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La mondialisation : le point de vue socialiste

Première partie
Par Nick Beams

Nick Beams, membre du bureau de rédaction international du World Socialist Web Site et secrétaire général du Parti de l'Égalité Socialiste en Australie, vient de donner une série de conférences dans six universités australiennes. La conférence de Beams, intitulée La mondialisation : le point de vue socialiste a trouvé son public auprès des étudiants, des universitaires, des travailleurs, et des professionnels à Sydney, Melbourne, Newcastle, et Canberra. Le wsws.org publie la conférence en trois parties.

L'avènement du vingt et unième siècle nous conduit tout naturellement à soumettre à un examen critique les cent années qui viennent de passer et à nous interroger sur l'avenir de la civilisation. Ce n'est pas que le changement de date qui nous amène à poser ces questions, mais aussi le sentiment que la société connaît une transformation énorme qui va influencer les évènements pour plusieurs générations à venir.

Le siècle qui vient de se terminer a vu le développement foudroyant des connaissances scientifiques et des techniques de production : l'informatisation, la technologie génétique, et les systèmes de communication pour ne nommer que ceux-là, n'étaient que des rêves il y a quelques années seulement. Mais le développement inouï des connaissances scientifiques et techniques, tout comme celui des capacités de production de l'humain, ne fait qu'accentuer l'autre aspect prédominant de cette période : l'impression omniprésente d'impuissance et de rétrogression sociale.

Au cours des deux décennies passées, les changements immenses des processus de production qui sont à la base de la mondialisation de tous les aspects de la vie économique, changements qui ne font que s'accélérer, ont miné toutes les certitudes politiques et économiques. Des millions de gens à travers le monde sont aspirés dans une espèce de tornade, jetés d'un côté et de l'autre, bousculés par des forces que ni eux ni personne ne semblent contrôler.

Chaque jour amène avec lui une nouvelle catastrophe : une famine se développe, une guerre civile ou un conflit ethnique débute, une usine ferme, on jette à la rue une bonne partie du personnel d'une grande entreprise ou la protection sociale diminue.

Et sur le monde, comme l'épée de Damoclès, pèse la menace omniprésente d'une crise financière dont les signes précurseurs se sont manifestés dans les orages financiers qui ont déchiré le système capitaliste au cours des années 1990.

Dans les temps anciens, les hommes croyaient déceler dans les étoiles quelque indication qui pourrait guider leurs actions, ou cherchaient dans la nature un signe favorable des dieux. L'homme moderne ne croit plus en cela. Mais chaque jour, des millions de personnes à travers le monde suivent le Dow Jones, le NASDAQ, ou tel autre indicateur financier pour essayer de déterminer ce qui va leur arriver, comme si le développement social et économique était déterminé par un nombre.

Si ce sentiment d'instabilité est largement répandu, il n'en est pas pour autant nouveau. La situation actuelle est en fait le résultat des processus intrinsèques du développement du système capitaliste mondial et qui sont nés au même temps que lui. Il y a plus de 150 ans, Marx écrivit dans le Manifeste du Parti communiste que « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés ».

Avec cette conférence, nous nous donnons comme objectif d'envisager avec des yeux désabusés les vraies conditions de vie et à partir de ce que nous aurons constaté, indiquer une voie pour l'avenir.

Certains trouvent, pourtant, que cette analyse est superflue. Un article publié dans la section opinion de l'édition du 23 mai de l'Australian Financial Review, une revue australienne du monde financier, qui avait pour titre « Non, vraiment, ça n'a jamais si bien été » et pour sous-titre « Remercions le capitalisme et la libre entreprise pour notre prospérité sans précédent » nous annonce que « Les populations des économies avancées sont aujourd'hui les personnes les plus riches et les plus libres que la terre ait jamais portées. Nous connaissons, comme jamais dans l'histoire de l'humanité, la santé personnelle, la longévité, la mobilité, la sécurité, l'éducation, et le civisme. Nous pouvons affirmer avec confiance que les problèmes de l'obtention et de la sécurisation de la richesse et de la liberté, les problèmes centraux de l'humanité de sa naissance jusqu'au vingtième siècle, sont essentiellement résolus ».

L'article continue en affirmant la supériorité du capitalisme sur le socialisme précisément sur le point pour lequel le socialisme prétend le dépasser : l'amélioration de la vie de l'homme et de la femme ordinaire. « Si nous sommes tous capitalistes aujourd'hui, c'est parce que nous modernes ­ que nous soyons de droite, de gauche, ou du centre ­ sommes tous profondément égalitaires et que le capitalisme se révèle le plus égalitaire des systèmes sociaux ».

Ces affirmations sont bien sûr scandaleuses et stupides. Mais elles ne diffèrent pas en substance de ce qu'on entendait partout au début des années 90 quand on maintenait que la débâcle des régimes staliniens en URSS et en Europe de l'Est annonçait « la mort du socialisme » et « la victoire du marché ».

De la tribune parlementaire à la chaire universitaire, dans les journaux comme dans les publications intellectuelles, on rabâchait sans cesse le même thème : la grande lutte idéologique et politique du vingtième siècle était terminée. Le marché, basé sur la propriété privée des moyens de production et des ressources financières, avec sa compétition incessante pour l'accumulation des profits en fonction des intérêts du capital, allait dominer le monde. Certains ont même annoncé « la fin de l'histoire ».

Le fait que les régimes staliniens, dont la chute finale a fourni l'occasion de toutes ces affirmations, ne représentaient en aucun cas le véritable socialisme, mais plutôt la dictature d'un appareil bureaucratique et despotique qui était arrivé au pouvoir en réprimant brutalement la classe ouvrière et en éliminant ses dirigeants révolutionnaires n'était jamais pris en considération. Aucun examen des faits n'était permis qui aurait pu réfuter la thèse que le marché capitaliste avait démontré qu'il était la seule organisation sociale qui fonctionnerait à long terme.

L'épreuve de l'expérience

D'immenses changements politiques et législatifs ont accompagné ces déclarations dans la période qui s'ensuivit, alors qu'une politique de capitalisme du marché libre et sans contraintes ­ lancée par les régimes Reagan et Thatcher au début des années 1980 ­ se répandait au globe entier. Les partis sociaux-démocrates, qui avaient proclamé pendant des décennies la possibilité de changer le capitalisme pour qu'il puisse répondre aux besoins de la majorité de la population, jetaient aux orties leurs politiques de réforme. Les directions des syndicats se ruaient pour travailler avec le capital afin d'assurer la profitabilité et la « compétitivité internationale » sur le marché global, tandis que les dirigeants des régimes nationalistes dans les soi-disant pays sous-développés abandonnaient leurs programmes de développement économique national, déclarant leur intention d'être de bons placements pour le capital international et qu'ils adhéraient aux « principes du libre marché ».

Pendant ce dernier quart de siècle, avec une accélération marquée au cours de la dernière décennie, l'organisation économique du monde entier est passée sous la direction du marché capitaliste global. En aucune autre période de l'histoire humaine n'a-t-il exercé une pareille domination. Ceci nous met dans une position vraiment unique pour juger les affirmations des enthousiastes du capitalisme et de voir comment elles passent l'épreuve de l'expérience.

Récemment, une avalanche d'informations montre la croissance incroyable de la polarisation sociale à l'échelle mondiale. La richesse des 475 milliardaires actuels par exemple, est aujourd'hui aussi importante que les revenus totaux de plus de 50 pour cent de la population mondiale, environ trois milliards de personnes. Et cette accumulation de richesse s'accélère. Le nombre de milliardaires aux États-Unis est passé de 13 en 1982 à 149 en 1996 et a encore augmenté depuis.

Selon le Rapport sur le développement mondial de l'ONU de 1998, les trois personnes les plus riches au monde possèdent des actifs supérieurs à la somme des produits nationaux bruts (PNB) des 48 pays les moins développés, les quinze personnes les plus riches ont des actifs valant plus que le PNB des pays de l'Afrique sous-saharienne, et les trente-deux les plus riches possèdent plus que le PNB des pays de l'Asie du Sud. La richesse des 84 personnes les plus riches dépasse le PNB de la Chine avec ses 1,2 milliard d'habitants.

Et qu'en est-il de la majorité de la population mondiale ?

Des 4,4 milliards des personnes vivant dans les soi-disant « pays en voie de développement », presque 60 pour cent n'ont pas accès à des installations sanitaires de base, le tiers n'a pas accès à de l'eau potable, et un quart doit se contenter d'un logement inadéquat alors qu'un cinquième est mal nourri, et la même quantité n'a aucun accès à des services médicaux acceptables.

Entre 1960 et 1994 le ratio du revenu par individu entre le cinquième de la population mondiale le plus riche et le cinquième le plus pauvre a plus que doublé, passant de 30 pour 1 à 78 pour 1. En 1995, il atteignait déjà 82 pour 1.

En 1997, le cinquième de la population mondiale le plus riche recevait 86 pour cent du revenu mondial, tandis que le cinquième le plus pauvre recevait 1,3 pour cent. Plus de 1,3 milliard de personnes doivent vivre avec moins d'un dollar par jour, en situation précaire de survie. Selon l'ONU, des 147 pays dits « en voie de développement », 100 avaient connu « un sérieux déclin économique » depuis 1970.

L'appauvrissement de populations entières partout à travers le monde n'est pas la conséquence de « désastres naturels », mais plutôt un résultat direct de la façon de fonctionner des marchés financiers et de l'imposition de programmes « d'ajustement structurel » par le Fonds monétaire international (FMI) au nom des banques et des grandes institutions financières internationales dont le but était de créer les conditions nécessaires à la domination du capital international.

Malgré de gigantesques remboursements de dettes, réalisés au prix d'un énorme coût social, le niveau d'endettement continue à monter. En 1990, l'endettement total des pays sous-développés se chiffrait à 1400 milliards de dollars américains ; en 1997, il atteignait 2170 milliards. En Afrique, la dette totale était de 370 dollars américains pour chaque habitant du continent. En certains pays la dette totale était quatre fois plus grande que le PNB. En 1998, les pays du Tiers Monde consacraient chaque jour 717 millions au paiement de la dette aux banques importantes et aux institutions financières.

La dévastation n'a nulle part été plus grande que dans l'ancienne URSS, précisément là où, selon les porte-paroles du capitalisme, le marché allait pouvoir faire ses « miracles ».

Il a été calculé que depuis 1989 l'économie russe a perdu la moitié de sa taille. Du point de vue économique elle n'est pas plus importante que la Hollande, alors que le manque à gagner pour la production est plus important que celui qu'a connu le pays en 1942 alors qu'il était pratiquement occupé en entier par les armées nazies.

Le taux de naissance est à 50 pour cent de son niveau de 1985 ; il est dépassé par le taux de mortalité d'un facteur de 1,6, ce qui signifie que si la tendance se maintient la population de la Russie aura chuté d'un cinquième en 2010. Au début du siècle dernier, l'espérance de vie d'un homme russe âgé de 16 ans était plus grande qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ce qui signifie que malgré deux guerres mondiales, une guerre civile, la famine, les purges, et le goulag, un homme de 16 ans en 1900 avait 2 pour cent plus de chances d'arriver à l'âge de 60 ans qu'un homme de 16 ans n'en a à présent.

Même si quelque démon maléfique avait choisi de jouer un tour cruel à l'humanité, il n'aurait pas pu imaginer la situation qui sévit aujourd'hui. Au début du nouveau siècle, la « victoire du marché » est en fait un désastre croissant.

Dans toutes les régions du monde, la vie sociale porte le sceau de la pauvreté et de l'inégalité grandissantes, cause d'une éruption ininterrompue de catastrophes humaines. Au milieu de ces désastres sociaux, le « Nouvel ordre mondial » du marché capitaliste a montré son véritable visage : une suite de guerres brutales alors que les grandes puissances impérialistes recherchent à nouveau la domination mondiale.

Thomas Friedman, rédacteur en chef aux affaires étrangères du New York Times, a publié un article il y a un an, au beau milieu de l'offensive de l'OTAN contre la Yougoslavie, qui résumait clairement le rapport entre la domination du « libre marché » et la force militaire.

« La main invisible du marché, écrivit-il, ne peut rien sans un poing invisible ; McDonald ne peut se développer sans McDonnell Douglas et ses F-15. Le poing invisible qui garantit la sécurité de la technologie de la Silicon Valley à travers le monde porte comme nom : armée de l'air, marine, armée de terre et bataillon de marines des États-Unis d'Amérique... Sans une Amérique sur le pied de guerre, il ne saurait y avoir d'America Online »

Le capitalisme a toujours été source de misère pour la vaste majorité de la population mondiale, mais pendant les 50 dernières années ses défenseurs ont maintenu qu'au moins dans les pays les plus riches le niveau de vie de la plupart des travailleurs s'était amélioré. Ceci est terminé. L'expansion économique du dernier quart de siècle n'a pas seulement apporté avec elle une polarisation grandissante de la richesse, mais aussi un déclin absolu du revenu en dollars constants de la majorité des salariés. Cette tendance mondiale n'est nulle part aussi évidente qu'aux États-Unis, le modèle du « libre marché ».

On estime que les salaires ont diminué d'environ 7 pour cent depuis 1973 en tenant compte de l'inflation. Même pour une période de 25 ans qui inclurait la Crise des années 30, on ne pourrait trouver une diminution comparable des salaires.

Le déclin des salaires de la majorité des travailleurs est le résultat d'une redistribution vers le haut de la richesse. En 1962, les 90 pour cent les plus pauvres recevaient 69 pour cent des salaires. En 1992, ils n'en recevaient plus que 59 pour cent. En d'autres termes, au cours de cette période 10 pour cent des revenus ont été redistribués vers le haut de l'échelle des salaires, la plupart revenant au 1 pour cent le plus riche. On parle ici de 700 milliards de dollars américains par an.

Les actifs des 400 Américains les plus riches, selon Forbes, ont crû en moyenne de 940 millions par personne de 1997 en 1999. De 1983 à 1995, la richesse des 40 pour cent des foyers les plus pauvres a chuté de 80 pour cent. Voilà l'effet « trickle-down » (les avantages accordés aux grandes compagnies finissant par se répercuter sur les plus petites) que les enthousiastes du libre marché chérissent tant. En réalité, nous assistons plutôt à un processus « de succion vers le haut ».

La somme de la richesse de ces 400 Américains était de 1000 milliards en septembre 1999 comparée à 738 milliards en 1998. Un cinquième seulement de cette hausse, environ 48 milliards, aurait suffi pour faire sortir de la pauvreté tous les Américains qui s'y trouvent officiellement (15 pour cent de la population et 25 pour cent des enfants).

On peut citer des chiffres semblables pour tous les grands pays capitalistes. Par exemple, selon une étude récente en Australie, « En 1994 les 20 pour cent des foyers les plus riches recevaient 40 pour cent des revenus ; les 20 pour cent les plus pauvres recevaient moins de 6 pour cent. Comparé à 1984, les 60 pour cent les plus pauvres ont perdu du terrain, les 20 pour cent juste au-dessus ont la même part, et le cinquième le plus riche a vu sa part augmenter. Les revenus réels étaient plus bas en 1994 pour tous, à l'exception du cinquième le plus riche, malgré la hausse du nombre de foyers dans lesquels deux personnes travaillent ». C'est-à-dire que non seulement la population a perdu du terrain en termes relatifs, mais aussi en termes absolus : les salaires réels ont chuté.

Note :
1. Bryan and Rafferty, The Global Economy in Australia, p.20

 

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