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La vision européenne de Chirac sème la controverse en France


Par Peter Schwarz
Le 11 juillet 2000

Le discours prononcé par le président français Jacques Chirac devant le parlement allemand le 27 juin dernier dans lequel il livrait sa vision de l'Europe de demain a suscité d'énormes tensions entre la présidence gaulliste et le gouvernement formé par le Parti socialiste. Chirac a en effet proposé à Berlin la création d'un « groupe d'avant-garde » sous supervision franco-allemande pour paver la voie à une intégration européenne encore plus grande. Il a également soulevé la question d'une éventuelle constitution européenne, reprenant ainsi plusieurs points soulevés auparavant par le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer. Prenant la parole à l'université Humboldt de Berlin, Fischer qui est le chef du Parti vert allemand, avait en effet exprimé son appui à l'idée d'une fédération européenne - une position que Chirac ne partage cependant pas avec autant d'enthousiasme.

Suite au discours de Chirac au Bundestag, le ministre français européen, Pierre Moscovici, a publiquement dénoncé le président qui selon lui ne représente pas la vision des autorités françaises. Le premier ministre Lionel Jospin s'est également montré peu enthousiaste suite aux énoncés de Chirac en déclarant que, bien qu'intéressantes, ces idées n'en étaient pas moins contradictoires et irréalistes. Le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a quant à lui lancé une mise en garde contre la tenue d'une discussion intellectuelle prématurée à propos de l'avenir de l'Europe. Selon la constitution française, le contrôle de la politique étrangère relève de la présidence. Aussi Chirac a-t-il immédiatement rejeté les critiques de ses détracteurs en déclarant que la France n'avait qu'une voix et qu'il parlait officiellement.

Cette dispute publique entre la présidence et le gouvernement est inhabituelle compte tenu de la diplomatie de mise qui caractérise la « cohabitation » entre le gaulliste conservateur Chirac et le social-démocrate Jospin. La plupart des commentateurs y ont vu une anticipation des prochaines élections présidentielles prévues pour 2002 et au cours desquelles on s'attend à ce que Jospin se mesure à Chirac. D'autres n'y ont vu que l'expression de différences purement tactiques : alors que le président considère utile la tenue d'une discussion sur la forme que prendra l'Europe de demain afin de mettre de l'avant les réformes structurelles souhaitées de l'Union européenne, le gouvernement craint de son côté qu'une discussion ouverte ne décourage les autres membres de l'UE et ne rende plus difficile l'entrée en vigueur des réformes.

En fait, les conceptions du président gaulliste en matière de politique européenne diffèrent à peine de celles du gouvernement dirigé par le Parti socialiste. Les deux sont en effet d'avis que les institutions européennes doivent être systématiquement réformées au cours de l'actuelle présidence française à l'UE qui vient de commencer le 1er juillet. Bref, la position française se résume à un renforcement du leadership franco-allemand, comme Chirac l'a proposé dans son discours de Berlin.

Cette position de Chirac en faveur d'une plus grande intégration européenne est relativement récente. Déjà dans les années 1970, il avait accusé le président gaulliste d'alors, Valéry Giscard D'Estaing, son allié politique, de « traître » fomentant l'« assujettissement de la France » lorsque ce dernier se déclara pour l'unité européenne. De son côté, le Parti socialiste est pro-européen depuis la présidence de François Mitterrand en 1981.

Certains pourraient voir dans toute cette controverse à propos du discours de Chirac une simple querelle politique insignifiante qui fait la une des journaux un jour pour être ensuite oubliée le lendemain. Mais une telle position est trop superficielle. La position de Chirac est en fait le reflet des graves conflits sociaux qui progressent au fur et à mesure que se développe l'Union européenne, une organisation qui sème partout la discorde au sein des institutions et des partis traditionnels.

Tant le camp gouvernemental que celui de la présidence sont en effet divisés sur la question européenne. Ainsi, au sein de la coalition gouvernementale, le Parti communiste et le Mouvement des citoyens du ministre de l'intérieur Jean-Pierre Chevènement émettent de fortes réserves à propos de toute intégration européenne supplémentaire. Une aile eurosceptique est également présente au sein du Parti socialiste, tandis que les Verts, avec leur délégué au parlement européen Daniel Cohn-Bendit en tête (un proche collaborateur du ministre des Affaires étrangères allemand Fischer), ont accueilli avec ferveur le discours de Chirac.

De leur côté, les gaullistes sont également déchirés sur la question européenne. Au coté de Chirac se retrouve en effet le dernier premier ministre gaulliste, Alain Juppé, de même que Jacques Toubon, qui s'est fait un nom avec sa loi pour protéger la langue française. Collaborant avec Chirac, Juppé travaille depuis des mois à formuler une constitution européenne qui va sensiblement plus loin que le président français dans son discours à Berlin. Il suggère même la création d'un poste de président de l'Union européenne pour donner à cette dernière « un visage et une voix ». En revanche, d'autres personnalités gaullistes ont pris leurs distances car ils voient dans le cours européen de Chirac une attaque contre la souveraineté française et les traditions du gaullisme. C'est ainsi que Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur du dernier gouvernement gaulliste, a créé son propre parti de droite. Pour sa part, Philippe Séguin a démissionné de la présidence du RPR gaulliste (Rassemblement pour la République) en 1999 en guise de protestation, pour revenir ensuite sur la scène politique en se présentant comme candidat officiel du parti à la mairie de Paris malgré l'opposition de Chirac.

Chirac a justifié ses prises de position en faveur du renforcement des institutions européennes et de la formation d'un groupe d'« avant-garde » en invoquant la prochaine expansion de l'UE en Europe de l'Est, une étape qu'il considère indispensable pour renforcer la position de l'Europe face aux États-Unis, cible traditionnelle des gaullistes. Son argumentation repose sur le fait que l'expansion de l'UE, qui pourrait passer éventuellement de 15 à près de 30 membres, paralyserait l'organisation si le système de pondération des voix et le droit de veto dont jouit actuellement chaque État membre étaient maintenus. Par conséquent, selon lui, les grands pays doivent accroître leur influence pour défaire les positions des États minoritaires en s'assurant de la majorité. De plus, les pays intéressés à aller plus avant et plus vite devraient pouvoir collaborer encore plus étroitement entre eux et même à l'extérieur de l'Union européenne au besoin. Cette vision est partagée, en grande partie, par les cercles gouvernementaux en Allemagne.

Derrière des arguments qui semblent relever à première vue de simples détails techniques à propos de l'expansion de l'UE et des méthodes à employer se profilent de graves problèmes sociaux au caractère explosif. Les niveaux de vie en Europe de l'Est sont en effet très inférieurs à ceux de l'UE. Dans le cas de la Pologne par exemple, il faudrait que ce pays enregistre des taux croissance élevés pendant dix ans pour atteindre le niveau actuel des pays les plus pauvres membres de l'Union européenne. Dans le cas de la Roumanie, située encore plus à l'Est, la situations est encore plus catastrophique. Enfin, de nombreuses études démontrent que l'adhésion à l'UE n'améliorerait pas la position de ces pays au début, mais la dégraderait plutôt. De nombreuses industries, et surtout le secteur agricole, seraient en effet détruits s'ils se retrouvaient directement exposés à la compétition européenne.

Tout comme ce fut le cas lorsque les pays les plus pauvres du sud européen furent intégrés dans l'Union, aucune mesure n'est prévue pour surmonter l'écart social entre l'Est et l'Ouest. Car une telle politique serait en effet contraire aux programmes d'austérité constituant la politique gouvernementale officielle actuelle dans toute l'Europe. Afin de faire face aux inévitables explosions sociales, l'UE doit changer d'aspect. C'est pourquoi elle se transforme de plus en plus de l'alliance économique qu'elle était en une alliance politique, militaire et policière, se donnant ainsi les moyens d'imposer l'ordre par la force au besoin.

Cette poussée en vue de refondre les institutions européennes est suscitée notamment par la crainte que les gouvernements faibles de nouveaux États membres ne pourraient résister aux pressions sociales de la population et être en mesure de maintenir la stricte discipline financière de l'UE. Par conséquent, les principales puissances de l'Union européenne veulent des pouvoirs plus forts afin d'être en mesure de leur dicter leurs politiques.

On discute ouvertement dans la littérature spécialisée de l'idée que le multipartisme est peu souhaitable dans ces pays. Ainsi, dans un récent article paru dans le magazine Berliner Debatte, on pouvait lire que ces pays doivent avoir « des structures stables pour pouvoir trancher entre les divers intérêts, orienter et étouffer les conflits sociaux. Par conséquent, le libéralisme corporatiste semble être le meilleur moyen d'arbitrer entre les intérêts extérieurs à ceux du parti car c'est un système qui offre un plus haut degré de stabilité que le pluralisme ». En langage clair, ce jargon sociologique signifie que le modèle Pinochet (« libéralisme corporatiste ») est préférable à celui de la démocratie parlementaire (« pluralisme ») pour contrôler les conflits sociaux.

La transformation de l'UE accentue également les tensions entre ses membres actuels. C'est ainsi que le développement de l'axe franco-allemand est particulièrement perçu au Royaume-Uni comme une menace à la position britannique, pays où la réaction des médias aux déclarations de Fischer et de Chirac relevaient de l'hystérie. De leur côté, les membres moins importants de l'Union européenne, notamment en Scandinavie, se sentent bousculés par l'initiative franco-allemande. Et enfin, notamment dans les zones les plus aisées de l'Europe, des mouvements régionalistes lèvent la tête et sont déterminés à défendre les privilèges des élites régionales aux dépends des intérêts des régions plus pauvres. Enfin, en arrière plan se dessine la question sociale : des tensions aiguës sont discernables entre la masse de la population, pour qui l'UE revêt la forme du fardeau qu'est la diminution des salaires et les compressions sociales, et l'élite financière et économique qui profite de cette situation.

 

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