L'enlèvement
de Abdoullah Ocalan : qu'est devenu le droit d'asile politique ?
Par le comité de rédaction Le 18 février
1999
L'enlèvement d'Abdoullah Ocalan, chef du Parti des travailleurs
du Kurdistan (PKK) est une attaque contre les masses kurdes qui doit être
vigoureusement dénoncée et condamnée par tous les travailleurs
et tous ceux qui se préoccupent de la défense des droits démocratiques.
La chasse à Ocalan orchestrée par presque tous les gouvernement
d'Europe, et supervisée par les États-Unis et son régime
pantin réactionnaire d'Ankara, est non seulement un acte hypocrite
mais méprisable. Quiconque lit les circonstances qui entourent le
rapt d'Ocalan au Kenya ne peut que rager devant tant de cynisme et de perfidie
de la part des gouvernements qui ont servis de complices aux bourreaux turcs
des Kurdes.
Ocalan n'est pas un terroriste mais bien le dirigeant d'un mouvement
de masse luttant contre l'un des régimes les plus répressifs
de la planète. Depuis longtemps, la Turquie est synonyme de suppression
des droits démocratiques. Depuis des décennies, ce pays mène
en effet un assaut meurtrier contre le peuple kurde vivant sur son territoire.
En outre, à maintes reprises, la Turquie a étendu sa guerre
aux populations kurdes du nord de l'Irak. Ocalan est le leader d'un mouvement
nationaliste bourgeois engagé dans une guerre civile.
Prétendre que le régime turc est démocratique et
victime d'un terrorisme démoniaque est grotesque. Même la presse
politiquement contrôlée de l'Occident a publié maints
rapports faisant état des nombreuses ouvertures d 'Ocalan pour entamer
des négociations avec le gouvernement turc. Toutes ces tentatives
ont été repoussées. Le régime actuel de Bulent
Ecevit est le produit d'une répression politique systématique.
Pas plus tard que l'an dernier, Ankara interdisait le plus grand parti du
pays, le Parti de la prospérité islamiste, et il y à
peine trois semaines, en prévision des élections d'avril,
le procureur en chef exigeait l'interdiction du Parti de la démocratie
populaire pro-kurde. Par ailleurs, le simple fait de prendre position pour
la tenue de négociations avec le PKK est considéré
comme un acte criminel.
Le Comité International de la Quatrième Internationale,
le mouvement trotskyste mondial, a un long historique public d'opposition
aux politiques du PKK. Même si notre mouvement rejette la perspective
nationaliste de ce parti et les tactiques erronées qui en découlent,
nous n'apportons pas le moindre soutien aux oppresseurs du peuple kurde,
et notre position ne diminue en rien notre défense des droits démocratiques
de leur organisation de masse et de leurs dirigeants politiques.
Répudiation du droit d'asile
La persécution et l'enlèvement dont est victime Ocalan
démontrent la répudiation du droit démocratique d'asile
politique par des gouvernements dans le monde entier, et en premier lieu
par les États-Unis. Régime après régime, depuis
le supposé gouvernement nationaliste « radical » de Hafez
El Assad en Syrie aux gouvernements « démocratiques »
d'Europe, les frontières se sont fermées devant un dirigeant
politique voué à la torture et à la mort entre les
mains du régime militariste turc.
Ce qui était autrefois un droit scrupuleusement respecté
et vénéré, le droit d'asile, n'existe plus en fait.
Derrière la bannière hypocrite de l'anti-terrorisme, toutes
les formes d'opposition à l'oppression politique et économique
sont criminalisées.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les masses étaient engagées
dans des luttes politiques contre des régimes oppressifs. Une distinction
essentielle et vitale était alors faite entre ces luttes politiques
et les activités criminelles. Il était ainsi accepté
par tous que les dirigeants de ces mouvements de masse avaient le droit
de chercher refuge de leurs oppresseurs à l'étranger.
Pendant la Révolution américaine, Franklin et Jefferson
purent ainsi vivre en France sans être inquiétés d'être
extradés vers le Royaume-Uni. Au XIXe siècle, des leaders
révolutionnaires tels Garibaldi et Marx purent voyager en Europe
et y vivre en tant qu'exilés politiques. Mais au XXe siècle,
ce droit essentiel s'est vu de plus en plus sapé.
L'éruption d'outrage et de désespoir des Kurdes en Europe
démontre qu'Ocalan est bien le leader d'un mouvement de masse, ce
qui dément le raisonnement intéressé et simpliste des
États-Unis rendu public lors de sa capture : « Nous nous réjouissons
de l'appréhension de ce chef terroriste » a déclaré
le Secrétaire de presse de la Maison blanche, Joe Lockhart.
Le rôle des États-Unis
Le rôle des États-Unis dans le kidnapping d'Ocalan doit
être enquêté et dénoncé. Des communiqués
de presse ont déjà cité plusieurs hauts fonctionnaires
turcs affirmant que des agents du FBI à Nairobi depuis août
dernier pour enquêter sur l'attentat à la bombe contre l'ambassade
des États-Unis ont renseigné le gouvernement turc de la présence
d'Ocalan dans la région.
Quoi qu'il en soit, deux points peuvent déjà être
soulevés à propos du rôle joué par le gouvernement
américain dans cette affaire. D'abord, son appui au rapt d'Ocalan
s'inscrit dans son modus operandi bien connu qui est d'appliquer l'étiquette
de « terroriste » à tout individu, mouvement politique
et même pays au complet qui, pour une raison ou une autre, devient
un obstacle aux dessins géopolitiques et économiques de la
bourgeoisie américaine. Le but recherché est de discréditer
aux yeux de l'opinion publique toute entrave à l'appétit global
de l'impérialisme américain et ainsi de créer les conditions
pour l'annihilation de ces dernières. Il est d'ailleurs fréquent
que les « terroristes » d'aujourd'hui (c'est le cas de Saddam
Hussein) étaient considérés hier encore comme les alliés
et les amis du monde libre.
Le fait même qu'un leader comme Ocalan, qui ne serait supposément
rien de plus qu'un vulgaire assassin lanceur de bombe, puisse obtenir tant
d'appui parmi de vastes couches oppressées n'est jamais étudié,
ni même mentionné. Pas un mot n'est soufflé sur les
terribles conditions dans lesquelles les Kurdes sont obligés de vivre,
encore moins de savoir qui est responsable de cet état de fait. Aucune
distinction n'est faite entre un mouvement qui obtient le soutien des masses
oppressées et les élites politiques et économiques
qui exercent leur oppression.
Comme toujours, derrière la croisade officielle contre le terrorisme
se cachent des motifs beaucoup moins innocents, tels que la ruée
des États-Unis et des autres grandes nations pour le contrôle
du pétrole du Golfe Persique et de la région de la mer Caspienne.
Il y a un lien direct, sinon même ouvertement discuté, entre
la chasse à l'homme sans répit subie par Ocalan et les plans
des États-Unis et de la Turquie pour construire un pipeline depuis
la mer Caspienne riche en pétrole jusqu'à la Méditerranée,
pipeline devant d'ailleurs traverser le sud-est de la Turquie habitée
par les Kurdes.
Le dossier de Washington en matière de terrorisme international
Encore plus essentiel, le deuxième point à soulever, c'est
que le gouvernement des États-Unis est bien le plus mal placé
au monde pour faire la morale en matière de terrorisme. Les États-Unis
ont en effet un volumineux dossier maculé de sang de financement,
d'entraînement et de supervision de tueurs professionnels employés
à terroriser des populations dans le monde entier. Washington est
responsable des meurtres collectifs perpétrés par des armées
de mercenaires et les escadrons de la mort dans tous les pays d'Amérique
centrale. Les présidents des États-Unis ont serré la
main aux dirigeants des escadrons de la mort de plusieurs pays, notamment
du Salvador, du Honduras et du Guatemala. Le rôle des États-Unis
dans la guerre des contras contre le peuple nicaraguayen est également
bien connu.
Au Mozambique, les pantins de la CIA à la tête de l'infâme
Renamo ont massacrés des perpétré des massacres de
civils pendant des années. Le chef de l'Unita, Jonas Savimbi qui
figure sur la liste de paie de la CIA, a sévit en Angola pendant
des décennies, semant la mort et la destruction. Ce ne sont là
que quelques exemples d'activités terroristes financées par
les États-Unis.
Dans la chasse et la capture d'Ocalan, ce qui est d'une signification
politique particulière et hautement répréhensible
, c'est la couleur politique de tous les gouvernements qui y ont joué
un rôle essentiel. On y retrouve en effet toute la galerie de crapules
des gouvernements social-démocrates et de « gauche »
que l'on pourrait bien qualifier de front uni de l'oppression.
Signalons d'abord Assad de Syrie, l'ancien dirigeant du Front réjectionniste,
qui s'est incliné devant la pression des États-Unis et de
la Turquie en expulsant Ocalan en octobre dernier. Le leader du PKK vivait
à Damas depuis 1980. Ocalan s'est alors envolé pour la Russie,
une démocratie en devenir supposément, mais qui lui a néanmoins
refusé l'asile politique. En novembre, Ocalan se réfugie à
Rome où il demande une fois de plus l'asile politique. Le gouvernement
italien dirigé par Massimo D'Alema, l'un des anciens leaders du Parti
communiste italien, a certes rejeté les demandes turques d'extradition
contre Ocalan, mais il a également refusé d'accorder l'asile
politique à ce dernier. En fait, D'Alema travaillait en coulisse
pour qu'Ocalan soit expulsé, ce qui est arrivé à la
mi-janvier.
Pendant des semaines, les allées et venues d'Ocalan ont été
le sujet d'intenses spéculations, alors que gouvernement après
gouvernement refusaient de le protéger. L'Allemagne, pays abritant
la plus grande minorité kurde du continent européen et qui
a à sa tête un chancelier social-démocrate et le leader
du Parti vert comme ministre des Affaires étrangères, n'a
pas même laissé pénétrer Ocalan sur son territoire.
Le chef du PKK a également été refusé aux
Pays-Bas et en Grèce, alors que l'Italie et le Danemark lui ont fait
savoir qu'ils ne voulaient pas de sa présence sur leur territoire
respectif. Le 1er février, l'avion transportant Ocalan obtient l'autorisation
de se poser sur l'île grecque de Corfou, après s'être
envolé de la Suisse « neutre et démocratique ».
Le lendemain, Ocalan tentait d'aller à Rotterdam aux Pays-Bas,
pour comparaître devant la Cour internationale d'arbitrage et plaider
la cause des Kurdes. Mais il en fut empêché par le gouvernement
néerlandais qui le déclara « étranger indésirable
».
Alors qu'on annonce que l'avion d'Ocalan vole vers la Grèce, un
porte-parole du gouvernement « socialiste » du PASOK à
Athènes déclare : Notre politique est sans équivoque.
Nous ne voulons pas de la présence d'Ocalan en Grèce ».
Le gouvernement grec enjoignit plutôt Ocalan à se poser à
Nairobi, capitale du Kenya, où il fut caché à l'ambassade
de Grèce. Or, ce n'est un secret pour personne que depuis l'attentat
contre l'ambassade américaine perpétré dans cette ville,
Nairobi grouille d'agents de la CIA, du FBI et du Mossad israélien.
Ce ne fut alors plus qu'une question de temps avant que les divers services
de renseignements, collaborant avec les fonctionnaires kenyans et grecs,
laissent les commandos turcs enlever le dirigeant kurde de l'ambassade et
ensuite jeter dans un avion à destination de la Turquie. Le leader
turc Bulen Ecevit qui a décidé de son enlèvement, est
un vétéran social-démocrate.
Cette ignoble chaîne d'événements brosse une image
de l'intégration complète des divers régimes nationalistes
bourgeois, des ex-partis staliniens et social-démocrates et des dirigeants
des appareils politiques et de renseignement des États-Unis et de
l'impérialisme mondial. La violation flagrante du droit d'asile politique,
un droit démocratique de base, doit être perçue comme
une mise en garde par la classe ouvrière internationale.
Le World Socialist Web Site dénonce avec véhémence
l'enlèvement d'Ocalan et exige sa libération immédiate.
Nous demandons à toutes les personnes concernés par la défense
des droits démocratiques de se rallier à notre demande.
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