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La démission du ministre des finances allemand Oskar Lafontaine et la fin de Bad Godesberg

Par Peter Schwarz
Le 17 mars 1999

Oskar Lafontaine, président du SPD et ministre des Finances du gouvernement de Gerhard Schröder, a abruptement démissionné de ses deux fonctions le 11 mars dernier, en plus de renoncer à son mandat de député parlementaire. Sa démission sensationnelle de la politique démontre bien la profonde transformation que traverse le développement politique de l'Allemagne.

Dans une courte note adressée au Chancelier Schröder et à son parti, Lafontaine a expliqué les raisons de sa décision. N'ayant adressé la parole à personne pendant trois jours, ce n'est que dimanche le 14 qu'il s'est enfin adressé aux médias pour émettre un bref communiqué dans lequel il déclare que sa décision a été motivée par le « mauvais esprit d'équipe » qui règne au sein du gouvernement. « Lorsqu'une équipe se met à mal jouer, il faut en choisir une autre. Mon geste constitue le prérequis essentiel d'une telle action » déclara-t-il sans toutefois identifier quelque responsable que ce soit de ce soi-disant « mauvais esprit d'équipe ».

Les spéculations sont nombreuses quant aux raisons exactes qui ont poussé Lafontaine à démissionner aussi abruptement. Elles vont de la conspiration au sein même du bureau du chancelier pour le discréditer publiquement aux rapports selon lesquels un vigoureux conflit entre Schröder et Lafontaine faisait rage et dans lequel ce dernier n'avait d'autre choix que de « renverser le chancelier ou jeter la serviette » (Frankfurter Rundschau).

Ce qui est clair cependant, c'est que la ligne politique de Lafontaine se heurtait à une résistance accrue et ce, dans des conditions où il perdait rapidement de son influence au sein de son propre parti. Lafontaine passait pour le dernier leader social-démocrate d'Europe à défendre une politique sociale de restriction et d'équilibre. À cet égard, il ne pouvait être qualifié de « gauche » que d'une façon très limitée, et sûrement pas de socialiste. C'était un politicien bourgeois dont la première préoccupation ­ comme tout bon social-démocrate qui se respecte ­ est la défense de l'ordre social existant. Il se retrouvait d'ailleurs très souvent à la droite du parti, par exemple dans son rôle de président du lander de Sarre où il a introduit les lois les plus restrictives de toute l'Allemagne, bâillonnant la presse de façon à étouffer toute critique de son gouvernement de lander.

Même le programme économique qu'il défendait n'était pas particulièrement à gauche. Comparativement aux politiques financières appliquées dans les premières années au pouvoir des gouvernements Brandt, Schmidt et même Kohl, les propositions de Lafontaine sont tout à fait conservatrices. Il ne s'est jamais même prononcé contre les objectifs du traité de Maastricht et son premier budget en tant que ministre des Finances poursuit essentiellement la politique de ses prédécesseurs conservateurs.

Opposé à l'aile patronale du SPD, Lafontaine a tout de même défendu un programme de mesures étatiques pour contrer les effets sociaux négatifs tant au niveau allemand qu'européen de la mondialisation et d'un marché débridé. L'an dernier, il publiait conjointement un livre avec sa femme dans lequel il développait ses idées ­ Qui a peur de la mondialisation ? ­ Des emplois et de l'argent pour tous (notre traduction). Dans cet ouvrage, il défend l'augmentation des revenus pour accroître la demande intérieure ­ s'éloignant ainsi des politiques dominantes orientées vers la stimulation de l'offre. Sa démission doit être vue comme un constat d'échec de ce type de politique alternative.

Peu de temps après son arrivée au pouvoir l'automne dernier, les positions de Lafontaine ont rencontré une solide résistance internationale, notamment de la part de Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Économie français, supposé politiquement près de lui. Lors du premier Sommet franco-allemand, et à l'approbation non dissimulée des banquiers présents d'ailleurs, Strauss-Kahn a rejeté les propositions de Lafontaine visant à créer des zones de taux de change pour les principales devises mondiales. De son côté, la presse britannique en faisait une espèce de croque-mitaine, le Sun allant même à le décrire en première page comme « l'homme le plus dangereux d'Europe ».

Lors du dernier sommet du G7 qui s'est tenu à Bonn, Robert Rubin, ministre des Finances des États-Unis, a signalé très clairement que la première puissance économique mondiale ne tolérerait aucune entrave à la libre circulation des capitaux en informant Lafontaine que celui qui veut une monnaie stable ne doit pas chercher à manipuler les marchés mais bien plutôt s'assurer que les politiques et les structures économiques nationales sont saines et réfléchies.

En Allemagne, le conflit s'est amplifié lorsque Lafontaine tenta de gruger quelques privilèges fiscaux de la bourgeoisie et imposer des taxes sur les milliards en réserve des grandes entreprises énergétiques. Les dirigeants de ces dernières ont alors menacé de boycotter les pourparlers avec le gouvernement sur l'abandon progressif de l'énergie nucléaire ­ les soi-disant pourparlers du consensus sur l'énergie ­ si Lafontaine ne renonçait pas à son plan de taxation.

Deux jours plus tard seulement, Schröder s'en prenait à Lafontaine en Chambre en déclarant qu'il ne tolérerait aucune politique nuisant aux intérêts des entreprises et menaçant indirectement de démissionner : « On en arrive à un point où je ne prendrai plus la responsabilité de telles politiques [les propositions de Lafontaine]. » Des fuites délibérées sur le contenu de cette rencontre ont ensuite été publiées dans les médias. Le lendemain, Lafontaine présentait sa démission.

À la nouvelle de sa démission, les cercles d'affaires et les investisseurs en bourse ont jubilé et réagi, selon les commentaires mêmes du magazine Der Spiegel, comme s'ils assistaient au « second triomphe du capitalisme sur l'économie planifiée ». En quelques heures, l'indice allemand Dax enregistra une hausse de 6 p. 100.

Il est indéniable que la conséquence immédiate à la démission de Lafontaine sera un nouveau mouvement vers la droite en matière de politique économique. À peine le choc de sa démission était-il passé que des voix s'élevaient déjà au sein du SPD en demandant un cours plus favorable aux entreprises.

La première étape de la réforme du système de taxation élaborée par Lafontaine et conçue pour prévenir de nouveaux grands déficits budgétaires doit être débattue au parlement le 19 mars tel que prévu. Mais suite à l'accord survenu entre Schröder et le nouveau ministre des Finances, Hans Eichel, la seconde étape « ira dans le sens des entreprises ». Selon Schröder, le système de taxation doit être harmonisé avec le reste de l'Europe et surtout avec le Royaume-Uni. Dès l'an 2000, de grandes réductions d'impôts pour les grandes entreprises sont ainsi prévues.

Une telle politique ne peut être accomplie sans compressions importantes dans les programmes sociaux et une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée pour les biens de base. On s'attend déjà a ce que le déficit budgétaire pour l'an 2000 soit entre 20 et 50 milliards de marks supérieur à ce qu'avait prévu Lafontaine. Une baisse d'impôt accordée aux entreprises ne pourra que creuser encore plus ce déficit.

Partenaires de coalition avec le SPD, les Verts qui s'étaient jusqu'à maintenant alignés sur l'aile de Lafontaine du SPD, ont déjà indiqué très clairement qu'ils appuieront le cours nouveau. Joschka Fischer, leader des Verts, a confié au Der Spiegel qu'&laqno; il faut trouver un nouvel équilibre entre la justice sociale et une orientation vers l'investissement. Le climat pour les affaires doit être fortement amélioré. »

Après une courte période de deuil suite au départ de leur idole, le soi-disant cercle de Francfort qui constitue la gauche du SPD a profité au maximum de la situation et a annoncé qu'il appuierait également l'élection de Schröder comme nouveau président du parti.

Cependant, une question se pose : pourquoi Lafontaine a-t-il capitulé aussi vite, sans même essayer le moindrement de défendre ses opinions et de rechercher des appuis ?

Par sa démission, qui a surpris même ses plus proches collaborateurs, Lafontaine a ouvert la voie à l'aile conservatrice du parti pour qu'elle s'empare de la direction. Dans des circonstances normales, Schröder, qui en plus de son poste actuel de chancelier sera dorénavant président du parti, aurait eu de la difficulté à obtenir la majorité.

Il faut chercher l'explication du comportement de Lafontaine dans la situation objective. La domination des entreprises financières internationales qui gèrent des milliards dans tous les domaines économiques ne laisse plus de place pour les politiques d'équilibre social. C'est pourquoi qu'en l'espace de quelques semaines seulement, les positions de Lafontaine selon lesquelles il était possible d'améliorer les effets de la mondialisation au moyen de politiques tirées tout droit des années 60 et 70 se sont révélées nulles.

Pour le SPD, le départ de Lafontaine représente une cassure comparable à l'acceptation par le parti du programme de Godesberg il y a 40 ans. Le SPD avait alors renié ses racines ouvrières en se déclarant un parti populaire. Cette transformation ayant toutefois eut lieu à une époque d'équilibre social et de rapide croissance économique, les mots « Liberté, justice, solidarité » furent arborés à l'entête du programme de Godesberg.

Lafontaine a écrit ces mêmes mots au bas de sa lettre de démission, y ajoutant : « je vous souhaite de réussir dans votre uvre pour atteindre la liberté, la justice et la solidarité. » Mais sa propre démission est la preuve même que de tels principes ne sont plus compatibles avec les méthodes du SPD dans les conditions de la mondialisation. Le SPD est actuellement en train de terminer sa transformation de parti populaire en parti de la grande entreprise répudiant toute forme de justice et de solidarité. Ce faisant, il s'engage sur la route déjà empruntée par la plupart des partis social-démocrates d'Europe.

Si Lafontaine aurait tenté de défier les groupes d'intérêts des entreprises dictant sans le moindre remords les politiques du gouvernement, il aurait sûrement reçu des appuis, beaucoup moins d'ailleurs dans son parti que parmi les vastes couches de la population. Ce faisant, il aurait mobilisé des forces sociales, et cela, c'était bien la dernière chose qu'il voulait. Voilà pourquoi il a capitulé sans combattre.


 

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