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La grève des infirmières du Québec à un point tournant

Par Jacques Richard
4 juillet 1999

Alors qu'elle entame sa troisième semaine, la grève des 45.000 infirmières du Québec entre dans une phase décisive. Celles-ci ont fait preuve jusqu'ici d'une grande détermination à défendre des conditions de travail décentes et des soins de qualité pour la population. Elles n'ont pas hésité à lancer une grève illégale puis, depuis deux jours, à défier une loi spéciale. Ce geste courageux a généré un énorme appui populaire qui a pris le gouvernement quelque peu par surprise, le forçant à introduire par étapes, et avec beaucoup de précautions, la ligne dure préconisée par le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard.

La légitimité de cette grève est indéniable. Elle survient après plusieurs années de « virage ambulatoire » qui ont prouvé sans l'ombre d'un doute que ce n'était rien d'autre qu'un euphémisme pour un assaut frontal sur le réseau public de la santé. Les coupures budgétaires effectués par tous les niveaux de gouvernement - à commencer par le fédéral, qui a réduit de six milliards de dollars les transferts aux provinces dédiés aux dépenses sociales - ont saigné le réseau à blanc. Neuf hôpitaux ont été fermés rien que dans la région de Montréal. Des milliers de travailleurs de la santé à travers la province, y compris des centaines d'infirmières d'expérience, ont été poussés à accepter une retraite anticipitée, sous la menace d'une coupure salariale généralisée de 6 p. cent. L'impact était plus que prévisible : urgences constamment débordées, listes d'attente de plus en plus longues, fermetures de lits, etc.

Aussi n'est-ce point étonnant que le cri d'alarme lancé par les infirmières ait rencontré un tel écho dans la population. L'étonnant c'est plutôt que les infirmières se soient retrouvées seules en grève illégale face à l'appareil d'état et à son arsenal de sanctions. En fait, une faiblesse essentielle a entâché la grève des infirmières dès le début : son isolement des luttes des autres couches de travailleurs (« les infirmières sont un cas spécial », ont martelé les chefs syndicaux), et de façon plus générale, l'absence d'une perspective politique à long terme. La lutte actuelle sera menée dans un cul-de-sac si elle ne déborde pas du cadre restrictif de la politique syndicaliste de protestations pour devenir un mouvement social large et conscient, offrant une alternative progressiste à la politique budgétaire du gouvernement Bouchard.

Ce danger a été souligné en fin de semaine par la réaction des dirigeants de la FIIQ (Fédération des infirmières et infirmiers du Québec) à la loi spéciale introduite vendredi par Québec. Après avoir admis avoir « beaucoup de difficulté à voir l'aboutissement de la grève », sa présidente, Jennie Skene, a évoqué la possibilité d'avoir recours à un « médiateur spécial », ce qui ne serait qu'une façon détournée de mettre un terme à la grève, suivant le modèle de la Saskatchewan.

Les infirmières de cette province avaient fait 10 jours de grève illégale et défié une injonction de la Cour, pour ensuite rentrer au travail sous la promesse qu'un médiateur « indépendant » appelé à trancher veillerait à leurs intérêts. Le projet d'entente éventuellement préparé par celui-ci tient compte de leurs revendications salariales (13,7 p. cent d'augmentation sur trois ans), mais laisse en suspens la question épineuse des charges de travail, ainsi que des amendes encourues lors de la grève.

Il n'est pas exclu qu'un scénario semblable soit suivi dans le conflit actuel. Il se pourrait bien que le gouvernement fasse, par l'intermédiaire d'un médiateur ou tout autre mécanisme, quelques concessions mineures aux infirmières québécoises au niveau salarial. D'un point de vue syndical, ce serait peut-être là une petite victoire, et encore. Mais quelle immense défaite politique ce serait pour les travailleurs! Aux 300.000 autres travailleurs du secteur public québécois dont la convention collective est également échue, à tous ceux et celles qui voudraient se mettre à l'avenir sur son chemin alors qu'il accélère le démantèlement du réseau de la santé, Québec aurait une réponse toute faite : c'est peine perdue, les infirmières ont essayé, elles ont défié la loi, elles avaient le gros de la population derrière elles, et nous n'avons pas bougé d'un iota dans notre politique fondamentale.

Bouchard avait certainement des considérations semblables à l'esprit lorsqu'il a déclaré, en déposant la loi spéciale vendredi : « Dans le sillage de cette grève illégale, toutes sortes de groupes nous annoncent des votes de grève illégale. C'est très contagieux, le désordre, très contagieux, l'illégalité des grèves ». Contrairement à « Jennie la résistante » chez qui « le militantisme est affaire de famille » selon un portrait brossé samedi par le quotidien La Presse, Bouchard procède lui à une évaluation politique du conflit qui oppose son gouvernement aux infirmières. Il est très conscient que le véritable enjeu de cette grève, ce n'est pas les dizaines de millions de dollars qu'impliquerait une augmentation salariale de l'ordre demandé par les infirmières (16 p. cent au lieu des 5 p. cent sur trois ans offerts par Québec).

Le véritable péril à ses yeux (et il voit juste sur ce point) c'est que la grève des infirmières ne déclenche un mouvement social plus large et de nature politique qui mettrait en cause l'essence même de sa politique socio-économique telle que codifiée dans l'objectif du déficit zéro d'ici l'an 2000, à savoir : satisfaire les exigences des marchés financiers globaux qui financent le crédit du gouvernement, et promouvoir un climat fiscal « propice aux affaires », par l'adoption de strictes mesures néo-libérales qui impliquent de féroces coupures budgétaires et l'élimination de tout vestige d'état-providence.

La conduite du gouvernement depuis le début de la grève a révélé à quel point il se sentait isolé tant sa politique sociale est impopulaire. Il a évité depuis le début de la grève illégale d'appliquer les sanctions les plus sévères de la loi 160 comme la perte d'un an d'ancienneté et des pénalités pouvant aller jusqu'à 100 $ par jour pour chaque infirmière en grève. Et même la loi spéciale adoptée vendredi évite de s'en prendre directement aux infirmières en ciblant plutôt leur syndicat, qui encoure des sanctions qui pourraient s'élever au quart de son budget.

Ce qui fait néanmoins la force du gouvernement, c'est l'absence totale de perspective de la part de la bureaucratie syndicale : ne pouvant, ni ne voulant présenter une alternative à la politique gouvernementale orientée vers les marchés financiers et la grande entreprise - car ses propres privilèges dépendent en fin de compte du maintien de la société telle qu'elle existe présentement -, elle garde ses membres politiquement désarmés face à un gouvernement conscient des grands enjeux et prêt à prendre les grands moyens.

« Les infirmières forment un cas spécial », ou encore « les infirmières sont victimes d'abus parce qu'elles sont des femmes », les arguments les plus superficiels sont mis de l'avant par les dirigeantes de la FIIQ pour camoufler la signification objective profonde de la grève des infirmières. Une vérité essentielle doit être à tout prix gardée dans le noir : les enjeux de cette grève dépassent de loin les seules conditions de travail des infirmières pour embrasser des questions aussi fondamentales que l'avenir du réseau de la santé, dans une société dominée par des marchés financiers et des conglomérats globaux qui veulent tout transformer - y compris la médecine - en une source additionnelle de profits, au détriment de considérations sociales et humaines. Car reconnaître cette situation impliquerait une remise en question de la ligne politique fondamentale suivie par le gouvernement, non seulement au Québec, mais à travers le Canada et à l'échelle internationale, et soulèverait de ce fait même la question de l'alternative politique.

Le grand défi posé aux infirmières et à tous les travailleurs, c'est de repousser tous ces arguments-échappatoires mis de l'avant par la bureaucratie syndicale et de soulever ouvertement la question taboue de la vie politique contemporaine : pourquoi toutes les richesses de la société, que ce soit en biens ou en services, comme les soins de santé, servent-elles à enrichir une minorité de spéculateurs financiers, et non à satisfaire les besoins de la population?

La décision des infirmières de défier la loi pour protester contre la démolition progressive du réseau de la santé, et la vague de sympathie populaire générée par ce geste, révèlent un grand potentiel progressif. Mais il ne sera réalisé que dans la mesure où la perspective étroite du militantisme syndical cède le pas dans la conscience de larges couches de travailleurs à une large perspective politique, basée sur la compréhension des courants objectifs globaux et sur l'expérience historique. Un tel changement, bien qu'exigé de plus en plus impérativement par la lutte quotidienne elle-même, accuse un sérieux retard au niveau de la conscience subjective des travailleurs.

Le World Socialist Web Site a rencontré plusieurs infirmières sur les lignes de piguetage et recueilli quelques témoignages assez typiques des idées et sentiments des grévistes.

Lucie est une infirmière d'expérience :

« On a tous à peu près 40 ans. Ça fait longtemps qu'on nous tape sur la tête. Ça fait dix ans qu'on n'a pas eu d'augmentations. Il y a eu beaucoup d'infirmières qui sont parties. Dans le CHUM [un regroupement de trois grands hôpitaux dans le centre de la ville], ils ont engagé 600 infirmières, mais il y a eu 800 démission. Le gouvernement a fermé des hôpitaux, et il se demande pourquoi nos urgences sont toujours engorgées. Dans les hôpitaux, il n'y a pas assez d'employés. Si ça continue ainsi, la population québécoise va se révolter...

« Même s'il appliquait la loi 160, on défierait la loi : 47.000 femmes qui disent non au gouvernement. Les gens sont derrière nous. On nous amène à manger, à boire sur les lignes de piquetage. Rarement, j'ai vu une grève qui a eu autant d'appui de la population. Il y a aussi des médecins qui nous comprennent.

« Le fédéral va donner 15 millions aux équipes de hockey, ils veulent que le gouvernement provincial s'implique aussi. Pendant ce temps, le gouvernement dénonce nos demandes salariales. Mais ce n'est pas juste un caprice, c'est un besoin. »

Louise est une jeune infirmière :

« Si le gouvernement nous fait rentrer, ça va être le burn-out. Moi je viens de commencer, et avec les conditions qu'il y a, si j'avais su, je ne suis pas sûre que j'aurais choisi ce métier.

«Tu es la plus jeune, ils nous disent qu'il nous faut du temps supplémentaire, tu n'es même pas protégé, le fardeau est beaucoup plus dur.

« Le déficit zéro on s'en fout, ils sont en train de détruire notre système de santé et d'éducation. »

Carole est une infirmière avec quelques années d'expérience :

« C'est légitime de vouloir être payée. Quand on sait qu'ils ont donné à d'autres professionnels. Sauf qu'on est un groupe de femmes

« Le gouvernement, Bouchard, ils sont en train de montrer qu'ils sont plus des dictateurs. Et bien, ils ne vont pas le gagner, leur référendum. »


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