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Brèches sur le front de la propagande des médias : grossières exagérations des histoires d'atrocités au Kosovo

Par Barry Grey

Le 6 juillet 1999

Au cours des derniers jours, il a été fait mention de divers rapports dans les médias américains relativement au caractère foncièrement exagéré et mensonger des déclarations des dignitaires américains à propos des atrocités serbes contre les Kosovars albanais. Le 28 juin, le Detroit Free Press publia en effet un article de la plume du correspondant à l'étranger Lori Montgomery à Prizren, intitulé : « Aucune preuve de la politique de viol collectif appliquée au Kosovo : les agressions relevées seraient des actes isolés commis par des Serbes ». Il y est écrit : « Les dignitaires occidentaux ont accusé les soldats serbes de violer les femmes d'origine albanaise comme politique de guerre. Bien que plusieurs témoignages crédibles font foi d'agressions commises par des militaires serbes, il apparaît maintenant que le viol était rarement une pratique systématique et que les allégations de 'camps de viol' et 'hôtels de viol' ne seront jamais prouvées. »

« Tant le long de la frontière albanaise du Kosovo, région où des dignitaires américains prétendaient pourtant en avril dernier que les militaires serbes violaient et tuaient les femmes dans une base militaire près de la ville de Djakovica située au sud-ouest, que dans un hôtel de la ville de Pec à l'ouest, très peu d'indices pouvant faire croire à la perpétration possible d'abus sexuels ont été retrouvés. »

Trois jours plus tard, le quotidien USA Today titrait en première page « Les conditions au Kosovo ont été exagérées ». L'article commence ainsi : « Bien des chiffres utilisés par l'administration Clinton et l'OTAN pour décrire les conditions vécues par les Albanais du Kosovo nous apparaissent grandement exagérés maintenant que les forces alliés prennent le contrôle de la province. » Plus loin, le quotidien cite le président du comité du renseignement de la chambre des représentants Porter Goss, un républicain critique de la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN : « Certes des atrocités ont été commises, mais jamais dans les proportions qui ont été avancées. »

L'article poursuit en faisant remarquer que les déclarations américaines selon lesquelles jusqu'à 100 000 Albanais d'origine ethnique auraient été tués ont été remplacées par des évaluations officielles de 10 000. Ces chiffres démentent la déclaration faite par Clinton devant un groupe de vétérans en mai selon laquelle 600 000 Albanais d'origine ethnique étaient « piégés au Kosovo, sans abri et nourriture, terrifiés de retourner chez eux, ou encore ensevelis dans des fosses communes creusées par leurs bourreaux mêmes ». L'article continue en signalant que des milliers de Kosovars se sont en effet cachés pendant la guerre mais qu'il n'existe aucune preuve qu'ils mourraient de faim ou qu'ils étaient sans abri. L'article dément également que le bétail et les récoltes du Kosovo aient été détruites par les forces serbes, comme cela a été fréquemment rapporté.

Le soir même, l'émission d'information télévisées NBC Nightly News diffusa une partie d'un reportage de la correspondante à l'étranger Andrea Mitchell reprenant les mêmes propos. Mitchell y qualifiait les rapports faits en temps de guerre relatifs aux nombre de Kosovars tués comme étant de « grossières exagérations » et déclarait que les dignitaires évaluaient maintenant le nombre de civils morts au Kosovo depuis le déclenchement des bombardements de l'OTAN le 24 mars dernier entre 3 000 et 6 000.

Ces rapports ont été tout simplement ignorés par le le New York Times et le Washington Post, qui avaient appuyé avec enthousiasme le bombardement de la Yougoslavie et vendu les allégations de meurtres et de viols collectifs, ainsi que de génocide, utilisées par le gouvernement pour justifier la guerre et manipuler l'opinion publique.

Il est révélateur qu'aucun des dignitaires américains cités dans le USA Today et sur les ondes de NBC News n'ont défendu la véracité de leurs déclarations antérieures. Ils ont plutôt présenté ces inexactitudes flagrantes comme de simples erreurs honnêtes et inévitables. Le représentant du Département d'État James Foley a ainsi déclaré à NBC News que le gouvernement n'avait d'autre choix que de se baser sur les témoignages des réfugiés. Mike Hammer, porte-parole du Conseil de sécurité nationale a déclaré pour sa part à USA Today qu'il n'y avait eu aucune tentative de tromper qui que ce soit. L'administration Clinton a réalisé que « dans une campagne de ce type, il y a beaucoup d'incertitudes ».

Bien entendu, il n'y avait rien d'&laqno; incertain » dans ces rapports de meurtres et de viols en série du président Clinton, de la secrétaire d'État Madeleine Albright, du secrétaire à la Défense William Cohen et d'autres dignitaires de moindre importance. Leurs rapports ont été présentés au peuple américain et à l'opinion publique internationale comme des faits et non des spéculations.

Kenneth Bacon, porte-parole du secrétaire à la Défense, a déclaré à USA Today que les « meilleures évaluations disponibles » avaient été utilisées. Il a défendu les comparaisons faites entre le président yougoslave Slobodan Milosevic et Hitler, ajoutant « je ne pense pas que l'on puisse dire que tuer 100 000 personnes est 10 fois plus répugnant moralement qu'en tuer 10 000. »

Ce cynisme pseudo-moralisateur est bien caractéristique de la campagne officielle en soutien à la guerre. Depuis le début, les partisans des bombardement ont cherché à intimider et à étouffer toute opposition en qualifiant les critiques de l'OTAN de défenseurs de Milosevic et de partisans de la « purification ethnique ». Mais la réponse de Bacon entraîne la question suivante : s'il ne s'agit que d'un question de morale abstraite et que l'importance des atrocités est sans importance, pourquoi alors recourir à l'exagération et à la falsification systématiques ?

Parmi les personnes interviewées dans l'extrait de NBC news, l'ancien congressiste démocrate Lee Hamilton, malgré son cynisme tout aussi présent, n'en a pas moins été un peu plus franc. Il a en effet expliqué qu'il y avait toujours une tendance en temps de guerre à démoniser l'ennemi de façon à fouetter l'opinion publique dans le sens voulu.

Les propres déclarations de Clinton pendant et après la guerre rendent clair que ce qui est en jeu dans la présentation officielle des événements au Kosovo, ce n'est pas de rendre publiques les meilleures évaluations disponibles, mais bien d'utiliser les vastes ressources du gouvernement et des médias serviles pour désorienter le public et l'amener à penser que les atrocités serbes étaient d'une telle magnitude -atteignant le niveau même du génocide - qu'elle justifiaient la destruction aérienne des centrales électriques, des raffineries de pétrole, des ponts, des systèmes d'aqueducs, des écoles, des hôpitaux et même des installations de télévision, le tout accompagné de milliers de morts civiles.

Quelques jours seulement après le début des bombardements de l'OTAN, Clinton a décrit l'offensive serbe qui en a découlé au Kosovo comme une tentative d'exterminer toute la population kosovare albanaise. Dans un discours radiodiffusé depuis le bureau oval le 3 avril, Clinton a déclaré que « l'objectif froidement calculé de Milosevic est de garder le Kosovo tout en le vidant de sa population ». Douze jours plus tard, il déclarait devant l'American Society of Newspaper Editors que Milosevic était « déterminé à écraser toute résistance à son règne même si cela signifiait la transformation du Kosovo en désert inculte. »

Puis le 5 mai, dans un discours à la base aérienne de Spangdahlem en Allemagne, il ajouta à la liste des crimes serbes l'établissement de camps de concentration, une pure invention. Lors d'un autre discours prononcé le jour du Memorial Day le 31 mai, il compara Milosevic à Hitler en déclarant que le gouvernement serbe, « tout comme celui de l'Allemagne nazie, a pris le pouvoir en partie en entraînant la population à regarder de haut les gens d'autres origines ou ethnies et à croire que ces dernières n'ont aucun droit de vivre. » Puis le 11 juin, à la veille du déploiement des troupes de l'OTAN au Kosovo, Clinton décrivit les actions des Serbes comme une « tentative d'effacer toute présence des habitants sur un territoire qui est le leur et de s'en débarrasser, morts ou vifs. »

Depuis le retrait des forces serbes, la rhétorique de Clinton est devenue, autant que cela puisse être encore possible, encore plus déchaînée. Même alors que l'OTAN a discrètement revu à la baisse ses « évaluations » d'albanais tués, Clinton n'a cessé de répéter que les preuves de mort et de destruction au Kosovo étaient « encore pire qu'imaginées. » Dans une interview accordée à la télévision russe le 20 juin, il déclara : « nous n'avons qu'essayé d'arrêter la purification ethnique et le génocide. » Deux jours plus tard, dans un discours devant des troupes de la KFOR en Macédoine, il parla de « jeunes filles violées en série ».

Lors de la conférence de presse de la Maison Blanche du 25 juin, Clinton a déclaré tout simplement que si Milosevic restait au pouvoir, cela signifierait que les serbes sont collectivement responsables des atrocités infligées aux Kosovars albanais. Justifiant son opposition à l'aide occidentale pour la reconstruction de la Serbie, il déclara « ils [les Serbes] auront à décider de soutenir ou non le pouvoir de Milosevic, s'ils croient que c'est acceptable que des dizaines de milliers de personnes aient été chassées de leur maison et tuées, que toutes ces petites filles aient été violées et que tous ces petits garçons aient été tués ».

La fonction de ces déclarations d'atrocités aussi exagérées et souvent non fondées, incessamment répétées et renforcées par les techniques de manipulation médiatique des plus modernes et sophistiquées, est d'annihiler les facultés critiques du public. Le but n'est pas tant de convaincre que d'aliéner et de tromper, et par conséquent d'obtenir sinon un appui actif, du moins un assentiment passif.

Toutefois, la falsification n'est pas simplement un problème d'histoires d'atrocités et de statistiques exagérées. Il y a en effet eu des crimes terribles qui ont été commis contre des Kosovars innocents, et sur une grande échelle. Mais ce qui est tout aussi décisif dans la machine de propagande de guerre américaine, c'est l'isolement des événements du Kosovo de leur contexte véritable et l'élaboration d'une version complètement suffisante et tordue de l'histoire récente de la Yougoslavie. Seule sur cette base les événements violents et tragiques du Kosovo peuvent-ils être attribués à des motifs et des machinations démoniaques d'un seul homme, le nouvel Hitler, Slobodan Milosevic, et le rôle des États-Unis et des autres puissances impérialistes passé sous silence.

Selon Clinton et ses alliés de l'OTAN, toute la tragédie et l'agitation de la dernière décennie en ex-Yougoslavie sont le résultat des plans de Milosevic pour forger la grande Serbie aux dépens, et même en passant par l'extermination des Croates, des Bosniaques musulmans et des Albanais du Kosovo. Que Milosevic est un nationaliste serbe et que le chauvinisme grand serbe soit une force politique réactionnaire sont des truismes. Mais cela ne correspond qu'à un côté de la médaille.

Ce qui est passé sous silence, c'est le rôle nuisible et destructeur joué par les institutions financières dominées par les États-Unis, tel le Fonds Monétaire International, qui ont imposé des politiques d'austérité et de marché capitalistes en Yougoslavie tout au long des années 80, entraînant ainsi chômage et pauvreté et affaiblissant les fondements économiques de l'État fédéral yougoslave. Ces politiques ont encouragé la croissance de tendances nationalistes parmi les divers groupes ethniques.

En 1991 et en 1992, les puissances européennes et les États-Unis ont soutenu la sécession de trois républiques yougoslaves ­ la Slovénie, la Croatie et la Bosnie -sans même permettre à l'ensemble du peuple yougoslave de s'exprimer à ce sujet, ou la moindre négociation avec Belgrade pour assurer les droits des imposantes minorités serbes croates et bosniaques. Ces dernières se sont soudainement retrouvées privées de leurs garanties constitutionnelles et dominées par des régimes nationalistes hostiles. Comme beaucoup l'ont prédit, le résultat inévitable fut l'éclatement de la guerre civile.

Le nationalisme croate de Tudjman, le nationalisme musulman d'Izetbegovic et le nationalisme albanais de l'armée de libération du Kosovo sont tout autant intolérants et réactionnaires que les politiques de Milosevic. Au cours des guerres civiles successives en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, tous les côtés, pas seulement les Serbes, ont appliqué les méthodes de la « purification ethnique ».

Ce qui a fait de Milosevic le candidat parfait à la dénomination et à détruire, c'est la conclusion à laquelle sont arrivés les Etats-Unis, à savoir que le nationalisme serbe se mettait en travers de leurs interets stratégiques dans les Balkans. C'est ainsi que Washington en est venu à soutenir politiquement et militairement, et à financer les cliques nationalistes en Croatie, en Bosnie et au Kosovo comme instruments de sa politique dirigée contre la Serbie. Au Kosovo, cette intervention a d'abord pris la forme du soutien clandestin de la CIA à l'UCK il y a de cela plusieurs années déjà afin de mener la lutte armée pour la sécession de la province de la Serbie.

Voilà le véritable contexte dans lequel les États-Unis ont décidé d'aller en guerre. Les bombardements des États-Unis et de l'OTAN, ajoutés à la lutte qui faisait rage entre Belgrade et l'UCK, ont créé les conditions pour l'éclatement à grande échelle de la violence serbe contre les Albanais, et les représailles des Albanais contre les Serbes qui ont suivi le retrait des forces yougoslaves du Kosovo.


Après la boucherie : leçons politiques de la guerre des Balkans 14 juin 1999

Pourquoi l'OTAN est-il en guerre contre la Yougoslavie ? Domination mondiale, pétrole et or 24 mai 1999


 

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