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La démission du ministre de l'Économie et des Finances français

Par Peter Schwarz

Traduit de l'allemand

La démission du ministre des Finances Dominique Strauss-Kahn a jeté le gouvernement français dans sa crise la plus sévère depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans et demi.

Strauss-Kahn a démissionné le 2 novembre suite à la délivrance d'un réquisitoire supplétif à son encontre. Il est soupçonné d'avoir perçu des honoraires de l'ordre de 603 000 francs de la MNEF, (Mutuelle nationale des étudiants de France) sans qu'il y ait eu prestation de sa part.

Ces accusations n'ont rien de nouveau, mais Strauss-Kahn avait jusque-là toujours crié son innocence. Il ne nie pas avoir reçu ces honoraires, mais affirme avoir été au service de la Mnef pendant deux ans et avoir joué un rôle de conseil dans une opération de holding s'élevant à 23,56 millions de francs et que ses honoraires n'ont rien d'exceptionnel.

La semaine dernière cependant l'on apprenait que les documents justifiant ces opérations seraient des faux. Des analyses effectuées dans un laboratoire de police révélèrent que le papier et les caractères utilisés n'auraient pas encore existés au moment des faits et que les documents auraient été antidatés pour le justifier a posteriori. Il déclara que sa démission ne devait pas être considérée comme un aveu de culpabilité mais qu'elle s'imposait par la morale et le sens des responsabilités, ce qui lui permettrait de s'expliquer devant la justice en tant «homme libre».

Le gouvernement Jospin se trouve dans une situation extrêmement embarrassante de voir son ministre le plus talentueux être mêlé à une affaire de corruption. Jospin doit sa popularité non seulement à sa réputation d'«incorruptible». N'avait-il cessé de déclarer, au vue des affaires de corruption qui, pendant des années durant avaient ébranlé tant les partis socialistes que les partis de droite, qu'il ne tolérerait aucune affaire de corruption dans son entourage. Cette réputation est à présent endommagée. La démission précipitée de Strauss-Kahn avait pour but d'éviter qu'elle ne soit complètement anéantie.

En la personne de Strauss-Kahn, Jospin perd l'un de ses plus importants collaborateurs. Son style de gouvernement a souvent été dépeint ironiquement comme suit: «clignoter à gauche, tourner à droite». Alors que sa politique économique et financière se servait de symboles et de rhétorique de gauche, elle ne se différenciait en rien de celle d'autres gouvernements européens. Entre Jospin et Strauss-Kahn ­ tous deux étant des amis de longue date ­ il existait un partage du travail: Jospin maniant le clignotant, Strauss-Kahn prenant le tournant.

La popularité de Strauss-Kahn était tellement grande dans le camp du patronat, que cela en devenait par moment embarrassant pour les socialistes. C'est ainsi que, lorsque Ernest-Antoine Seillière, le chef du Medef (Mouvement des entreprises françaises) s'exclamait en juillet: «Nous avons un excellent ministre des finances, peut-être le meilleur de l'univers ... il fait de son mieux pour que les entreprises ne trouvent aucun obstacle sur leur chemin». Selon la Süddeutsche Zeitung (quotidien allemand) Strauss-Kahn était «pour le monde des affaires le garant d'une politique plus libérale plutôt que de gauche.»

La France enregistre présentement l'un des taux de croissance les plus élevés d'Europe. Des intérêts bas assortis à une diminution de la taxe à la valeur ajoutée pour les prestations de services nécessitant une main-d'oeuvre intensive ont provoqué une recrudescence considérable de la demande dans le domaine de l'immobilier, de l'automobile et des bien de consommation. L'augmentation des impôts sur la fortune, les revenus financiers et l'héritage a paradoxalement travaillé dans le même sens: l'on économise moins et l'on dépense plus. Durant les six premiers mois de 1999, les achats d'appartements et de maisons ont augmenté de 62%; durant l'été de la même année une frénésie d'achat eut lieu si bien que les Galeries Lafayette à Paris enregistrèrent dans le domaine des articles de luxe un record historique.

Les bénéficiaires de cette politique économique furent en premier lieu les couches aisées de la bourgeoisie alors que le nombre des salariés ne disposant pour vivre que du Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) s'est considérablement accru. Le nombre officiel des pauvres se situe encore à six millions. Dans le but de renflouer les caisses de l'État, Strauss-Kahn a procéder à la privatisation de plus d'entreprises d'État que l'ensemble de ses prédécesseurs conservateurs réunis. Leurs efforts de privatisation avaient rencontré la résistance du personnel des entreprises.

Strauss-Kahn qui parle couramment l'allemand, l'anglais et l'espagnol, est également apprécié dans les milieux économique européens. Le succès de l'«Euro» lui revient en grande partie pour avoir réussi en un rien de temps à ramener le déficit du budget de l'État au niveau requis par Maastricht. Depuis, il s'est engagé à propager une coordination politique plus poussée des pays de la zone «Euro». Le Financial Times tout en le qualifiant «de faiseur de politique plutôt de la catégorie poids lourds» déplore qu'«il ne soit pas clair quant à qui reprendrait la marche des affaires après le départ de M. Strauss-Kahn.»

C'est surtout en Allemagne que Strauss-Kahn jouit d'une considération toute particulière en raison de son intervention en faveur de l'«Euro». Il s'est lié d'amitié avec Oskar Lafontaine mais entretient également de bonnes relations avec le prédécesseur tout comme le successeur de ce dernier au ministère des finances, à savoir Theo Waigel et Hans Eichel. Helmut Kohl, l'ex-chancelier l'estimait à tel point qu'il dira au Président Chirac lors du conseil de Luxembourg «laisse faire Dominique». Strauss-Kahn parlera au nom de la France et de l'Allemagne pour éviter que le ministre des finances allemand Theo Waigel ne mette, au dernier moment, l'«Euro» en danger.

Après la démission de Strauss-Kahn l'on craint que le gouvernement français connaisse une certaine instabilité. Strauss-Kahn avait toujours réussi à également faire passer sa politique aux différents partenaires socialistes de la gauche plurielle ­ aux communistes, aux Verts et aux socialistes radicaux. Son successeur Christian Sautter ne semble pas bénéficier d'un tel crédit. Ce secrétaire d'État au ministère des finances a l'intention de poursuivre la voie entamée par Strauss-Kahn, mais il passe plutôt pour être un bureaucrate incolore et ne bénéficiant pas d'une volonté politique affirmée.

Au cours de ces dernières semaines le gouvernement Jospin avait à maintes reprises montré des signes de crise. Début septembre il avait été placé dans une fâcheuse posture, lorsque le fabricant de pneumatiques Michelin avait annoncé des licenciements de masse tout en faisant état de bénéfices record. La déclaration de Jospin que le gouvernement ne s'immiscerait pas dans les affaires économiques, suscita l'indignation générale à tel point qu'il dû même faire marche arrière.

Mi-octobre le Parti communiste organisait en coopération avec la soi-disant extrême gauche ­ Lutte Ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire ­ une manifestation contre la politique du gouvernement, dont il fait lui-même partie. Quelque 50 000 manifestants protestèrent contre le fait que la loi sur les 35 heures serve de levier à l'introduction d'une plus grande flexibilité du temps de travail.

Quelques heures seulement avant la démission de Strauss-Kahn, les délégués du PCF, à l'Assemblée nationale avaient voté contre le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Après une conversation téléphonique de deux heures avec Matignon, les délégués du PCFF étaient revenu sur leur décision, épargnant ainsi au gouvernement un échec cuisant en s'abstenant.

A l'arrière-plan de ces conflits se trouve le fait qu'aucun des problèmes sociaux fondamentaux que connaît la société française n'a trouvé de solution durant le mandat de Jospin. C'est avant tout la question du financement des organismes sociaux qui avait provoqué en 1995 des protestations durant des semaines, et qui est sans cesse reportée.

La tentative d'y opérer des ponctions substantielles aboutit invariablement à créer des tensions intenses au sein du gouvernement.

Il y va beaucoup moins des conséquences que cela aurait pour la population en général que pour les privilèges des différents groupes d'intérêts composant le gouvernement. La Sécurité sociale qui est gérée paritairement par le Medef et les syndicats représente une source de revenu lucrative à la fois pour les fonctionnaires des syndicats et des partis.

Le scandale de la Mnef est de ce point de vue significatif et est loin d'être passé. Strauss-Kahn en était la première victime mais non le personnage clé. Des accusations bien plus sérieuses seront faites à l'encontre d'autres fonctionnaires du Parti socialiste. Ceux-ci auraient pendant des années été à la solde de la Mnef et auraient empoché des millions en usant de stratagèmes dans des affaires immobilières et en finançant les campagnes publicitaires du Parti grâce à la Mnef.

La Mnef, qui est une assurance maladie pour les étudiants, avait été à l'origine sous la houlette du syndicat d'étudiant UNEF-ID. A la fin des années 1970 des membres actifs de l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI) en prirent la direction, et nombreux furent ceux qui par la suite rejoignirent le Parti socialiste. La Mnef se transforma en une entreprise dont le chiffre d'affaires annuel s'élève à près d'un milliard de francs et qui gère des logements d'étudiants et une imprimerie.

Également impliqué dans le scandale se trouve Jean-Christophe Cambadelis, le numéro 2 du Parti socialiste. L'ex membre de l'OCI aurait figuré simultanément sur plusieurs listes du personnel de la Mnef. Un autre personnage influent impliqué dans ce scandale est Jean-Marie Le Guen, député PS de Paris et qui pendant de nombreuses années s'était trouvé à la tête de la Mnef.

Il s'agit presque exclusivement de personnes du proche entourage de Jospin et qui ont en grande partie contribué à faire de lui le numéro un du Parti socialiste. Il ne peut donc pas être exclu que Jospin soit lui aussi entraîné dans le tourbillon de ce scandale.



 

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