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La semaine de 35 heures en France - une tromperie

Marianne Arens et Françoise Thull
Traduit de l'allemand

Le vote de la loi sur l'introduction en France de la semaine de 35 heures tient lieu d'exemple de la politique de réforme du gouvernement de la «gauche plurielle.» Les partisans de Lionel Jospin en France comme à l'étranger en font l'éloge en l'assimilant à une solution pour le plein emploi et une «société plus humaine». Un examen plus rigoureux en révèle néanmoins son caractère frauduleux.

Le projet de la ministre de l'emploi, Martine Aubry, fille de Jacques Delors, ancien politicien européen, prévoit la réduction de la durée moyenne à 35 heures par semaine à compter du ler janvier 2000 pour toutes les entreprises de plus de vingt salariés. Les entreprises de moins de vingt salariés disposeront même de deux ans de plus pour appliquer cette mesure.

Depuis 1982, la durée de travail hebdomadaire officielle est de 39 heures. Toutefois, selon une étude de l'Insee, elle se situe à un niveau sensiblement supérieur, à savoir à 41 heures et 48 minutes, les cadres y contribuant en grande partie.

A partir de l'an 2000, la durée de travail dans les grandes entreprises ne devra officiellement plus excéder 1600 heures sur l'année. Ce chiffre correspond à une moyenne de 35 heures hebdomadaires moins les cinq semaines de congés payés et les onze jours fériés légaux.

Le système de modulation des horaires permettant la fluctuation du nombre d'heures de travail a été simplifié. Dans la mesure où les salariés sont prévenus au moins sept jours à l'avance, leur durée de travail peut se situer entre 31 et 39 heures et sans pour autant que des heures supplémentaires soient payées. Pour ce qui est des cas particuliers, les délais d'avis peuvent même être plus courts. Il est également possible de travailler plus de 39 heures par semaine pendant quatre semaines d'affilée.

Durant la première année, les quatre premières heures supplémentaires (36e à 39e) de la semaine seront bonifiées de 10% au lieu des 25% habituellement versés. Il sera donc moins cher aux patrons d'appliquer la semaine de 39 heures pendant encore un an.

Pour les entreprises qui appliqueront les 35 heures, elles pourront bénéficier de tout un train d'exonération de cotisations patronales. Elles pourront de plus profiter d'aides extrêmement généreuses de la part de l'État: elles bénéficieront d'une réduction des cotisations sociales patronales et, le cas échéant, celles-ci seront même assumées par l'État. L'embauche d'un salarié payé au Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) entraînera une aide de 21 000 francs par an. Ces différentes exonérations pouvant se cumuler avec d'autres aides prévues par les différents dispositifs.

Aucune mention n'est faite quant à une obligation d'embauche. Les aides publiques sont accordées dès la signature d'un accord sur les 35 heures et en dépit de licenciements. Dans le premier projet de loi le versement de toute aide était tributaire de création d'emplois, ce n'est plus le cas dans la loi actuelle.

A ce sujet le Monde diplomatique du 4 septembre écrit: «La question se pose obstinément, à savoir si les législateurs ne poursuivent pas en premier lieu le but, grâce aux 35 heures, d'institutionnaliser à la fois des conditions et une réglementation du travail atypiques. L'apparence en est du moins donnée, vu qu'aucune mention n'est faite dans la seconde loi, quant à la création d'emplois... Entre-temps il est clair qu'il suffit de signer un accord pour bénéficier des aides de l'État. En d'autres termes: l'État paye pour la mise en pratique d'une loi qu'il a lui-même votée, une construction bien audacieuse.»

A partir de là il est tout à fait clair qu'il ne s'agit aucunement de répartir le travail existant entre tous. Au lieu de cela, la politique du gouvernement français dont le but est de «financer l'emploi au lieu du chômage» sert avant tout à promouvoir une plus grande flexibilité qui entraînera avant tout une détérioration systématique des conditions de travail.

C'est ainsi qu'elle accélère la tendance qui fait que des emplois sûrs et bien rémunérés cèdent la place aux emplois précaires ­ tels les CDD (contrat à durée déterminée), les emplois à temps partiel ou intérimaires de toutes sortes; tendance qui était déjà devenue apparente dès l'introduction de la première étape des 35 heures au printemps de 1998.

Le journal économique allemand Handelsblatt avait déjà noté dans un article en mai dernier: «Le fait est que plus de 16% des salariés français travaillent à temps partiel. Les experts attribuent la détente du marché du travail entre autres à l'abaissement des charges salariales sur les bas salaires, à la multiplication des emplois de sous traitance ainsi qu'à un développement favorable du secteur de prestation de services en France.»

Il y a un an déjà le même journal avait remarqué: «les emplois intérimaires et les CDD connaissent présentement en France une recrudescence incroyable. Selon les chiffres de l'Insee, en mars 906 000 salariés avaient signé des CDD, 413 000 faisaient de l'intérim. 87% des salariés nouvellement employés l'avaient été sur cette base. Au bout d'un an, seuls 28% des CDD étaient transformés en CDI (contrat à durée indéterminée). 42% continuent sur la base d'un CDD et 30% se retrouvent au chômage.»

Le nouveau système contribue à détériorer les bas salaires. Les derniers accords en date concernant le Smic en témoignent. Des recrutements sur la base du Smic donnent lieu à des aides financières de la part de l'État.

Afin de préserver le pouvoir d'achat des «smicards» qui seraient recrutés après la généralisation des 35 heures, il serait nécessaire de relever de 11,4% le salaire minimum, de façon à contrecarrer toute baisse immédiate du salaire réel. (le Smic se définissant sur la base des 35 heures au lieu des 39 heures comme préalablement). Mais le gouvernement se refuse à une telle solution et a inventé en contrepartie le «Smic Jospin» qui consiste en une promesse de compensation par un «complément différentiel de salaire» et un relèvement graduel du Smic dans un avenir lointain. La proposition faite par deux députés socialistes de remplacer l'actuel principe du Smic horaire par un salaire minimum mensualisé a été rejetée par Martine Aubry.

Il n'est donc pas étonnant de voir que l'aversion des patrons contre cette nouvelle loi a ses limites: Fin août 1999, le ministère de l'emploi et de la solidarité de Madame Aubry avait déjà été en mesure d'enregistrer un accord de principe de 15 000 entreprises et de 101 branches d'industrie, allant de la chimie à l'industrie du meuble et en passant par les boucheries. Huit millions de salariés sont donc déjà concernés par l'application de la loi sur les 35 heures. Seuls 27% de ces entreprises emploient plus de vingt salariés et seraient donc contraints de par la loi à réduire le temps de travail.

90% des accords provenant de grandes entreprises furent signés par l'ensemble des organisations syndicales. Pour ce qui est des accords de branches individuelles, la confédération syndicale à avoir signé le plus grand nombre d'accords est la CGC (ou CFC-CGC, Confédération française de l'encadrement). La moitié des accords signés prévoit expressément l'annualisation.

Une nouvelle définition du temps de travail

Avant le vote de la loi, le 19 octobre, eut lieu à l'Assemblée nationale un débat qui illustra clairement quelles seront les nouvelles contraintes liées à la réduction du temps de travail et auxquelles les salariés et les cadres seront confrontés. Il s'agissait de déterminer quels temps seraient à déduire à l'avenir du temps de travail, à savoir comment satisfaire les patrons en ne tenant compte que du temps de travail effectif.

A l'origine de ce débat était une note interne du fabricant de pneumatiques Michelin. Les termes de la note prévoyaient que le mètre étalon serait le temps «productif» et tout ce qui est habillage, casse-croûte et pause pipi ainsi que les jours fériés seraient désormais à exclure du temps de travail. De cette manière Michelin parvenait à transformer la semaine de 42 heures 1/2 pour les 11 000 salariés travaillant en équipes en une semaine officielle de 35 heures.

L'indignation publique provoquée par l'impudence de cette note força les députés à préciser leurs intentions, ce qui conduisit à l'Assemblée à un véritable marchandage entre socialistes, communistes, Verts et chevènementistes dont l'enjeu étaient les diverses pauses café, casse-croûte, etc. Plus de 1100 amendements furent déposés et qui aboutirent à une ribambelle d'annexes telle par exemple «l'annexe Mickey» qui stipule la rétribution du temps d'habillage qu'à la condition qu'un costume particulier soit indispensable à l'exercice d'une fonction précise, comme c'est le cas pour les costumes des personnages des parcs de loisirs Disney Land ­ d'où l'expression.

Le financement de la loi est loin d'être réglé

Bien que la nouvelle loi ait déjà été votée, son financement par contre relève du mystère. Le gouvernement estime devoir rassembler quelque 110 milliards de francs supplémentaires pour financer des 35 heures en l'an 2000; mais où les trouver? La réponse quant à la provenance de cet argent a toutefois été reportée à la discussion du projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS).

La réduction des cotisations sociales et les aides diverses ayant pour but de rendre le nouveau système plus alléchant pour les patrons entraînera de nouveaux coûts pour la Sécurité sociale. Pour faire face à ces coûts le PLFSS pour l'an 2000 prévoit un fonds. Son montant devrait se situer entre 62 et 67 milliards de francs. 39,5 milliards de francs devraient provenir d'une taxe sur les tabacs, 4,3 milliards de francs viendraient d'une contribution sociale sur les revenus financiers et 3,2 milliards de francs du produit de l'éco-taxe. Une partie devant être financée par l'État. Le gouvernement part de l'idée que la Sécurité sociale devrait également être mise à contribution à raison de 5,5 milliards de francs ce qui aurait pour conséquence directe un accroissement de son déficit.

Pour combler les moyens financiers manquant à la concrétisation des 35 heures, Martine Aubry prévoyait entre autres de piocher dans les caisses du régime d'assurance-chômage l'Unedic (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce). D'autres caisses figuraient également sur la liste, telles les caisses de retraite ou d'allocations familiales. C'est ainsi que J.-L. Cazettes, président de la CFE-CGC, déclarait en soupirant qu'entre-temps une telle quantité de possibilités de financement s'entrecroisaient entre l'État et les institutions sociales que l'on y trouvait tout et son contraire.

L'annonce de Martine Aubry de ponctionner l'assurance-chômage pour le financement des 35 heures provoqua immédiatement tant du côté patronal que syndical un tollé de protestations. Le 4 octobre, non seulement le Medef (Mouvement des entreprises de France) se trouvait dans la rue mais également la CGT (Confédération générale du Travail).

Les salariés tout comme les chômeurs auraient mille et une raisons de protester contre les ponctions de la caisse d'assurance-chômage. Les allocations chômage françaises se situant au bas de l'échelle européenne, compte tenu que le taux de chômage de 11,2% restant à un niveau élevé et que de nombreux chômeurs, arrivés en fin de droit, ne touchent plus aucune aide.

Pour les syndicats, l'enjeu était en premier lieu leurs intérêts propres. Les nombreux organismes sociaux ­ assurance maladie, assurance vieillesse, allocations familiales, Unedic, accidents du travail, Agirc et Arrco (caisses de retraite complémentaires pour les cadres et les salariés) sont gérés depuis cinquante ans par un comité paritaire composé par le patronat et les syndicats. Prenant les ponctions par l'État de l'Unedic comme un prétexte le Medef saisit l'occasion pour saborder dans son ensemble cette forme particulière de partenariat social.

Le 20 octobre le gouvernement craqua et renonça à la contribution de l'Unedic pour le financement des 35 heures. Il s'engagea de plus à régler les 10 milliards de francs de dettes envers l'Unedic dès le 25 octobre.

Depuis, la question du financement de la loi des 35 heures figure de nouveau à l'ordre du jour et les propositions dans ce sens deviennent de plus en plus fantaisistes. C'est ainsi que le porte-parole de Mme Aubry, Alfred Recours, proposa de prélever 7 à 8 milliards de francs sur les excédents de la caisse des accidents du travail. Entre-temps il est aussi question de mettre à contribution la taxe sur les alcools tout comme les entreprises n'appliquant pas les 35 heures, ce qui rapporterait 7 milliards de francs. Un montant de 20 milliards de francs restant encore à être comblé.

Le PCF «manifeste» ­ pour le gouvernement

Deux jours avant le vote de la loi des 35 heures, le Parti communiste français (PCF) organisa une manifestation «Pour l'emploi» à laquelle participèrent quelque 50 000 personnes.

La manifestation avait pour but de couper court au mécontentement croissant à l'encontre de la loi que le PCF venait de voter la veille. La manifestation n'avait aucunement pour cible le gouvernement dont le PCF fait lui-même partie mais était dirigée contre le Medef. En réponse à une question d'un journaliste à savoir quel message Jospin devait percevoir de la manifestation, le dirigeant du PCF, Robert Hue répondit: «Qu'il sache que ce mouvement de la base n'est pas dirigé contre lui, mais lui souhaite du succès.»

Quelques slogans hostiles contre le gouvernement se firent toutefois entendre lors de la manifestation. C'est ainsi que des délégués des sections du PCF du Nord et du Pas-de-Calais affichèrent des banderoles où l'on pouvait lire: «Michelin, casseur. Jospin, complice» et «Patron le veut, la gauche le fait». Mais tous ceux qui s'aventuraient à critiquer le gouvernement se firent remettre au pas sans ménagements par les gros bras du service d'ordre.

La CGT, autrefois sous la coupe du PCF, ne participa pas à la manifestation. Elle déclara officiellement qu'elle pouvait «se retrouver dans les objectifs sociaux dont se réclame cette manifestation» mais qu'elle «ne peut être parmi les organisateurs d'une initiative dont les caractéristiques sont, dans les circonstances présentes, éminemment politiques.» La mobilisation de ses adhérents contre le gouvernement lui paraissait manifestement trop risquée.

A part le PCF, Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avaient également participé à l'organisation de la manifestation. Depuis que ces deux partis soi-disant d'extrême gauche ont franchi le seuil des 5% aux élections européennes, ils ne cessent de jouer un rôle bien particulier à savoir de parer au mécontentement croissant tout en servant de caution de gauche au gouvernement.

Tous deux ont sévèrement critiqué le comportement du PCF lors du vote pour les 35 heures et que la presse avait amplement rapporté. Alain Krivine, le dirigeant de la LCR fit savoir qu'il n'y voyait nullement une contradiction avec le succès de la manifestation. Les députés s'étant laissés attendrir par quelques amendements insignifiants négociés dans les couloirs.

Dans leur journal rouge, la LCR définissait la portée de leur «opposition» dans les termes suivants: «Les révolutionnaires s'opposent à la politique du gouvernement en essayant de le forcer, par la mobilisation, à changer de politique: pour l'interdiction des licenciements et une vraie loi sur les 35 heures, sans flexibilité, sans annualisation et créatrice d'emplois. La direction du PCF, elle, soutient la politique du gouvernement. Nous ne faisons pas de ce désaccord un préalable à l'action commune.» (accentuation de notre part)


 

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