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Le refus par le Sénat américain de ratifier le traité d'interdiction total des essais nucléaires fait craindre une nouvelle éruption de militarisme américain.

Par le comité éditorial
21 octobre 1999

Deux aspects cruciaux de la politique aux États-Unis expliquent le refus par le Sénat des États-Unis de ratifier le traité d'interdiction totale des essais nucléaires (TITEN). Le premier est l'état de guerre entre l'administration Clinton et le Congrès dominé par les Républicains. Le sénateur démocrate, Robert Torricelli, ne se trompe pas beaucoup lorsqu'il qualifie le rejet du traité comme « un deuxième vote de destitution. »

La Maison blanche et les Démocrates au Sénat ont cru que les Républicains ne concrétiseraient pas leur tactique d'un débat avec vote à la clé sur le traité, qui était clairement loin d'avoir l'appui des deux tiers de la Chambre nécessaire pour qu'il soit ratifié, après que le président, au nom de la sécurité nationale, ait officiellement demandé que le vote soit reporté.

Après tout, c'était une des composantes essentielles de la politique étrangère américaine, les rapports entre Washington et ses alliés européens et asiatiques, ainsi que le prestige international du chef d'État des États-Unis qui étaient en jeu. La dernière fois que le Sénat américain avait rejeté un accord international signé du président, c'était le Traité de paix de Versailles juste après la Première Guerre mondiale. Les implications potentiellement explosives du refus de ratifier le traité d'interdiction n'ont pas tardé à se montrer au grand jour, avec le coup d'état des militaires au Pakistan, un jour avant le vote au Sénat.

Il y a un mois seulement, l'Inde et le Pakistan, qui ont tous deux fait exploser des bombes nucléaires en 1998, s'embourbaient dans des batailles pour contrôler le Cachemire. Que l'Inde et le Pakistan signent le traité d'interdiction a été le pivot de la stratégie diplomatique de Clinton dans la région explosive du sous-continent indien.

Mais la crise sous-jacente de l'establishment politique américain, crise qui s'est manifestée toute l'année 1998 sous la forme du scandale sexuel de Monica Lewinski et du processus de destitution pour finalement culminer il y a moins de huit mois avec le procès au Sénat de Clinton, continue à se développer à bride abattue. Un des éléments les plus importants du refus par le Sénat des États-Unis d'accommoder la Maison-Blanche sur une question fondamentale de la politique étrangère était la détermination du noyau de l'extrême-droite du parti républicain à humilier Clinton et à miner son gouvernement.

Néanmoins, le vote au Sénat était plus que la simple expression d'antagonismes partisans. Ce vote montre clairement la fin du consensus au sein de l'élite qui élabore la politique intérieure et la politique étrangère sur la diplomatie du contrôle international des armes qui a été le pivot de la politique impérialiste américaine depuis la fin des 1950. L'acharnement avec lequel la lutte pour faire ou défaire le traité a été menée reflète de profondes divisions aux plus hauts niveaux de l'État, et le résultat indique que le consensus glisse vers une défense des intérêts américains par des moyens encore plus militaristes et unilatéraux partout à travers le monde.

Jesse Helms, de la Caroline du Nord, qui était autrefois classé dans les « marginaux lunatiques » de la politique officielle à cause de ses prises de position chauvines et à l'extrême-droite, dirige maintenant le comité sénatorial des affaires extérieures. Il y a quelques années seulement, Helms avait publiquement averti Clinton de ne pas mettre le pied dans une base militaire de son État, ajoutant que sa vie y serait en danger. Lors du débat en Chambre sur le traité d'interdiction, Helms a imité Clinton, et lui faisait demander l'aide de Tony Blair qui répondait « Mais bien sûr, pas de problème. Mes meilleures salutations à Monica. »

Helms a peut-être orchestré la défaite sur le traité d'interdiction, usant de son influence pour contrecarrer l'effort de plusieurs sénateurs importants de son propre parti qui voulaient reporter le vote, mais il a été rejoint par toute la direction du Parti Républicain ainsi que plusieurs représentants de l'élite de la politique étrangère, du contre-espionnage et des militaires dans l'opposition au traité. Seulement quatre républicains ont appuyé le traité lors du vote final au Sénat. Parmi ceux qui se sont opposés au traité d'interdiction totale des essais nucléaires, on trouve l'ancien président Georges Bush, le représentant républicain aux élections de 1996 Robert Dole, tous les aspirants à la candidature républicaine de l'élection en 2000, six anciens secrétaires à la défense, quatre anciens directeurs du CIA (y compris deux nommés par Clinton), quatre anciens conseillers à la sécurité nationale, trois anciens secrétaires à l'énergie, trois anciens directeurs de laboratoires nucléaires nationaux, et plusieurs anciens présidents de l'état-major des armées.

Le sénateur de l'Indiana, Richard Lugar, connu pour être un modéré, un « internationaliste », et pour défendre le contrôle de l'armement nucléaire, a mené une campagne contre le traité. Henry Kissinger, bien qu'il ait appuyé le report du vote, a voté contre. Le jour du vote, le 13 octobre, il a fait parvenir une lettre de trois pages au chef de la majorité au Sénat, Trent Lott, dans laquelle il élaborait ses arguments contre le traité.

Parmi ceux qui ont voté en faveur du traité, on trouve le président actuel de l'état-major des armées, le général Henry Shelton, ainsi que le secrétaire de la défense et le secrétaire d'État actuellement en poste. L'ancien président de l'état-major des armées, Colin Powell, a émis une déclaration appelant à la ratification du traité.

Les supporteurs du traité disaient que c'était le point culminant de la politique américaine en place depuis Eisenhower. Ils défendaient l'idée que ce traité renforcerait la domination mondiale des États-Unis en isolant les prétendus « États dissidents » aux ambitions nucléaires, en même temps qu'il garantirait aux États-Unis qu'ils conservent leur supériorité mondiale dans le domaine de l'armement nucléaire.

Les opposants au traité eux disaient qu'il n'y avait pas de façon blindée de le faire respecter, et que les États-Unis ne pourraient jamais maintenir son arsenal actuel, ni développer de nouvelles armes atomiques s'ils promettaient de ne pas effectuer des essais souterrains. De telles objections, il est clair, peuvent être opposées à tout traité de contrôle de l'armement, et plusieurs opposants au TITEN voient son rejet comme le premier pas vers la répudiation de la plupart, sinon de tous les précédents accords de contrôle de l'armement.

Un thème commun à tous les opposants au traité, avoué plus ou moins clairement selon le cas, était que l'effondrement de l'Union Soviétique et la fin de la Guerre froide rendaient désuets des accords comme le traité de non-prolifération des armes nucléaires de 1970 et le traité des missiles antibalistiques (TMAB) de 1972.

Les propos de Robert Gates, directeur de la CIA sous Bush, dans une lettre aux éditeurs qu'il a fait parvenir au New York Times sont tout à fait typiques: «Nous sommes restreints par de vieux traités, comme le TMAB, qui ne servent plus pleinement nos intérêts quant à la sécurité parce qu'ils sont devenus désuets à cause de l'évolution politique et technologique.»

Il y a deux semaines, pour sa première déclaration d'importance sur la politique étrangère et les questions militaires, le gouverneur du Texas, George W. Bush, qui est le meneur dans la course à la candidature à la présidence chez les républicains, a suggéré que le traité des missiles antibalistiques conclu avec la Russie devrait être changé parce qu'il faisait partie de l'ère révolue de la Guerre froide.

L'administration Clinton s'est adaptée à ces critiques. En janvier dernier, Clinton a changé sa position au sujet de la construction d'un système de défense antimissile aux États-Unis, une demande des républicains. Il a débloqué des fonds pour de la recherche sur un tel système, qui est explicitement interdit par le TMAB. C'est depuis lors que la Maison-Blanche fait pression sur la Russie pour qu'elle accepte de réviser le traité de 1972.

La fin de l'Union Soviétique est un facteur clé de l'abandon de la diplomatie du contrôle de l'armement qui avait cours lors de la Guerre froide par les cercles dirigeants américains. Les accords pour contrôler l'armement et les accords multilatéraux de sécurité que les États-Unis ont adoptés, étaient une tactique pour contenir l'URSS. Mais ces accords acceptés à contrecoeur, étaient des concessions imposées par le fait qu'il y avait un formidable rival politique et militaire sous la forme de l'Union Soviétique.

Il y avait toujours un courant de frustrations et d'amertume devant la nécessité d'avoir à marchander avec les Soviétiques. Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis étaient devenus la puissance hégémonique, et il y avait consensus au sein de la bourgeoisie américaine pour qu'elle utilise sa puissance économique et militaire, incluant son monopole sur l'armement nucléaire, pour établir une Pax Americana. Mais la vision d'une domination du monde sans partage par les États-Unis s'est effondrée avec l'émergence de l'Union Soviétique en tant que puissance mondiale, surtout après que Moscou ait commencé à construire son propre arsenal nucléaire.

Avec la fin de la Guerre froide, l'idée que les États-Unis pourront accomplir au vingt unième siècle ce qu'ils n'ont pu réussir au vingtième gagne du terrain au sein de l'élite politique américaine. La tendance à rejeter toutes contraintes internationales sur la politique étrangère américaine et toutes les limites qui empêchent le développement et l'utilisation de sa force armée gagne un appui de plus en plus important. C'est avec le rejet du TITEN que cette tendance à l'unilatéralisme par les États-Unis s'est exprimée le plus explicitement à ce jour.

Le Wall Street Journal, dans ces éditoriaux, a appuyé les opposants les plus radicaux de traité, regroupés autour de Helms, et a mené une campagne contre tout délai du vote au Sénat. Son éditorial du 15 octobre, intitulé «La grande désillusion» donne un assez bon exemple du point de vue auquel est de plus en plus gagné la bourgeoisie américaine.

Dans une diatribe contre le contrôle de l'armement, on peut lire dans l'éditorial: «L'histoire du contrôle de l'armement est en fait l'histoire d'un échec ... Il n'y a pas de meilleur exemple de cela que le traité des missiles antibalistiques de 1972, qui fait en sorte que les États-Unis restent sans défense contre toute attaque de missiles balistiques.»

Le Journal continue avec sa solution de rechange à la diplomatie du contrôle des armes: «Le seul effort dans le champ de la non-prolifération qui a connu un succès indéniable dans les récentes décennies n'est pas le résultat d'un traité: c'est le bombardement par Israël du réacteur nucléaire irakien, à Osirak, en 1981.»

Trois jours plus tard, le Journal publiait une chronique écrit par Jesse Helms, dans laquelle le sénateur exposait son mépris pour les alliés outremers des États-Unis. Helms se référait avec dérision à la lettre aux éditeurs écrite conjointement par le chancelier allemand, Gerhard Schröder, le premier ministre britannique, Tony Blair et le président français, Jacques Chirac, paru dans le New York Times du 8 octobre, lettre qui pressait le Sénat de ratifier le TITEN. Il a récidivé en se moquant des déclarations des dirigeants européens qui condamnaient le rejet du traité par le Sénat.

«Malgré tout le respect que je dois à Chirac, écrit Helms, la dernière fois que j'ai vérifié, aucune nation ne comptait sur la sécurité et la fiabilité de l'arsenal nucléaire de la France pour garantir sa sécurité ... Nos amis européens n'arrive pas à comprendre que les États-Unis ont des responsabilités sur le globe. Au contraire des puissances plus petites, les États-Unis n'ont pas la liberté de ratifier des traités raffinés comme celui qu'est le TITEN ... qui n'apporte rien de bon, mais restreint par contre notre aptitude à respecter nos engagements internationaux.» (italiques dans l'original)

Une approche fréquente de ceux qui s'opposaient au traité est de demander un système de défense antimissile pour les États-Unis. Ce qui est sous-entendu par les défenseurs les plus actifs de ce projet, c'est la perspective de la «forteresse américaine», un bouclier nucléaire de haute technologie protégeant les États-Unis alors que ces derniers lancent leurs missiles sur leurs ennemis internationaux. Les républicains dénoncent l'appui tardif de Clinton à la recherche antimissile pour être trop faible et hésitant. Ils veulent qu'un système complet soit mis en place, et espère qu'une victoire républicaine en l'an 2000 lancera le projet pour de bon.

Les intérêts commerciaux n'ont pas qu'un petit rôle dans l'opposition à la diplomatie du contrôle de l'armement et à la campagne simultanée pour développer massivement l'armement nucléaire américain. La vaste industrie militaire de pointe aux États-Unis a été durement touchée par la fin de la Guerre froide et les diminutions de contrats d'armes stratégiques qui en a découlé. Elle est déterminée à reprendre les profits qu'elle a perdus, et à en générer encore plus dans les années qui viennent. Elle a pour ce faire le soutien politique d'une petite armée de politiciens dont les campagnes dépendent des contributions des géants industriels du nucléaire et de l'aérospatial.

Une nouvelle version du système «Star Wars» de Ronald Reagan ne signifiera pas uniquement des dizaines de milliards de dollars en contrats gouvernementaux, mais que les autres nations seront poussées à accroître les dépenses militaires, ce qui fournira une autre excuse pour accroître encore plus les dépenses militaires des États-Unis.

Il n'est pas possible de considérer ici toutes les ramifications internationales du vote du Sénat sur le traité d'interdiction total des essais nucléaires. Il suffit de remarquer qu'il sera considéré par toutes les classes dirigeantes, qu'elles soient aujourd'hui des alliés des États-Unis ou pas, comme un signal que la bourgeoisie américaine prend un nouveau cours, encore plus belligérant et destructeur.

Les rapports entre les États-Unis et l'Europe vont devenir encore plus tendus et une plus grande importance sera donnée à la modernisation et à l'indépendance d'une force militaire européenne. Dans leur lettre du 8 octobre dans le New York Times, Schröder, Blair et Chirac avaient souligné que «le rejet [du TITEN] exposerait aussi une divergence fondamentale au sein de l'OTAN.»

La réponse qu'ont donnée les Russes au rejet du traité par le Sénat a été encore plus directe. Le ministre des affaires extérieures a accusé les États-Unis de tenter «de déstabiliser les bases des relations internationales.» Un choix de mots aussi durs se comprend, étant donné que depuis deux ans les États-Unis ont organisé l'intégration des anciens alliés de la Russie du Pacte de Varsovie au sein de l'OTAN, a dirigé la guerre par l'OTAN contre un des alliés des russes, la Serbie, et demande maintenant une révision majeure du TMAB.

La Chine, qui avait annoncé qu'elle attendait que les États-Unis ratifient l'entente avant de le faire elle-même, va évidemment tenir compte des gestes du Sénat dans ses préparatifs militaires; l'Inde et le Pakistan vont fort probablement accélérer leurs programmes de développement d'armement nucléaire; et la pression augmentera au Japon pour qu'il abandonne ses prétentions pacifistes et commence à développer son propre arsenal nucléaire.

Par contre, le vote au Sénat aura l'effet bénéfique de démasquer les prétentions américaines de se présenter comme le rempart pour la paix et la stabilité du monde. Première nation à rejeter officiellement le traité d'interdiction, les États-Unis viennent de démolir la propagande des «armes de destruction de masse» qu'ils ont employée pour justifier leur ravage contre l'Irak et pour menacer les autres nations qu'ils désignaient comme «États dissidents». Les gestes du Sénat clarifient le fait que la plus dangereuse menace nucléaire au monde n'est pas l'Irak, l'Iran, la Corée du Nord, le Pakistan, l'Inde ou la Chine, mais bien les États-Unis eux-mêmes.

Il serait toutefois complètement erroné de croire que l'augmentation du danger d'une guerre nucléaire vient du rejet du traité d'interdiction. Le TITEN et les accords de contrôle de l'armement qui l'ont précédé sont tous des éléments de la politique étrangère impérialiste des nations capitalistes les plus puissantes, avant tout des États-Unis. Ils ont pour but de renforcer la domination mondiale des grandes puissances et de défendre les rapports de propriété capitalistes. L'ancien cadre multilatéral de contrôle de l'armement et d'accords sur la sécurité s'effondre sous le poids des contradictions croissantes du système capitaliste mondial, qui se concentrent comme jamais auparavant dans le conflit entre l'économie mondiale et le système des États-nations.

L'unique force de la société qui peut offrir à l'humanité une voie pour éviter la catastrophe qui se prépare sous le capitalisme est la classe ouvrière internationale, se basant sur la lutte politique pour mettre un terme aux divisions nationales et à l'exploitation de classe par la lutte pour un avenir socialiste. Le virage même des États-Unis vers une politique plus agressive et unilatérale nous assure que de grands bouleversements sociaux sont à l'ordre du jour, au cours desquels la classe ouvrière ne manquera pas d'opportunités pour développer sa propre politique révolutionnaire contre la guerre impérialiste et le militarisme.

 

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