wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Un enseignant évoque les leçons à tirer de la grève de Detroit.

Ces commentaires ont été publiés sur le site du wsws.org en octobre 1999. Nous en publions aujourd'hui la traduction en français.

Un second commentaire, « Un enseignant de Toronto examine les attaques portées à l'éducation publique de par le monde » publié en novembre 1999 à la suite de la parution de celui-ci sera publié sur ce site en français vendredi.

20 Octobre 1999.

Un enseignant qui a participé avec sept mille de ses collègues aux récentes grèves aborde avec le WSWS quelques uns des enjeux de cette lutte contre le conseil régional de l'éducation.

Q. Pourquoi les enseignants se sont-ils mis en grève ?

R. Nos revendications concernaient principalement l'amélioration des conditions de travail à la fois des enseignants et des élèves. La question des salaires était secondaire. Les enseignants désiraient obtenir plus de manuels et de matériel scolaire ainsi que des effectifs moins chargés, tout particulièrement dans les classes élémentaires. Voilà ce qui a motivé notre opposition aux soi-disant réformes du Président David Adamany et du conseil régional de l'éducation.

Nous avions le sentiment que les enseignants étaient injustement montrés du doigt et tenus pour responsables de la crise de l'école. Nous étions parfaitement conscients du fait que c'étaient les enseignants ­ et non le conseil régional de l'éducation ­ qui défendaient les intérêts des élèves. La plupart des enseignants ont compris que les réformes que le comité voulait engager seraient néfastes pour les jeunes de Détroit. Je suis également persuadé qu'un large pourcentage de la population de la ville pensait de même et nous soutenait : soutien qui, sans avoir d'expression organisée, était sincère.

Dans bien des cas, les enseignants ont plus de contacts avec ces enfants que leurs parents eux mêmes. Nous sommes conscients des conditions de vie auxquelles ils doivent faire face ainsi que des problèmes sociaux qu'ils traînent avec eux à l'école. C'est pour cette raison que la plupart des enseignants refusent de faire une fixation sur les résultats aux tests généraux. Ces tests, au mieux, ne donnent qu'une vision partielle de la façon dont les élèves apprennent, et encore, dans le meilleur des cas.

Les autorités scolaires cherchent à refonder les mauvais établissements. Cela signifie que des écoles pourraient fermer si leurs élèves n'amélioraient pas leurs résultats aux tests. Je crois savoir qu'un rapport récent suggère que, même lorsqu'une ville ou un état reprend la gestion de l'éducation dans un quartier, il faut attendre 5 à 7 ans pour qu'une amélioration tangible apparaisse. Bien sûr, ils omettent quasi systématiquement de mentionner les graves problèmes sociaux que beaucoup de quartiers de centre ville doivent affronter. Par exemple, il se trouve que Southeastern High School, le lycée de Détroit qui obtient les plus mauvais résultats aux tests est aussi situé dans le quartier le plus pauvre de la ville.

Les résultats aux tests servant de critère de base, des écoles seront fermées malgré une foule d'autres actions et projets bénéfiques au développement des élèves. Lors du Labour Day Parade, tandis que les enseignants en grève se rassemblaient, je n'ai pu m'empêcher de remarquer la fanfare de la Spain Middle School, qui s'est vu décerner de nombreux prix. Je me rappelle avoir dit à mes collègues, non sans ironie, que leur musique était merveilleuse, mais qu'il était dommage que leurs résultats aux tests soient si mauvais. C'est de cette façon que les enfants sont vus par le maire Dennis Archer et le gouverneur John Engler, ceux là même qui ont désigné Adamany.

Les enseignants les plus conscients soupçonnaient Archer et Engler d'avoir comme dessein politique de démanteler encore un peu plus l'enseignement public. La mise en place d'un système de rémunération au mérite aurait constitué un grand pas dans cette direction. Un salaire au mérite ne ferait que monter les enseignants les uns contre les autres, les établissements les uns contre les autres, sans tenir compte des circonstances auxquelles les enseignants sont confrontés, telles que les problèmes socio-économiques qui affectent les jeunes, sans parler des effectifs pléthoriques des classe ou du manque de matériel et d'équipement.

Les enseignants ont eu raison de s'opposer à cette mesure. Celle-ci ne figurait pas dans leur contrat de travail initial, mais Adamany s'était engagé à la leur imposer avec ou sans l'accord des syndicats. Les autres mesures étaient de nature répressives. Adamany obtint le droit de supprimer l'augmentation de salaire annuel à l'ancienneté des enseignants en cas de manquement au nouveau règlement sur l'absentéisme. C'est insensé ! L'absentéisme n'est pas un problème chronique. Le vrai problème c'est que les professeurs les plus âgés ont accumulé des arriérés de congés maladie non pris et que l'administration ne veut pas qu'ils puissent les prendre et se refuse à les leur payer.

Q. Quelles sont les conditions de travail des enseignants ?

R. Durant tout l'été, l'administration Archer et la presse ont fait un grand tapage médiatique sur la rénovation des locaux. Dans le lycée où je travaille, les murs ont été repeints et les sols cirés, mais les fenêtres cassées et le carrelage de sol n'ont pas été réparés. Dans ma salle de classe, une fenêtre qui ne tenait plus a simplement été fixée par des vis, si bien qu'on ne peut plus l'ouvrir lorsqu'il fait chaud. Au fond de ma salle il y a un trou dans le sol car il manque un morceau de carrelage et de ciment. On s'efforce de faire croire que les enseignants sont complètement ingrats alors qu'en réalité les efforts consentis n'ont même pas effleuré la surface de ce qui devrait être fait pour améliorer l'aspect extérieur des écoles.

Q. Comment les enseignants ont-ils décidé de se mettre en grève ?

R. La fédération des enseignants de Détroit ne nous a pas contactés de l'été au sujet des négociations portant sur notre nouveau contrat de travail. Puis, une semaine avant la rentrée des classes, elle nous a envoyé une lettre mentionnant l'éventualité d'une grève. Ils ont appelé à une assemblée générale mais l'ont présentée comme une assemblée d'information et non pas comme une réunion pour décider s'il fallait ou non voter la grève.

Trois mille enseignants y étaient présents, soit moins de 50% des syndiqués. Mais ces enseignants se sont opposés à une écrasante majorité aux mesures que la fédération des enseignants de Détroit avait acceptées, sans parler des questions qu'il restait encore à régler. Il semblait clair que le conseil régional de l'éducation était déterminé à imposer le salaire au mérite, l'allongement de la journée de travail et d'autre mesures régressives.

L'attitude condescendante de Elliott provoqua la colère des enseignants. Il fit aussi intervenir un avocat pour intimider les enseignants en déclarant que si nous nous mettions en grève, Engler et le corps législatif riposteraient par des actions punitives. La fédération des enseignants de Détroit a alors déclaré grosso-modo : on ne peut pas faire grève contre les ennemis des travailleurs. Mais, lorsque les démocrates sont au pouvoir, ils disent qu'on ne peut pas faire grève non plus parce qu'il ne faut heurter nos prétendus amis !

Cependant, ce qui a le plus déclenché la colère c'est qu'après toutes ces discussions sur la réforme et l'amélioration de l'École, le conseil régional de l'éducation n'a consenti qu'à « étudier » l'éventualité de réduire les effectifs des classes. A la veille de la rentrée, les enseignants ont pris cela comme une véritable insulte!

Toutes sortes d'études ont montré que des effectifs moins lourds ont une incidence positive sur l'apprentissage. Bien sûr, chaque classe a sa propre dynamique, mais les classes surchargées rendent bien plus difficiles les conditions d'apprentissage des élèves et de travail des enseignants. Dans mon lycée on a tous plus de 30 élèves par classe et 4 enseignants sur 5 ont plus de 35 élèves. Il n'y a pas assez de tables pour recevoir autant d'élèves.

Le besoin de réduire les effectifs des classes est encore plus pressant en école primaire, où les apprenants s'initient aux compétences de base, telles que la lecture et le calcul, qui les préparent pour les années suivantes. S'ils sont dans des classes surchargées leur capacité à apprendre sera compromise à jamais.

Le fait que les autorités scolaires n'ont pas voulu réduire les effectifs a clairement démontré aux enseignants que la « réforme » scolaire n'avait rien à voir avec l'amélioration des conditions pour les enseignants et les élèves, mais cachaient d'autres motivations.

Ce que veulent Adamani et les autres c'est imposer aux écoles le modèle d'entreprise privée basé sur le marché. Mais les gens choisissent d'être enseignants parce que c'est un métier profondément satisfaisant qui sert un objectif socialement utile, essentiel et nécessaire. Les autorités disent que les établissements scolaires devraient être administrés comme la General Motors et que nous devrions oublier que nous avons affaire aux complexités du développement humain et traiter les enfants comme des voitures sur une chaîne de montage. Malheureusement, une voiture présentant un vice de fabrication peut être retournée au fabricant. A qui renvoie-t-on un élève dont l'éducation a échoué?

L'école publique a toujours eu un élément démocratique. Les propositions du conseil régional de l'éducation furent profondément hostiles à cette conception. Ceci est quelque chose que les enseignants ont ressenti dans leur for intérieur sans pouvoir l'exprimer.

Q. La compréhension politique de la plupart des enseignants révélèrent quelles limites ?

R. Beaucoup de professeurs ne comprennent pas à quel point les politiciens Démocrates et Républicains détestent l'éducation publique. Par exemple, Clinton fait une proposition de dizaines de millions de dollars pour les écoles charter. C'est un fait que le caractère démocratique et universel de l'éducation publique est incompatible avec une société organisée en tous ses aspects pour l'accumulation toujours grandissante de richesses pour un petit pourcentage de la population. Il y a une polarisation en Amérique entre une élite fabuleusement riche et le reste de la population. L'école publique est la dernière grande réforme sociale qui n'a pas été abolie. Mais ceux qui contrôlent les richesses et le pouvoir politique veulent rétablir une éducation basée sur les classes sociales et les privilèges.

C'était une Amérique bien différente quand l'école publique se mettait en place. Quoiqu'il existaient des différences marquées entre les classes sociales, il y avait une conception que tout le monde avait le droit à une éducation sans distinction de classe, d'ethnie ou de race. L'école publique donnait un certain espoir d'amélioration des conditions oppressives qui touchaient tant de gens. Ceci n'est plus l'attitude qui domine chez les défenseurs du capitalisme.

Des millions de dollars ont été enlevés à l'éducation publique et les systèmes scolaires ont été dépouillés. Maintenant nos gouvernants veulent encore « dégraisser » l'éducation à Detroit derrière le masque de la « réforme scolaire ».

Les journaux quotidiens de Detroit ont mené des attaques virulentes contre les enseignants. La Free Press de Detroit, le plus à gauche des deux journaux, a été systématiquement négatif à l'égard des enseignants, maintenant que nous sacrifions les besoins des élèves pour servir nos propres intérêts. Cependant, malgré le battage médiatique, les enseignants eurent le soutien des parents, des autres employés et travailleurs de l'éducation, ainsi que des élèves. Mais ce soutien n'a pas eu d'expression organisée.

Pendant la grève, Sandra Feldman, présidente de l'American Federation of Teachers, ( fédération américaine des enseignants) vint à Détroit dans le but express de rétablir Elliott aux commandes de la grève. Jusque là, il aurait été impossible à Elliott de s'adresser à la base sans rencontrer d'opposition verbale. Mais l'AFT et les divers groupes d'opposition lui accordèrent leur soutien lui permirent de négocier une trahison.

Pendant la grève, j'ai soulevé le fait que Clinton et les Démocrates soutenaient les « charter schools » et l'attaque contre l'école. Beaucoup d'enseignants pensaient que leurs principaux ennemis étaient le Gouverneur John Engler et la majorité républicaine. Ils fondaient beaucoup d'espoir sur le rôle des Démocrates comme le maire Archer. Alors que beaucoup d'enseignants s'opposaient aux agissements d'Elliott, ils ne surent pas rompre avec Eliott, le Démocrate. Même les enseignants militants ne saisirent l'idée que les travailleurs devaient s'engager dans une voie politique indépendante.

Seule une petite minorité d'enseignants comprit l'interdépendance qui existe entre la défense et le développement de l'Enseignement Public d'une part, et la lutte pour le socialisme et l'abolition du marché capitaliste d'autre part.

Q. Quel fut le rôle des factions dissidentes du DFT ?

R. Au tout début de la grève, le Membership Action Caucus (MAC) bénéficiait d'une certaine confiance de la part des enseignants de la base. Il était perçu comme s'opposant aux dirigeants du syndicat et, dans une certaine mesure, il soulevait les questions qui inquiétaient les enseignants au sujet du conseil régional de l'éducation. Mais peu de temps après le début de la grève, le soutien des enseignants pour le MAC s'effaça assez vite car ce dernier n'avait d'autre perspective que l'appel à la grève. . Il était incapable de faire une estimation des forces politiques déployées contre les enseignants ou d'expliquer honnêtement quel type de lutte politique était nécessaire afin de mobiliser la classe ouvrière derrière les enseignants.

Après le vote pour la grève, 150 personnes, principalement des enseignants grévistes, assistèrent à une réunion du MAC. Il s'agissait d'enseignants qui n'étaient impliqués dans aucune des factions du syndicat et qui recherchaient une direction. Mais la plupart d'entre eux quittèrent la réunion avec un fort sentiment de déception. Le groupe du MAC manquait de préparation et de sérieux. Il affirma que l'état n'interviendrait pas pour casser la grève . Il ne souleva pas les questions politiques sous-tendant cette grève: le fait que les enseignants menaient une bataille à la fois contre les Démocrates et contre les Républicains, lesquels soutenaient Adamany et le conseil régional de l'éducation. Il ne mit pas non plus les enseignants en garde contre le fait que le DFT conspirait avec ces mêmes ennemis pour mettre fin à la grève et préparer le terrain pour la réforme de l'enseignement (c'est-à-dire la fermeture des écoles « défaillantes » et le renvoi des enseignants « non-performants »). Il faut savoir qu'en fait, l'organisation mère du DFT, l'American Federation of Teachers, soutient la « contre réforme » des établissements.

Je pris la parole à plusieurs reprises lors des réunions du MAC, expliquant que ce n'était pas simplement une lutte contre le Conseil régional de l'éducation mais bien contre l'État tout entier. J'ai prévenu d'une possible attaque contre les enseignants soit au moyen d'amendes, soit par une injonction au travail. J'ai dit que si la grève continuait, il faudrait lancer une énorme campagne afin de gagner le soutien actif de la classe ouvrière de Détroit. Cette campagne aurait à montrer du doigt l'ensemble des forces attaquant le droit démocratique à l'Enseignement Public et devrait également chercher à mobiliser les travailleurs indépendamment de et contre les partis politiques et les intérêts financiers qui les soutiennent. Cette campagne devrait s'attaquer aussi aux serviteurs de ces derniers que l'on trouve au sein de la bureaucratie syndicale.

Selon Steve Conn, chef de file du MAC, tout ce qu'il fallait, c'était juste aller « un peu plus loin » dans la grève. A la fin, les enseignants reconnurent que le MAC avait capitulé. Elliott tirait son soutien parmi des enseignants plutôt conservateurs. Il avait ses gens à lui dans l'auditoire afin d'intimider ses opposants.

Une couche d'enseignants, peu nombreuse mais significative, s'intéressa sérieusement aux questions soulevées par le World Socialist Web Site pendant la grève. Ils liront et débattirent des constations faites par le WSWS qui soulignaient qu'au cur de la grève se situait la défense de l'Enseignement Public et qu'il s'agissait d'une lutte politique. Le WSWS disait que les enseignants avaient besoin d'une nouvelle stratégie politique pour combattre l'ensemble des forces liguées contre l'éducation et que les syndicats, même s'ils étaient dirigés par des gens honnêtes, n'étaient pas à la hauteur de cette bataille.

Le MAC n'était pas désireux de soulever ces questions. Au lieu de cela, il s'associa aux nationalistes noirs. Ces derniers s'opposaient au dessaisissement des établissements défaillants par le conseil régional de l'éducation au profit de l'état non pas parce qu'ils se préoccupaient des besoins des élèves, mais parce qu'ils tiraient profit de leur relations corrompues avec l'ancien Conseil régional de l'éducation. Il est vrai que le conseil régional de l'éducation fut imposé de façon profondément antidémocratique et fut soigneusement choisi par le maire Archer et les intérêts financiers qu'il représente. Mais pendant ce temps, le MAC s'alliait à une autre faction du Parti Démocratique avec des personnes comme Don Barden, millionnaire de la télévision câblée et les gens du Black Slate (la « Liste noire »), gens tout aussi réactionnaires sinon plus. Pour ces gens, tout se résume toujours à une question de race.

A la première réunion du MAC, des enseignants demandèrent pourquoi un membre du MAC, comme Steve Conn par exemple, ne pourrait pas assumer la direction d'un nouveau comité de négociation représentant la base. Conn se contenta de garder le silence. Le MAC ne voulait pas prendre la direction de la grève et finalement, il a fortement contribué à refaire une virginité à Elliott qui s'était discrédité aux yeux des enseignants.

Dans aucune de ses analyses de la grève des enseignants, le MAC n'a remis en question le système capitaliste. Au lieu de cela, il a affirmé que si les enseignants obtenaient quelques modifications de leur contrat, cela suffirait. Mais l'introduction d'une politique d'économie de marché et le démantèlement de l'Enseignement Public par l'ensemble de la classe politique ne peuvent être combattus simplement dans le cadre d'une lutte syndicale. Ce sont des questions sociales fondamentales qui ne peuvent être résolues qu'à travers une lutte politique menée par la classe ouvrière.

Q. Comment a-t-on mis fin à la grève ?

R. La faible participation au second rassemblement, ainsi que le sentiment grandissant que la grève devait s'arrêter ont déçu bon nombre de grévistes les plus militants. C'était palpable. J'ai ressenti ce changement par rapport au premier rassemblement. Elliott et ses supporters avaient mobilisé beaucoup d'enseignants conservateurs dont bon nombre s'étaient dès le début opposés à la grève et qu'on n'auraient jamais vus sur les piquets de grève. Dans le but de mettre fin à la grève, les enseignants ayant le plus d'ancienneté se sont vus attribués une augmentation de salaire assez substantielle. Et puis, s'ajoutait à cela un profond désir de retourner auprès des élèves, un sentiment somme toute inhérent à la profession, comme il peut l'être pour d'autres professions, comme infirmier ou médecin.

Cependant, le véritable problème résidait dans le fait qu'une vaste majorité des enseignants, y compris ceux qui soutenaient la grève, savaient qu'ils n'avaient pas de direction capable de poursuivre la lutte et de s'opposer aux menaces d'Engler visant à casser la grève. Si nous n'avions pas fait grève, le conseil régional de l'éducation nous aurait complètement piétinés. Toutefois, il a quand même atteint ses principaux objectifs. Adamany peut imposer le salaire au mérite ; nous avons perdu nos heures libres et il va maintenant être plus facile au conseil régional de l'éducation de renvoyer les enseignants et de fermer les soi-disant établissements défaillants. Ce que ce rassemblement a démontré, ce sont les réelles limites de la grève en tant que moyen d'action.

Q. Quelles sont aujourd'hui les conditions d'enseignement ?

R. Dans les conditions actuelles, il est quasiment impossible d'adapter sa salle de classe à ses besoins pédagogiques. On n'a ni le temps ni les moyens de le faire. Il y a encore moins de fourniture que l'année dernière. Il n'y a ni papier, ni crayon. Les élèves sont censés ramener ces fournitures mais beaucoup d'entre eux n'en ont pas les moyens. Les conditions dans lesquelles ils vivent sont telles qu'elles perturbent leur capacité à apprendre ou même leur désir d'apprendre. Certains ne dorment même pas tous les soirs au même endroit.

Beaucoup d'enfants, sans que ce soit leur faute, ne savent pas vraiment pourquoi ils vont à l'école. Pour beaucoup d'entre eux cependant, l'école est le seul lien d'échange social qu'ils possèdent. Et beaucoup ne viennent que pour cette raison là. En tant qu'enseignant, je dépense des centaines de dollars sur mon argent personnel pour acheter des fournitures. L'année dernière, j'ai dépensé 200 dollars pour des crayons, du papier etc.

L'un des éléments essentiels de l'enseignement est la préparation des cours. Les enseignants peuvent préparer des polycopiés tous les jours pour aborder un point précis du programme, mais se reposer uniquement ou même principalement sur des polycopiés n'est pas digne d'un enseignement de qualité. Enseigner requiert de la créativité et nécessite une attention particulière à la façon dont les élèves expriment leur intelligence. Il y a beaucoup de formes d'intelligence et pas seulement celles auxquelles on s'adresse traditionnellement en classe - à savoir les expressions verbales, logiques ou mathématiques de l'intelligence.

J'enseigne les sciences. Nous vivons dans un climat d'opposition à la science qui s'illustre par les attaques de la Droite Religieuse sur les théories de l'évolution. De plus, il y a un déclin général du niveau de culture scientifique. J'essaie, avec plus ou moins de succès, de faire en sorte que les sciences soient aussi variées et intéressantes que possible.

Les conditions difficiles dans lesquelles vivent beaucoup de jeunes contribuent à supprimer leur curiosité. Notre rôle est d'essayer de raviver cette curiosité. J'enseigne la biologie et j'estime donc qu'il devrait y avoir de la vie dans la classe. L'année dernière, le professeur avait un lézard mais elle est partie avec. Alors quand vous touchez votre salaire, vous achetez des fournitures. Nous avons des microscopes, mais ils sont dans des états de délabrement divers.

Ils prétendent que les enseignants n'essaient pas de faire du mieux qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. Mais il existe un certain nombre de pré-requis pour que les élèves puissent apprendre et s'intéresser aux sciences ou à n'importe quelle autre matière. Notre école n'est pas la pire. Nous avons un laboratoire de sciences, beaucoup d'écoles n'en ont pas. J'essaie de ramener des exemples d'organismes microscopiques ( comme des hydres ou des protozoaires) pour que les gamins puissent les observer au microscopes. C'est extrêmement gratifiant de les voir s'éveiller face à la découverte de la vie. En tant qu'enseignant, il faut parfois construire de toutes pièces l'enthousiasme. Après tout, si vous ne faîtes pas preuve d'enthousiasme pour votre matière, comment pouvez-vous insuffler aux enfants le niveau d'intérêt nécessaire ? Mais il est souvent difficile de maintenir l'enthousiasme quand vous manquez du matériel de base, tout comme il est impossible d'apporter aux élèves, dans des classes surchargées, le suivi individualisé dont ils ont besoin, et qu'ils méritent.

 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés