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La lutte pour le pétrole de la mer Caspienne, la crise en Russie et l'éclatement de la Communauté des États Indépendants

1er juillet 1999

Par Patrick Richter

Pendant que les troupes de l'OTAN occupent le Kosovo et que les médias s'affairent à justifier le bombardement de la Yougoslavie, de nouvelles luttes prennent forme loin du front qui pourraient bien mener à des conflagrations militaires encore bien plus importantes. Ces conflits ont lieu sur le territoire de l'ex-Union Soviétique, source des plus grandes réserves encore inexploitées de pétrole et de gaz au monde, une région où l'influence russe a énormément diminué.

Suite à la dissolution de l'Union Soviétique le 8 décembre 1991, la Communauté des États Indépendants (CEI) a été fondée. Elle comprenait à l'origine la Russie, le Bélarus et l'Ukraine. Le 21 décembre suivant, huit autres ex-républiques soviétiques devenaient membres à leur tour de la CEI, soit l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, la Moldavie, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan. La Communauté a été créée à Alma Ata, l'ancienne capitale du Kazakhstan. En 1993, la république caucasienne de la Géorgie adhérait à son tour à l'union.

Le pouvoir russe était alors le ciment qui tenait l'édifice de la CEI. Mais depuis, l'affaiblissement économique, politique et militaire de la Russie a déchaîné les mêmes forces centrifuges qui avaient auparavant entraîné la dissolution de l'Union Soviétique et qui ont marqué la CEI dès sa création. Deux événements ont accéléré ce processus : la crise financière en Russie d'août 1998 et l'humiliation politique de la Russie par l'OTAN lors de la guerre contre la Yougoslavie.

Grâce à son puissant appareil militaire, la Russie était encore en mesure au début des années 90 d'exercer son influence dans les divers conflits politiques qui survenaient dans les anciennes républiques soviétiques. En dépêchant des troupes, la Russie avait alors réussi notamment à assurer un statu quo temporaire entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan lors du conflit à propos du Nagorno-Karabakh ; en Géorgie, la Russie a soutenu le mouvement séparatiste abkhaze ; au Tadjikistan, elle a maintenu en place le faible gouvernement fantoche pro-moscovite d'Imomali Rachmonov contre l'opposition islamiste (UTO) ; en Moldavie, elle a secondé la république séparatiste russe de Transnistrie.

La poigne militaire de Moscou sur ces républiques s'est encore affaiblie récemment, pendant que de nouveaux conflits se préparent et que les anciens réapparaissaient. Ces développements sont liés au déclin de la Russie et au fait que les régions d'Asie centrale et du Caucase développent maintenant des relations dans d'autres directions.

Depuis 1991, l'ensemble du commerce intérieur entre les divers États de la CEI a diminué des deux tiers. Leur part du commerce extérieur qui représentait 78 p. 100 en 1991 est passée à 24 p. 100 aujourd'hui. Le commerce russe avec le Bélarus, l'Ukraine, la Moldavie et le Kazakhstan a baissé de 40 à 60 p. 100 selon le pays ; les échanges entre la Russie et les républiques caucasiennes de Géorgie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan ont baissé en moyenne de 23 p. 100 ; entre la Russie et le reste des républiques de l'Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan, Kyrgyzstan et Tadjikistan) de 13 p. 100 en moyenne. Alors que l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie s'efforcent de développer des rapports étroits avec l'Union européenne, les républiques d'Asie centrale et d'Azerbaïdjan cherchent à développer des liens avec la Turquie, l'Iran et la Chine.

Ce processus s'est considérablement intensifié depuis la crise financière russe de l'an dernier. Jusqu'à il y a peu, la Russie était l'économie la plus stable de la CEI et pouvait artificiellement maintenir des liens avec les diverses républiques en achetant des produits non concurrentiels sur le marché mondial, en plus d'offrir des crédits non remboursables.

Mais tout a changé depuis la crise d'août. Selon Yuri Shishkov, vice-président de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales de l'Académie russe des sciences, la Russie « s'est transformée du centre de gravité qu'elle était en une source de secousses économiques. La principale préoccupation de tous ses anciens partenaires est maintenant de prendre leurs distances par rapport à elle. Tous les programmes d'intégration imaginés dans le cadre de la CEI sont maintenant choses du passé », écrivait-il dans l'hebdomadaire Obshaya Gazeta du 13 au 19 mai 1999.

L'atmosphère entre la Russie et ses « partenaires » s'est en effet considérablement refroidie. Alors qu'un courant d'« espoir et d'optimisme » avait accompagné la fondation de la CEI, cette dernière est maintenant perçue comme une organisation vide dont l'autorité n'est prise au sérieux par aucun des pays membres. C'est ainsi que le Kyrgyzstan a récemment rejoint les rangs de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui constitue pourtant une violation directe des règlements douaniers décidés par les cinq pays membres de la CEI. Le Turkménistan, qui ne pouvait auparavant acheminer son gaz jusqu'au marché mondial que par le biais des pipelines et des subsides russes, achemine maintenant sa ressource par l'Iran et abandonne peu à peu ses relations avec la Russie. Les correspondances ferroviaires et les déplacements sans visa entre Moscou et Achkhabad, capitale du Turkménistan, sont maintenant éliminés.

La plus importante organisation à émerger en défi à l'influence russe est le GUAM, formé en 1998 par la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie. En avril 1999, l'union s'agrandissait en accueillant l'Ouzbékistan (événement qui vit l'organisation rebaptisée en GOUAM). Dès sa création, l'alliance a proclamé que son objectif était de ressussciter la « route de la soie ».

Ce but a été fixé en premier par Édouard Chevardnadze, président de la Géorgie et ancien ministre des Affaires étrangères de l'Union Soviétique sous Gorbatchev. Lors du forum de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) de 1994, il avait en effet déjà proposé l'intégration de l'Asie centrale et du Caucase dans le marché mondial en incorporant la région dans un système de communication trans-européen Caucase-Pacifique.

Au centre de ce système se trouve justement la voie de transport du pétrole azéri qui contourne la Russie et sa sphère d'influence. Dans ce plan, les États transcaucasiens d'Azerbaïdjan et de Géorgie deviendraient les éléments essentiels d'un système de transport reliant l'Asie à l'Europe et contrôleraient le passage des produits par route et par rail. Ce système serait extrêmement intéressant pour les investisseurs. Les premiers travaux de ce projet, tel que la construction d'une autoroute partant de la ville industrielle de Samsun au nord de la Turquie jusqu'au port géorgien de Batumi, sont déjà commencés ou, comme c'est le cas pour l'oléoduc qui relie Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan, au port de Supsa sur la mer Noire, déjà terminés.

L'Union européenne a financé en partie ce projet et est également intéressée à tracer une voie d'acheminement pour le pétrole entre Poti et Ilytshovsk, assurant ainsi le passage direct du pétrole azéri en toute indépendance de la Russie jusqu'aux États de l'ouest et du sud-est de l'Europe. Plutôt que d'emprunter la route actuelle qui va de Grozny à Novorossik en Russie, le pétrole serait transporté par rail de Bakou jusqu'au port géorgien de Poti, pour être ensuite acheminé par bateau jusqu'au port ukrainien d'Odessa Ilytshovsk.

L'Ukraine et la Moldavie voisine permettent déjà l'accès à leur oléoduc à la République Tchèque, la Slovaquie et la Roumanie, accédant ainsi à l'Europe de l'Ouest et aux Balkans. Ce faisant, elles se libèrent des intérêts pétroliers russes et mettent ainsi la main sur une part du marché. Des discussions ont également lieu avec le Turkménistan à propos du passage d'oléoducs et de gazoducs qui iraient de la mer Caspienne jusqu'à Bakou, pour ensuite aboutir en Turquie en passant par la Géorgie.

La présence de conflits ethniques constitue néanmoins un grand problème dans ces pays. Jusqu'à présent, ces antagonismes ont été utilisés par la Russie pour maintenir son contrôle et entraver les efforts de ces États pour se libérer de l'emprise de Moscou. Mais avec le déclin de la Russie, les États du GOUAM s'opposent de plus en plus ouvertement à Moscou et cherchent le soutien actif des États-Unis pour faire valoir leurs intérêts.

L'entrée de l'Ouzbékistan dans l'alliance du GOUAM a eu lieu à Washington lors des festivités qui marquaient le cinquantième anniversaire de l'OTAN, un événement boycotté par la Russie pour protester contre le bombardement de la Yougoslavie. À ce sujet en revanche, les présidents des États du GOUAM ont exprimé clairement leur appui pur et simple aux actions des États-Unis et de l'OTAN.

En outre, depuis le début de l'année, des manuvres militaires conjointes menées par l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Géorgie ont eu lieu pour la première fois sans la participation de la Russie. Ces manuvres ont été conduites comme des exercices de défense des nouvelles voies d'acheminement du pétrole. Immédiatement après le sommet de la CEI à Moscou en avril, les états du GOUAM ont indiqué leur retrait de facto du traité de Tachkent conclu en 1992 entre les États de la CEI et dont l'objectif était de créer un « cadre de défense combiné ».

Les États-Unis ont chaleureusement approuvé les buts du GOUAM. Dès 1997, le Congrès des États-Unis adoptait une résolution déclarant la région de la mer Caspienne et du Caucase « zone d'intérêts américains vitaux ». À la fin d'avril dernier, l'envoyé spécial en matière d'énergie de Clinton, R. Morningstar résumait les intérêts américains dans cette région en quelques points : 1) indépendance, souveraineté et bien-être de ces pays devant être assurés par l'imposition de réformes économiques et politiques, 2) réduction du danger d'un conflit régional par l'engagement des États au sein d'une collaboration économique internationale, 3) renforcement de la sécurité énergétique des États-Unis et de ses alliés avec l'aide des États de la région de la mer Caspienne et enfin, 4) développement des occasions d'affaires pour les entreprises américaines.

Pays riche en pétrole où les intérêts pétroliers américains représentent plus de 50 p. 100 des investissements dans le secteur pétrolier, l'Azerbaïdjan joue un rôle particulièrement agressif. Son président, Heydar Aliyev, a sans cesse répété que « les grandes possibilités pour l'approfondissement et l'élargissement de la collaboration économique et militaire avec les États-Unis et l'OTAN ont été pleinement exploitées ». Des efforts intenses ont été faits pour établir une base militaire américaine, turque ou de l'OTAN pour faire contrepoids à l'Arménie (soutenue par la Russie) sur le terrain de l'ancienne base aérienne soviétique « Nasosnaya » située à 45 kilomètres au nord de Bakou.

Prêts à imposer leurs intérêts dans la région en recourant à la force militaire, les États-Unis ont envoyé un groupe de travail d'officiers sous le commandement du général Charles Box en mission spéciale dans la région. Selon l'hebdomadaire russe Vyek (Le siècle), le groupe aurait examiné les possibilités de stationner des troupes de l'OTAN « pour le renforcement de la sécurité et de la stabilité dans le Caucase ».

Ce n'était pas que des paroles en l'air lorsque let le ministre de la Défense azéri Safar Abiyev réclama une « intervention pacifique de l'OTAN » à propos de la reprise des combats au Nagorno-Karabakh. Il a en effet déjà offert à l'OTAN la possibilité d'utiliser les installations ariennes azéries pour les opérations de l'alliance en Yougoslavie.

L'Europe est également bien consciente de l'importance de la région. Le secrétaire-général de l'OTAN Javier Solanas qui a visité la région deux fois au cours des deux dernières années, a déclaré : « l'Europe ne peut être entièrement en sécurité tant que les États du Caucase sont à l'extérieur de la sécurité européenne ».

L'influence russe et la stabilité de la CEI sont également menacées par l'intégrisme islamiste. Du fait du déclin de l'autorité de Moscou, le président Rachmonov du Tadjikistan a été forcé de faire de nouvelles concessions à l'Opposition Unie Tadjik islamiste (UTO), qui contrôle depuis 1997 la moitié du pays en ruines, après cinq années de guerre civile. L'opposition entretient d'étroites relations avec les milices afghanes des talibans, et lors du dernier conflit, le leader de l'opposition Nuri a reçu quatre postes ministériels supplémentaires dans le gouvernement de coalition qui a été formé après la guerre civile.

L'Ouzbékistan, pays où un tiers de la population appartient à la minorité ethnique tadjik, craint pour son avenir du fait des pressions croissantes du Tadjikistan et de l'augmentation des incidents sur sa courte frontière avec l'Afghanistan. Si la Russie venait à abandonner le Tadjikistan voisin et ce dernier à tomber entre les mains des islamistes, l'Ouzbékistan serait difficilement en position pour défendre ses frontières. C'est pourquoi le président ouzbek Karimov cherche à raffermir son pouvoir avec l'aide des États-Unis et du GOUAM.

Le seul État de la CEI nourrissant une loyauté indéfectible à la Russie est le Bélarus, dont l'économie a atteint un bas fond. Pendant l'ère soviétique, le Bélarus était étroitement intégré à l'économie russe à tel point qu'on la qualifiait d'« atelier » de la Russie. Mais son économie est maintenant tout à fait non concurrentielle sur le marché mondial et sa production a baissé à moins de 30 p. 100 de ce qu'elle était en 1989.

Ceux qui cherchent à déterminer la source des conflits militaires à venir devraient suivre le parcours du pétrole et de l'or. Les conflits ethniques qu'ils croiseront sur leur route pourraient bien en effet déclencher de nouvelles interventions de l'OTAN.

Voir ausi:


Après la boucherie : leçons politiques de la guerre des Balkans 28 juin 1999

Pourquoi l'OTAN est-il en guerre contre la Yougoslavie ? Domination mondiale, pétrole et or 24 mai 1999



 

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