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Les changements globaux dans l'industrie automobile à la base du conflit chez GM

Le 16 juin 1998
Par le bureau de rédaction

Les effets de la grève aux deux usines stratégiques de pièces de Flint au Michigan, affectent de plus en plus les opérations nord-américaines de General Motors, alors qu'il n'y a aucun progrès d'annoncé dans les négociations entre le constructeur automobile et les deux syndicats locaux affiliés aux Travailleurs unis de l'automobile.

Quelque 5, 800 travailleurs du complexe de GM à Delphi Est sont entrés en grève le 11 juin, joignant les 3, 400 travailleurs du Metal Centre à Flint, entrés en grève le 5 juin. Les travailleurs de Delphi, membres du local 651, produisent des pièces électroniques essentielles, telles les odomètres et autres pièces du moteur. Dès lundi, les effets combinés des deux grèves ont forcé la fermeture de 13 usines d'assemblage et une douzaine d'usines de fabrication de pièces forçant l'arrêt de travail de près de 50 000 travailleurs aux États-Unis, au Mexique et au Canada.

A la fin de la semaine dernière 45 % de la capacité productive de GM était stoppée et il est prévu que quatre nouvelles usines d'assemblage - à Détroit ; Doraville, Georgia ; Shreveport, Louisiana ; et Ste-Thérese, Québec - doivent cesser toute production le 16 juin. Si la grève se poursuit pour le reste de la semaine, presque toutes les opérations nord-américaines vont être arrêtées.

La principale question en litige est la défense des emplois. Les travailleurs aux deux usines luttent contre les coupures dans les coûts de production, la destruction des emplois et la détérioration des conditions de travail qui accompagnent la restructuration : l'augmentation du rythme de travail, le temps supplémentaire forcé, l'augmentation des accidents et des décès au travail et les effets psychologiques, émotifs et physiques, de la constante insécurité économique imposée par la compagnie.

Au cours des 20 dernières années GM a coupé 297 000 emplois, ou 57 % de sa force de travail aux États-Unis. Les analystes spécialisés dans le domaine de l'automobile pensent que la compagnie prévoit éliminer un autre 30 000 à 50 000 emplois au cours des prochaines années.

Flint, le site de la grève de 1937 qui a donné naissance au syndicat des Travailleurs unis de l'automobile et lancé un mouvement national pour l'organisation des travailleurs industriels, a été frappé par des coupures massives d'emplois durant la récente période. GM a réduit l'emploi dans la ville de 80 000 à 27 000. Un autre 11 000 travailleurs de GM dans la ville sont menacés de perdre leur emploi, incluant les 2 700 au complexe de la Buick City, dont la fermeture est prévue pour l'année prochaine, et les 2 500 à Delphi Est.

La direction des TUA n'a présenté aucune résistance sérieuse à la vague de fermetures et de mises-à-pied. Elle a plutôt tenté d'établir une collaboration encore plus étroite avec GM. Le résultat? Une génération de travailleurs de GM qui ont débuté dans les années soixante ont vu leurs conditions de travail se détériorer graduellement au point où, à l'âge de 50 ou 60 ans, ils doivent travailler plus fort et plus d'heures pour gagner leur salaire. Pour la plupart, leurs enfants et petits-enfants sont forcés de travailler dans des usines de « cheap labor » dans des conditions inimaginables à Flint il y a 20 ans. La ville dans son ensemble a été frappée par la croissance graduelle de la pauvreté.

La grande entreprise et les médias se sont rangés solidement derrière GM et ont supporté sa position intransigeante dans les présentes négociations. La une du Wall Street Journal datée du 12 juin est typique : « Pour GM, la ligne dure dans la grève est devenue une question de nécessité. »

La position prise par GM n'est pas une aberration. Sa politique est essentiellement la même que celle adoptée par les constructeurs automobiles, non seulement aux États-Unis, mais partout à travers le monde.

Dans les derniers mois, Renault a annoncé la fermeture d'usines en Belgique et en Espagne. Les compagnies allemandes, telles que volkswagen et Daimler-Benz, ont transféré leur production vers l'Europe de l'Est et ailleurs là où la main-d'oeuvre coûte moins cher. C'est un secret de polichinelle qu'une fois la monnaie unique européenne en vigueur, la restructuration et la consolidation de l'industrie automobile européenne va reprendre de plus belle. IG Metal, le syndicat allemand, prévoit que l'industrie automobile du pays va éliminer 200 000 emplois d'ici l'an 2010.

Les constructeurs japonais comme Nissan ont déjà procédé à des mises-à-pied massives et à des fermetures d'usines, et des compagnies entières d'automobiles sont liquidées dans les pays asiatiques les plus durement touchés par la crise du système monétaire et bancaire. Le même processus de base est en marche en Australie, en Grande Bretagne et dans les autres centres traditionnels de la production automobile. Si GM est actuellement sur la première ligne dans l'assaut contre les emplois aux États-Unis, c'est parce que Ford et Chrysler ont surpassé le constructeur numéro un de l'automobile dans la destruction des emplois au cours des années 80.

La politique de GM consistant à éliminer les emplois et à transférer la production là où la main-d'oeuvre est moins chère, fait partie d'une vaste restructuration à l'échelle internationale de l'industrie automobile. Cette restructuration a deux causes intimement reliées. Premièrement il y a un niveau d'intégration internationale qualitativement supérieur. Deuxièmement c'est une consolidation en profondeur des moyens de production, de distribution et de mise en marché.

L'expression la plus aiguë de ce processus est jusqu'à maintenant l'annonce de fusion entre Daimler-Benz et Chrysler. Cette fusion va faire de ces compagnies un exemple pour le 21ème siècle de transnationales géantes, chevauchant les continents, passant outre les frontières nationales, mettant de côté la barrière des langues et de l'histoire pour produire sur une base globale pour un marché mondial. Elles vont utiliser les développements révolutionnaires en matière de technologie informatique et de télécommunications pour déplacer leurs usines dans les régions qui offrent la main-d'oeuvre la moins coûteuse.

Mais le nouveau Daimler-Chrysler n'est qu'un début. Il y a des négociations en cours avec la nouvelle compagnie fusionnée, impliquant un producteur asiatique. Et volkswagen a récemment annoncé son intention d'acquérir Renault.

La tendance irrépressible vers la globalisation de la production - qui n'est en aucun cas limitée uniquement à l'industrie automobile - signifie inévitablement un remue-ménage impliquant la disparition de compagnies automobiles établies depuis longtemps et la prise de contrôle du marché mondial de l'automobile par une poignée de compagnies transnationales.

Surproduction

Le principal stimulus de ce processus combiné de globalisation et de consolidation est l'énorme crise de surproduction qui frappe l'industrie automobile. Il y a, selon les estimations, 80 usines d'assemblages en trop pour satisfaire les besoins du marché mondial. En d'autres termes, même si toute l'industrie automobile des États-Unis était rayée de l'échiquier, il existerait toujours un surplus au niveau du marché mondial.

Cette crise est elle-même l'expression de l'anarchie intrinsèque du système capitaliste. Les vastes gains dans la productivité du travail humain - le fait que les travailleurs produisent plus, plus rapidement et mieux que jamais - deviennent, dans le cadre du système basé sur la production pour le profit individuel, un cauchemar au lieu d'un soulagement. Les compagnies d'automobile sont amenées à produire beaucoup plus que ce qu'ils peuvent possiblement vendre à profit. La solution dictée par la logique du système est l'élimination d'usines, de machines et de centaines de milliers d'emplois avec toutes la misère humaine incalculable que cela entraîne.

Le syndicat des TUA a démontré qu'il n'a ni la volonté, ni la capacité, de résister aux attaques des compagnies automobiles. Les causes de ce fait vont au delà de la lâcheté et de la corruption personnelles indéniables des bureaucrates à la tête des syndicats. Elle est enracinée dans la conception politique de l'appareil syndical et dans les intérêts sociaux de la bureaucratie ouvrière.

En premier lieu, le syndicat des TUA défend le système de profit. Il part donc des mêmes prémisses que GM et le reste de l'industrie automobile. En ce qui concerne le syndicat des TUA, puisque les travailleurs doivent subordonner leurs intérêts aux exigences du marché capitaliste, la « défense des emplois » ne peut pas signifier une véritable lutte pour la défense des emplois de tous les travailleurs de l'auto. C'est plutôt un euphémisme utilisé pour convaincre la compagnie que ce sont les emplois des autres travailleurs - ceux qui ne paient pas de cotisations syndicales - qui devraient être coupés. Cette position va de pair avec le fait que le syndicat des TUA tente de convaincre la compagnie qu'elle peut extraire plus de profits en utilisant les services des TUA pour discipliner les travailleurs et seconder la direction dans l'introduction de nouvelles coupures aux usines existantes au lieu de déménager la production vers d'autres cieux.

L'orientation nationaliste de la bureaucratie est inséparablement liée à sa défense du capitalisme. Dans le conflit actuel, la direction des TUA tente d'attiser le chauvinisme en dénonçant GM pour sa politique qualifiée du titre: « l'Amérique en dernier ».

Une telle politique est réactionnaire et futile. L'industrie et la vie économique ont un caractère international qui ne peut qu'augmenter. C'est l'expression du développement irrésistible des forces productives, de la suprématie de la technologie humaine sur la nature. Le fait de s'opposer à la globalisation et de demander, à sa place, un retour aux limites étroites du marché national constitue une position rétrograde. Le problème des travailleurs ne réside pas dans le fait que l'économie mondiale domine l'économie nationale, mais dans le fait que la vie économique demeure basée sur le système inhéremment anarchique du capitalisme.

La fusion Daimler-Chrysler démontre clairement que les capitalistes ont tiré certaines conclusions des faits économiques et ont compris qu'il était nécessaire de mettre de coté les préjugés nationalistes pour être en mesure de satisfaire le marché global. Le fait que ces compagnies construisaient, il n'y a pas si longtemps, des chars d'assaut et des bombardiers servant à s'entre-déchirer, ne les a pas empêchés de s'unir pour mieux combattre leurs rivaux corporatifs et mieux exploiter leurs propres travailleurs.

La grande entreprise procède aujourd'hui sur la base d'une stratégie mondiale et en tenant compte des besoins d'une organisation globale. Si les travailleurs veulent défendre leurs intérêts, ils doivent faire de même. Les travailleurs de GM à Flint ne pourront défendre leurs emplois s'ils sont isolés et mobilisés contre les travailleurs d'Opel en Allemagne ou des travailleurs de Holden en Australie, pour ne pas mentionner les travailleurs de GM au Canada, au Mexique et en Amérique Latine. Le fait d'organiser la lutte sur la base de la perspective nationaliste des dirigeants syndicaux, n'a pas plus de sens aujourdihui que cela pouvait avoir de sens pour les travailleurs de Flint durant les années 30 d'organiser la lutte pour la construction des TUA dans une seule ville.

En pratique, la perspective nationaliste des TUA épouse parfaitement la stratégie de la compagnie, « diviser pour régner », et ce, non seulement entre les travailleurs américains et ceux des autres pays, mais entre les travailleurs américains eux-mêmes. Il y a quelques années seulement, les TUA sont entrés dans une guerre interne entre l'usine diassemblage de Willow Run, localisée au Michigan et celle d'Arlingnton au Texas, dans laquelle chacune des cliques bureaucratiques tentaient de convaincre la compagnie de fermer l'autre usine. Plus récemment, des bureaucrates du Buick Local à Flint ont placé des annonces dans le Wall Streest Journal et d'autres journaux du monde des affaires pour demander la fermeture d'autres usines, dont certaines étaient syndiquées par les TUA, au lieu de la leur.

Les grèves et autres formes d'action syndicale sont des armes nécessaires dans l'arsenal de la lutte de classe. Mais en elles-mêmes, elle sont insuffisantes pour stopper l'assaut mené contre les emplois et le niveau de vie. Elles doivent être combinées à une lutte politique menée par la classe ouvrière, non seulement contre tel ou tel employeur mais contre le système de profit dans son ensemble. Les travailleurs à travers le monde doivent opposer leur propre perspective, à savoir le développement des forces productives d'une manière rationnelle et socialement progressive, à la politique socialement destructive et égoïste de l'élite financière.

Ceci présuppose la construction d'un mouvement politique indépendant de masse de la classe ouvrière, dont le but est de prendre le pouvoir. Ce n'est que lorsque les masses laborieuses auront le pouvoir politique entre les mains, sous la forme d'un gouvernement ouvrier démocratique, que pourront être mises en oeuvre, d'un point de vue socialiste, les changements économiques nécessaires pour subordonner harmonieusement la vie et l'organisation économiques aux besoins des gens.

La lutte actuelle chez GM démontre cette nécessité de bâtir une nouvelle organisation politique de la classe ouvrière. Le Parti de l'égalité socialiste met de l'avant un programme socialiste et internationaliste en tant que base pour la construction d'un parti politique de masse des travailleurs.

Voir aussi:

Un dirigeant des Travailleurs canadiens de l'automobile dénonce la grève de GM. 23 juillet 1998

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