle période historique de barbarie. Ils en tiraient la conclusion que la perspective de la révolution socialiste n’était plus à l’ordre du jour de l’histoire dans un avenir proche. Cette triste perspective fut rejetée par la Quatrième Internationale. Il n’y eut que Shachtman pour la trouver crédible. Pour la défense des « rétrogrades » (c’est ainsi qu’on nomma cette tendance) il faut dire qu’ils ont réagi aux défaites les plus catastrophiques de l’histoire du mouvement ouvrier. Mais que dire en défense de Healy et de Banda dont l’hystérie était une réaction... aux déménagements du groupes de conseillers (« Think Tank ») de Thatcher ?

Une fois le congrès terminé et après que les délégués soient retournés dans leurs régions, Healy était manifestement soucieux du fait que quelqu’un puisse étudier les documents soigneusement et découvrir la faillite complète de leur contenu. Il rédigea donc en l’espace d’une semaine un document intitulé « Un guide pour l’utilisation des résolutions adoptées par le Sixième congrès » et qui fut publié en préface du fascicule contenant les documents du congrès. Il est habituel, dans le mouvement trotskyste, que les membres du parti lisent simplement les résolutions des congrès et les jugent selon les mérites de leurs contenus. Elles sont vérifiées par rapport au développement objectif des événements politiques. Mais cette façon normale de faire était trop simple pour Healy... et bien trop dangereuse. Il fallait donner aux résolutions un sens plus profond – de telle sorte que tous ceux qui exprimaient des divergences vis-à-vis des résolutions du WRP puissent être rapidement exclus pour avoir attaqué la dialectique. Le « bureau du Comité central » de Healy réalisa donc le tour de passe-passe suivant :

« Les quatre résolutions approuvées par le Sixième congrès sont ‘affirmées’ par le congrès. Exprimé en concepts matérialistes dialectiques, elles sont l’’AUTRE DU PREMIER’, (L'AUTRE DU SIXIEME CONGRES)...

« Des décisions du Sixième congrès (affirmation) à l’unité avec l’être immédiat en passant par la contradiction (l’affirmé). La présence du positif dans le négatif (essence absolue) dénotera la récognition du développement de la situation qui a eu lieu depuis le congrès. Cela dénote aussi bien l’apparence que l’essence absolue qui se trouve niée dans l’antithèse grâce à la négation de la négation dans notre ‘ théorie de la connaissance ‘, consistant en analyses ‘ logiques ‘ et ‘ historiques ‘ des événements.

« Une synthèse se forme par l’essence en existence, synthèse dans laquelle, en tant que résultat de l’analyse, les parties des résolutions du congrès qui sont devenues les plus urgentes émergent, en même temps que le ‘ développement ‘, comme ‘ essence ‘. Il nous faut opposer de façon claire les mêmes ‘ parties ‘ qui se sont essentiellement transformées, afin de pouvoir déterminer l’essence du développement qui a eu lieu.

« Le déroulement du congrès permet que l’analyse établisse d’abord plus clairement, par l’antithèse de la négation de la négation, qui constitue la synthèse, la signification du caractère abstrait de la résolution du Sixième congrès, révélée plus clairement dans la conception du mouvement de la pensée dialectique. » (Ibid., pp. i-v)

A l’intérieur du WRP on avait élaboré un langage à tous points de vue sacré dans le but de mystifier et de sanctifier la politique révisionniste de la clique petite-bourgeoise qui dirigeait l’organisation. Bien qu’ayant des allures plutôt excentriques, cette perversion grotesque de la dialectique constituait avant tout un moyen essentiel et délibéré grâce auquel Healy désorientait et détruisait les cadres du WRP. Que les écrits décousus et incohérents de Healy n’avaient rien à voir avec le marxisme, ce n’était déjà plus à cette époque un secret pour une bonne partie de la direction du WRP. Presque un an s’était écoulé depuis que Slaughter et Banda avaient déclaré qu’ils étaient d’accord avec la Workers League qui avait démasqué la dialectique de Healy. Mais ils continuèrent à la défendre devant les membres bien qu’ils sachent pertinemment que son seul objectif était de permettre à la ligne politique de l’aile droite de s’imposer, sans que les membres n’en remarquent rien.

Ils manifestèrent ouvertement leur cynisme en soutenant une résolution qui qualifiait les Etudes de Healy comme représentant une « partie décisive » contribuant à l’éducation de cadres dans le matérialisme dialectique. La clique dans le Comité politique aussi bien que des individus du calibre de Slaughter qui maintenait continuellement l’autorité politique de cette clique, incarnait une conspiration organisée contre les membres du parti, qui n’avaient aucun contrôle sur les dirigeants du parti. A la demande de Slaughter une motion avait été passée, selon laquelle au sein du WRP une autorité absolue et au-delà même des statuts avait été octroyée à Healy.

Cet état de choses ne pouvait être attribué aux sautes d’humeurs d’un individu. Au sein du WRP, parti aguerri par une longue lutte pour le trotskysme et qui avait rassemblé les éléments les plus conscients du prolétariat britannique, une âpre lutte de classe faisait rage entre les éléments de la classe ouvrière et de larges couches de petits-bourgeois – membres des professions libérales, anciens étudiants – entrés dans le parti à la fin des années 1960 et début 1970. Healy se basait de plus en plus sur ces derniers qui toléraient et encourageaient son abus grotesque d’autorité et pas seulement parce qu’il acceptait, en dépit de tous les hurlements, leurs comportements petits-bourgeois, mais avant tout, parce qu’ils soutenaient avec enthousiasme sa ligne politique opportuniste. Un chargé de cours à l’université comme G. Pilling pouvait disparaître du parti sans un mot d’explication pendant des mois et abandonner toute responsabilité politique. Mais lorsqu’il choisissait de réapparaître, il y avait toujours un siège chaud qui l’attendait dans le Comité central du WRP et même dans le Comité international où il pouvait être utilisé par Healy pour dénoncer et attaquer de vrais trotskystes, qui ne connaissaient rien d’autre dans leur vie que le mouvement révolutionnaire.

Nous avons réservé une place considérable à l’analyse de la résolution principale du Sixième congrès, car cela établit et démontre qu’en 1983 le WRP avait déjà été détruit par l’opportunisme. Cette résolution constituait l’expression la plus flagrante de l’intensité de la crise au sein de la direction du WRP, qui avait abandonné toute lutte sérieuse pour le marxisme dans la classe ouvrière. Maintenant, la seule chose qui manquait pour leur chute définitive dans l’abîme politique, était une impulsion de la classe ouvrière. Healy et consorts ne devaient pas attendre longtemps.

37. Le commencement de la fin : le WRP et le conflit du NGA

En décembre 1983, l’éruption de la grève qui a frappé le journal Stockport Messenger à Warrington conduisit à une confrontation décisive entre le gouvernement Thatcher et le mouvement syndical. S’appuyant sur la nouvelle loi antisyndicale, les Tories imposèrent au syndicat de la presse, le National Graphical Association (NGA), d’énormes amendes, après que celui-ci eut refusé de se soumettre à une ordonnance des tribunaux et tenté d’empêcher les briseurs de grève, organisés par l’éditeur de la presse Eddie Shah, de pénétrer dans l’entreprise.

Le WRP se trouva surpris par cette évolution. Il était parti du fait que la lutte de classe s’était déplacée des syndicats vers les conflits entre les Tories et les gouvernements locaux. Afin de rattraper le temps perdu – il avait pratiquement abandonné tout travail systématique dans les syndicats – le WRP forma immédiatement un bloc non critique et par conséquent sans principe avec la bureaucratie du NGA.

Entre le 25 novembre et le 12 décembre, le NGA organisa en dépit d’une ordonnance judiciaire, des piquets de grève massifs au Stockport Messenger. Un des Comités du TUC se décida pour des grèves de soutien au NGA. Mais le Comité directeur du TUC revint sur cette décision le 14 décembre 1983, par un vote de 29 voix contre 21. Le Comité directeur du NGA prit alors la décision d’annuler un ordre de grève nationale de 24 heures prévue pour le jour même. Cependant, il déclara qu’il refuserait de payer les amendes imposées par le tribunal et appela les ouvriers à participer à une manifestation de masse à Warrington en janvier.

Le Comité politique du WRP publia le 9 décembre 1983 une déclaration qui annonçait : « Les syndicats d’imprimeurs sous la direction du NGA n’ont à présent plus d’autre choix : ils doivent organiser une grève politique pour renverser le gouvernement Tory. » (News Line du 10 décembre 1983)

Mais, dès que le NGA eut pris une décision contre la grève, le WRP changea de ligne sur-le-champ afin de s’adapter à la bureaucratie du NGA. L’éditorial du News Line du 17 décembre 1983 constituait une nouvelle étape dans la déchéance politique du WRP. Le News Line attaqua le SWP (les partisans britanniques de la thèse du capitalisme d’Etat en URSS), parce que ceux-ci critiquaient la décision du NGA d’annuler la grève et écrivaient :

« La ‘ politique ‘ suivie par le SWP est typique de cette bande d’aventuriers politiques. Ils exigent du NGA une grève générale nationale immédiate. [Ce qu’avait revendiqué le WRP une semaine plus tôt.] C’est le même genre de ‘ conseil ‘ que celui qui fut donné à l’OLP quand elle était encerclée à Beyrouth l’an dernier par l’aviation, la marine et l’armée israélienne. C’est un appel au suicide collectif qu’ils lancent au NGA et ce, afin de permettre aux révisionnistes du SWP de mettre en scène une orgie de larmes. »

Il est difficile de dire ce qui dans cette déclaration était le pire, son attitude rampante à l’égard des dirigeants du NGA ou son pessimisme nauséabond.

Ils dénonçaient même les dirigeants syndicaux qui attaquaient le TUC pour avoir trompé le NGA.

« Contrairement aux révisionnistes, le dirigeant du syndicat des mineurs Arthur Scargill est inexpérimenté [ ? ] et ne comprend pas la classe ouvrière. Il tient de grands discours par pure frustration.

« Scargill prétend que la décision du TUC de ne pas soutenir le NGA était ‘ la plus grande trahison organisée par le TUC depuis la grève générale de 1926 ‘. Il dit par implication que cela signifie aussi la plus grande défaite de la classe ouvrière. »

Le WRP se trouvait à présent bien à droite de certaines sections de la bureaucratie syndicale et servait en fait à détourner une lutte contre le TUC. Il donna ensuite une justification fantastique de cette politique criminelle.

« Mais en 1983 la trahison du TUC a eu lieu avant la grève générale. Elle est par conséquent utile à l’ensemble de la classe ouvrière parce qu’elle révèle la trahison de la direction réformiste et provoque la discussion importante par dessus tout sur la construction de la direction, nécessaire pour mener une grève politique victorieuse contre les Tories. »

Healy avait découvert une nouvelle catégorie politique : la trahison préventive. Ces sophismes écoeurants eurent la réponse qu’ils méritaient quelques mois plus tard dans la vie réelle, lorsque les mineurs se mirent en grève – grève qui fut affaiblie dès le départ par la trahison du TUC. Il n’était par conséquent pas surprenant que Scargill fut un de ceux qui critiqua le plus vivement le TUC. Cela fit de lui en retour une des cibles privilégiées du WRP, qui défendait le TUC de façon inavouée :

« Scargill, lui aussi, pousse le NGA à se lancer tout seul dans une grève illimitée. Ce conseil est la recette pour une catastrophe. Cela mènerait à un lock-out de la part des patrons et à des dommages et intérêts astronomiques qu’exigeraient les tribunaux et probablement à une division dans le syndicat et à une victoire de la politique de collaboration de classe de Murray et de l’aile droite.

« Ceux qui font grève en paroles demandent que le NGA se mette en grève seul et se confronte à la force concentrée de l’Etat capitaliste. Ce serait un conflit-suicide. Ayant très sérieusement réfléchi à sa lutte, le NGA sait très bien qu’il pourrait être anéanti en tant que syndicat et que son plus important moyen de défense réside dans le soutien de la classe ouvrière. »

Les arguments de Healy coïncidaient exactement avec ceux du président du TUC Murray et de ses complices de l’aile droite. Si Scargill avait adopté cette position, il n’y aurait jamais eu de grève des mineurs. Avec de tels arguments on pouvait s’opposer à toutes les grèves pour lesquelles il n’y avait pas une garantie totale qu’elles se terminent par une victoire. Les dirigeants du WRP argumentèrent comme de pitoyables lâches, aussi bien politiquement que physiquement et malgré toutes leurs paroles à propos de la grande lutte anti-Tory, ils vivaient dans une peur mortelle de toute confrontation avec l’Etat. Pour Healy, le parti était devenu un moyen de s’assurer une vieillesse confortable ; pour Mitchell, c’était un moyen de faire carrière ; pour Vanessa Redgrave l’occasion de jouer le rôle d’Isadora Duncan ; pour Slaughter il était depuis des années déjà un passe-temps ; quant à Banda c’était un boulet à son pied. Leur refus intérieur collectif de la révolution se trouvait exprimé dans le lâche commentaire suivant :

« Le NGA ... est un corps de métier politiquement modéré. Il n’est pas un parti révolutionnaire, comme les révisionnistes semblent le croire. Et nous pensons, qu’étant donné les circonstances exceptionnelles de répression par l’Etat, il s’est fort bien tiré d’affaire. »

Une telle excuse pour cette équipe de bureaucrates staliniens et sociaux-démocrates ne pouvait provenir que de la part de gens qui avaient déjà abandonné la révolution socialiste.

Bien que les dirigeants du WRP prétendent qu’une situation révolutionnaire existait en Grande-Bretagne, leur attitude à l’égard de chaque lutte qui éclatait prouvait qu’ils n’y croyaient pas. Tandis que dans les résolutions de leur Sixième congrès, ils parlaient du « rythme révolutionnaire des événements » et insistaient pour que « la lutte révolutionnaire pour le pouvoir ... soit la vérité objective essentielle ayant sa source dans l’ensemble des conditions de la présente crise économique et politique » (Résolution, p. 19), ils étaient convaincus du fait que chaque lutte qui éclatait était sans espoir et vouée à l'échec.

La ligne politique avec laquelle le WRP justifiait l’action du NGA – et qu’il avait déjà utilisé en 1980 pour défendre Sirs – revenait à une excuse automatique de la bureaucratie syndicale. On ne pouvait plus critiquer un dirigeant syndical parce qu’il agissait en réformiste, tant qu’il ne prétendait pas être un révolutionnaire !

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le point de vue soutenu vis-à-vis des membres était tout à fait différent de celui défendu en public. Cela montre à quel point la direction manoeuvrait à l’égard des membres pour conserver une couverture de gauche à ses trahisons. Au sein du WRP, la direction assurait à ses membres que la direction du NGA était décidée à continuer la lutte. Une lettre politique datée du 16 décembre 1983, rédigée par Healy et Banda et envoyée à tous les membres du Comité central et à tous les secrétaires de cellules, assurait qu’« il y a une scission définitive dans le TUC » et promettait que « le NGA ne va pas interrompre la grève du ‘Stockport Messenger’ et d’autres syndicats vont s’y rallier d’une manière ou d’une autre. Le soutien à l’aile droite du TUC n’est aucunement affermi et le rapport de forces entre les deux camps va se transformer en permanence. » (Résolutions adoptées par le Septième congrès, décembre 1984, p. 95)

La lettre poursuivait en soulignant l’énorme importance de certaines divisions à l’intérieur du TUC et prétendait que le conflit ouvert à propos du NGA ouvrait « pour notre parti à présent la possibilité d’un travail révolutionnaire de masse. » (Ibid., p. 96)

Cette lettre avait pour fonction unique d’éloigner l’attention des membres, de renforcer leurs illusions vis-à-vis de la bureaucratie du NGA et du TUC et de masquer la politique de droite de la direction du NGA et du TUC.

En janvier, on invita les dirigeants du NGA à prendre la parole à la trente-troisième assemblée générale annuelle du journal Young Socialist, où ils furent fêtés comme les héros de la victoire. Le porte-parole du NGA alarma toutefois les délégués quand il déclara que pour l’instant, le syndicat se refusait à payer l’amende ordonnée par les Tories, mais qu’il ne savait pas combien de temps le NGA allait rester convaincu que c’était la bonne chose à faire. Pour calmer l’anxiété des membres du parti, Banda et Healy expédièrent immédiatement la Lettre politique numéro 2, datée du 9 janvier 1984 : « La question posée par le représentant du NGA à savoir le NGA n’allait pas se soumettre à la décision du tribunal et se parjurer [sic], et qu’il n’en était pas très sûr en ce qui concernait l’avenir, représentait la question des questions pour ce qui est en fait un mouvement syndical réformiste. La classe ouvrière ne peut plus vivre avec le gouvernement Tory et ses lois de classe, dont l’objectif est de détruire l’efficacité des syndicats. C’est pour cela que se prépare une grande explosion politique dans la classe ouvrière. C’est ce que reflétait la contribution du représentant du NGA. » (Ibid., pp. 98-99)

Dix jours plus tard, le News Line informait sans aucun commentaire ses lecteurs que le NGA avait décidé de se soumettre à la décision des tribunaux, c’est-à-dire de payer 675 000 livres sterling d’amende et de stopper toutes les mesures de grèves contre le Stockport Messenger. Quelques jours plus tard, le NGA annula la manifestation projetée à Warrington, révélant ainsi clairement qu’il avait l’intention d’abandonner complètement la lutte contre Shah. Le News Line publia une émouvante protestation, mais sans nommer personne :

« En annulant la manifestation prévue pour samedi les organisateurs ont fait une déplorable concession à l’atmosphère de fin du monde qui règne dans les cercles des révisionnistes petits-bourgeois, de la ‘ pseudo-gauche ‘ dans le Parti travailliste et parmi les staliniens.

« Cela tend à affaiblir la volonté de lutte de la classe ouvrière dans un moment où il faut tout faire pour renforcer la lutte de classe contre le gouvernement conservateur, les lois antisyndicales, le chômage massif et l’Etat. » (News Line, le 25 janvier 1984)

Les dirigeants du NGA auraient pu répondre que s’ils étaient victimes d’une atmosphère de fin du monde, c’est parce qu’ils avaient lu les numéros précédents du News Line. Même cet article-là ne concluait pas sur une note particulièrement optimiste :

« Pour survivre le NGA pourrait se soumettre au tribunal et combattre ainsi une autre fois. Qui sait? »

Chaque aspect de la ligne politique du WRP dans le conflit du NGA se trouva contredit par le déroulement réel des événements. Pour ne pas perdre la face devant les militants et pour faire comme si tout s’était déroulé comme prévu, Healy produisit une analyse époustouflante de la lutte du NGA, qui fut ensuite transformée en résolution unanimement approuvée par le Comité central. Elle prouvait que les événements s’étaient déroulés à la manière d’un mécanisme d’horloge dialectique, en accord avec les catégories logiques chéries par Healy. Healy prouva, par une affirmation irréfutable, que la « semblance de la nouvelle situation politique débuta avec les piquets de grève devant le Stockport Messenger à la fin de novembre 1983 » et que « la transition vers l’apparence commença lorsque Murray, exprimant la position de toute l’aile droite du Conseil général du TUC, dénonça la validité de la décision du Comité, le matin du 13 décembre 1983. »

La locomotive dialectique de Healy avançait à toute vapeur. « Le mercredi 14 décembre 1983, la négation de la semblance dans l’apparence fut marquée par la décision du Comité directeur par 29 voix contre 21, de laisser tomber le NGA et d’accepter les lois syndicales des Tories de 1980. »

Le vote ne s’est fort heureusement pas conclu en sens inverse. Cela aurait provoqué une sérieuse crise d’identité pour les catégories qui avaient longtemps auparavant fixé le cours nécessaire des événements au sein de l’Esprit absolu – que seul Healy était en mesure d’interpréter.

« L’apparence, qui se manifesta le 14 décembre, continua à se développer à travers une série d’événements qui forcèrent finalement le NGA à se soumettre aux tribunaux, le 19 janvier 1984, et à payer l’amende. A ce moment, en tant qu’unité de la semblance et de l’existence, l’apparence devint réalité. »

En d’autres termes, Healy établit fermement que la responsabilité de la trahison de la lutte n’était pas à chercher dans la bureaucratie du NGA, mais bien chez leurs honneurs Semblance, Apparence, Réalité et Essence – ces pauvres Tony Dubbins, Bill Booroff, Len Murray et le WRP n’étant, eux, que d’innocentes victimes de ces catégories logiques pro-conservatrices.

38. Conflit au sein du Comité international

Pendant l’année 1983, Cliff Slaughter, en secrète collaboration avec Healy, créa les bases d’une provocation politique contre la Workers League, l’organisation trotskyste américaine qui travaille en solidarité avec le Comité International. En avril 1983, il s’empara d’un éditorial paru plusieurs semaines auparavant dans le Bulletin (l’organe bihebdomadaire du parti américain) et se servit de la philosophie comme prétexte pour attaquer la Workers League. Dans une brève déclaration à propos du centenaire de la mort de Karl Marx et en hommage à son œuvre, l’éditorial n’avait pas parlé explicitement de la contribution de l’idéalisme classique allemand à l’élaboration du matérialisme dialectique. Bien que cela méritât à peine d’être relevé et bien que Slaughter ait su que le secrétaire de la Workers League, D. North, n’était pas l’auteur de cet article (il se trouvait en Grande-Bretagne quand celui-ci fut publié), le secrétaire du Comité international envoya à la Workers League une lettre solennelle dans laquelle il laissait entendre que quelque chose allait terriblement mal au sein de l’organisation américaine.

Trois mois plus tard, Slaughter se plaignit, dans une autre lettre adressée à la Workers League, de ce qu’il n’avait obtenu aucune réponse écrite et exigeait qu’on réponde à sa critique :

« Vous vous rappelez probablement que je vous ai envoyé une courte lettre dans laquelle j’attirais votre attention sur certaines phrases d’un éditorial du Bulletin. Dans cet éditorial on abordait la contribution théorique de Marx sans parler du contenu essentiel de la méthode dialectique qui fut élaborée par la ‘négation’ de la philosophie hégélienne. Dois-je comprendre que vous avez reçu cette lettre et que je peux en attendre une réponse. » (13 juillet 1983)

Slaughter n’avait plus foulé le sol de l’Amérique du Nord depuis plus de cinq ans avant d’envoyer ces lettres. Et lorsqu’il le fit, ce fut pour participer à une réunion de fin de semaine du Comité central de la Workers League. Mais il manqua la moitié des séances, parce qu’il trouvait plus intéressant de fouiner dans les librairies de New-York à la recherche de l’étude de Max Raphaël sur Pablo Picasso que de discuter des problèmes du mouvement américain. Ensuite, le lundi matin, avant même que la réunion du Comité central ne soit terminée, il fallut l’emmener rapidement à l’aéroport pour ne pas qu’il manque un cours prévu à l’université de Bradford. Pour le prix d’un aller-retour outre-Atlantique que la Workers League paya, les camarades américains eurent le plaisir de sa compagnie pendant quelques heures. Et voilà que Slaughter prétendit, à cause d’un éditorial qui n’avait pas mentionné la dette de Marx envers Hegel, avoir découvert de sérieuses faiblesses au sein de la Workers League. Ajoutons encore que ces deux lettres étaient les premières de sa part que la Workers League recevait depuis six ans et qu’en huit ans elle n’en avait reçu que deux.

En octobre 1983, lors d’une réunion du Comité international, D. North fit un rapport détaillé de la situation politique aux Etats-Unis ainsi que des projets de la Workers League pour intervenir dans les élections présidentielles de 1984. La base de cette intervention devait être la lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière vis-à-vis des deux grands partis capitalistes. On posait dans ce but la revendication d’un parti ouvrier, s’appuyant sur les syndicats. En accord avec un plan préparé à l’avance avec Healy, Slaughter exprima son inquiétude vis-à-vis du fait que le rapport de D. North ne se soit pas concentré sur les progrès de la lutte pour le matérialisme dialectique aux Etats-Unis. Puis Banda intervint après avoir jeté un bref regard sur le titre du dernier Bulletin qui dénonçait le discours à la nation de Reagan, dans lequel il justifiait l’intervention américaine dans l’île de Grenade. Banda émit des objections contre le titre, « Reagan est un menteur », prétendant que l’article aurait dû s’intituler « Ne touchez pas à l’île de Grenade » et que ceci représentait un rejet complet du défaitisme révolutionnaire. D. North rejeta cette attaque lui disant qu’il aurait mieux fait de lire le journal d’abord avant de critiquer l’attitude de la Workers League vis-à-vis de l’invasion. Il attira l’attention sur le fait que le titre proposé par Banda, « Ne touchez pas à l’île de Grenade », figurait ailleurs dans le journal. A la fin de la réunion Banda s’excusa auprès de D. North lui disant qu’il informerait les délégués qu’il avait retiré sa critique.

Mais, après cette réunion du Comité international, Slaughter se décida à poursuivre l’attaque contre la Workers League. Il prétendit qu’une étude plus poussée du Bulletin l’avait convaincu de ce que la Workers League n’avait effectivement pas pris une position défaitiste révolutionnaire. Plus tard, lorsque le WRP s’effondra, il dut avouer que tout l’incident avait été concocté par le WRP pour se venger de leur critique de 1982. (Il existe une transcription de ses remarques.)

Dans une lettre adressée à la Workers League et reçue au début de 1983 (elle n’était pas datée), Slaughter attaqua le rapport présenté par D. North à la réunion d’octobre, critiquant « le fort accent mis sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘» et avertit de ce que cela « montrait le danger qu’on ne s’en tenait pas fermement aux leçons fondamentales de la dernière lutte de Trotsky et à l’ensemble de la lutte du Comité international. » Il mit en garde contre le fait de mettre l’accent de façon exagérée sur l’indépendance de la classe ouvrière, ce qui « deviendra une arme dans les mains de tous ceux qui portent la marque du pragmatisme parce que cela va être très prisé, comme quelque chose de plus ‘ concret ‘ que la lutte menée de façon explicite pour développer et comprendre les catégories de la dialectique comme méthode pour la compréhension vitale du développement rapide aux multiples aspects de la crise mondiale. »

Les dirigeants du WRP reprenaient une fois de plus leur vieux jeu consistant à utiliser des formules pseudo-dialectiques à des fins de provocation dans le Comité international et pour attaquer la lutte des marxistes dans la classe ouvrière. Il est clair à présent que Slaughter avait abandonné depuis le milieu des années 1960 tout ce qui pouvait, de près ou de loin, ressembler à un travail systématique dans sa propre section et qu’il avait été placé par Healy comme un fidèle exécutant à la direction du CIQI. Il dégénéra jusqu’au charlatanisme théorique et à la prostitution politique. Et qui, plus est, l’attaque de Slaughter contre la lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière signifiait – sa lettre à la direction de la Workers League l’exprimait clairement – qu’il avait abandonné le trotskysme et qu’il avait rejoint le camp du révisionnisme pabliste.

North répondit à Slaughter dans une lettre datée du 27 décembre 1983. Il rejeta les références formelles à la méthode dialectique comme moyen de clarifier des conflits politiques. « Chaque pragmatiste est parfaitement capable de faire cela. Ce qui doit être étudié et développé, c’est l’application correcte de la méthode dialectique et du matérialisme historique. Mais cela n’est en aucun cas contrecarré par le fait de mettre un’ fort accent ‘ sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘. Je crois qu’une étude sérieuse de toutes les oeuvres de Lénine et avant tout de ses premières études économiques et philosophiques – révélera le lien interne entre sa concentration sur l’application correcte de la méthode dialectique et le fait qu’il met un ‘ fort accent ‘ sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘.

« Je dois avouer que je suis inquiet à la seule pensée que le fait d’insister sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘ puisse, au sein du Comité International, être taxé de ‘ trop fort ‘, particulièrement en relation avec le rapport d’une section sympathisante dans un pays où la classe ouvrière n’a pas encore rompu politiquement avec les libéraux. Toutes les tâches organisationnelles, politiques et théoriques d’un parti marxiste – surtout aux Etats-Unis – sont précisément concentrées sur l’acquisition de cette indépendance politique.

« Tu prétends que cette insistance devient ‘ une arme dans les mains de tous ceux qui portent la marque du pragmatisme ‘, mais je ne vois rien qui puisse justifier une telle conclusion. Toute la lutte contre le SWP depuis 1961 – pour ne pas nommer toute l’histoire de la lutte menée par le bolchevisme – tournait précisément autour de cette question. Les staliniens et les révisionnistes dans le monde entier sont bien éloignés aujourd’hui d’embrasser le concept de l’indépendance politique de la classe ouvrière. Au contraire, ils l’attaquent constamment. Le néo-stalinisme du SWP n’est pas sorti de la tête de Monsieur Barnes mais constitue une réponse très claire de l’impérialisme américain au nouveau stade de la crise mondiale capitaliste et à l’essor révolutionnaire du prolétariat mondial. De cette manière, le pablisme sert de courroie de transmission à l’impérialisme pour exercer sa pression dans le mouvement ouvrier. Comme je te l’ai entendu affirmer avec insistance un si grand nombre de fois dans le passé, le Comité international doit être sur ses gardes, précisément à un tel stade, à l’égard de toute trace de conceptions révisionnistes dans ses propres rangs. Il doit en même temps renforcer son attaque théorique et politique contre le révisionnisme pabliste. Tu seras certainement d’accord avec moi sur le fait que la lutte contre le pablisme n’est en aucun cas terminée.

« C’est précisément pour cela que je crois qu’une clarification des questions que tu as ouvertes dans ta lettre, est absolument nécessaire. »

La Workers League décida qu’il était temps d’attaquer la ligne politique fondamentale et la ligne de classe du Workers Revolutionary Party, en premier lieu son rejet de la théorie de la Révolution permanente. Comme il ne reçut pas de réponse de Slaughter, D. North envoya une lettre à Mike Banda, datée du 23 janvier 1984, dans laquelle il exprima les inquiétudes « que le Comité International court à présent le danger de perdre les conquêtes de sa longue lutte en faveur des principes » et que la Workers League était « extrêmement inquiète des signes de plus en plus nombreux d’un glissement politique vers des positions tout à fait semblables, tant dans leurs conclusions que dans leur méthode, à celles que nous avons attribué historiquement au pablisme. »

La lettre constatait que le CIQI travaille « sans qu’une perspective politique claire et unie ne guide sa pratique. Au lieu de se concentrer sur la construction de sections du Comité international dans chaque pays, son travail se concentrait depuis plusieurs années sur le développement d’alliances avec divers régimes nationalistes bourgeois et mouvements de libération. Ces alliances ont de moins en moins pour contenu une orientation claire vers le développement de nos propres forces comme centre de la lutte afin d’établir le rôle dirigeant du prolétariat dans la lutte anti-impérialiste dans les pays semi-coloniaux. Les mêmes conceptions que celles que nous avons attaquées si vigoureusement au sein du SWP, vis-à-vis de Cuba et de l’Algérie au début des années 1960, apparaissent de plus en plus fréquemment dans notre propre presse. »

Puis la lettre revenait sur la manière dont le News Line avait réagi à l’occasion de la récente rencontre d’Arafat et du président égyptien Hosni Moubarak, qui avait eu lieu après l’évacuation forcée de Beyrouth du dirigeant de l’OLP. Tout en n’attaquant pas Arafat pour avoir effectué ce voyage non autorisé en Egypte, North critiqua le News Line pour avoir glorifié cette manoeuvre désespérée.

Le News Line avait rejeté les « reproches calomnieux » adressés à Arafat par Georges Habbache et écrit :

« Ces attaques verbales sont le produit d’esprits limités et de perspectives étroites. Les pourparlers entre Arafat et Moubarak ne constituent pas un soutien à Camp David. Au contraire, la diplomatie audacieuse d’Arafat a contribué à saper le contrat entre l’Egypte et Israël et non pas à le renforcer.

« Ce qui était au centre de la conspiration de Camp David, entre Sadat, Beigin et Carter était le fait qu’elle ignorait l’existence de l’OLP comme seul représentant légitime du peuple palestinien et qu’elle rejetait la lutte du peuple palestinien pour son autodétermination.

« C’est pour cela que l’ccord se heurta à une telle opposition. Mais à présent, Moubarak souhaitait la bienvenue à Arafat au Caire. Ce n’est pas une simple rencontre entre individus. Elle annonce que le gouvernement Egyptien reconnaît l’OLP et son droit inaliénable à lutter pour la libération de la Palestine.

« Cela joue-t-il le jeu de Camp David ? Cela joue-t-il le jeu de l’impérialisme sioniste ? Bien sûr que non. C’est un rude coup diplomatique et politique pour le régime de Shamir, lui-même secoué par la crise. C’est pourquoi Tel-Aviv a condamné avec tant de colère les pourparlers entre Moubarak et Arafat. » (News Line, le 30 décembre 1983)

Ce à quoi la Workers League répondit : « ...Article après article le News Line présente cette visite comme un chef-d’oeuvre stratégique d’Arafat, par lequel une fois de plus il mit ses adversaires dans l’embarras. Même si une telle manière de faire est inspirée par le sérieux désir de défendre l’OLP contre ses ennemis, elle ne sert qu’à dérouter et à désarmer nos cadres et nos lecteurs.

« En tant que marxistes, le point de départ de notre analyse n’est jamais l’intention délibérée des dirigeants politiques, mais les forces de classe qu’ils représentent et la logique de la lutte de classe dont leurs actions en sont l’expression nécessaire. La politique d’Arafat reflète immanquablement son point de vue nationaliste petit-bourgeois. Il ne manoeuvre pas seulement entre divers gouvernements bourgeois du Moyen-Orient, mais aussi entre les forces de classe opposées dans les rangs du mouvement palestinien. Quelque grands que soient son courage personnel et son héroïsme, la politique d’Arafat ne peut toutefois pas fournir la réponse aux grands problèmes historiques de la lutte palestinienne pour l’autodétermination. Alors qu’il est de notre devoir de le défendre, lui et l’OLP, contre les machinations réactionnaires des Baassistes syriens, nous n’avons en aucun cas l’obligation de glorifier son tournant pragmatique vers Moubarak et d’en faire une sorte de coup de maître stratégique. »

North s’opposa aux affirmations du News Line qui prétendait qu’« Arafat avait réussi de façon brillante à ramener l’Egypte dans les calculs du Moyen-Orient, et en même temps à éviter les griffes de Damas et d’Amman. » Il expliqua en revanche :

« La conception que le cours de l’histoire est déterminé par des coups géniaux réalisés sur l’échiquier diplomatique, fait partie de la conception historique bourgeoise et non pas de la conception matérialiste de l’histoire. Nos calculs, par opposition à ceux d’Arafat, se fondent toujours sur une estimation de forces de classe et la force de la classe ouvrière pour la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie. Pour nous, le salut de la révolution palestinienne ne réside pas dans le fait d’éviter de tomber dans ‘ les griffes ‘ de la Syrie pour faire un bond dans celles de l’Egypte, du Maroc et, en fait, aussi dans celles de la Jordanie, dont le roi conduit actuellement des négociations intenses avec l’OLP et que le gouvernement Egyptien rencontrera le mois prochain. Nous faut-il maintenant saluer cette nouvelle série de manoeuvres diplomatiques et lui accorder notre confiance? Notre but stratégique doit toujours rester la mobilisation de la classe ouvrière – soutenue par la population paysanne – contre la bourgeoisie dans chaque pays du Moyen-Orient. »

North démontra que le WRP en prétendant soutenir « l’indépendance politique » de l’OLP, soutenait en réalité et de façon non critique ses manoeuvres. « Tel qu’il est utilisé ici, le mot d’ordre de ‘ l’indépendance politique ‘ est réduit à une abstraction presque dénuée de sens, servant à masquer le danger selon lequel – indépendamment des intentions d’Arafat – la logique politique des manoeuvres de l’OLP doit conduire inévitablement cette dernière à se soumettre aux intérêts de la bourgeoisie arabe et de l’impérialisme mondial. »

La lettre poursuivait : « Si on écrit des articles qui servent seulement à justifier ce qu’Arafat a déjà fait et qui ne font que dépeindre en couleurs vives telle ou telle manoeuvre pragmatique, alors nous courrons le danger d’être victimes d’une perspective politique qui remet en question la réelle nécessité de construire le mouvement trotskyste dans les pays semi-coloniaux et dans les mouvements anti-impérialistes de libération nationale. Si Arafat, guidé uniquement par son intuition, est capable de diriger l’OLP avec succès, quelle nécessité y-a-t-il d’éduquer des cadres palestiniens dans le matérialisme dialectique ? Il ne s’agit pas d’'un article isolé ou même seulement de l’épisode Arafat-Moubarak. Nous avons fait l’expérience à maintes reprises depuis 1976 que le fait de mettre en avant les capacités particulières de l’un ou l’autre dirigeant ouvre toujours la porte à de graves fautes d’appréciation, à de dangereuses erreurs, à d’insolubles contradictions dans notre ligne politique. Remarquons simplement que parmi les plus fervents partisans de la rencontre Arafat-Moubarak on peut compter Saddam Hussein que nous avons jadis soutenu avec enthousiasme et pour la chute duquel nous appelons à présent régulièrement. De plus, parmi les plus farouches opposants d’Arafat il y a Mouammar Kadhafi qui, jusqu’à date récente recevait de notre part les mêmes louanges que celles dont nous couvrons en ce moment le dirigeant de l’OLP. »

Pour finir, la lettre lançait la mise en garde suivante :

« Nous pensons que le problème fondamental réside en ce que le Comité International n’a encore tiré aucun bilan des huit dernières années de son travail. On ne peut certainement pas aller d’une alliance à l’autre, sans analyser concrètement chaque expérience par laquelle le Comité international est passé. Sans une telle analyse nous serions confrontés à une confusion toujours croissante qui, si elle n’est pas corrigée, produirait inévitablement des désastres politiques dans les sections. »

North lança un appel à Banda pour qu’il aide à renouveler « la lutte contre le révisionnisme pabliste – en particulier contre l’expression de ses conceptions dans nos propres sections. Commençons ce travail en profitant de l’occasion que nous offre la rencontre prévue du CI pour créer les conditions pour une discussion approfondie des perspectives internationales ayant pour but l’établissement d’un projet de résolution internationale... Certainement, il est temps que le Comité international fournisse une réponse aux attaques des néo-staliniens du SWP contre la théorie de la Révolution permanente et qu’il montre que cette dernière reste le fondement scientifique indispensable pour la construction du Parti mondial de la révolution socialiste. »

Quand la délégation de la Workers League arriva à la réunion du CI prévue pour le week-end du 11-12 février 1984, elle découvrit que le WRP n’avait pas contacté plusieurs sections ni organisé leur participation. Le délégué du Sri Lanka, le secrétaire national de la Ligue Communiste Révolutionnaire (RCL) qui est depuis 1968 membre du Comité international n’avait pas été informé de la réunion et ne savait rien des divergences que la Workers League avait formulées depuis 1982. Le délégué régulier de la Socialist Labour League australienne n’était pas informé non plus. Quand le délégué de la Workers League demanda pourquoi un militant inexpérimenté de la SLL travaillant à la rédaction du News Line pour y subir un entraînement remplaçait le délégué régulier australien, cette objection fut écartée faute d’importance. Le délégué péruvien n’était pas non plus informé de la réunion. Quant à la section grecque, l’un de ses membres avait une relation intime et secrète avec Healy, tandis que l’autre, le secrétaire national Savas Michael, avait visité l’Iran sur ordre de Healy, violant ouvertement la discipline du CIQI. De plus, sa section profitait elle aussi de ces relations sans principes avec la bourgeoisie nationale. La déléguée espagnole faisait également partie de cette fraction sans principe et fut identifiée par la secrétaire de Healy comme une autre de ses associées intimes. Qui plus est, la Workers League devait apprendre par la suite que la direction du WRP avait engagé une campagne de calomnies contre David North, laissant entendre obscurément qu’on ne pouvait pas lui faire confiance, selon la devise « On ne sait pas qui est North. »

Dans ces conditions, le résultat du meeting était déterminé d’avance. Les délégués qui étaient présents n’avaient pas lu les lettres de D. North à Banda et Slaughter avant d’arriver au meeting du CI et il n’y avait pas eu de discussion au sujet des divergences politiques dans les comités centraux des différentes sections. En fait, aucune d’entre elles n’était même au courant de ces divergences.

Le rapport présenté par D. North constituait une réponse au projet de résolution préparé par Slaughter. Ce projet ne contenait aucune analyse du développement politique ou économique après 1971 et se réduisait à une récapitulation stérile, formelle et à peine esquissée de l’histoire du mouvement trotskyste. North critiqua ce projet parce qu’aucune estimation des expériences stratégiques de la classe ouvrière et du CIQI depuis 1971 n’était mentionnée et présenta son propre rapport, s’attachant à montrer que le WRP avait poursuivi la même ligne dans sa politique internationale que le SWP américain. Il fit une rétrospective des alliances du WRP au Moyen-Orient depuis 1976, et remarqua que : « Au plus tard depuis la mi-1978 se développa une orientation générale vers des relations avec des régimes nationalistes et des mouvements de libération nationale sans la perspective correspondante pour la construction réelle de nos propres forces dans la classe ouvrière. Une estimation totalement dépourvue de critique et ne correspondant pas à la réalité commença à émerger dans notre presse, incitant nos cadres et la classe ouvrière à considérer ces nationalistes bourgeois comme des dirigeants ‘ anti-impérialistes ‘ auxquels on devait donner un soutien politique. »

Le rapport poursuivait en évoquant le soutien donné par le WRP à l’exécution des membres du Parti communiste irakien, ses virements de ligne dans la guerre entre l’Irak et l’Iran, sa définition de la Libye comme Etat socialiste, et les éloges distribués sans aucune critique vis-à-vis du régime de Khomeyni de la part de S. Michael. Puis, il mentionna la ligne prise par le WRP dans la guerre des Malouines et posa pour finir des questions à propos de l’orientation du WRP vers certaines sections de la bureaucratie travailliste en Grande-Bretagne. Le rapport remettait en question l’appréciation de Livingstone et de Knight par le WRP et critiquait leur politique vis-à-vis du NGA.

Le rapport constatait aussi qu’il y avait eu un « long processus d’adaptation à des forces petites-bourgeoises » et expliquait qu’« à sa base il y avait des racines théoriques bien définies, à savoir une méthode empiriste masquée par une phraséologie hégélienne qui n’avait rien à voir avec le marxisme. La glorification de la perception sensible et le rejet du matérialisme historique. »

Le rapport concluait ainsi: « Nous sommes inquiets de la gravité des divergences politiques et idéologiques. Mais nous croyons que ces problèmes peuvent être surmontés par des discussions sérieuses et honnêtes. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable discussion dans le Comité international et dans les directions des sections nationales. Il faudrait élaborer des documents et les faire circuler. Il faut travailler de cette manière. Le CI ne peut en sortir que renforcé. Participer à cette discussion et y trouver des enseignements intéresse beaucoup la Workers League. Nous tenons beaucoup à la collaboration avec nos camarades britanniques et avec toutes les sections du CI. Etablissons un plan exact pour cette discussion et oeuvrons sur cette base en vue de l'organisation d’une conférence du CI. »

La délégation britannique se composait de Banda, Slaughter et de l’inévitable Geoff Pilling qui devait, un mois plus tard et une fois de plus, déserter le mouvement – non sans qu’on lui ait donné, une fois encore, l’occasion de dénoncer la Workers League. Healy, politiquement un lâche, refusa de participer à la réunion et de défendre la ligne de son organisation. Il en laissa le soin à Banda et Slaughter. Leur défense consista à accuser la Workers League d’avoir grossièrement déformé les positions du WRP et d’avoir tiré quantité de conclusions insoutenables à partir de déclarations parues dans le News Line. On mit cela sur le compte, bien sûr, du pragmatisme américain, pragmatisme qui avait incité la Workers League à « dégainer sans réfléchir ». Les délégués britanniques firent savoir qu’ils étaient disposés à scissionner avec la Workers League immédiatement si les divergences n’étaient pas élucidées sur le champ, en clair, si la Workers League ne retirait pas ses critiques. Le délégué grec mit la Workers League au pilori de façon aussi chauvine qu’éhontée, et déclara que la critique de D. North vis-à-vis du WRP était une expression du « messianisme américain. » Aucun des délégués présents parmi les autres sections n’exprima le moindre accord avec la critique de la Workers League ou laissa apparaître qu’elle méritait d’être plus amplement discutée. Le climat politique de la réunion devint de plus en plus subjectif et hystérique, surtout en ce qui concerne Banda. Il était clair qu’il n’allait y avoir aucune discussion sérieuse et que le CIQI était, à cet instant, incapable de travailler comme un parti international.

Face à une telle situation, la délégation de la Workers League décida d’essayer de gagner du temps et accepta avec beaucoup d’hésitation ce qu’exigeait la délégation britannique, c’est-à-dire de retirer sa critique. La seule alternative aurait été de scissionner dans des conditions où les positions de la Workers League n’étaient pas connues dans les sections du Comité International.

Le sabotage de la discussion ne fut possible que grâce au rôle déloyal de Banda et Slaughter. Ils organisèrent une attaque fractionnelle concertée contre la Workers League, dans des conditions où Healy était si faible politiquement qu’il était incapable de défendre lui-même ses vues. Le jour qui suivit la réunion du CI, le 14 février 1984, Healy envoya une lettre à Slaughter dans laquelle il félicitait ce « Cher Cliff » du « bon boulot politique » qu’il avait accompli. Healy se vantait de ce que « nous sommes assez forts du point de vue du développement de la méthode matérialiste dialectique pour débusquer idéologiquement nos adversaires impérialistes les plus importants et les plus puissants. »

Il étaya ensuite cette incroyable calomnie par à son habituel verbiage dialectique totalement dénué de sens : « Nos adversaires virent les opposés de façon métaphysique, comme des opposés s’excluant mutuellement et ils opposèrent leur section faisant partie du Parti mondial au Parti mondial lui-même. Dans leur esprit, les deux devinrent des opposés s’excluant mutuellement. Pour maintenir l’illusion métaphysique, ils se servirent d’une sélection pragmatique de citations sans contenu réel, afin de les utiliser (sic) de la façon de l’idéalisme subjectif contre le développement politique du Comité international.

« En tant que matérialistes dialectiques, nous considérons les opposés dans leur unité et leur interpénétration mutuelle, nous avons répondu à leur défi par une véritable attaque frontale, au cours de laquelle nous avons démasqué les arguments de nos adversaires concrètement dans les conditions de la révolution mondiale, telles qu’elles existent aujourd’hui. Nous prenons comme base et point de départ de notre lutte l'unité du Comité international en tant que noyau du Parti mondial et la crise économique et politique du capitalisme. Cela fut et cela reste la base de nos généralisations théoriques et de leur expression dans notre pratique en tant qu’unité et identité des contraires. Toutes les structures et processus qui les englobent proviennent de cette unité et interpénétration des contraires dialectiques. Pour cette raison, nous avons transformé les opposés l’un en l’autre par tous les procédés imaginables et en sortîmes avec une nouvelle identité des opposés à un niveau plus élevé. Nous avons évité la scission mise à l’ordre du jour par les pragmatistes métaphysiques, et avons au contraire constitué une nouvelle unité et identité des contraires, dont ils font encore partie. Nous nous réjouissons de continuer à travailler de cette manière. Nous nous servirions encore, si nécessaire, de tous les moyens imaginables ».

Fasciné par les rotations dialectiques de la tête de Healy, Polonius-Slaughter se mit sur-le-champ à rédiger une réponse à cette lettre et à exprimer son admiration devant la profondeur de cette analyse. Voici la lettre de Slaughter du 16 février 1984 :

« Cher Gerry,

« Merci de ta lettre du 14 février. Je crois que ce que tu dis touche plus profondément au contenu essentiel de ce qui a eu lieu au meeting du CI, les 11 et 12 février. L’attaque de la section américaine a pour contenu la nécessité pour l’impérialisme américain de détruire le CI. Le fait que nous ayons été en mesure de repousser cette attaque, signifie que l’éducation des cadres dans le matérialisme dialectique, ces dernières années, répondait réellement aux exigences créées par les profonds processus de transformations révolutionnaires ayant lieu dans le monde objectif. Sans un travail systématique sur les tomes 14 et 38, nous n’aurions jamais été à même de comprendre aussi clairement et de manière aussi consciente, cette nécessité objective se situant au coeur de ces interconnections ni de baser notre réponse sur cette même nécessité.

« Mais pas seulement cela : nous devons comprendre – comme tu l’expliques à la fin de ta lettre – que la nouvelle unité et le nouveau conflit des opposés ainsi établis n’est un processus ni accompli, ni achevé en lui-même, mais qui se développe constamment en relation étroite avec la révolution mondiale, dont il fait partie. C’est pourquoi, nous continuons à utiliser, ‘ si nécessaire, tous les moyens imaginables ‘.

« Salutations fraternelles, Cliff »

Ces lettres, exhumées par la Commission internationale de contrôle, peuvent être qualifiées de criminelles quant à leur contenu politique. Si on leur enlève leur jargon pseudo-scientifique, elles révèlent le mépris avec lequel Healy et Slaugther considéraient la Quatrième Internationale et leur indifférence vis-à-vis des répercussions politiques de leur fractionnisme sans principe sur le mouvement ouvrier international. Il leur était égal de détruire des cadres trotskystes au coeur même de l’impérialisme mondial ou ailleurs dans le monde, cadres éduqués et aguerris dans une lutte contre le révisionnisme durant des décennies. Ceux qui ont lu les écrits de Slaughter sur Gramsci, Lucas et Walter Benjamin, pourraient se demander comment cet humaniste anglais cultivé a pu en arriver à écrire une réponse bassement flatteuse à une lettre aussi dépravée que dépourvue de toute valeur intellectuelle, et surtout comment il a pu soutenir l’utilisation de « tous les moyens imaginables » dans la lutte contre la Workers League. La réponse se trouve dans la réalité de la lutte de classe. Lorsqu’ils sont confrontés avec les questions fondamentales de la révolution socialiste, les philistins petits-bourgeois – dont beaucoup se prétendent marxistes – sont prêts à faire tous les compromis nécessaires avec leur conscience pour s’allier à ceux qui défendent les intérêts de leur classe. Dans les années trente, on pouvait trouver dans le Parti communiste britannique des hommes non moins cultivés que Slaughter, tels Palme Dutt et D. N. Pritt, conseiller royal, qui défendirent les procès de Moscou pour les mêmes raisons de classe.

Bien sûr, le philistin n’aime pas qu’on recherche les causes de sa trahison dans ses racines de classe. C’est pour cela que Slaughter insiste maintenant, au lendemain de la crise qui a exposée toute la putréfaction du WRP, pour qu’on ne cherche pas ses causes dans des forces de classe – mais plutôt dans une abstraction psychologique apaisante, qu’il qualifie « d’hostilité britannique envers la théorie ».

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